Quitter la maison est une étape difficile, un déchirement émotionnel, mais j'appréhende surtout le moment de dire au revoir à mes proches. Aurais-je la force de me séparer d'eux ?

Nous sommes partis depuis quelques minutes. Nous marchons tous côte à côte. Je devine que ma fratrie et mon père sont absorbés par le poids de cette séparation imminente. Ma mère, quant à elle, me prodigue des conseils d'une voix tremblante. J'essaie de rester concentrée sur ses paroles bien que je sois trop agitée pour retenir des informations.

— N'oublie surtout pas ce que tu as appris en cours de self-défense surtout. Tu en auras besoin.

Depuis toute petite, j'apprends à me défendre. Notre royaume est sain mais nous ne sommes à l'abri de rien. Ce sont le roi et la reine qui ont décidé d'ajouter ce cours à la liste des matières enseignées à l'école suite à un incident sombre survenu il y a bien longtemps et dont personne ne veut reparler aujourd'hui.

Ma mère continue de parler, ses mots se mêlant aux souvenirs des leçons de self-défense. Je revois ces journées passées à apprendre à me défendre, les mouvements répétés inlassablement jusqu'à ce qu'ils deviennent une seconde nature. C'est étrange de penser que tout cela me servira peut-être lors de cette quête qui me tient tant à cœur.

Le soleil monte lentement dans le ciel, réchauffant nos visages et illuminant le paysage qui s'étend devant nous. Tout semble étrangement paisible, en contraste frappant avec la tempête qui fait rage dans ma tête. Les oiseaux chantent joyeusement, et une brise légère caresse mon visage, apportant un moment de répit à mon cœur tourmenté.

De temps en temps, je jette un regard derrière moi et j'imprime ce que je vois. D'abord, notre maison se distingue, petit point dans la verdure puis elle finit par disparaître complètement. Elle devient un souvenir flou qui ne demande qu'à être réanimé.

Je vais vraiment le faire.

Chaque pas me rapproche d'un futur incertain. Je ne sais pas ce qui m'attend, quelles vont être mes épreuves. Je pars sans pouvoir être informée mais je dois le faire. Je n'en peux plus, je me sens au bord de l'explosion chaque jour.

Je suis Victoire, la fille qui ne perd jamais. C'est une bonne chose, pour cette quête. Et après, j'aurais une nouvelle qualité. Ma vie sera plus juste. J'apprendrai à perdre.

Je salue les quelques personnes que je croise avec un pincement au cœur. Chaque élément du paysage qui défile sous mes pieds semble empreint d'une signification particulière. Chaque arbre, chaque feuille, chaque commerçant, chaque maison, tout devient important et spécial pour moi.

Je tiens fermement les bretelles de mon sac à dos, comme si cette prise pouvait me donner la stabilité dont j'ai désespérément besoin.

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Traverser le royaume n'est pas très long. Une petite heure de marche seulement nous sépare de la frontière, là où mes parents vont me laisser.

Nous passons devant de grandes maisons dissimulées par les grandes haies. Au fur et à mesure que nous avançons, les contours du château royal apparaissent au loin. Nous nous en rapprochons puis passons à côté. J'aperçois quelques gardes qui patrouillent dans l'immense jardin dissimulé par des arbres.

Après avoir bien dépassé le château, je comprends que nous avons fini de traverser le cœur du royaume, qui est l'endroit le plus peuplé. La route devant nous s'étend à perte de vue, pleine de promesses et de dangers. Les habitations se font plus rares, au contraire des champs verts parsemés de fleurs sauvages baignés dans la lumière matinale. Quelques papillons sauvages virevoltent autour de nous et les oiseaux gazouillent joyeusement. Le vent frais fait bouger les mèches de mes cheveux qui n'ont pas été prises dans ma natte.

Nous avons dû parcourir la moitié du chemin lorsque tout le monde fait une pause pour se reposer, avant de repartir.

Les doutes me submergent, me transpercent, me brisent et quelques fois, je me surprends à vouloir faire demi-tour. Ma mère me lance des regards inquiets. Elle ne dit plus rien, n'ayant sûrement plus d'autres conseils à me donner. Quelques fois, je devine qu'elle veut nous dire quelque chose, mais elle finit par se raviser. Le silence reste donc notre meilleure compagnie.

Nous traversons les champs, encore et encore puis les frontières se dessinent bientôt, effrayantes et mystérieuses. Mon cœur s'agite de plus en plus fort, menaçant de jaillir de ma poitrine à tout moment. Une pointe d'excitation naît en moi à l'idée de sortir du royaume, chose qui ne m'est jamais arrivée. Je me suis toujours demandée ce qu'il y avait juste après la frontière. Il y a-t-il d'autres royaumes comme le notre ? Y a-t-il seulement de l'eau et quelques îles ? Le désert ?

Peut-être aurais-je l'occasion de le découvrir, je ne sais pas.

La destination finale de ma famille s'approche. Une boule se forme dans ma gorge et je peine à déglutir. Je frissonne à l'idée de me retrouver toute seule dans quelques minutes. La maison me manque terriblement. Chacun de mes pas se fait plus lourd, plus pressant, plus douloureux.

La frontière se rapproche, encore et encore. Le compte à rebours est lancé même si je ne distingue pas encore l'entrée du chemin. Un chemin sombre, comme l'avait précisé la vieille femme. Mais peut-être le verrais-je uniquement en avançant un peu après la frontière ?

Nous parvenons enfin au terme de notre traversée d'Enchantera. Des larmes perlent au coin de mes yeux.

Ça y est, c'est le grand moment.

Tout mon être tremble. Mon angoisse est à son paroxysme. Mais tout va bien se passer, n'est-ce pas ?

Je suis Victoire, la fille qui ne perd jamais.

Victoire.

La fille qui ne perd jamais.

Que pourrait-il m'arriver ?

Mes parents et ma fratrie s'arrêtent et leurs yeux se posent sur moi. Comment ne pas pleurer en voyant ces regards familiers et attendrissants posés sur vous ?

Mes joues se retrouvent vite inondées de larmes. Mon cœur se serre. Mon âme se noircit de tristesse.

Je suis Victoire, la fille qui ne perd jamais.

Victoire.

La fille qui ne perd jamais.

Que pourrait-il m'arriver ?

Un jour, ce ne sera qu'un mauvais souvenir.

Si je ne les quitte pas maintenant et rapidement, je ne le ferai jamais.

Alors je m'avance vers eux et les prend chacun dans mes bras. Le temps semble se figer alors que j'embrasse mes parents et ma fratrie.

Lorsque j'embrasse ma mère, celle-ci se racle la gorge péniblement avant de me dire :

— Promets-moi de faire attention. Promets-moi de revenir. Ma petite Victoire.

Je me recule et dans un murmure, je lui promets.

— Je te le promets, maman. Je reviendrai.

Je fixe une dernière fois ma famille du regard puis je leur tourne le dos pour faire face à l'horizon. Je m'avance et bientôt, je me retrouve seule, à l'entrée d'un chemin sombre. Seule, face à mon destin. Je me retourne.

Gagner ma première défaite. Tel est mon but.

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