Chapitre 13 (2/2)
Ne promets rien, car la vie est pleine de surprises.
Point de vue Victoire - 05 février 2078.
Cette voix. Je me retournai complètement ahurie, la mâchoire grande ouverte. Comment cela était-il possible ? Je quittai la table et lui sautai dans les bras. Lolita ! Ma meilleure amie, elle était en vie, bon sang ! Même si j'aurais préféré qu'elle soit libre plutôt qu'ici, elle était tout de même saine et sauve. J'étais folle de joie.
— Attends, deux minutes, vous vous connaissez, avec Ongcái ?
— Disons qu'on a déjà chatté ensemble avant la GEE, confirma mon amie, ça n'a pas été si difficile que ça de le reconnaître.
— Chatté ? Mais sur quoi ?
— Tu sais, mon groupe de musique allemand favori ? Celui qu'ils ont envoyé en taule en 74 ? Bah, c'était un forum sur ça.
— Il devait pas le fermer, ce site ? hésitai-je. Aux dernières nouvelles, tout ce qui touche au divertissement « non approuvé » était rayé de la carte !
— Si, mais Dpékan a pris les devants avec l'électricité, corrigea Lolita. C'était la solution la plus rapide pour couper tous les canaux de communication en même temps. Pour le coup, il a été ingénieux.
— Donc c'est lui qui a organisé ça ? s'informa Ram.
— À ce qu'il paraît, se rattrapa la blonde.
— Mais, Ongcái..., enchaînai-je un peu trop fort avant de me calmer un peu, voyant les têtes se tournaient vers nous. Comment tu savais qu'elle serait là ? Je ne les ai même pas vu alors que je reconnaîtrais Lili entre mille !
Pour toute réponse, il se contenta d'un sourire un peu moqueur pour me faire enrager. De bonne guerre, je lui donnai un coup dans l'épaule, il grimaça pour de faux, puis éclata de rire. Boudeuse, je fis la moue et me rassis sous l'éclat de rire général. Tous, sauf le nouveau, le gars qui accompagnait ma meilleure amie, celui que je ne calculais pas vraiment tant j'étais follement joyeuse de retrouver ma plus fidèle alliée, savaient que je pouvais bouder facilement quand une situation m'énervait, mais pas assez pour que je sois furieuse. C'était un trait que je n'étais pas parvenue à effacer, malgré mon comportement lunatique.
— C'est pas comme ça que tu me feras mal, Twitter, me taquina-t-il.
Mature, je lui tirai la langue, croisant les bras.
— Twitter ? répéta la blonde. Pourquoi ils t'appellent comme ça ?
— Ici, on parle le moins souvent du passé, ça inclut nos identités, on utilise des pseudos... Twitter pour moi... Ram, pour lui, Ongcái pour lui et Ka Lio pour lui, indiquai-je en les montrant du doigt. Il manque Chim, Cá Chó et Răn.
— Oh... D'accord... Eh bien, enchantée vous tous, sourit mon amie.
Je lâchai enfin Lolita du regard pour détailler le jeune garçon qui semblait s'impatienter. Je tournai la tête vers lui avec une moue perplexe. Il avait des cheveux colorés dans un bleu délavé et ça lui allait plutôt bien. Des yeux d'un marron presque doré soulignés par des taches de rousseur magnifiaient son visage pâle, d'un rose poupon. Cela me charma aussitôt. Ses traits doux donnaient à ce dernier une bienveillance naturelle. Je ne pouvais plus le quitter des yeux et m'approchai pour lui dire bonjour, cette fois-ci, enjouée.
— Victor, enchanté, fit-il poliment en reculant d'un pas.
Pourquoi reculait-il ? Avait-il peur que je le bouffe ? Fallait pas t'inquièter garçon ! Je n'avais ni la mâchoire ni l'estomac pour ! C'était peut-être autre chose, de la timidité ? Ça ne m'étonnait pas, avec un caractère comme celui de mon amie, valait mieux s'effacer un peu pour éviter le revers de la médaille, mais... Il y avait autre chose. De la méfiance ? Oui, c'était sûrement ça. Pourtant, ça n'expliquait en rien l'animosité dans son regard. Oui, parfaitement, si ses yeux pouvaient me tuer en cet instant, je pense que ce serait déjà le cas !
D'accord, compris, tu ne voulais pas qu'on devienne amis ? On ne serait pas amis alors. Était-il le compagnon de la blonde ? Je m'avouai ignorante. Je fis deux pas en arrière pour lui signifier que j'avais compris qu'il ne me portait pas dans son cœur, et, par réflexe, je me rapprochai des garçons, eux, ne me fuyant pas, mon visage s'étant durci. Lolita le remarqua et essaya de tempérer les choses entre nous.
— Oui, il est un peu méfiant avec tout le monde, mais quand tu apprends à le connaître, c'est un vrai ami ! fit-elle les éloges, ce qui m'agaça encore plus.
