Chapitre 8 : Guerre froide
Quand Gullveig se réveille le lendemain de l'anniversaire d'Aphté, elle a franchement la tête dans le coaltar, ayant encore une fois trop bu. Lorsqu'elle sort, matinale, de sa chambre, quelqu'un lui tombe dessus et ce n'est autre qu'Aphté qui a l'air de se réveiller, toujours dans sa tenue d'anniversaire.
— Hey, sourit à moitié, en baillant, Aphté.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
— Je t'avais dit que je resterai ici toute la nuit.
Et Gullveig ne sait pas quoi penser de l'action de la jeune femme à son égard : agacement, c'est sûr mais il y aussi de l'attendrissement tout au fond. Aphté se lève et demande :
— Je peux rentrer dans ta chambre cette fois ?
— Lave-toi d'abord et après on en rediscute.
Une douche plus tard et voilà les deux jeunes femmes parties se balader dans un parc à côté de la maison. Au début, il y a un petit silence, les deux se remettant petit à petit de la soirée de la veille. Puis Gullveig, tente de paraître dur malgré sa nature contraire :
— Pourquoi tu m'as pas dit que t'étais en couple ?
— Ça aurait changé tant que ça de choses ? demande simplement Aphté et ça met en rogne Gullveig que la jeune femme aux cheveux roses ne voit pas le problème de l'affaire.
— Oui, ça aurait carrément changé quelque chose : je ne t'aurais jamais embrassé si ça avait été le cas.
— Pourquoi ? Tu avais l'air d'en avoir envie.
— Je ne suis la maîtresse de personne.
— T'es pas ma maîtresse, s'amuse Aphté, à la rigueur ma professeure de langues.
— Nicht lustig. (Pas drôle.)
Et Aphté le sait, quand Gullveig se met à parler Allemand, ce n'est pas bon signe alors elle juge qu'elle ferait mieux de la fermer un peu pour une fois.
— On fait quoi alors ?
— Je ne sais pas, souffle douloureusement Gullveig, mais ce qui est sûr, c'est que plus de baisers.
— Dommage.
— Mais t'as vraiment aucune conscience, ma parole. Il sait ton copain que t'embrasses des filles en soirée ? !
— J'embrasse pas des filles, je t'embrasse que toi.
— Ne joue pas sur les mots, s'il-te-plaît, sermonne Gullveig, t'as très bien compris ce que je voulais dire.
— Ça va, c'est pas la fin du monde, c'est pas quelques embrassades entre amies qui vont tuer quelqu'un, tente Aphté de s'alléger sa conscience.
Gullveig est blessée des propos de sa colocataire, « quelques embrassades entre amies ». Alors c'est tout ce que ça représente leurs baisers aux yeux d'Aphté ?
— Je suis pas sûre que c'est ce que dirait ton copain.
— Tu le connais pas, se braque Aphté à la mention de Titouan.
— Bref, on tourne en rond.
— Effectivement.
Les deux jeunes femmes continuent de marcher, silencieuses, l'une réfléchissant plus que l'autre.
— On reste de simples colocataires alors ?
— Si c'est ce que tu veux, oui, soupire Aphté.
Ce n'est pas ce que veut Gullveig, mais c'est ce qu'il faut. Les larmes aux yeux et le cœur lourd, Gullveig rentre à la maison, sa colocataire à ses côtés. Gullveig passe la journée à déprimer, se sentant profondément stupide d'avoir commencé à développer des sentiments pour quelqu'un dont elle ne savait même qu'elle était en couple, depuis plus de deux ans en plus. Bien que ne franchissant d'habitude pas la limite de l'alcool en journée, Gullveig entame son premier verre d'alcool à seize heure trente-huit tout en fixant, larmoyante, le cadeau qu'elle avait fait pour Aphté.
Le mois entre novembre et décembre passe bizarrement dans la colocation, chacun vacant à ses occupations. Les trois étudiants bossent pas mal du fait de leurs examens proches. La colocation s'est divisée en deux équipes : Aphté et Cadkar d'un côté contre Gullveig et Phtolos. Ce n'est pas particulièrement tendu entre les deux groupes, mais on ça se sent que certains colocataires sont plus soudés que d'autres ce qui aboutit à une drôle d'ambiance. Une ambiance beaucoup moins amusante ce qui agace plus qu'il ne le pensait Cadkar. C'est pourquoi, en ce samedi après-midi, il n'est pas chez lui. Il travaille ses examens, motivé par Issa qui prend très au sérieux les études contrairement à Cadkar habituellement.
