𝐏𝐑𝐎𝐋𝐎𝐆𝐔𝐄
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Je suis à genoux, à même le sol, enfermé avec ma sœur dans une minuscule cellule. Les mains jointes, la tête levée vers le ciel et les yeux fermés, je prie. Je prie les dieux. Je ne sais pas lesquels, mais je prie, je montre ma foi. Je veux seulement sortir d'ici, une bonne fois pour toute.
Je ne veux plus entendre ces enfants tomber de fatiguer puis se faire fouetter jusqu'à ce qu'ils se relèvent. Je n'ai plus la force d'entendre les plaintes des femmes se faire violer puis tuer pour avoir osé avoir des rapports sexuels alors qu'ils n'étaient même pas consentis. Je ne veux plus sentir ma sœur trembler à chaque fois qu'un garde passe à ses côtés par peur qu'il ne l'attrape et ne l'emmène dans un endroit reculé. Je ne veux plus avoir à manger cette horrible soupe qu'on nous donne une fois tous les deux jours comme seul repas. Je ne veux plus voir personne mourir au fond d'une mine lors d'un éboulement de terrain. Je ne veux plus vivre de cette manière. Alors je prie.
Des cris affolés m'interrompent lors de ma prière, me faisant décroiser les mains et ouvrir les yeux vers les barreaux de ma cellule. Le garde court de toutes ses forces, criant au feu, réveillant ainsi ma sœur de son sommeil pourtant pour une fois paisible. Alors qu'il passe devant notre cellule, son précieux trousseau de clés tombe de sa poche. Il ne s'arrête même pas pour le ramasser, trop paniqué à l'idée de mourir pour s'arrêter dans sa course. Je suis presque sûr qu'il ne l'a même pas remarqué tomber. Je m'approche en rampant vers les barreaux et les agrippent, fixant intensément le trousseau. Les dieux existent donc vraiment ? Je passe difficilement mon maigre bras à travers les barreaux et touche à tâtons le sol dans le but de récupérer le trousseau. Il me le faut. Je dois sortir. Je veux être libre. Je tends la main et me colle aux barreaux, les yeux grands ouverts pour ne pas perdre de vue mon objectif. Je finis par toucher le gros anneau et dans un dernier espoir je l'agrippe. Mon cœur bat si fort que j'en entends les pulsations résonner dans mon crâne et vibrer sur les barreaux. Je ramène le trousseau à moi, et ne peux empêcher les larmes de me monter aux yeux. Un sourire immense prend place sur mon visage alors que je fixe intensément les clés. Un sentiment nouveau, l'espoir, immerge intensément en moi alors que la voix de ma sœur résonne entre les murs de la cellule.
— Grand frère ? demande doucement ma sœur.
Je me retourne vers elle, et ne sachant que dire, je lui montre le trousseau de clés. Elle ouvre grands les yeux et se met à alterner entre l'objet et mon faciès souriant, un air surpris collé au visage. Sans un mot, je m'avance vers elle, me posant face à elle, les clés en mains, je lui attrape délicatement le bras, ne voulant pas lui faire mal, et insère une première clé dans la serrure de ses menottes. Celle-ci ne fonctionne pas, alors j'en essaie une autre, et ce n'est qu'au bout de la cinquième clé que je réussis à lui retirer ses liens. Quand enfin le métal tombe, elle fixe ses poignets rougis, ne les ayant pas vu depuis un long moment et se met à sourire. Je ne perds pas plus de temps et utilise la même clé pour mes propres liens, laissant tomber l'objet en métal dans un bruit sourd sur le sol mal carrelé. Je m'accroupis, ne pouvant me lever dû au plafond particulièrement bas et me dirige vers la porte de notre cellule. Je prends la seule clé pouvant ouvrir notre geôle, celle-ci étant la même pour tout le monde, et déverrouille la porte. Elle s'ouvre laborieusement dans un grincement de rouille, me laissant enfin sortir. Je me retourne vers ma sœur toujours obnubilée par ses poignets et l'interpelle d'une voix forte, pressé.
