Chapitre 13 (1/2)
Ne promets rien, car la vie est pleine de surprises.
Point de vue Victoire - 27 janvier 2078.
Je regardai autour de moi et vis la terre qui s'était incrustée sur mes doigts et mes ongles.
— Bien sûr que si j'étais dans un trou ! Regardez mes ongles !
Je voulus me relever, mais je sentis les mains de Ram et de Cá Chó me retenir fermement sur le sol ce qui me fit fermer les paupières sous le choc, une vive douleur me reprenant. J'attendis quelques instants avant d'essayer d'ouvrir les yeux, mais impossible, je me détendis alors sur les dalles froides, ne pouvant rien faire d'autre que réguler ma respiration.
Leurs mains devinrent moins fermes. Je pouvais les distinguer toutes, car je m'étais, un jour ou un autre, confrontée à elles lors d'un combat. Nos geôliers aimaient bien voir combattre des alliés, ils avaient bien vu qu'on ne se lâchait pas d'une semelle. Ils avaient donc organisé des combats contre chacun, entre les garçons, non, mais contre moi, ça, ça les faisait jubiler. Je ne m'avouais jamais vaincue, même si je finissais par me manger sévèrement le sol après qu'ils avaient repris le dessus. Je ne voulais pas que mes amis pensent que je me laissais faire parce qu'on était dans le même camp. Je voulais leur montrer que je n'abandonnais jamais !
Je voulais qu'ils puissent croire que je pouvais les trahir à tout moment. C'était idiot, mais c'était une façon pour moi de devenir indépendante de quelqu'un et de pouvoir compter sur moi-même, et uniquement moi-même, si je devais venir à me retrouver seule. Je voulais ainsi devenir plus forte, m'endurcir malgré ma faiblesse physique. Mon genou me faisait toujours diablement souffrir. Je me demandais si cela s'arrêterait un jour. Je finis par doucement ouvrir les yeux, la tête bourdonnante et la gorge asséchée. Je vis alors mes camarades me regarder avec inquiétude, je leur souris.
— C'est quoi cette petite mine les gars ? Je suis pas morte hein ? On dirait que vous avez vu un fantôme...
Ram me prit alors sans hésiter dans ses bras, inquiet de mon état, les autres exprimèrent à leur tour le souci qu'il se faisait pour moi, avec plus de retenue, d'une tape amicale dans le dos. Malgré ça, j'étais émue, c'était vraiment des amis, plus des simples alliés, finalement. Je me questionnais de nouveau sur mes nouvelles résolutions. Pourrais-je un jour ne serait-ce que leur mentir ou trahir leur confiance ? Probablement pas, j'en étais presque certaine. Ce moment d'effusion fut de courte durée puisqu'on nous somma de suivre les deux agents qui venaient d'arriver à notre hauteur, dans le grand couloir où étaient disposés les casiers, souvent vandalisé, et qui nous demandaient pour la remise du prix pour le « jeu, » ils avaient acceptés que les gars me suivent, je ne voulais pas y aller seule.
C'était un homme à la peau brune, chauve et un bouc qui lui rendait l'air féroce et une rousse, assez grande, et un peu imposante. Je crois que c'était l'heure pour nous de La Question. Je fis part de mes soupçons aux garçons et ils acquiescèrent tous : ils partageaient mes idées.
Nous longeâmes le couloir et nous passâmes la grande porte qui communiquait avec le reste du bâtiment. Puis, sur notre droite nous sûmes vers quoi nous nous dirigions : La Pièce. Ils nous ouvrirent et on entra tous les six dans la pièce froide et capitonnée, première fois que je la voyais. En face de nous, une femme, brune, les cheveux relevés en un chignon élaboré, des yeux bleu glacial qui scindaient presque votre âme. Je frissonnai, elle le remarqua et sourit.
— Bonjour chères Preys, vous savez ce qu'il vous attend je suppose...
— Vous allez nous demander si on veut intégrer les rangs des lâches et injustes assassins fils de p**e que vous êtes ? demanda ironiquement Chim, avec effronterie.
L'autre fut un peu déstabilisée, un peu comme moi je dois dire, décontenancée par les propos de mon ami qui n'était jamais tant haineux, mais elle se reprit aussitôt, et nous offrit un sourire presque sadique, maquillé d'un rouge à lèvres qui témoignait d'une femme qui dominait qui elle voulait. Sa bouche rouge sang appelait au désir de l'embrasser. Cela me dégoûta. Avait-elle tant besoin que ça de se faire remarquer ?
— En effet, petit, c'est bien la question... Je vous laisse réfléchir quelques instants...
