𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐓𝐑𝐎𝐈𝐒

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On me jette sans scrupule dans une maison si petite et étroite que je n’ose même pas l’appeler une maison. De ce que j’ai compris, c’est une vieille forge laissée à l'abandon. On voit encore des enclumes usées et des marteaux cassés sur le sol. On peut même trouver de vieilles épées mal forgées devant les fours.

— Quel bordel…

Mes deux gardes me libèrent puis sortent de l’ancienne forge, fermant à double tours derrière elles. Je soupire et ose à peine m’allonger sur le sol. Tout est tellement sale que je n’ose même pas respirer l’air de peur de m’intoxiquer d’une quelconque manière. Je décide de mettre tous les anciens matériaux de l’ancien forgeron dans un coin de la pièce. Juste à côté, j’y trouve un balai et décide de balayer un peu le sol afin que celui-ci soit moins poussiéreux. Je mets tout dans une pelle pour pouvoir jeter la poussière dehors plus tard. Enfin, quand j’ai terminé mon petit rangement, je m’allonge à même le sol et ferme les yeux, épuisé par les évènements passés. Je réfléchis longuement sur ma vie — si je peux même appeler ça comme ça — et sur ce qu’elle me réserve. Au bout d’un long moment, je finis par m’endormir sans même m'en rendre compte, perdu dans mes pensées.

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Quand j'ouvre à nouveau les yeux, c’est parce qu’on me renverse un seau d’eau sur la tête. Mes deux gardes attribuées m’attachent les poignets et me forcent à me lever pour sortir de la bâtisse. Dehors, le soleil se couche et plus personne ne traîne dans les rues. Elles m’emmènent toutes deux vers un immense feu de camp qui semble accueillir le village entier — si on peut appeler ça un village et non pas une ville. Il y a tellement de monde entassé au même endroit que je me demande même comment c’est possible d’accueillir autant de personnes. Mes deux gardes me poussent un peu plus loin, sur un rondin de bois isolé et me forcent à m'y asseoir.

— C’est pas de gaieté de cœur qu’on t’amène.

— Holda nous a demandé de t’amener ici pour que tu ne sois pas seul. Sans elle, tu serais encore dans la forge à bouffer la poussière.

Je ne réponds rien, sachant parfaitement que ça ne risque que de m’enfoncer dans des problèmes pour rien. Je ne prends même pas la peine de soupirer et me contente de prendre la nourriture qu’on me tend. J’ai si faim que, comme elles l’ont dit, j’aurais été prêt à manger de la poussière.

— Izuku !

Je relève la tête de mon assiette et vois Tsuyu se diriger vers moi. Elle est habillée d’une jolie robe blanche au tissu léger.

— Tsuyu…

Je souris tendrement en la voyant arriver. Je suis content de la voir même si ça ne fait que quelques heures qu’on ne s’est pas vus. Elle se pose devant moi, un peigne à la main et les cheveux emmêlés.

— Tu peux me coiffer s’il te plaît ?

— Bien sûr.

Ses grands yeux verts me fixent avec joie et elle s'assit immédiatement entre mes jambes juste devant moi. Ses cheveux ont encore plus poussé durant ces deux derniers mois, elle a donc encore plus de difficulté à les coiffer. Mais elle les préfère long, alors elle continue de me demander mes services.

— Tu veux quoi ?

— Mmh.. une couronne !

Je commence alors à séparer ses cheveux pour mieux les démêler et elle me raconte en même temps sa journée. Elle et Holda se sont promenées dans le village pour voir qui voulait bien leur vendre quoi pour leur prochain voyage à l’étranger.

— Y en avait de toutes les couleurs ! Holda m’a dit que c’était utilisé pour faire de jolies robes. J’ai donc demandé à les voir et elle m’a donné l’une des siennes. C’est celle que je porte !

— Tu es magnifique dedans.

— Merci !

Je devine un sourire prendre place sur ses lèvres tandis qu'elle continue de me raconter sa journée. Quand elle finit de raconter ses aventures, j’ai terminé de la coiffer depuis un moment. J’aurais adoré lui mettre des marguerites dans les cheveux mais je n'en ai trouvé aucune. Je me contente de finir mon plat en écoutant les derniers potins que Tsuyu a à me raconter.

— Enfin bref ! Y avait des tonnes et des tonnes de choses à dire. Tout le monde est assez accueillant ici, malgré certaines personnes qui semblent encore en avoir contre moi.

— Ça c'est normal. On aura beau être gentil, chaleureux et tout ce que tu veux, on aura très difficilement leur confiance. Après tout ce qu’ils ont vécu, ce n'est pas étonnant.

