Chapitre 14 (1/2)
On ne rencontre que ceux qu'on a déjà rencontrés.
Point de Vue Victoire : 05 février 2078
— Cours Vicie ! s'écria Victor, loin devant moi.
J'essayais de le suivre à la trace, le long des couloirs du centre, mais il fallait avouer qu'avec ma patte folle, c'était dur d'y parvenir. Puis, arrivés ici, dans ce coin plus sombre du bâtiment, si cela était possible, nous retrouvâmes justement face à cette myriade de cellules, comme celles qu'on pouvait voir dans les cachots des châteaux forts, dont, une, occupée. Une ? Pourquoi y avait-il qu'un seul incarcéré, ici ? Où étaient les autres détenus ? Qu'avait-il fait pour rester isolé ici ? Surprise, je m'arrêtai. Le prisonnier à l'intérieur m'interpella alors, m'ayant vu ralentir devant ses barreaux.
— Hey, toi !
— Moi ? demandai-je, incrédule, me demandant si quelqu'un d'autre me suivait.
— Non, le mur derrière toi, ironisa l'autre.
— Quoi ? dis-je, en me retournant.
Il cherchait à me déstabiliser ? « Bon, pensai-je, admettons qu'il y arrive. Et je dis bien admettons, car il ne me fait aucun effet, loin de là, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ? Bref, admettons, ceci. La question : pourquoi fait-il ça ? »
— Laisse tomber... Approche, abrégea l'inconnu avec un sourire moqueur.
Je ne devais pas lui faire confiance, pourtant, puisque je ne connaissais toujours pas l'objet de son crime, – même si, aujourd'hui, la notion de crime était trouble, vu toutes les lois sordides qui existaient. – Cependant, je ne savais pas ce qu'il me prenait, mais quelque chose de plus fort que moi, m'empêchait de faire autre chose que de le regarder. Une aura peut-être ? Même si je ne croyais pas trop à ça...
— Victoire ! Qu'est-ce que tu fiches ? Ils vont nous rattraper ! s'écria Victor, dans mon dos, impatient, semblant se rapprocher, vu que la voix se faisait plus proche.
— Deux minutes, j'arrive, promis-je sans savoir si j'allais réellement pouvoir le suivre.
Le gars qui me parlait était juste éclairé par le faisceau d'un rayon de soleil, filtré par un petit trou dans le mur en vieux crépi. Il était d'une maigreur maladive. Depuis combien de temps était-il captif ? Je l'ignorais, mais j'imaginais que cela devait se compter au moins en semaines. Je savais qu'on nous donnait peu, mais à ce point-là, je ne pensais pas. Ou alors il refusait peut-être de manger ? C'était légitime, il est vrai de douter de ce qu'on nous mettait dans l'assiette.
Je fis quelques pas en avant et son visage m'apparut. Ses joues étaient creusées, saillantes à cause des os de sa mâchoire qui menaçaient de percer sa peau et sillonnées par ce qui devait être le souvenir de larmes, du moins là où sa barbe ne s'étalait pas. Ainsi, il faisait presque pitié à voir. Mon cœur se serra et j'entendis les pas qui se rapprochèrent. Il se leva et réduisit l'écart qu'il y avait encore entre nous, à mouvements lents et mesurés. Le moindre effort lui semblait douloureux.
Que lui avaient-ils fait subir ?
Je comblai le vide entre la cellule et moi puis tendis la main à travers les barreaux, sentant ma poitrine s'emballer, ne sachant toujours pas ce qui m'habitait. Étais-je possédée ? Ou complètement folle ? C'était envisageable, vu que je faisais tout sauf m'enfuir pour retrouver la liberté et protéger ma vie.
Il se saisit de mes doigts glacés en une fraction de secondes et les plaça contre son torse. Voulait-il me réchauffer ?
Son coeur aussi battait vite. Depuis quand n'avait-il pas vu de personnes autres que ses geôliers ? Il me fixa de ses yeux doux. Dans l'ombre, je crus discerner qu'ils étaient bruns. J'entendis à nouveau du bruit venant des couloirs, pas si déserts que ça.
Je me dépêchais d'ouvrir la porte de sa cellule avec un canif que j'avais réussi à récupérer dans une des cellule en amont, l'arme trainait sur le sol, la lame avait attiré mon regard et je m'étais dit que cela pourrait servir. Je l'avais caché dans le corsage de mon uniforme bleu ciel, sûrement en coton, ou tout autre matière de cette texture, lieu où personne ne se douterait que je puisse cacher un truc. Je triturai un peu la serrure avant d'entendre le cliquetis que je cherchais et il en sortit à une vitesse fulgurante.
