Chapitre 9
Je suis subjuguée depuis que je suis entrée dans l'amphithéâtre il y a quinze minutes.
D'une, parce que nous utilisons l'amphithéâtre circulaire. Le bureau du prof se situe au milieu de la salle tandis que les gradins le surplombent tout autour.
De deux, un projecteur holographique nous diffuse une image de la Terre tellement grande qu'on a le sentiment de pouvoir la toucher du doigt.
De trois, le sujet du cours va être captivant.
Je jette un coup d'œil à mes amis. Max a la tête d'un enfant qui vient de découvrir quel goût a le chocolat et Lacy doit avoir une crampe aux mâchoires à force de sourire. C'est la première fois que nous utilisons cet amphithéâtre et force est de constater qu'il nous fait de l'effet.
Notre professeur, M. Mann, est chercheur à l'agence gouvernementale qui s'occupe du programme spatial, mais il prend chaque année plusieurs heures sur son emploi du temps pour faire cours à des élèves. Son domaine de prédilection ? La pollution spatiale.
M. Mann doit avoir la quarantaine mais il a déjà publié nombre de recherches et de livres, ce qui fait de lui le plus jeune ingénieur en Aérospatiale à avoir remporté plusieurs prix. Le type est une pointure. L'autorité et le respect se dégagent de lui alors qu'il attend patiemment que le silence se fasse dans la salle.
— Savez-vous ce qu'est la pollution spatiale ? débute-t-il. Ne prenez pas la peine de répondre, c'est une question rhétorique. J'espère que vous savez tous de quoi il s'agit. Pour les plus ignorants, voici un petit aperçu.
M. Mann presse un bouton de sa télécommande. La Terre, jusque-là majestueuse et imposante, se retrouve assaillie d'une multitude de points lumineux, de toutes les tailles. Chacun de ces points décrit un mouvement autour de la Terre, à une distance plus ou moins grande de l'atmosphère, et près de moi, je vois passer un morceau de fusée.
— Tous ces points jaunes, reprend M. Mann d'une voix sérieuse, ce sont des débris spatiaux. Des objets artificiels – car créés par l'Homme – qui restent en orbite alors qu'ils ne sont plus fonctionnels.
Silence. Il aime apparemment ménager ses effets.
— On retrouve différentes catégories d'objets. Des satellites désactivés, des étages de fusées, des outils oubliés par les astronautes eux-mêmes. Et puis parfois, ces objets entrent en collision, ils explosent et génèrent encore plus de débris. On a alors des fragments de toutes tailles, allant du millimètre à la taille d'un tramway, qui se baladent tout autour de la Terre et sans aucune utilité. Certains penseront peut-être : « en quoi un fragment d'un centimètre peut-il avoir un rôle dans la pollution spatiale ? » Sachez que dans l'espace, l'énergie cinétique d'un objet d'un centimètre est égale à celle d'un tramway lancé à 130 km/h.
Des murmures étonnés s'élèvent dans l'amphithéâtre.
— Alors, c'est bien beau de vouloir envoyer des fusées dans l'espace mais si elles se situent sur le chemin d'un débris... Au revoir les fusées. C'est en cela que la pollution spatiale est dangereuse.
Un garçon lève la main et M. Mann l'interroge.
— Mais monsieur, depuis cent ans que le programme spatial a réouvert, plusieurs dizaines de fusées ont été lancées sans qu'on ait entendu parler de collision avec des débris...
— Très bonne remarque, je vais y venir. Comme vous le savez tous, le programme spatial a été mis de côté le temps que les changements concernant notre planète se mettent en place. Les recherches n'étaient plus la priorité mais il fallait maintenir en forme les satellites de télécommunication, les satellites d'observation – ceux qui nous permettent d'observer les changements climatiques au sein de la Terre – bref, tous ceux dont on ne pouvait pas se passer. Ils ont été placés à des orbites éloignées des débris pour éviter toute collision. En revanche, plus aucune autre fusée n'a été envoyée, car trop coûteux. Alors imaginez un instant. Pendant qu'on construisait des villes durables, que se passait-il là-haut ?
Plusieurs mains se lèvent et le prof interroge Lacy.
— Les débris spatiaux ont continué leur petit bonhomme de chemin jusqu'à se rentrer dedans, et engendrer encore plus de fragments ?
