𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝐒𝐄𝐏𝐓
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Le sceau en bois glisse de mes mains et je manque de le faire tomber pour la énième fois. Je lève mon genou rapidement pour soutenir le poids de toute l'eau accumulée à l’intérieur de l'objet, puis replace mes mains correctement, continuant ma route vers la chambre du malade. J’arrive devant la porte de la chambre et m’apprête à poser le sceau au sol, mais me stoppe lorsque celle-ci s’ouvre d’elle-même, laissant apparaitre Chiyo-san dans sa longue blouse blanche. Elle me sourit tout en se dégageant du chemin pour me laisser entrer. Je me précipite et pose lourdement le poids qui me gène depuis un moment, ravivé.
— Pfiou, c'est lourd !
La vieille femme souffle du nez en souriant avant de me donner un coup plutôt puissant dans le bras.
— Va falloir muscler tout ça mon grand ! se moque-t-elle de sa voix fatiguée par le temps.
Elle attrape le sceau comme s’il ne pesait rien, ce qui m'embarrasse quelque peu.
— Vous pourriez être plus sympa quand-même… je fais remarquer, dans un banzō hésitant.
Elle replace une mèche blanche derrière son oreille tout en apposant une bande de tissu imbibée d'eau sur le front transpirant de l’homme allongé. Il est atteint d'une forte fièvre qu’on le soupçonne d’avoir attrapé après avoir mangé un poisson crû et bu l’eau de la rivière sans la chauffer au préalable. Tout le monde sait pourtant qu’il faut à tout prix tout chauffer afin d’éviter ce genre de situation. Je soupire à la vue du malade, fatigué de m’occuper de cas aussi stupides et faciles à prévenir.
— Va à la chambre quatre cent douze au quatrième étage. Il faut que tu apportes les médicaments et les herbes inscrits sur la liste. J’ai trop de patients aujourd'hui, je ne vais pas pouvoir m’y rendre personnellement.
Je fronce les sourcils. Au quatrième étage, il y a une seule chambre d’occupée. Personne ne monte donc jamais les marches pour s’y rendre. À l’exception de Chiyo-san, je n’ai jamais vu personne s’y aventurer, pas même Frida.
— Tu es sûre que je peux ? Fin je veux dire… Ça m’a l’air d'être un cas très particulier, je ne suis pas sûr que ça plairait à la personne de voir un étranger débarquer pour lui fournir ses soins. Tu sais très bien qu-
— Ne t’inquiète pas, me coupe Chiyo-san, gardant ses yeux rivés sur le chasseur encore endormi. Occupe-toi seulement de faire ton travail d’infirmier.
Je la fixe un moment, observant ses gestes précis sur le corps de l’homme pour récupérer son poul et d’autres informations avant de me résigner et de partir, la liste à la main. Je vais à la pharmacie¹ et commence à poser toutes les herbes et pilules inscrites sur le papier sur un chariot. Je rentre dans l’ascenseur qui fonctionne avec un système plutôt ingénieux mais peu fiable qui me fait toujours angoisser à chaque fois que je le prends. Lorsque j’arrive au quatrième étage, je me précipite hors du moyen de transport, frissonnant à la simple idée que le système déraille et me fasse tomber de plusieurs mètres, me blessant gravement, voir me tuant.
— Je déteste vraiment le prendre...
Il est assez rare de prendre l’ascenseur mais nous y sommes parfois contraints. Comme lorsqu’il n'y a plus de place au rez-de-chaussée pour les personnes à mobilité réduites et que nous nous voyons obligés de les affecter à des étages supérieurs. Ou lorsque nous devons refaire le stock des pharmacies des autres étages. Je m'arrête devant la chambre 412 et frappe doucement avant d'entrer. Un petit garçon aux cheveux noirs et aux yeux jaunes lève la tête de son livre pour me fixer curieusement. Des bandages s’enroulent autour de son cou et de ses bras, comme pour cacher des blessures trop voyantes ou repoussantes. Il est à tout casser âgé de douze ans.
— Tu es qui toi ? me demande-t-il sur la défensive.
Je ferme doucement la porte derrière moi, poussant le chariot pour m’approcher de son lit sans lui faire peur.
— Je suis un nouvel infirmier, je m’appelle Izuku, mais tu peux m’appeler Izu si tu préfères.
— Grand-mère ne m’a pas dit que quelqu’un d’autre viendrait. Habituellement, c'est toujours elle qui vérifie que ça n'a pas empiré.
Il semble hésitant lorsqu'il parle de son état, jetant un rapide coup d'œil à son bras soigneusement bandé.
— Oui je sais, ça m'a moi-même étonné à vrai dire. Mais elle m’a dit avoir trop de patients aujourd'hui et je n'ai pas encore l’autorisation de poser des diagnostics moi-même. Alors elle m’a envoyé à sa place. J’espère que ça ne te dérange pas ?
