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Je me réveille une seconde fois. Après mon mystérieux rêve, je me suis rendormie rapidement... et un peu trop profondément.

Je me frotte doucement les paupières en me redressant dans mon lit. Je me remémore plus en détails mon rêve tout en observant les marques laissées par les draps sur mes bras.

Non seulement je suis destinée à toujours gagner, mais en plus, mon sommeil est peuplé de songes incompréhensibles sur mon soi-disant pouvoir ! Même la nuit, on ne peut pas être tranquilles, nos problèmes sont toujours là pour nous guetter. Moi qui croyait que l'attrape-rêves suspendu au mur faisait effet, je me suis trompée ! Les plumes chatoyantes pendues à un cerceau de perles nacrées formant une toile brillante en forme d'étoile ne sont là que pour me narguer et non pour anéantir les mauvaises ondes !

Après avoir médité quelques minutes, les épisodes de la veille me reviennent aussi en tête. La cérémonie du printemps, le banquet et la vieille femme agaçante expliquant à mon père qu'il est possible de changer sa qualité dominante. Possible.

Je n'ai aucune preuve que ce qu'elle a dit est vrai. Pourquoi personne n'est au courant ? Ou bien suis-je la seule à ne pas le savoir ? J'ai l'impression d'être face à un puzzle dont il manque des pièces ou bien face à une intrigue dont je ne connais pas la fin.

Suis-je vraiment la seule à avoir reçu un don qu'elle n'arrive pas à accepter et qui fait le bonheur de certains pour se moquer ?

Ai-je fait quelque chose de mal dans une vie antérieure ?

Je secoue la tête pour chasser toutes ces pensées sombres et me lève à la hâte. Je refais mon lit et m'habille. Avant d'aller nourrir et traire les vaches et aider notre tante à la gestion de la ferme, je vais aller toucher deux mots à la vieille dame. J'ignore où elle habite, mais je vais bien trouver. Le royaume ne s'étend pas à l'infini et je vais demander autour de moi. Quelqu'un le saura bien.

Je sors de ma chambre et retrouve ma mère dans la pièce principale. Mon père est déjà parti s'occuper d'affaires commerciales au centre d'Enchantera, notamment au marché enchanté. Nous le rejoindrons plus tard dans la journée.

— Victoire, tout va bien ? me questionne ma mère. Tu es la dernière levée à chaque matin en ce moment ! C'est... surprenant !

Surprenant ou... effrayant ?

En effet, depuis quelques jours, les cauchemars se multiplient, mes nuits sont agitées et je suis donc la dernière à être réveillée alors que d'habitude, je me lève tôt sans que le réveil ne soit brutal. En ce moment, je survis plutôt que je vis, à cause de la fatigue.

Je m'attache en vitesse mes cheveux blonds puis je bois un petit bol de lait et mange un bout de pain avec quelques baies. Je vais me nettoyer le visage avant de sortir dehors avec ma fratrie. Nous prenons le chemin familier de la ferme et nous marchons joyeusement. C'est un rituel pour notre famille. Tous les dimanches matins pendant le printemps et l'été, nous allons aider notre tante à s'occuper des animaux et du grand potager de la ferme qui lui appartient. Il n'y en a pas beaucoup dans le royaume et celle de ma tante et l'une des meilleures. Je suis contente de retourner m'occuper des animaux après un long hiver sans voir la lumière du jour. Je me suis notamment liée d'amitié avec une chèvre qui se réjouit à chaque fois qu'elle me voit et qui me taquine constamment.

Pour ma mission, je ne compte pas m'absenter longtemps, juste le temps de trouver la vieille femme et de lui poser la question qui me tourmente depuis hier.

Sauf que j'ai le sentiment que ça va durer longtemps. Déjà, je dois la trouver.

L'air est frais et il fait magnifiquement beau. Les rayons du soleil réchauffent avec douceur l'atmosphère et tout le monde semble de bonne humeur.

Après cinq petites minutes de marche, nous distinguons la façade de la ferme et les petites poules qui picorent gaiement près de la grange. Des chats paresseux se reposent sur le rebord des fenêtres. Des pots de fleurs débordant de géraniums rouges ou de tulipes décorent une allée de cailloux très charmante, menant à la porte principale du bâtiment, fait de pierres qui portent des souvenirs anciens. Dans un pré plus loin, je distingue les vaches, qui doivent de ne plus être enfermées.

Quelques mètres avant d'être arrivés à destination, j'annonce :

— Je dois aller faire quelque chose pas loin, je vous rejoins vite ! Ne me posez pas de questions, je vous expliquerai plus tard !