— J'en ai marre, souffle Cadkar tandis qu'Issa le remarque à peine.
Alors il vient derrière Issa et pose son menton sur la tête de ce dernier.
— Qu'est-ce qu'il veut le gamin ? sourit Issa, bien que concentré.
— Son goûter, répond malicieusement Cadkar.
— Travaille et après t'auras le droit.
— J'aurais le droit à quoi ?
— La meilleure pipe de ta vie.
— C'est vrai ? s'enthousiasme Cadkar.
— Une seule façon de le savoir.
Alors le plus âgé réussit à travailler une heure de plus avant de s'allonger complètement sur le lit d'Issa.
— J'en peux plus.
— Moi non plus.
— C'est vrai Monsieur le workaholique est enfin fatigué ?
— Un peu. Toi par contre, t'es plus résistant au lit que pour travailler.
— Je sais mes priorités. Ça te dit de manger dehors pour nous récompenser ? propose Cadkar.
— Pourquoi pas, oui, mais c'est moi qui choisis le restaurant.
— Ok.
Une heure plus tard et la bouche en feu, Cadkar regrette amèrement d'avoir laissé Issa choisir le restaurant.
— Si je bouche tes chiottes, tu payes le plombier, s'amuse Cadkar et Issa éclate de rire face à l'élégance de Cadkar.
Après le repas très agréable et vraiment marrant, les deux jeunes se baladent dans les rues animées de leur ville en ce samedi.
— Tu passes plus beaucoup de temps dans ta coloc' ces derniers temps, tout va bien ?
Embêté qu'Issa l'ait remarqué, Cadkar répond avec humour, comme souvent :
— C'est une façon de me dire que je passe trop de temps chez toi ?
— A toi de voir. Fais gaffe après on va croire qu'on est ensemble. Mais t'as pas répondu à ma question.
— Je me rends très bien, très bien. Il est vrai que l'ambiance dans la coloc' est moins bonne depuis quelques temps.
— Pourquoi, il s'est passé quelque chose ?
Cadkar pense juste qu'il a, peut-être foutu la merde, comme souvent. En soi, il en était plutôt fier jusqu'à ce que l'impact.
— Les deux filles se sont prises la tête, typique des meufs quoi.
— T'es sexiste, intéressant.
Cadkar lance un regard blasé à Issa qui se justifie :
— Il y a que la vérité qui blesse. Mais ça ta saoule l'ambiance du coup ?
— Un peu, c'est moins marrant.
— Essaye d'aider à arranger les choses.
— Mais il se peut que je sois celui ayant foutu la merde.
— Pourquoi ? Qu'est-ce que t'as fait ?
Même si Cadkar s'en fout de ce qu'on peut penser de lui, il sait qu'il va encore plus passer pour un connard aux yeux d'Issa et, peut-être, que ça le fait chier au fond, un petit peu.
— En gros, les filles s'embrassaient en soirée mais une des deux est en couple et lors d'un jeu, j'ai posé la question qu'il fallait pas.
— Mais tu savais que cette fille était en couple ?
— Oui.
— Ah ouais, quand même. Pourquoi t'as fait ça alors ?
Cadkar hausse les épaules, ne voulant pas trop dire à Issa qu'il trouvait ça juste marrant de foutre la merde.
— Trop facile ça de juste hausser les épaules, je veux une réponse.
— Putain, tu lâches pas l'affaire, toi.
— Pas souvent, effectivement.
— Je trouvais juste ça marrant de foutre un peu la merde quoi.
— Tu m'étonneras toujours.
— Tu me juges ?
— Je constate.
Les deux jeunes se sourient puis Cadkar force un peu Issa à aller dans son bar préféré. Et vu comment Issa ne semble pas vraiment à l'aise, Cadkar lui demande :
— T'es jamais allé dans un bar gay ?
— Tu voulais que j'y aille avec qui ?