Où puisait-il cette force alors qu'il y a deux minutes, se lever lui était pratiquement insurmontable ? Je me méfiais un peu, mais je n'avais pas vraiment le temps de me laisser de nouveau distraire par cet énergumène. Je me dirigeai à tâtons vers la sortie, ayant été distancée par mes amis, qui, ayant perdu patience, avait fini par me laisser toute seule. Il fit quelques foulées avant de se retourner.
À cause de mon genou, je trainais un peu, voire trop, ça m'avait lâchée un temps, mais être sous pression avait réveillé les douleurs fulgurantes qui se traduisaient à cet instant en me faisant grimacer.
Aussi, l'inconnu devait faire au moins un mètre quatre-vingt, donc ses enjambées étaient difficilement rattrapables. Me voyant galérer, il raccourcit la distance nous séparant pour me prendre sous les bras et les jambes, mon flan et ma tête contre son torse, et pour s'enfuir en courant vers la sortie. On ne prit pas la grande porte, mais celle des « nettoyeurs, » qui donnait sur une sorte de parking, qu'il rejoignit sans problème. Sans doute grâce à l'adrénaline, je sentis ses muscles bander et se surpasser. J'avais peur qu'il se fasse mal, mais l'urgence de la situation me détourna de cette pensée. Nulle trace de Lolita, ni même de Victor qui semblaientt être partis ou avoir pris une autre sortie. Je n'en connaissais que deux, mais je ne doutais pas qu'il y en eût plus que ça. Je sentis déjà qu'il faiblissait, mais il résista, contractant sa mâchoire et fonçant les sourcils. Peut-être pour se prouver quelque chose, mais plus probablement à cause de son instinct primaire de survie. J'approchai ma tête de son cou et lui dit.
— Lâche-moi.
Puis, comme il ne broncha pas, je rajoutais comme un constat :
— Je suis un poids pour toi...
— Hors de question que je laisse la fille qui m'a sorti de cet enfer.
Mon cœur se serra à cet aveu, j'étais fière de l'avoir aidé et reconnaissante de ce qu'il faisait en contrepartie. Vous avais-je déjà dit qu'il me troublait ? Néanmoins, mon sourire se cassa un peu quand il compléta :
— Surtout que t'es boiteuse...
Je fis la moue, il manquait un peu de tact. Et c'était peu de le dire. Je pensai que je m'y ferai quand même, si l'on devait poursuivre notre aventure ensemble. Sa respiration se fit courte et je sentis son souffle carresser ma peau, hérissant mes poils. Cela avait quelque chose de rassurant et de légèrement enivrant, autant que son odeur corporelle. Je n'avais pas senti cette sensation de chaleur me titiller l'échine depuis longtemps. Sûrement depuis Paul, en fait, et encore, je me demande si cela n'était pas un faux souvenir créé par mon cerveau, vu comment ma mémoire me jouait des tours.
Après avoir franchi la grande porte d'entrée et fais mes adieux tacites à ce bâtiment de l'horreur, qui m'avait torturée de longs mois, le jeune homme s'engagea vers un sentier caillouteux. Ne sachant pas vraiment où les deux amoureux étaient partis – j'étais quasiment convaincue du lien entre eux, – à cause de sa perte de vitesse. Très vite, le chemin s'arrêta pour laisser place à des étendues de fleurs d'hiver telles que les primevères, les pâquerettes et les perces-neiges. Cela se voyait qu'on n'était pas en ville, déjà cette végétation n'existait désor, mais que dans les réserves interdites aux citoyens, sauf dérogation spéciale. Si on ne fuyait pas pour notre vie, j'aurais admiré cette palette de couleur.
Il courut ainsi pendant de longues minutes à travers ces immenses terrains verts qui cachaient, aux rares perdus, le bâtiment isolé, – personne ne viendrait jusque-là par hasard, – manquant de trébucher par moment. Au bout d'un moment, à distance raisonnable et derrière un monticule de terre cachée par les hautes herbes, il s'arrêta pour reprendre son souffle.
Soudain, venant de nulle part, il reçut un coup de bâton dans le creux des genoux, ce qui le fit tomber en position de prière et moi par terre. Il retint un couinement plaintif et je m'approchai à quatre pattes de lui pour m'assurer que tout aille bien.
— Vicie ! s'exclama Victor qui me tira à lui et qui me prit dans ses bras.
Pourquoi réagissait-il ainsi ? Lui qui ne pouvait pas me piffer ne serait-ce qu'il y a quelques heures auparavant. C'était louche.
— T'es qui toi ? persifla Lolita, tenant toujours son bâton entre les mains, tellement fort qu'on voyait les jointures de ses articulations.
Je ne reconnaissais pas vraiment mon amie. Certes, elle avait toujours été bagarreuse et brute de décoffrage, mais à aucun moment je ne l'avais vu s'attaquer à un innocent sans apprendre à le connaître. Bah... J'aurais dû m'en douter, je n'étais pas la seule à avoir changé. Cette nouvelle ère de dictature n'avait pas aidé les gens à sortir le meilleur d'eux-mêmes, au contraire. Peut-être même que cette violence venait d'un enseignement de son copain. Je lui lançai d'ailleurs un regard suspicieux avant de reporter mon attention sur l'ancien prisonnier.