— Exactement. La pollution spatiale n'a cessé de croître.
M. Mann se retourne vers le garçon qui avait posé sa question il y a quelques minutes.
— J'en reviens à votre question. Lorsque le gouvernement a remis en route le programme spatial, le problème de la pollution spatiale s'est posé. De nombreux chercheurs se sont penchés sur des projets « d'éboueurs de l'espace ». Malheureusement ils étaient trop coûteux ou se montraient inefficaces après calculs. Bien entendu, on ne pouvait pas risquer de détruire de nouvelles fusées. Le moyen le plus efficace a été de les renforcer en les bardant de matériaux plus solides. Et concernant les lanceurs – ces étages qui servent à propulser les fusées – on a trouvé un moyen de les ramener au niveau de l'atmosphère où ils sont détruits. Les vaisseaux qui voyagent vers les stations orbitales lunaires sont équipés de la même protection et ils évitent plus facilement les débris puisqu'ils sont pilotés par des astronautes, pas comme les satellites qui le sont à distance. Nous allons justement voir un peu plus en détails ces fusées nouvelle génération...
Il appuie sur sa télécommande et une fusée remplace l'image de la Terre.
Une partie de mon cerveau arrive à suivre le reste du cours et à prendre des notes. L'autre partie carbure aussi vite que les débris spatiaux au-dessus de nos têtes. Je ne cesse de penser à ce que M. Mann a dit concernant les éboueurs de l'espace. Il y a forcément eu d'autres projets depuis non ? Il va falloir que je consulte toutes les recherches publiées concernant ce sujet.
Mais si j'en crois l'affolement de mon cœur, il semblerait que j'ai peut-être trouvé mon projet de participation au concours.
Cette idée ne sort pas de mon esprit lorsque nous quittons l'amphithéâtre. Max et Lacy se plaignent de mourir de faim tout en se dirigeant vers la cafétéria mais je les arrête en cours de route.
— Désolée les gars mais je ne vais pas déjeuner avec vous. Il faut que j'aille à la bibliothèque.
— Quoi ? s'étonne Max. On sort d'un cours de quatre heures et la première chose que tu veux faire c'est aller t'enfermer à la biblio ?
Je sais, je suis un extraterrestre, mais mon cerveau fourmille tellement qu'il faut que je le soulage avant de péter un plomb. Lacy, qui me connait par cœur, écarquille les yeux d'excitation. Un sourire immense croît sur son visage. J'y réponds par un sourire plus grand encore.
— Oh toi, tu prépares quelque chose, me dit-elle fièrement puis elle donne un coup de coude à Max. Admire mon ami, ceci est le visage du génie lorsqu'il s'exprime. Je te prendrai un sandwich.
— Merci, à tout à l'heure ! je m'écris rapidement avant de tourner les talons à toute vitesse.
Depuis quand ne m'étais-je pas sentie aussi exaltée par quelque chose ? Le réflexe soudain de téléphoner à ma mère pour lui en parler me coupe le souffle. Mon cœur rate un battement et je tente tant bien que mal de reprendre ma respiration.
Ça fait mal.
Mais je ne dois pas laisser le chagrin reprendre le dessus. Je ralentis mes pas, en prenant de grandes inspirations et je relativise. Elle n'est plus là et moi oui. C'est comme ça. Je dois continuer à vivre et faire des choses qui me plaisent sans me sentir coupable.
J'ai réussi à calmer mon cœur lorsque j'arrive à la bibliothèque. Comprenant plusieurs étages, elle est l'une des plus grandes bibliothèques parmi celles qui peuplent le campus. Elle est relativement déserte à cette heure-ci, puisque les étudiants font de leur ventre une priorité loin devant les bouquins. Le mien gargouille et je rêverais d'un bon burger mais ça attendra. Je trouve au rez-de-chaussée plusieurs ordinateurs tactiles et je m'installe devant un poste vide.
Grâce à mon statut d'étudiante, j'ai un accès simplifié vers toutes les recherches publiées ces dernières années, sur un thème de mon choix. L'université a mis un point d'honneur à ce que notre curiosité ne soit pas entravée. Je rentre plusieurs mots clés dans la barre de recherche comme « pollution spatiale », « débris spatiaux », « récupération » ou encore « nettoyeur ». De nombreux résultats s'affichent à l'écran.