— C’est vrai… D'ailleurs, tu sais ce que tu vas devoir faire à partir de demain ?

J’hausse les épaules, n’en ayant aucune idée.

— Je sais pas. Peut-être que je devrais contribuer à construire de nouvelles infrastructures, ou alors donner un coup de main à soigner des blessés s’il y a un manque de main-d'œuvre. Ça va vraiment dépendre de ce dont ils ont besoin. Mais je suis certain qu’ils trouveront de quoi me divertir lors de cette année.

— Je suis vraiment désolée que tu sois le seul à vivre ça…

Je pose mon plat à côté de moi et je la regarde en souriant.

— Ne le sois pas, ce n'est qu'un an ! Ça pourrait être plus long que ça.

J’ai à peine le temps de terminer ma phrase que je sens qu’on me tire par le col de mon t-shirt, manquant de m’étrangler.

— Izuku !

Je tousse un peu, surpris de m'être fait tirer d’une telle manière. Je fais signe de la main à Tsuyu, et me tourne pour suivre mes gardes. On arrive assez rapidement devant ma nouvelle maison et je me refais pousser à l’intérieur. Je m'étale au sol sans rien dire. Les deux femmes ne prennent même pas le temps de me détacher pour fermer la porte à clé. Je soupire un coup, encore surpris de ce qu’il vient de se passer. Décidément, ils ne sont vraiment pas commodes avec les étrangers. Je me positionne confortablement sur le sol puis ferme les yeux, m’endormant un peu plus tard.

***

Le lendemain, je me réveille à cause d’une vive douleur. Je me mords la langue pour éviter de crier et ouvre instantanément les yeux en grand. Je pose mes mains toujours liées sur mon abdomen par réflexe. Je regarde autour de moi et vois le blond d’hier, un fer chaud à la main.

— La prochaine fois, je te plante, dit-il d’une voix neutre.

Je sens le bas de mon abdomen me lancer, la brûlure étant encore fraîche. Des larmes me montent aux yeux et je me contente d’hocher la tête, ne pouvant parler tant la douleur est vive. Ils ont pris le temps de relever mon t-shirt pour que je puisse réellement sentir la brûlure sur ma peau.

— Relève-toi. T’as du boulot.

Il laisse tomber le fer à mes pieds et se retourne, partant. Mes deux gardes habituellement impassibles me regardent avec pitié avant de se reprendre et de sortir à leur tour. Une petite femme entre tout de suite après, une trousse de secours dans les mains.

— Misère…

Elle ne perd pas une seule seconde pour me soigner. Elle s’agenouille à côté de moi et me force à me rallonger. Elle s’affaire rapidement à la tâche, visiblement inquiète de mon état.

— Pauvre petit… Se faire brûler ainsi dès le matin…

Je sens un petit sourire prendre place sur mon visage tandis qu’elle me soigne, heureux de voir quelqu'un s’inquiéter pour moi. Quand elle finit de me passer une pommade que je devine être anti brûlure, elle se relève, épongeant son front. Elle se recule un peu, me laissant me redresser puis prend enfin la parole.

— Je me présente, je suis Chiyo, la doyenne du village et le meilleur médecin que tu pourras trouver ici.

— Enchanté, je suis Izuku.

— C’est donc Izuku ton petit nom ?

J’hoche la tête tandis qu’elle range ses affaires.

— Je serai celle que tu devras servir à partir de maintenant. D'après le programme que Katsuki a mis en place, tu m’aideras le matin, et l'après-midi tu devras aider les habitants avec leurs problèmes.

Je la laisse parler, écoutant attentivement à quoi se résumera mon séjour ici.

— Tu n’auras qu’un seul jour de repos tous les deux mois, histoire que tu puisses te reposer un minimum, j’ai insisté sur ce point auprès de lui.

— Merci beaucoup d’avoir pris la peine de faire ça pour moi.

Je baisse la tête en guise de remerciement.

— Ce n’est vraiment rien, seulement le nécessaire pour que tu ne te tues pas à la tâche.

Elle finit de ranger sa trousse et se relève.

— Holda a insisté pour que tu manges avec ta sœur tous les soirs, et comme elle sait se montrer convaincante — elle détient sûrement des informations confidentielles sur lui — il a accepté.

Mon visage s’illumine immédiatement. Je crois que c'est la meilleure nouvelle que j’aurais pu entendre. Tant que je peux voir ma sœur et lui parler, tout me va.