Mon frère et mes sœurs échangent un regard intrigué et je sens qu'ils s'apprêtent tout de même à m'interroger mais je ne leur offre pas plus de détails. Je préfère être sûre de mes sources avant de potentiellement leur en parler. Même si j'avoue appréhender leur réaction.

Mes parents et ma fratrie n'ont jamais réellement cherché à comprendre pourquoi je n'aime pas ma qualité. Ils pensent plutôt que c'est un chouette don et que je m'en fais pour rien. Les gens qui critiquent sont juste jaloux. « Tout le monde sera la risée de quelqu'un dans la vie, de toute façon. On ne pourra jamais vraiment échapper aux critiques à moins de vivre dans une grotte. Et même ainsi, on trouvera toujours le moyen de t'atteindre. » C'est ce que notre mère nous rabâche souvent. Sauf que pour moi, je suis la seule. Dans le royaume où je vis, tout le monde est fier de sa qualité et je suis la seule dont on parle négativement. « Elle gagne tout le temps, que ce doit être ennuyeux ! » ou bien « Elle est née pour tricher ! » sont des paroles qui me heurtent bien trop souvent.

Mes deux sœurs et mon frère s'éloignent sans broncher et je prends la direction opposée, sans trop savoir où je vais. Au loin, je vois des jeunes filles. Je ne réfléchis pas et m'avance vers elles.

— Excusez-moi, auriez-vous vu une vieille femme habillée en noir et qui fait un peu peur ? Si oui, sauriez-vous où elle habite ? Je crois qu'elle est nouvelle au royaume !

Les trois adolescentes, probablement plus jeunes que moi, me font signe que non et s'excusent.

— Ce n'est pas grave, merci quand même ! Bonne journée !

Je ne les ennuie pas plus longtemps et continue mon chemin, regardant tout autour de moi, des fois que la vieille femme soit de sortie. Ou bien des fois que je trouve un indice dans la nature.

Victoire, tu es pathétique. Comme si tu allais tomber sur un panneau qui indique la bonne direction. À trois kilomètres au Sud, la maison de la vieille dame à la capuche noire !

— Vous cherchez quelque chose, jeune fille ?

Je sursaute. Un marchand de fruits m'interrompt dans ma recherche, le regard plein de curiosité fixé sur moi.

— Oui, justement !

Je lui décris immédiatement la personne que je cherche. L'homme m'écoute attentivement mais malheureusement, il n'a aucune idée de qui je parle. Je le remercie tout de même. Il essaie au passage de me vendre quelques pommes mais je refuse, n'ayant pas de pièces sur moi.

— Bon courage alors ! me crie-t-il tandis que je m'éloigne.

— Je vais y arriver, lui répondé-je dans le lointain, un poing levé vers le ciel.

Au bout d'une dizaine de réponses négatives de la part des quelques passants que je rencontre, je perds espoir. Bon sang, je vais finir par croire qu'hier n'était qu'un mirage et que la vieille dame n'existe pas ! Je ne serais même pas étonnée de rêver non seulement la nuit mais aussi en pleine journée ! Après tout, les hallucinations, ça existe !

Je soupire et tente tant bien que mal de ne pas m'énerver. Que je suis naïve de penser que j'aurais pu la trouver facilement !

Pourtant, alors que je me décide presque à abandonner pour rejoindre ma famille, une main tapote gentiment mon épaule, m'invitant à me retourner.

Je pivote d'un demi-tour pour tomber nez à nez avec la vieille femme.

— Qui cherches-tu, mon ange ?

Je frissonne en entendant sa voix grave et ténébreuse tout près de mon oreille.

— Je... je vous cherchais, bégayé-je.

— Oh, je vois. Je devine que tu as besoin de mon aide, ma chère. Allons chez moi, j'ai confectionné du thé.

Je remarque alors un petit panier rempli de fruits et légumes accroché à l'un de ses bras. Elle revient sûrement du marché. A-t-elle rencontré mon père pour lui parler à nouveau ?

— Aller, mon enfant, dépêchons-nous, j'ai tant de choses à te conter !

Comment ça, tant de choses ?

Elle me tire par le bras. D'abord réticente, je finis par me laisser emmener.

C'est effrayant. Et si elle allait me tuer dans son salon ? Ou m'empoisonner avec son thé ? Ou me jeter un sort ? Après tout, elle ressemble à une sorcière. Et les sorcières sont rarement gentilles avec les jeunes filles comme moi.

Pourtant, malgré mes craintes, je la suis. J'ai besoin de réponses.

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