Il me regarde de la tête au pied sans dire un mot. Il pose ensuite ses yeux sur les miens pendant un long moment. Finalement secoue la tête, tournant sa tête pour se remettre à sa lecture. J’en profite pour lire le dossier médical que m’a donné Chiyo-san avec la liste. Je le lis en diagonale puis je le pose sur sa table de chevet, me lavant les mains dans le seul lavabo présent dans la pièce.
— Tu as bien douze ans dis-moi ? je demande en lui jetant un coup d’œil dans l’espoir d’alimenter la conversation.
— C'est cela.
Il y a un petit silence qui se pose sur la salle, rendant l'atmosphère quelque peu gênante. Il semble cependant ne pas en être dérangé puisqu’il ne lève pas une seule fois la tête de son livre. Je me racle la gorge en prenant une seringue, m’asseyant sur un petit tabouret disposé près du lit.
— Tu aimes lire ?
Il tourne la tête vers moi pour la seconde fois. Il reste muet un moment avant de finalement fermer bruyamment son livre et de me tendre le bras. Il tourne la tête à l’opposé de la seringue et moi, observant le cerisier à travers la fenêtre, ou du moins, ce qu’il peut en voir.
— Un peu… j’ai que ça à faire de toute façon.
— Quel type de livre te plaît ?
— Je ne sais pas vraiment. Je lis les mêmes bouquins en boucle.
Je plante la seringue dans son bras après avoir trouvé la veine et tire lentement sur le piston, observant la seringue se teintée de rouge.
— Ce sont des légendes sur la déesse Plotëra, la mère de l’humanité dit-on. Ça raconte l’origine de l’humain et plus particulièrement de la malédiction qu’elle a apposée sur nous.
Je retire l’aiguille toujours avec lenteur avant de tamponner le petit trou avec un tissu, recouvrant la plaie avec un pansement. Je me lève du tabouret et dépose la seringue dans un sachet avant de me rassoir et de commencer à lui retirer les bandes qui l’entourent.
— Tu peux m’en lire un extrait ?
Il se retourne pour me faciliter la tâche. Il me laisse lui défaire son bandage sans rechigner.
— Tu n'en as jamais entendu parler ?
— Pas vraiment, je n’ai pas eu le temps de m’intéresser à ce genre de choses jusqu'ici, je lui avoue, repensant à tout ce que j’ai pu vivre.
— Sérieux ?
Il ne peut s’empêcher de se tourner vers moi, ce qui me fait pouffer.
— Sérieux, je répète, un petit sourire au coin des lèvres.
— Ok, je vais te raconter dans ce cas !
Je souris, heureux de voir qu'il ne semble pas faire attention aux soins que je lui fournis, passionné par le récit qu’il entreprend.
— C'est pas un extrait, ce serait trop long sinon. Je vais te résumer le truc.
— Ça me va.
— Alors…
“On raconte que lorsque les dieux créèrent les humains, ils les couvrirent de bénédictions, les protégeant de tous les maux possibles et imaginables. Ils leur accordèrent la conscience, l’intelligence, le pouvoir ainsi que la magie. Ils les parèrent de richesses diverses et d’une terre fertile, capable d’engendrer les plus beaux fruits de tous les temps.”
Je l’écoute sans l’interrompre, m'étonnant du vocabulaire dont il fait preuve en silence.
“Toutefois, leur amour et leur amusement envers cette race les aveuglèrent du danger que pourrait représenter ces mêmes créatures en leur confiant tant de grâce et de bonheur qu’ils ne méritaient pas.
Plotëra, la déesse en charge de sculpter les humains à l’image des dieux, avertie du mal qui rongeait le cœur des hommes, posa une restriction à chaque bénédiction que les dieux leur avaient apposée.”
J’imbibe un tissu d'un médicament huileux et commence à le passer sur son corps frêle d'enfant, étalant l'huile médicamenteuse le long de son corps. Je suis à moitié concentré, intéressé par l’histoire qu’il me raconte. Il a de bonnes capacités d'orateur à ma plus grande surprise.
“Elle versa quatre de ses larmes dans l’argile qui en durcissant devenait la peau d’un homme, et y ajouta sept cheveux du dieu le plus puissant de tous. Elle mélangea pendant sept jours et six nuits, ne s’arrêtant que lorsque la lune fut pleine. Elle s’empressa alors de travailler l’argile et de sculpter l’humain, consciente du méfait qu’elle s’apprêtait à commettre. Lorsque la première sculpture fut finie, elle posa ses outils et observa sa toute première et dernière création, l’Homme. Elle posa son pouce sur le front de la créature et prononça gravement :
— Vous autres créatures, peupleront la Terre et seront dotés de conscience, d’intelligence, de magie et de pouvoir, prononça-t-elle, reprenant exactement les mêmes mots qu’il lui avait été ordonné de dire.
Le vent se leva brusquement conscient de l'acte que s'apprêtait à commettre la déesse mère des humains. Il apportait la mauvaise nouvelle au seigneur des dieux, détruisant tout sur son passage.
— Cependant, à cela vous seront posées des restrictions.
Le tonnerre gronda, le dieu des dieux approchait à toute allure, enjambant les nuages et les montagnes pour empêcher Plotëra d’accomplir sa malédiction.
