Chapitre 6
Je trouve ma mère dans le jardin, penchée sur un parterre de fleurs, ses mains terreuses. Elle lève les yeux et me scrute curieusement. Je devine de la fatigue dans ses traits.
— Victoire Isabella Sacha De Permutiers ! Où donc étais-tu, jeune fille ?
Quand ma mère crie mon nom complet, ce n'est jamais bon signe. Elle s'apprête à me gronder sévèrement. Aider notre tante lui tient à cœur et je me suis absentée trop longtemps. Ses traits se sont durcis et ses poings pleins de terre viennent se poser sur ses hanches.
— Maman ! Je dois vous dire quelque chose d'important, à toi et à papa !
Ses yeux scintillent de reproches mêlés d'inquiétude. Elle soupire, secouant la tête.
— Ce n'est pas le moment ! Ta tante t'attend, elle a besoin de toi ! Nous en discuterons ce soir au dîner !
Je n'insiste pas et pars à la recherche de ma tante. Je n'insiste pas et pars à la recherche de ma tante. Lorsqu'elle me voit arriver, elle me gronde gentiment avant de me mettre des outils dans la main.
Nous commençons à travailler en silence, mais mon esprit est ailleurs, impatient.
Ce soir, je leur en parlerai sans faute.
***
Lorsque vient enfin le soir, je me sens nerveuse à l'idée d'exposer à mes parents mon idée. Ne vais-je pas un peu trop loin ? Est-ce vraiment nécessaire ? Vont-ils s'y opposer ? Et si je devais simplement continuer ma vie comme si de rien n'était ?
Le doute envahit mon âme entière mais je sais que c'est normal. Après tout, qui n'a jamais eu ce moment d'hésitation avant d'entreprendre un projet coûteux ?
J'attends le dîner, moment le plus propice pour en parler. En effet, mes parents et ma fratrie seront tous réunis, chose plutôt rare et l'heure du dîner est généralement un moment de débat convivial.
Quand ma mère nous appelle pour manger, mon cœur bat la chamade comme jamais et mes mains tremblent de manière incontrôlée. J'inspire profondément avant de rejoindre la salle à manger.
En entrant dans la pièce principale, je m'attable avec précaution. Mon frère est déjà là, plongé dans une conversation avec ma mère près des plaques de cuisson. Mes deux sœurs, cependant, sont encore dans leurs chambres. J'espère qu'elles ne tarderont pas, car mon stress atteint déjà son paroxysme.
Mon père, assis en face de moi, me jette un regard curieux.
— Tout va bien, ma chérie ? m'interroge-t-il. Je te trouve un peu... pâle.
Je baisse les yeux, ne sachant quoi dire. Je triture nerveusement ma chevalière en attendant.
Mes sœurs finissent par arriver et ma mère et mon frère ramènent les différents plats avant de s'installer.
Nos parents nous souhaitent un bon appétit et je ne réfléchis pas davantage. Je me lève rapidement et efficacement, manquant de peu de renverser ma chaise.
— Je dois vous annoncer quelque chose, dis-je d'une voix tremblante.
Ma mère est la première à m'observer de ses grands yeux bleu clair. Une lueur passe dans ses pupilles et je me demande tout de suite ce qu'elle s'imagine.
— Vas-tu enfin nous dire où tu étais passée ce matin ? demande-t-elle, son ton trahissant son impatience.
Je soupire. En effet, je ne leur ai toujours pas dit.
— Chez une dame.
Ses yeux s'écarquillent. Elle ne comprend pas et semble au bord du malaise.
— Bon, sang, Victoire ! Je croyais avoir bien éduqué ma fille ! On ne va pas chez des personnes que l'on ne connaît pas, encore moins-
— Je veux changer ma qualité dominante, la coupé-je, ma voix se faisant plus ferme.
Un silence lourd et oppressant s'installe dans la pièce, enveloppant chaque recoin d'une tension palpable.
Mes parents s'échangent un regard plein d'incompréhension. Mon frère et mes sœurs me scrutent sans rien dire, n'osant pas rompre le silence.
Je me sens perdre en assurance sous leurs regards insistants, pourtant, je n'abandonne pas. Je redresse davantage la tête et parle bien fort.
— Je veux changer ma qualité dominante. La vieille dame m'a dit que c'était possible et je voulais savoir comment. J'en ai marre. Papa, maman, vous avez fait de moi une tricheuse. Je gagne tout le temps. Il faut que ça change.
— Ma chérie, commence ma mère de sa voix douce et posée. Nous voulions juste que tu sois victorieuse. Que tu sois une véritable battante.
Elle s'arrête un instant, cherchant ses mots, ses yeux brillants d'émotion. La lumière du matin filtre à travers les rideaux, illuminant son visage marqué par le temps et l'amour inconditionnel.