— On verra, affirma-t-on en même temps.
— On nous présente ? demanda Ram, curieux.
— La jolie blonde, fis-je avec un sourire, c'est Lolita, ma meilleure amie...
— Et lui, c'est Victor Melis, poursuivit-elle avec une joie pétillante sur le visage. Ça fait quelque temps qu'on a été enfermé dans un centre, mais ils nous ont transférés, hier, dans celui-ci.
Ils s'assirent aussi et notre chef – ou ce qu'il semblait l'être, – se mit à exposer son plan à voix basse. Je restai méfiante de Victor et je me demandais si cela valait vraiment le coup de se livrer face à lui. On ne le connaissait pas et on devrait l'aider ? Ma fureur reprenait le dessus, il fallait que je me calme. Il était vrai que ce gars était connu de ma meilleure amie et... À ma connaissance, elle n'avait pas de mauvaise fréquentation. Je soupira, je ferai un effort.
Je me concentrai sur Ongcái. Selon lui, il fallait observer les rondes qu'effectuaient nos geôliers à chaque entrée ou sortie, avoir les dates des transports de cadavres et autres détritus, puisqu'il fallait bien les évacuer à un moment donné. Ainsi, on définirait une date. Puis, il fallait une diversion.
Le déroulé serait simple : Ram et moi nous nous en chargerions de cette fameuse diversion le moment venu. Telle était notre tâche. Ka Lio se chargerait des possibles agents qui seraient imprévisibles. Ongcái partirait en éclaireur et Lolita et Victor régleraient la minuterie de notre plan en indiquant ceux qui devait partir en premier, en second, etc... Après une bonne heure et demie à parler tout bas, on nous renvoya dans nos dortoirs pour la nuit.
Je ne dormais jamais dans le mien, j'avais trop peur que des gars viennent se servir. Il fallait dire qu'être agglutiné à plus de cinq cents personnes dans un même centre, cela donnait des envies à certains et certaines. J'avais alors pris l'habitude de venir dans le dortoir de mes amis et de dormir avec Chim, le plus jeune. J'avais l'impression de sentir Hugo contre moi, mais ce soir-là, je dormis seule, n'ayant pour seul réconfort que l'odeur de mon ami parti et les deux autres couchettes vides furent donc occupées par les nouveaux venus.
Dans le silence de la nuit, je me laissai aller aux larmes. Les émotions de la journée furent intenses et la fatigue ne rajouta pas que du bien à mon état. Je fus suivie par Lolita sans que je sache réellement pourquoi. Avait-elle un deuil à faire ? C'était possible, après tout, on nous avait arraché nos familles, elle ne ferait pas l'exception. Je voulus aller la voir pour la consoler, mais le regard doré de Victor posé sur moi me rappela ne pas le contrarier. Et m'approcher de la blonde était sûrement en haut de liste. Ka Lio, lui, fredonna un air pour nous apaiser. Je ne le connaissais pas, mais il était très doux et cela eut le don de me calmer un peu. Je finis par m'endormir assez tard dans la nuit. Je fis beaucoup de rêves liés à notre évasion cette nuit-là, d'ailleurs, je ne me reposai pas beaucoup. Mes songes, parfois, se passaient très bien, parfois je me réveillais en sueur parce que j'avais fini par mourir ou qu'un de mes amis se faisait tirer dessus. Cela m'angoissait plus que cela ne devrait, mais c'était un peu normal.
Les jours qui suivirent se firent dans l'angoisse, car si l'on se ratait, je savais ce que l'on nous ferait subir. J'avais enfin un espoir de sortir d'ici et de vivre à nouveau plus correctement même si cela voulait dire fuir toute ma vie. Je me demandais ce que nous allions faire après, car je n'imaginais pas que nous finissions autrement que dehors, le souvenir des Cobras flottait encore dans ma tête. Ongcái rejoindrait sûrement sa copine, Ka Lio retrouvera ses camarades Black Jack et Ram ira sûrement retrouver sa famille. J'aimerais bien retrouver mon frère, je pense que je resterai probablement avec Lolita et Victor un petit moment, même si l'un des deux ne me portait pas dans son cœur, histoire de ne pas rester seule trop longtemps, puis je partirais de mon côté. Je souris à cette expectative.
Neuf jours plus tard, toujours sans nouvelles de nos amis, notre plan d'évasion était finalisé, et pas question pour nous de rester un jour de plus ici. On était tous très tendus et on mangea très peu, enfin, moins que d'habitude, vu les demi-portions que nos geôliers nous servaient. On répétait inlassablement le déroulé des opérations en essayant de trouver les failles, nous voulions être sûrs de sortir de là sains et saufs, mais on avait déjà tout réglé. Tout était parfait, il ne restait plus qu'à mettre notre stratagème à exécution.