— Personne, répondit simplement le jeune homme.
Connaissant Lolita, petit père, ta réponse ne lui suffirait pas. Il faudrait avouer sinon elle insisterait. En même temps, ça lui donnait un air mystérieux qui... Oui, bon, quoi ? Je m'égarais.
— Ah ouais ? Et tu bosses pour qui hein ? Il est où, ton flingue ???
Qu'est-ce que j'avais dit ? Bon, cet élan de violence commençait quand même à me filer les jetons et ça n'allait pas en s'arrangeant. En effet, elle lâcha sa branche et le menaça d'un poignard, qu'elle sortit de sa botte. Où l'avait-elle pris ? Je vis pâlir légèrement le mystérieux jeune homme tandis que j'ouvris légèrement la bouche, complètement ahurie. Malgré la menace qui pesait sur sa vie, il conserva son calme presque insolent et leva les mains en signe de paix.
— Je bosse pour personne et j'ai pas d'armes... Si je portais ta copine, la naine, c'est qu'elle boitait et qu'elle m'a libéré... C'était juste du donnant-donnant ! Moi, je veux pas d'embrouilles, j'vous laisse tous les trois et j'me casse dans la seconde si tu baisses ton couteau, là.
— Tu ne pars nulle part, les interrompis-je.
C'était sorti tout seul. Des fois, je me demandais si je réfléchissais ou si je n'agissais pas que par instinct. Ils se tournèrent vers moi comme d'un seul homme. Un instant, je me sentis toute petite face à eux, déjà que je n'étais pas bien grande, alors avec les trois regards posés sur moi, c'était pire. Néanmoins, je me réafirmai, serrant les poings et relevant un peu le menton. Je lançai un regard à la blonde pour lui signifier que je prenais la relève. Dépitée, elle rengaina son jouet, le logeant dans sa chaussette. Je me levai et m'avançai vers l'inconnu.
On se toisa quelques instants tandis que les deux compères nous observaient. Cependant, je ne vis pas ce qu'il trafiquant, toujours au sol. C'est ainsi que, naïve, je lui tendis la main avec un sourire, qu'il accepta volontiers et il se releva tant bien que mal. Néanmoins, ce que je n'avais pas prévu, c'était qu'il se méfierait encore de moi. Comment en attendre autrement venant de la part d'un type qui avait été enfermé depuis un moment ? Il fallait avouer que, moi aussi, j'avais du mal avec les nouvelles rencontres. Non, je ne visais personne !
En une seconde, sans comprendre vraiment ce qu'il m'arrivait, j'étais calée contre lui. En position de faiblesse, mon dos contre son torse plutôt dur et osseux, j'étais bloquée en clef de bras par ses mains, lui, montant mon poignet un peu plus haut vers ma nuque pour me faire mal. Je pensais que j'aurais apprécié un autre contact de sa part en d'autres circonstances. Le souffle court, je réprimai un gémissement de douleur. C'est qu'il appuyait fort, le bougre ! Je forçai pour me dégager, mais c'était la pire des idées puisqu'il ne lâchait pas la prise, au contraire.
Le couple regardait la scène d'un air ahuri. Lolita aurait pu reprendre son couteau, mais c'était lui qui l'avait chopé. Voilà ce qu'il avait fait par terre ! Comment j'avais fait au juste pour ne pas y regarder à deux fois ? Si, je savais... Je savais pourquoi je ne l'avais pas plus regardé que cela... J'étais obnubilée par ses yeux. Ses doux yeux caramel... B*rdel ! Voilà que je m'y remettais ! Il fallait que je me ressaisisse et vite ! Il approcha ses lèvres de mon oreille comme la lame sur mon flanc et murmura.
— Je sais pas qui tu es, un-mètre-moins-vingt, ni pourquoi tu t'obstines tant à vouloir faire ami-ami, mais si toi et tes copains décident de m'attaquer je n'hésiterai pas à me défendre... Et je peux être très méchant.
Je déglutis face à sa menace. Ce n'était pas la première fois que j'avais peur pour ma vie. Alors oui, depuis presque un an, j'avais failli mourir plusieurs fois, mais à ces moments, je voyais la mort comme une bénédiction, comme une libération de ces enfermements à répétition. À cet instant précis, alors que la vie me laissait une seconde chance, je la pensais plutôt comme l'avortement d'une liberté, certes réduite, mais une liberté quand même. Ma gorge se serra tandis que mon estomac se noua. Je fermai les yeux essayant tant bien que mal de me calmer. Décidément, il n'avait pas l'air commode. En plus, vu qu'il me dépassait d'au moins une tête, c'était assez effrayant.
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