— Depuis ta naissance, poursuit-elle, ton père et moi avons rêvé de te voir triompher de tous les obstacles, de te voir forte et invincible. Nous pensions que te donner cette qualité serait le plus beau cadeau, la meilleure protection contre les épreuves de la vie.
Elle marque une pause et me regarde avec amour.
— Nous n'avons jamais voulu que tu te sentes prisonnière de cette victoire incessante. Nous n'avons pas compris à quel point cela pourrait te peser, t'isoler, t'empêcher de vivre pleinement toutes les autres facettes de ton existence.
Ses yeux plongent dans les miens, et je vois une lueur de tristesse mêlée à l'espoir.
Les vannes s'ouvrent d'un coup, sans prévenir. Mes larmes coulent.
— Vous n'avez pas fait de moi une battante. Vous avez fait de moi une paria !
C'en est trop. Je perds le contrôle. Mon père tente de me retenir, mais c'est peine perdue. D'un geste brusque, je me dégage de son étreinte et quitte la pièce en courant. Je traverse le petit couloir, le cœur lourd, et me réfugie sous la couverture de mon lit dans ma chambre.
D'abord, je pense que personne ne m'a suivie et c'est peut-être mieux ainsi. Puis ma mère apparaît dans l'encadrement de ma porte.
— Tu n'es pas la seule, ma chérie.
Je me redresse et essuie mes larmes avec un tissu.
— Comment ça ? demandé-je entre deux sanglots.
Ma mère s'approche et vient s'asseoir sur mon lit. Elle est d'une douceur incomparable. Chaque geste, chaque mouvement dégage une aura apaisante, même dans les moments les plus simples.
— Tu es loin d'être la seule, Victoire. Beaucoup ont voulu changer leur qualité dans le royaume. Tu es loin d'être la première. Certains sont partis le faire, d'autres sont restés toute leur vie ainsi, ne voulant pas changer ce qui était censé être scellé.
— Vraiment ?
Je fronce les sourcils, perplexe. J'ignorais ce détail, et cette révélation me trouble profondément.
— Les règles du royaume sont parfois dures. C'est normal que tu aies envie de changer la donne et je comprends tout à fait.
— Alors, tu savais depuis longtemps qu'on pouvait faire quelque chose ? Tu es au courant, pour l'artefact, pour le chemin à la sortie du royaume, pour tout ça ?
Ma mère hoche la tête, une grimace déformant son joli visage. Elle vient me serrer dans ses bras tandis que mes larmes redoublent.
— Pourquoi ne pas me l'avoir dit ?
Je ne comprends pas. Depuis des années, je suis exclue des jeux. Depuis des années, on me traite de tricheuse. Depuis des années, je pense que ma situation est injuste et mes parents savaient que j'aurais pu changer ma qualité !
— Le périple est long et dangereux, Victoire. Très peu ont réussi à revenir sain et sauf et en ayant réussi leur objectif. Le chemin est peuplé de dangers qu'un jeune fille ne peut pas affronter, encore moins si elle est seule.
Me protéger. Pendant tout ce temps, mes parents voulaient me protéger. Mais maintenant ? J'ai grandi et je suis forte. Je peux y arriver, non ? J'aime l'aventure et j'ai l'impression que quelque chose de plus profond se cache derrière cette quête, attisant ma curiosité.
Quels seraient les dangers ? Affronter des dragons ? Marcher sur des pics ? Éviter de la lave volante ?
— C'est une quête longue, éprouvante et dangereuse. Nous voulions que l'idée de partir ne te vienne pas en tête tout de suite. Nous pensions que tu t'y habituerais et que tu saurais trouver du positif dans le fait de toujours sortir vainqueur. Hélas... Nous n'imagions pas qu'aujourd'hui, c'était toujours dur pour toi. Mais le chemin jusqu'à l'artefact est peuplé de dangers.
— Et si j'ai envie, maman ? J'en ai marre, de ma situation.
Mon père apparaît à son tour dans l'encadrement de ma chambre. D'abord silencieux, il lance :
— Eh bien si tu as envie... Nous ne pouvons pas te retenir. C'est ta vie. C'est ton destin. Après tout, on a qu'une vie.
Ils ne me retiennent pas. Si je veux y aller, je peux.
Je médite quelques instants sur ma réponse. J'ai peur de les blesser. J'ai peur de faire mal à mes parents. Pourtant, une petite voix me dit de le faire quand même. C'est ma vie, après tout.
— Alors, j'aimerais partir demain. Au lever du soleil.
Je dois entreprendre ce périple, même si cela signifie m'éloigner de ma famille et de nos routines sécurisantes.
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