Nous avions prévu de le faire juste après la pause de midi, quand les agents faisaient leur tournante. Avec une bonne diversion, notre « chef » pouvait alors passer les portes pour continuer de courir à travers le dédale de couloirs qu'il y avait derrière. Ka Lio le suivrait à la trace pour lui prêter main forte, en cas d'attaque. Je regardais le cadran solaire qu'ils avaient bien voulu nous mettre dans la grande salle : il indiquait midi.
L'attente ne serait pas si excessive que ça, mais c'était suffisant pour que Victor fasse les cent pas comme un lion en cage. Je lui intimai gentiment de s'asseoir pour qu'il n'éveille pas les soupçons et il me sourit avec un rictus contrit avant de s'exécuter. Notre amitié avait fait un bond en avant ces derniers jours, si on pouvait appeler ça une amitié. On avait appris à s'apprivoiser et on était devenus plus cordiaux l'un envers l'autre.
Les minutes passèrent, vint une heure moins le quart. Je partis la première vers les portes qui menaient au reste du bâtiment, me mettant en position, Ram me rejoignit et les autres se placèrent proches de nous dans des coins adjacents du couloirs. J'attendis le signal de Ongcái et me mis à embrasser mon ami métalleux sur la joue comme s'il y avait plus entre nous. Il fut surpris, mais ne me repoussa pas, comprenant ce que je tentais de faire, et me rendit même la pareille.
Il attira les agents quand il fit semblant de m'embrasser réellement, avec ses cheveux longs, on y voyait que du feu. Il aurait dû faire du théâtre. Il jouait bien son rôle. Du coin de l'œil, je vis mes camarades se glisser par la porte quand les agents nous séparèrent, nous traitant au passage de dépravés et nous indiquèrent qu'ils allaient en parler à leurs supérieurs de ce pas, car nous n'avions pas le droit d'être en couple dans le centre, sinon nous étions séparés et emmenés je-ne-sais-où.
Pour éviter de faire sortir les filles qui tombaient enceintes.
Ils nous plantèrent là, devant la porte, sortant pour prévenir leur hiérarchie. La porte étant restée sans surveillance, nous nous glissâmes aussi dans l'ouverture. Ce qui nous sembla une aubaine, qui nous arrachèrent un regard vers le ciel. Bon sang, qu'ils pouvaient être débiles ! Nous courûmes aussi silencieusement que nous pûmes, mais nos souffles courts nous trahissaient. Nous fîmes une petite pause pour respirer un peu.
— Désolé, pour ce qu'il s'est passé, murmura-t-il.
— Navrée de t'avoir imposé ça, m'excusai-je au même moment.
— Ce n'est pas grave, me rassura-t-il en avançant, c'était dans le plan,.
Nous nous sourions. Parfait ! Notre amitié n'a pas été entachée ! Je l'étreignis rapidement, tout en regardant autour de nous et en tendant l'oreille pour savoir si quelqu'un approchait. Nous continuâmes ensuite notre course folle. Arrivés à un carrefour, nous entendîmes du bruit. Nous nous arrêtâmes, à l'affût. Une agente, assez en forme et armée, patrouillait et s'avançait vers nous. Mon ami me somma de m'enfuir, qu'il me couvrait.
Je refusai net. Si l'on devait se battre, ce serait ensemble, sinon rien, je ne partirai pas sans lui. Il insista pourtant en disant que j'allais retrouver ma famille si je quittais cet endroit et qu'il trouverait toujours un moyen de me rejoindre quand ça serait son moment. La gorge serrée et le ventre noué, je détalais à toute vitesse. Pourvu qu'il s'en sorte, sinon je ne me le pardonnerais jamais ! Je me hurlai à moi-même que je devais rester en vie également pour lui faire honneur. Que je me battrai pour sortir, pour lui.
Essuyant mes yeux d'un revers de manche, je ne ralentis pas, justement, j'accélérai autant que mes jambes et mon genou défaillant me le permettaient. L'adrénaline était une drogue assez surprenante, malgré la faiblesse de mon articulation, je ne perçus pas la douleur qui – en temps normal – me couperait dans mon élan, soufflant mon énergie et vrillant mes tempes. Les couloirs se ressemblaient, chaque carrefour me semblait connu, et j'avais la furieuse impression de tourner en rond. Il ne me semblait pas que ce fusse aussi long au premier jour de mon arrivée sur les lieux.
Après tout, je n'étais pas passée par cette porte. Je voyais plusieurs portes que je ne franchissais pas, elles semblaient être attribuées pour des bureaux. Puis, sans crier gare, je percutai Victor et Lolita. On se releva, contents de se voir, mais les retrouvailles furent de courte durée : ce n'était pas vraiment le moment.
On arriva devant une rangée de cellules, toutes vides. Je me posai alors la question : « à quoi servaient-elles ? » et, sans que je sache qui de mon corps ou de mon esprit prenait le contrôle, je ralentis. À ce moment, je ne sus pas ce qui m'eut mue de la sorte, mais cette intuition allait me montrer que n'avait pas mal fait, au contraire...
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