— Bien que conscient, seule une poignée d’entre vous seront sages mais traités comme des parias. Bien que doté d’intelligence, vous ne pourrez utiliser qu’un seul dixième de celle-ci, commença-t-elle à prononcer.
Alors qu'elle apposait ses premières restrictions, des tornades se formaient sous les pieds du dieu de la foudre et des tempêtes, signe de sa fureur.
— La magie que vous contrôlerez sera plus faible que toute autre créature et le pouvoir que vous aurez, sera source de conflits parmi vous, vous menant vous-même à votre propre perte.
Malgré le peu de temps qu’il lui restait, elle continua d’une voix lente et posée.
— Vous serez votre plus grand mal.
Elle se pencha de toute sa grâce sur l'être et souffla sur son visage, le ramenant à la vie.
— Telle est ma bénédiction.”
Je me rends compte que je ne suis plus concentré sur ce que je fais lorsqu'il finit son récit. Les dernières phrases de la déesse me laissent perplexe, je ne sais pas trop quoi en penser.
— Je trouve cette légende formidable, m’avoue le jeune garçon alors que je reprends mes soins. D’ailleurs, la pleine lune approche, le festival des lumières aura bientôt lieu.
— Le festival des lumières ?
J’entends souvent parler de pleine lune ces derniers temps, ça attire d'autant plus ma curiosité de savoir que tout y est connecté. Je finis de poser les dernières bandes sur sa peau. Je me lève et pars chercher son repas pour le lui donner avant de lui faire ingérer ses médicaments.
— Tu ne connais pas ? me demande-t-il en fourrant une fourchette dans sa bouche. Lorsqu’une pleine lune se forme en décembre, tout le monde se rassemble pour relâcher les lucioles qu’ils ont attrapé tout au long de l’année. En général, on commence à préparer tout ce qu’il faut des mois à l'avance !
— Des lucioles ? je demande, perplexe.
Il hoche la tête vigoureusement, ses yeux brillants de passion.
— Oui ! Il est dit que lorsque Plotëra sculpta les humains, elle implanta une luciole en chacun d’eux, leur insufflant ainsi une âme.
— C'est beau…
— Oui. C’est sûrement pour ça que les gens continuent de perpétuer la tradition. Et sûrement aussi parce qu’il est dit qu’à chaque luciole attrapée, un de nos vœux est exaucé.
— Tu as déjà participé au festival ?
Il lève la tête vers le plafond, en pleine réflexion. Il baisse à nouveau la tête, mâchant une autre bouchée de nourriture.
— Il y a longtemps oui. Mais depuis que je suis tombé malade, je n'ai pas pu y participer.
— Pourquoi ?
— Il faut gravir la montagne au sommet touchant le ciel et faire une prière au temple. Le temple y a été construit il y a très longtemps en l’honneur de Plotëra et car il est dit qu’elle a déposé le premier humain sur cette même montagne, pour le protéger de tous les animaux.
— Tu en sais vraiment beaucoup, je lui fais, l'observant poussé son assiette vide.
— Quand on est enfermé dans la même chambre à longueur de journée, on est bien obligé de s’occuper comme on peut. Et puis, cette légende est très connue par ici, après tout, c’est très important pour nous.
— Je comprends.
Je lui tends un verre d’eau accompagné de médicaments puis débarrasse tout dans le chariot. Je me lève du tabouret et pose la vaisselle sur le chariot aussi.
— Bon, il se fait tard et j’ai encore beaucoup de travail qui m’attend. Je vais devoir y aller.
Sa mine s’assombrit et je le vois reprendre son livre avec dépit. Je lui souris avec compassion.
— Eh, ne fais pas cette tête. Je te promets de revenir demain. Je te donnerai un nouveau livre, un vrai livre pour enfants. Pas une sorte de Bible.
Son sourire refait surface ce qui me rassure. Je pousse mon chariot jusqu'à la porte et l’ouvre, sortant de la pièce. Avant de fermer la porte, je passe ma tête et lui demande une dernière chose.
— J’oubliais… quel est ton nom ?
Ses yeux ambre me fixent puis il me sourit.
— Je m’appelle Tao. Yaoyorozu Tao.
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¹ : Une pièce au sein de l’hôpital où sont entreposés tous les médicaments nécessaires. Il y en a une à chaque étage afin d'éviter les allers-retours entre les différents étages.
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Je suis plutôt fière de ma petite légende, je trouve que c'est plutôt crédible hehe. Surtout l'histoire des lucioles, ça m'est venu je ne sais comment, mais j'aime bien l'idée. Vous en pensez quoi de Tao sinon ? Moi je l'aime bien, il est trop choupi. Il a l'air tellement seul par contre... Pauvre bout de chou..
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𝐒𝐚𝐩𝐡𝐢𝐫 • 𝟐𝟑𝟕𝟓 𝐦𝐨𝐭𝐬 • 𝟏𝟔/𝟏𝟐/𝟐𝟎𝟐𝟒 • 𝟐𝟎:𝟎𝟓
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