Pas faux, pense Cadkar. Alors il essaye qu'Issa passe un bon moment et c'est ce qui finit par se passer, sous le sourire de Cadkar. Les deux jeunes dansent depuis quelques danses, toujours plus collés l'un à l'autre, les deux amusés et profitant de cette situation. Puis Cadkar va aux toilettes et lorsqu'il se lave les mains, il tombe sur Nathan qui lui demande directement :
— Tu te tapes des Noirs maintenant ?
Cadkar fronce directement les sourcils, n'aimant ni le fond ni la forme de sa question.
— Je me tape quelqu'un, pas une couleur de peau.
— T'es devenu philosophe dis-moi.
— Tu veux quoi ?
— Je te savais pas tant que ça sur la défensive, surtout pour un mec.
— T'as qu'à pas dire de la merde aussi.
— Ça fait longtemps qu'on s'est pas vus.
— Et ça risque pas de s'améliorer avec ce genre de propos.
— Roh, ça va, je suis désolé, c'est bon ?
— Bref, je retourne m'amuser, coupe court Cadkar à la conversation.
Le jeune homme, tout de même agacé de cette conversation peu agréable, retourne aux côtés d'Issa. Cependant, il ne le trouve plus alors au bout de quelques minutes Cadkar lui envoie un SMS, plus stressé qu'il ne le voudrait. Il tente de se reprendre, mais plus les minutes passent puis le jeune homme sent ses poumons comme se comprimer. Il ne comprend pas trop ce qui se passe alors il se rue vers la sortie, pour prendre l'air, espérant que ça comme débouchera ses poumons. Sauf qu'il se sent encore plus mal lorsqu'il trouve Issa, bloqué contre un mur par deux mecs assez costauds.
— Issa ? parle, à bout de souffle et bientôt de force Cadkar.
Les deux personnes sur Issa se tournent vers Cadkar et se barrent après avoir visiblement dit un dernier truc à Issa. Les deux jeunes se regardent un moment, tous les deux assez mal au point. Mais c'est Issa en premier qui se rapproche de Cadkar et lui demande :
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Peux plus respirer ?
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Sais pas, souffle Cadkar avant de s'effondrer de son plus d'un mètre quatre-vingts par terre.
— Putain, Cadkar, respire calmement.
— Arrive pas.
Issa fait regarder Cadkar dans les yeux et lui prend sa main tremblante pour la poser sur son propre cœur. Cadkar finit par se concentrer sur les battements de cœur d'Issa et sent ses poumons lui faire de moins en moins mal. Après une dizaine de minutes, Cadkar se calme et Issa le ramène en scooter dans son logement CROUS. Issa lui prépare un verre de lait chaud tandis que Cadkar ne sait plus où se mettre. Pour une fois, il est alors tout silencieux.
— Tu veux en parler, demande Issa en déposant le verre chaud que Cadkar s'empresse de boire.
Le liquide chaud lui fait du bien, le rassurant même mais ne le poussant pas à s'ouvrir tout de même.
— Et toi, ils te voulaient quoi les deux gars ?
Silence. Alors Cadkar voulant vraiment savoir, propose :
— Chacun dit à l'autre ?
— Ok. Je t'avoue que j'ai pas trop compris ce qu'ils me voulaient. Je suis juste sorti prendre l'air comme t'étais long et deux mecs bourrés qui marchaient sont venus me parler pour me demander si je pouvais les sucer.
Cadkar sent sa mâchoire se contracter, n'aimant que trop peu ce qu'il entend.
— Puis t'es arrivé. Voilà, c'est tout. A toi.
— Je sais pas, j'ai commencé à plus pouvoir respirer alors je suis sortie et je suis tombé sur toi.
— Ça t'arrive souvent ?
Aussi longtemps que Cadkar se souvienne, ça a commencé intensément en seconde avant de se calmer au fur et à mesure des années. Mais, au fond de lui, il s'est que c'est là, latent et attendant.
— Non.
— Mais tu sais ce qui a déclenché ça ?
Et bien non, justement il ne sait absolument pas pourquoi comme la plupart des fois où ça arrive. Ça arrive, c'est tout.
— Et t'en as déjà parlé à un professionnel de santé ?
— Pour que faire ?
— Pour régler le problème.
— C'est pas un problème.
— Ok.
Les deux jeunes se regardent et Cadkar fait quelque chose qu'il ne fait que rarement, il remercie quelqu'un :
— Merci.