Tout le monde ici était nerveux. Je pense qu'on suspectait tous quelqu'un de vouloir mettre fin à ses souffrances. On était tous à bout et, si je savais ce qui se passait de l'autre côté et que c'était un moindre mal pour un bien, j'aurai accepté tout de suite. Cependant, j'avais mes amis qui étaient là pour moi et les trahir, je m'en rendais compte définitivement, était impossible. Ainsi, je pouvais décemment penser qu'aucun de nous n'allait accepter l'offre de la femme en face de nous, du moins pas aujourd'hui.
— Ceux qui sont pour, avancez d'un pas...
Mon regard se figea et ma bouche s'ouvrit d'un coup : deux des gars s'avancèrent, Cá Chó et... Chim ? Nom d'un chien ! Le benjamin venait de leur cracher à la figure les pires insultes, mais voulait à présent sympathiser avec ces ordures qui nous martyrisaient depuis des mois ? Il avait sûrement quelque chose en tête, c'était obligé, il était tout sauf stupide. Ou alors, c'était qu'il était vraiment devenu atteint par les souffrances physiques qu'on éprouvait au quotidien. Il ne tourna pas une seule fois la tête vers moi ou vers l'un d'entre nous, il était décidé et rien ne semblait lui faire changer d'avis.
Quant à Cá Chó, je comprenais sa décision, il avait sauvé des vies et espérait qu'en intégrant les rangs de l'ennemi, il pourrait continuer. Du moins, c'est ce que je présumais aussi, car après tout, je n'étais pas dans leur esprit. Je souris, ils étaient tous les deux très courageux de se jeter dans la gueule du loup. J'hésitai à les rejoindre, mais quelque chose me retint. Quoi ? Je n'en savais fichtrement rien.
— Bien, emmenez-les... Je m'occupe des autres, déclara la femme.
— Attendez ! m'exclamai-je.
— Quoi ?
— Vous allez leur faire quoi ?
— La même chose qu'à votre autre ami...
— Quel ami ?
— Celui qui a les cheveux noirs.
— Răn ? m'étonnais-je.
C'était pour ça qu'on ne l'avait pas revu ! Pouvait-il être venu voir nos geôliers durant le jeu ? Ça expliquerait sa disparition, mais pas ce que je croyais avoir vu : lui me sortant du trou et me déplaçant avant que je ne retombe dans l'inconscience. En revanche, la part d'ombre qui subsistait, c'était pourquoi ils n'avaient pas attendu que le jeu se finisse pour nous convoquer tous ensemble ? Mes amis étaient persuadés que le jeu avait été truqué pour qu'on se retrouve dans cette pièce. Pourquoi il avait été pris à part ? Cela avait-il était de son ressort ou l'avait-on au contraire forcé ? Est-ce en lien avec ses pratiques avant son internement ?
Finalement, nous n'avons jamais su ce qui avait conduit à son incarcération. Il n'avait jamais voulu se confier là-dessus, sur ça ou sur autre chose. Il pouvait rester des heures sans dire un mot. Il était le plus timide de nous tous et même son visage trahissait difficilement ses émotions. Je soupirai. Les reverrai-je tous les trois parmi nos tyrans ? C'était peut-être possible. Nous n'avions jamais revu ceux qui avaient dit oui, mais ils se comptaient sur les doigts d'une main. Ça pouvait être une occasion de tester leur fiabilité et de nous faire souffrir davantage. J'espérais que non !
— Ça ne répond pas vraiment à ma question, réitérai-je. Vous allez leur faire quoi ?
— Tu le verras si tu acceptes... me nargua-t-elle.
Elle me poussa au-dehors et nous rejoignîmes la grande salle. Escortés, nous traversâmes de nouveau les murs blancs sales. Déjà, les « nettoyeurs » s'affairaient, entassant les cadavres les uns sur les autres, vidant les dortoirs et les salles de combats qui alternait dans leu position, ainsi que la salle à manger qui se situait au milieu à gauche en entrant dans le grand couloir. Je déglutis, ça aurait pu être nous. Le mélange entre les fragrances de mort, de sang et de désinfectant prenait à la gorge.
J'étais frustrée de ne pas savoir ce qui allait leur arriver, que ce soit Cá Chó, Chim ou Răn. Surtout lorsqu'on entendit des hurlements derrière la pièce ou on les avait conduits, la porte pas entièrement close laissait quand même percevoir le son du dedans. Cela me déchira le cœur. Au-delà de mon inquiétude, je m'en voulais de les avoir laissé faire ça. Ils avaient craqué sans savoir ce qu'il se cachait derrière. J'étais aussi fâchée contre eux pour avoir pu céder, même si ça ne durerait pas longtemps. J'étais peu rancunière.
Ils étaient sûrement en train de les torturer. Je disais sûrement, mais je n'étais même pas certaine de ce qui se passait derrière ces portes. Les seuls qui s'étaient retrouvés là-bas avaient produit des sons tellement horribles qu'on pouvait se demander s'ils étaient encore humains. Une sorte de mélange entre un râle bestial et des couinements plaintifs. Comparez ça à un crissement de corde violon ou d'une craie sur un tableau noir. Un son qui vous fait grincer des dents et vous hérisse le poil.