— Tsuyu !
Elle relève ses grands yeux vers moi et se met enfin en mouvement. Elle me rejoint difficilement hors de la cellule, se relevant ensuite et époussetant le vieux t-shirt abîmé qui lui sert de vêtement.
— Pss ! Izuku ! m'interpelle une voix.
Je tourne mon regard en direction de la cellule face à la mienne et soupir, trop pressé pour aller discuter avec une quelconque personne. Je m'approche de la cellule et regarde l'homme qui l'habite.
— Libère-moi.
Je fronce les sourcils. Cet homme répugnant veut que je le libère ? Mon regard se durcit alors qu'il continue de déblatérer des mots stupides et vides de sens. Combien même mon cœur est grand, il n'a pas la place pour ce genre d'énergumène. Contrairement à une grande partie des personnes présentes ici, il est là pour une très bonne raison, il mérite sa place dans cet enfer.
— Même pas en rêve connard.
— Salope ! Depuis le temps qu'on se connait ! Tu pourrais bien faire ça petit merdeux !
Ses dents crasseuses et noires me prolifèrent des menaces tandis que je lui montre mon plus beau majeur. Je détourne le regard de son visage osseux. Je me dirige vers la cellule d'une vieille personne au grand cœur avec qui j'ai su tisser des liens. C'est devenu un ami très proche pour ma sœur et moi, un confident. Je passe outre les injures que me lance l'esclave puis me stoppe devant la cellule du vieux Botan. Un homme qui mérite le monde. Un homme dont le regard est si brillant qu'il donne à nouveau espoir lorsque l'on est au plus bas. J'ouvre sa cellule et me faufile jusqu'à lui.
— Izuku ? Comment as-tu eu ces clés !? me marmonne-t-il d'une voix fatiguée.
— Le garde les a faites tomber près de ma cellule, j'en ai profité. Enfin, là n'est pas le sujet, il faut se dépêcher, un incendie fait rage dans le palais. Profitons de cette occasion pour nous enfuir, je lui explique, la voix agitée.
Je déverrouille rapidement les menottes de Botan et l'aide à ressortir de sa cellule. Je me tourne, m'apprêtant à libérer une autre personne, lorsque le vieil homme me retient faiblement, m'empêchant de faire un pas de plus.
— Je vais le faire Izuku, sa voix est granuleuse, il est à bout de force. Toi, pars.
— Quoi ? Non ! Et toi alors ? fais-je inquiet pour lui.
Je vois bien que ça va être difficile de partir pour lui, il est déjà à bout, il ne tiendrait pas longtemps s'il s'enfuyait maintenant. Mais il tiendrait plus longtemps que s'il part plus tard
— T'inquiète pas pour moi, va ! Inquiète-toi plutôt pour ta p'tite sœur. Que f'ras-tu si tu t'fais attraper parce que t'as trop trainé ici à libérer tout l'monde, hein ?
— Mais... et toi ? C'est la même chose pour toi Botan !
Le vieux se met à rire fort, mais doit s'arrêter dû à une quinte de toux qui l'assaille. Il finit par se calmer et par reprendre son souffle. Il se racle la gorge et reprend.
— Tu vois ? Si c'est pas l'incendie qui m'aura, la maladie le f'ra bien vite tiens ! J'ai bien assez vécu, mais toi, toi t'es encore jeune. Alors t'en fais pas pour moi morveux, et pars avant qu'il n'soit trop tard, insiste-t-il de sa voix rocailleuse, un petit accent campagnard l'accompagnant.