Et Issa comprend le pourquoi du comment sans que Cadkar n'explicite son « merci » ce qui fait un peu peur à Cadkar mais qu'il apprécie aussi. C'est rare que quelqu'un comprenne aussi bien Cadkar et ce dernier ne sait pas s'il aime cela ou pas alors il décide d'ignorer tout cela, comme il le fait si bien depuis la seconde.
Et Cadkar n'est pas le seul à rencontrer quelqu'un qui le comprend trop. C'est le cas de Phtolos, en ce mardi soir. Aphté, lui a dit qu'il y avait une projection de film LGBTQIA+ avec l'association LGBTQIA+ de Sciences Po. Et comme il n'a pas besoin d'être étudiant à Sciences Po, Phtolos s'est dit que ça serait sympa d'y aller. Et il a vraiment bien fait car cette Amanda est vraiment très intéressante. Tout le long du film projeté dans l'appartement, les deux n'ont fait qu'échanger des commentaires, ne se connaissant pas pourtant une heure plus tôt. Puis, quand le film s'est terminé, ils n'ont fait que parler, tous les deux, alors que le reste de groupe échangeait à plusieurs.
Si bien que, lorsqu'il a fallu renter, Phtolos et Amanda ont fait une partie du chemin à pied, ensemble. Et Phtolos se sent si bien qu'il voudrait que ce moment ne se termine jamais. Alors, après avoir échangé leurs Instagram, les deux jeunes se promettent de se revoir. Et c'est ce qu'il se passe quelques jours plus tard, au détour de la fête foraine d'hiver. Alors, les deux passent un super moment, un peu moins dans le manège à sensation que Phtolos a accepté de faire mais qu'il regrette amèrement. Puis ils vont manger un kébab super bon en ville et sont d'accord pour la même adresse qu'ils aiment tous les deux.
— Et tu fais quoi ce week-end ?
— Je vais voir mon copain.
— Ah ouais, où ça ? s'intéresse Phtolos, bien que déçu au fond.
Ça lui va d'être ami avec Amanda, mais plus ne l'aurait pas dérangé non plus au fond. Pourtant, il ne commente pas et la discussion continue passant d'un sujet à un autre, l'alchimie entre les deux jeunes étant limite irrespectueuse pour toutes les autres amitiés. Encore une fois, Phtolos n'a pas envie de se séparer d'Amanda et visiblement Amanda non plus car malgré le tram qui arrive les deux jeunes continuent de parler jusqu'au moment fatidique où les portes du tram se fermant séparent les deux jeunes.
Alors quand Phtolos est dans sa chambre, il repense avec plaisir à cette fabuleuse soirée et se languit déjà de la prochaine. Il est coupé dans sa rêverie pas un bruit sourd, difficilement identifiable alors le jeune homme sort de sa chambre et trouve Gullveig par terre, galérant à se relever seule alors Phtolos l'aide.
— Merci.
— Tout va bien ?
— Ça va, je suis juste tombée.
Phtolos se demande si Gullveig est bourrée puis il ne se rappelle pas que celle-ci lui ai dit sortir ce soir alors il prend ça sur le coup de la maladresse malgré l'heure tardive. Les deux jeunes se posent ensuite dans le salon et Gullveig, tentant de cacher son alcoolémie, demande à son ami comment s'est passé sa soirée.
— Très très bien.
— Tant mieux alors. En tant qu'amis, demande Gullveig, sans filtre avec tout ce qu'elle a bu.
— Je crois bien que oui, elle est en couple.
— Demande des conseils à Aphté alors parce que ça empêche pas tout le monde d'embrasser des gens même en couple.
Et malgré l'idée stupide de Gullveig, Phtolos réalise que ce n'est pas tant que ça une idée de merde au contraire.
— C'est comment vous deux d'ailleurs ?
— On s'embrasse plus si c'est ça que tu veux savoir.
— Ça, je me doutais. Mais vous vous parlez ?
— Un peu, mais c'est plus comme avant.
— Ça te dérange ?
— Un peu, oui, je pensais qu'on était amies et les amies n'ont pas de secrets comme ça. Bref, je vais me coucher, bonne nuit, Phtolos.
— Bonne nuit, Gullveig, se saluent les deux colocataires.
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