Je priais pour avoir tort, même si je ne croyais en rien, j'espérai qu'on exauce mon souhait. Je ne pouvais imaginer que mes amis puissent souffrir ainsi. Surtout pour rien ! Je tiens à rappeler que la plupart d'entre nous étions ici, soit pour avoir défendu une cause noble soit pour un « don » de la Nature ! Pouvait-on faire plus illogique ? Il est vrai que je suis pas mal restée passive ces derniers mois et que j'ai calmé les ardeurs de vengeance de mes compagnons plus d'une fois, mais... J'avais une raison. Pour moi, ce n'était qu'un rêve. Un sombre et cruel cauchemar, cela venait forcément de mon esprit torturé ! J'allais me réveiller d'une minute à l'autre ! Sauf que cette porte de sortie n'était jamais arrivée, d'où mon humeur maussade de ces derniers jours et mes temps de réflexion internes de plus en plus longs. Or, je me laissais aussi convaincre de plus en plus quant au plan d'en découdre des garçons !
Après avoir déambulé dans le couloir, hagard, nous entrâmes dans la grande salle à manger. Nous retrouvâmes alors notre table, dans un coin au fond pour éviter les oreilles indiscrète et je m'effondrai dessus. J'enlevai mes lunettes et fourrai ma tête entre mes bras. Ah ? Je ne vous avais pas parlé de mes lunettes ? Normal. Avant d'être capturée – appelons un chat un « chat, » – je ne portais pas mes lunettes, sauf en de très rares occasions, car on m'avait pourvue de lentilles de contact. C'était très pratique et ça corrigeait ma vue. Néanmoins, cela nécessitait de l'hygiène, chose je n'avais pas eu depuis bien longtemps comme je l'avais déjà confié.
Ce fut ainsi que je demandai une paire de lunettes. Non pas que je fusse myope et que je n'y voyais pas à vingt centimètres de mon nez, mais ma vue était assez basse pour être corrigée, ce qui avait pour but également d'empêcher les très connues « migraines ophtalmiques. » Je l'obtins à la suite d'une victoire d'un des nombreux « jeux » que nos gardiens avaient organisés. Je n'avais pas demandé une ration supplémentaire, même si nous en manquions cruellement, mais une bête monture en ferraille dorée. Je ne me fis pas que des amis ce jour-là, mais rien n'était comparable à ce luxe que je m'offris.
En parlant de mes yeux, les larmes vinrent. Le liquide salé glissa sur mes joues comme le silence au sein du groupe. En même temps, il y avait de quoi : on venait de perdre trois membres. C'était déjà trois de trop. Toutes nos pensées se dirigèrent vers eux. Ka Lio fronçait les sourcils, les mains jointes sous le menton, concentré. Ram fit les cents pas, ses longs cheveux descendant en cascade, cachant son visage. Était-il aussi effondré que moi ? Ongcái, lui, après une courte réflexion, se leva brusquement et se mit face à nous. On le fixa alors tous, surpris, puis, lorsqu'il eut toute notre attention, il se pencha et murmura :
— Il faut créer un plan d'évasion, on ne peut pas rester là, à attendre que la mort ou les c***ards nous attrapent... Va falloir en faire un et vite ! Je sais ce que tu vas dire, Twitter, se coupa-t-il lui-même, mais... Tu veux qu'on perde encore un de nos alliés ?
— Je suis d'accord, mais tu veux faire comment ? Personne n'a réussi sans se brûler les ailes, exposai-je, pour contredire ses pensées.
Comment ? J'étais défaitiste ? Non, messieurs-dames, je prévois, c'est tout ! En pensant au pire, on prévoyait toutes éventualités !
— Peut-être, mais ces personnes étaient seules... Nous, on est quatre à présent et on est forts, avec de l'organisation ça peut le faire...
— Ils n'étaient pas seuls, tu te rappelles des Cobras ? le contredis-je en faisant référence à un des clans qui avaient tenté de s'enfuir, mais qui avait fini tragiquement pendus dans la salle commune.
— Ils ont fait ça à l'arrache ! s'échauffa Ongcái.
— Tu te fiches de moi ? m'emportais-je. Tu veux vraiment risquer de finir comme eux ?!
— Calme-toi, tempéra Ka Lio, ou du moins, essaya-t-il. Il a raison, avec de l'organisation, on a tous quelque chose qu'on peut apporter dans le plan pour son bon fonctionnement...
— Il va falloir être rigoureux, informa Ram avec une pointe d'inquiétude.
— C'est certain... admis-je. T'as déjà une piste ?
— Une piste ? Pas vraiment, mais je crois que j'ai mieux : du renfort, rectifia Ongcái en pointant derrière moi.
— Tu m'avais manqué, Vicie...
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