— En ce qui concerne ton hygiène, il t’accompagnera lui-même au lac pour te laver sous demande du chef.

Je me relève à mon tour et je remarque que malgré le fait que je sois assez petit, elle l’est d’autant plus que moi. J'ai l’impression de faire face à un petit enfant tant elle est minuscule.

— Pour ta brûlure, elle pointe du doigt mon abdomen, la pommade que je t’ai appliquée permet d’accélérer la cicatrisation. Mais ne force pas. Si tu plonges dans le lac sans la recouvrir, tu risques une grosse infection. Prends donc bien garde à mettre au moins un bandage.

Je note sa mise en garde dans un coin de ma tête et la suit hors de la bâtisse. Elle m’emmène à travers la ville sous les regards haineux des habitants. On arrive au bout d’un certain temps devant un bâtiment en bois bien plus grand que tous ceux que j’ai pu voir. Une enseigne gravée est présente sur le toit du bâtiment.

— C’est marqué “hôpital”¹, m’informe Chiyo.

J’hoche la tête et elle nous fait entrer à l’intérieur. On passe devant l’accueil où une dame aux cheveux roses nous salue avant de continuer ce qu'elle était en train de faire. On traverse ensuite les couloirs tandis que Chiyo me donne des instructions.

— Nous avons souvent des blessés, il arrive que nos troupes s’aventurent sur des territoires dangereux ou qu’elles rencontrent des intrus dans la forêt.

On entre dans une pièce avec un seul lit et des outils médicaux. Sur la porte est écrit en gros “Chiyo Shūzenji” précédé par un mot que je devine être “docteur” en leur langue.

— Ces troupes en règle générale, elles parlent bien le daje étant donné qu’elles se retrouvent souvent confrontées à des intrus. Cependant il arrive qu’on accueille des villageois, notamment ici, dans mon bureau. Dans ce genre de cas, redirige ces personnes vers moi. Elles ont tendance à ne pas parler un seul mot de ta langue.

— Entendu.

— Durant les trois premiers mois tu seras mon assistant, je t’apprendrai à t’occuper de telle ou telle blessure avec comme support nos patients.

Elle se dirige vers un seau pour se laver les mains avec un petit savon. Elle enfile ce qui semble être une blouse et s'assoit sur sa chaise de bureau. Je l’imite et pars me laver les mains et enfiler à mon tour une blouse avant de me poser debout à côté d’elle.

— Ensuite, quand j’estimerai que tu seras assez autonome, je te laisserai gérer tes propres patients de ton côté. On montera crescendo évidemment et tu ne t'occuperas au début que de blessures mineures.

— Est-ce que vous m’apprendrez à parler le Banzō ?

— Le chef a souhaité que ce soit Katsuki qui te donne des cours durant son temps libre.

— Le blond ? je demande, peu rassuré.

Je ne peux empêcher ma voix de trembler lorsque je le décris physiquement. Ma brûlure me lance tout à coup et l'idée de croiser cet homme brutal assez souvent me déplaît. D’autant plus qu’il ne semble pas très ouvert à la discussion. Il est si renfermé et violent que j’en viens à regretter mes anciens maîtres. J'ai l’impression qu’avec lui, peu importe que je sois docile ou non, il continuera juste à jouer les enculés tant que ça lui fera plaisir.

— Oui… celui-là.

Elle semble hésiter à préciser que c'est bien celui qui m’a brûlé plus tôt dans la matinée mais elle finit par se raviser.

— Ne t’en fais pas. Il finira par te lâcher la grappe tôt ou tard.

— J’espère que ce sera le plus tôt possible.

Je détourne le regard pour observer le dehors et y voit des hommes s’entraîner torse nu. Visiblement c’est à la mode de montrer ce qu’on a sous le t-shirt. Manquerait plus qu’ils se foutent à poil.

— C’est le terrain d'entraînement. Tu y trouveras très souvent Katsuki ou son bras droit Eijirō.

— Il s’entraîne beaucoup ?

— Il le faut bien. C’est le futur chef.

J'hausse à peine mon sourcil et détourne le regarde de la fenêtre.

— Ça ne m'étonne pas. Il en a bien la carrure de ce que j’ai vu.

Malgré son caractère désagréable, je m'empêche de rajouter. Chiyo semble lire dans mes pensées puisqu'elle glousse doucement et s’empresse de rajouter.

— Il n’est pas méchant au fond.