Je me mords la lèvre, ne voulant pas laisser Botan seul ici, mais le temps presse et je sais qu'il ne me laissera pas agir à ma guise. Et puis, si je devais être honnête, ses mots m'ont eu. Je l'aime beaucoup, mais pas autant que j'aime ma petite sœur. Elle représente mon monde, que dis-je, mon univers. Je ne peux être la cause de sa perte. Alors je relève la tête vers lui, et affiche un sourire triste avant de m'élancer vers les escaliers.
— Merci Botan, je n'oublierai jamais ce que tu as fait pour nous. Tu resteras dans nos cœurs, je te le promets.
Il me rend mon sourire et me fait signe de la main. Des larmes perlent au coin de ses yeux alors que je tire ma sœur à bout de bras. Je garde mon regard sur lui, imprégnant ses traits dans ma mémoire. Lorsqu'un mur m'empêche finalement de l'observer plus longtemps, je relève la tête devant moi, fixant mes yeux sur l'horizon. L
— On va où ? me demande ma sœur, perdant son souffle.
— Vers les cuisines, il y a une grande porte que les livreurs utilisent pour donner les marchandises aux cuisiniers.
Elle ne me répond pas, elle se contente de me suivre. Ça doit bien faire treize ans qu'on est là. J'ai eu le temps d'enchaîner les rôles, contrairement à ma sœur. Fut un temps où j'étais assigné aux cuisines dû au manque de personnel. C'était lors d'une grosse épidémie de peste. Je ne savais pas cuisiner, alors mon expérience fut assez compliquée au début. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis fait fouetter par le chef à cause de ma maladresse. Mais malgré mes erreurs, ce fut la période où je mangeais le mieux et le plus souvent. Je continue de courir tout en essayant d'économiser mes forces. Plus tard, quand on sera hors de ce château maudit, il faudra aller encore plus loin, courir encore plus vite.
Plus on approche des cuisines, plus la chaleur augmente. Le feu a sûrement dû débuté ici. Ce n'est pas particulièrement étonnant, mais pour qu'il s'embrase aussi fort et vite, il a sûrement dû être le fruit d'une tentative de rebellions. Ces derniers temps, j'ai entendu un bon nombre de soldats parler d'une potentielle rébellion à venir. L'empereur de Dajis et son fils, l'héritier légitime, sont en mauvaise posture depuis que la rumeur court qu'ils font souvent affaire avec le peuple de Scorlège.
Nous arrivons rapidement devant la porte mais malheureusement de grandes flammes nous barrent la route. Cependant, il n'est pas question de s'arrêter là. Notre liberté est proche. Je peux presque la sentir souffler entre mes cheveux depuis la porte. Je mets mon bras en avant et resserre ma prise sur le poignet de ma sœur, je ne m'arrête pas et passe à travers les flammes brûlant mon avant-bras au passage. On atterrit directement devant la porte et j'hésite un moment avant de l'ouvrir, je risque d'aggraver le feu en l'ouvrant d'un seul coup. Un genre d'appel d'air. Je l'ai appris lors de ma formation en cuisine il y a quatre ans. Mais nous manquons de temps et je ne suis pas sûr que ma sœur arriverait à tenir le temps que je ferais des trous dans la porte pour laisser entrer et nous permettre de sortir saufs. Et le feu nous rattrapera bien vite.
— Tsuyu, je vais ouvrir la porte, sors le plus vite possible.
— D'accord, arrive-t-elle à prononcer entre deux toux.
Elle se met devant moi, et j'appuie rapidement sur la clenche ouvrant d'un seul coup la porte. Elle se précipite dehors alors que la pousse légèrement et la suis, fermant la porte derrière moi. Quelques flammes me brûlent le dos, mais je n'en tiens pas rigueur. On s'arrête tous les deux quelques minutes, le temps de reprendre notre souffle, puis nous nous remettons à courir comme des fous.