— Je veux bien vous croire…

La matinée passe vite en sa compagnie et j’apprends beaucoup de nouvelles choses. Elle est assez surprise que j’ai déjà de bonnes bases et m’affirme que si je continue sur cette voie, je pourrais très vite rester en autonomie. J’apprécie beaucoup ce “job” à mi-temps à ses côtés. Et même les citoyens sont assez aimables — malgré certains cas, mais bon, y a des cons partout. L’après-midi arrive donc très vite et je mange avec elle dans la salle du personnel.

— N’hésite pas à rester ici si personne n’a besoin d’aide, me lance-t-elle avant que je parte.

J’hoche la tête et sors de l’hôpital, marchant à travers les rues. J’aide quelques personnes par-ci, par-là. J’aide à déménager, à cuisiner, à déplacer des chariots, à faire rentrer le bétail et à plein de petits trucs comme ça. Parfois la communication est compliquée donc je dois demander à un autre habitant qui parle le daje de me traduire. L’envie d'apprendre à parler leur langue augmente à chaque interaction. L’après-midi passe aussi relativement vite et m'épuise plus que la matinée à l’hôpital. Quand l’heure du repas sonne, mes deux gardes viennent me récupérer devant l’ancienne forge et me conduisent jusque chez Holda.

— Izuku ! C'est moi !

Je vois ma sœur me faire coucou de loin. Elle est assise sur une chaise et en face d’elle se trouve une table et une autre chaise. Sur la table sont disposés plein de plats différents. Je prends dans les bras ma sœur, lui pose un baiser sur le front, puis part m’asseoir en face d’elle.

— J’adore être ici ! me dit-elle aussitôt. J'adore le travail que Holda me donne ! Je fais les inventaires, je vends des produits, je vérifie la composition, si c'est bien légal ici et plein d’autres trucs !

Je commence à manger en l'écoutant attentivement, heureux de la voir autant épanouie.

— Et puis j’ai le droit à de beaux vêtements, à me laver tous les jours, à manger à ma faim ! La seule chose qui me manque c'est mon coiffeur portable, finit-elle souriante. J’ai hâte que cette année se termine pour pouvoir te montrer mon quotidien !

— Tu as l’air d’avoir un quotidien très chargé tout de même, fais-je, un peu inquiet qu’elle se surmène.

Elle secoue la tête, faisant bouger ses longs cheveux verts. Elle a toujours eu les cheveux un peu plus foncés que les miens.

— Ne t’en fais pas. Mon jour de repos est le dimanche. Je ne travaille pas ce jour-là.

Je soupire, rassuré.

— Ça me rassure alors.

— Et toi ? Ta journée s’est bien passée…?

Sa voix se fait moins joyeuse et je m’empresse de la rassurer.

— Mon quotidien est loin d'être le même que quand on était esclaves !

— Comment ça ?

— Déjà j’ai des jours de repos, et puis l’après-midi je ne travaille pas tant que ça. Je suis assez libre de faire ce que je veux et j’adore mon travail à mi-temps !

Je fais exprès d’omettre l’incident de ce matin et le personnage qu'est Katsuki en général. Je ne lui dis pas où j’habite pour ne pas qu'elle se sente mal et je ne lui précise pas non plus que je n’ai pas autant de chance qu’elle au niveau de l’hygiène. Je lui raconte cependant ce que je fais et à quel point Chiyo est bienveillante. Ma sœur semble alors soulagée d’entendre que ça ne se passe pas si mal pour moi.

— C'est pas aussi idéal que moi, mais c’est déjà tellement mieux que ce à quoi je m’attendais.

On continue ainsi de discuter jusqu'à ce que mes gardes me prennent et me ramènent à la forge. Elles me déposent cette fois plus gentiment, visiblement inquiètes pour ma blessure. Je m’allonge à même le sol et m’endors alors l’esprit léger, rassuré de savoir ma sœur heureuse.

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¹ : L'hôpital est payant, ainsi que les médicaments fournis. Les personnes à qui l'hôpital est gratuit sont les soldats et les médecins.

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Quel connard ce Katsuki quand il s'y met ! Mais comprenez-le, c'est un gars sanguin lui. Ah ouais, faut pas le vénère, il vous brûle sinon, bah oui. Après il a quand-même pris la peine d'appeler Chiyo-san (recovery girl pour les incultes) avant, c'est qu'il est pas si vilain que ça au fond. Si ?

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𝐒𝐚𝐩𝐡𝐢𝐫 • 𝟐𝟗𝟎𝟎 𝐦𝐨𝐭𝐬 • 𝟎𝟑/𝟏𝟎/𝟐𝟎𝟐𝟒 • 𝟏𝟗:𝟒𝟎

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