On court, sans même connaître notre destination, sans même savoir si on en sortira vivant à la fin. Alors que nos pieds foulent l'herbe pour la première fois depuis dix ans, je suis pris d'inquiétude. Je sais que ma sœur ne tiendra pas aussi longtemps que moi. Elle a toujours été de faible constitution, notamment lorsqu'on était hors de l'eau. Je ne saurais dire pourquoi mais, lorsqu'elle était dans l'eau, elle était plus vive et forte. Ça n'a jamais été mon cas cependant, bien au contraire. J'ai toujours eu du mal avec l'eau.
***
La lune n'est plus aussi haute dans le ciel, signe que le jour risque de se lever dans les heures qui suivent. Mais on ne s'arrête pas, bien que je sente que Tsuyu perd beaucoup de ses forces et qu'il devient difficile de courir pour elle, on continue, sans s'arrêter. On s'est mis d'accord, tant que le palais est toujours en vue, on continue. Et on compte bien tenir cet accord, même si ça signifie devoir tomber de fatigue une fois arriver.
Les heures s'écoulent, et la lune s'abaisse, laissant le soleil se mettre à son tour à briller. Tsuyu vient tout juste de s'écrouler, elle a dû s'évanouir sous l'effort, et je doute qu'elle se réveille de si tôt. Alors, étant donné que le château est toujours en vue, je l'ai prise sur mon dos, et j'ai continué d'avancer.
Cette fois, la lune a totalement disparu pour laisser place à son grand opposé, le soleil. Une large forêt dense se tient face à moi, et le palais n'est plus du tout en vue. J'ai tout de même continué à courir, me disant que si j'avais la force de continuer et de nous éloigner un peu plus de cet horrible cauchemar, je devais le faire. Pour Tsuyu, pour Botan et pour tous ceux que je n'ai pu sauver cette nuit. Je me suis dit que je ne m'arrêterais que quand mes forces me quitteraient. Et c'est ce qui est sur le point d'arriver. Ma vision est trouble et une tâche noire me barre la vue. L'adrénaline n'est plus et je sens mes forces quitter mon corps à mesure que je m'approche de la végétation. Malgré le fait que si j'avais été en meilleure condition, j'aurais été en capacité d'aller plus loin, je suis fier de moi. Je suis soulagé aussi. Je sais que jamais ils n'iront chercher aussi loin dès aujourd'hui. Je ne sais même pas s'ils chercheront.
Et alors que je ne suis qu'à quelques pas de la forêt et que mes jambes se mettent doucement à me lâcher, un grand sourire s'affiche sur mon visage. Quel bonheur, je suis enfin libre. Ma sœur tombe doucement sur l'herbe tandis que je suis à genoux sur le sol. Une larme de joie se met à rouler sur ma joue. Je fixe le ciel, ne l'ayant pas vu depuis si longtemps hors du palais et me laisse tomber en avant, m'affalant sur l'herbe verdoyante. C'est vrai, c'est le printemps, la saison préférée de Tsuyu. Elle sera contente de voir les fleurs en se réveillant j'en suis certain. Je ferme les yeux, heureux de sentir l'herbe sur ma joue, et me laisse emporter pour une fois dans les bras de Morphée et non ceux de Phobétor¹.
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¹ : Aussi connu sous le nom de Icélos, celui-ci est le frère de Morphée, divinité des rêves et de Phantasos, divinité de vos rêves les plus fous. Il fait partie des Oneiroi et serait l'esprit des cauchemars.
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Et voilà donc pour ce tout premier chapitre qui m'a demandé de la réflexion à écrire. J'ai eu beaucoup de mal à l'écrire pour quelques raisons que je ne connais pas. Mais bon, au final j'en suis quand-même un peu fière donc je le poste avec vous !
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𝐒𝐚𝐩𝐡𝐢𝐫 • 𝟐𝟓𝟏𝟎 𝐦𝐨𝐭𝐬 • 𝟐𝟔/𝟎𝟗/𝟐𝟎𝟐𝟒 • 𝟏𝟗:𝟎𝟎
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