Au boulot.
Une heure plus tard, j'ai passé en revue les différents articles qui traitent de ce sujet. Je n'ai pas eu le temps de tous les lire alors j'en ai sélectionné certains – avec des preuves scientifiques solides – que j'ai transférés sur mon Numécran pour pouvoir les étudier plus tard.
Je tire plusieurs constats de cette recherche. Premièrement, il semblerait que le gouvernement n'ait pas accordé beaucoup de subventions pour ces projets, ce qui explique que beaucoup soient défaillants, car pas assez perfectionnés. Cela coûte très cher, et depuis quelques années nos dirigeants privilégient les projets qui traitent les problèmes au sein même de la Terre et non en dehors. Deuxièmement, maintenant que tous les engins spatiaux sont protégés, nettoyer l'espace n'est plus une priorité.
Je m'étonne un peu de cet état d'esprit, quelque peu en contradiction avec ce qu'on nous enseigne depuis toujours. Un autre détail a attiré mon attention. Certains débris se dirigent naturellement vers l'atmosphère terrestre où ils sont entièrement détruits.
Mais il arrive parfois qu'une partie arrive à la pénétrer. La majorité tombe dans des lieux inhabités mais on répertorie quelques cas de personnes qui ont vu un débris leur frôler la boîte crânienne avant d'aller s'écraser tranquillement dans un buisson. Personnellement, ça m'embêterait qu'on lise dans les journaux « une jeune fille décède : un débris spatial de la taille d'un pois chiche s'écrase sur sa tête ». Triste mort.
Je quitte la bibliothèque avec un début de migraine et je retrouve mes amis devant l'amphithéâtre où se tiendra notre prochain cours. Lacy me tend un sandwich.
— Alors ? Tu as trouvé ce que tu cherchais ?
— Oui, me contenté-je de dire avec un sourire dans la voix.
— Et ?
— Ça vous dirait de participer à un certain concours avec moi ?
Lacy pousse un cri qui vient du cœur, faisant se retourner d'autres étudiants à l'œil curieux.
— Je ne sais même pas quelle idée tu as eu, mais je signe direct !
— C'est gentil de me proposer Leigh, répond Max, mais avec la tonne de travail que j'ai, je ne vais pas pouvoir. Mais je propose mes services pour vous encourager et vous motiver, ajoute-il en souriant.
— Ça marche, pas de souci.
— Fais-moi un petit topo avant que le cours commence, me dit Lacy en me prenant le bras.
Dix minutes n'ont pas suffi à discuter de tous les détails et c'est pour cette raison que nous prenons actuellement un café sur le campus. Lacy boit une gorgée de sa boisson chaude avant de reprendre là où nous en étions.
— OK, donc si on se lance dans un projet « satellite éboueur de l'espace », il va nous falloir un étudiant en quatrième ou cinquième année en Aérospatiale.
— Et un en Mécanique, ajouté-je.
Un certain étudiant me vient à l'esprit mais je souffle symboliquement dessus pour le faire disparaître.
— Oui, acquiesce Lacy. Et au niveau des dates tu as regardé le mail ?
— Nous avons encore trois semaines pour nous inscrire. Une fois que ce sera fait, nous aurons deux mois pour mettre au point notre projet papier, que nous soumettrons au jury. C'est très rapide comme délai, on ne devra pas chômer. Si nous sommes sélectionnés...
— Evidemment qu'on le sera, affirme Lacy avec conviction.
— Une fois qu'on sera sélectionnés, reformulé-je avec un sourire amusé, nous serons en compétition avec d'autres projets. Nous devrons présenter le nôtre lors d'une pseudo-conférence fin juin. Il ne s'agira pas simplement de lire nos notes. Il faudra les convaincre avec des animations et des arguments solides.
— J'ai la tchatche, ce n'est pas une partie qui me posera problème. Des idées concernant les étudiants qu'on pourrait recruter ?
— Je connais une fille en troisième année de Mécanique qui fait de la boxe avec moi. Cléo. Je pourrais lui demander.
— D'accord, je me charge de l'étudiant de notre filière.
Lacy fait une pause et me regarde par-dessus son gobelet fumant.
— Je suis tellement contente de te voir comme ça.
— Ça fait du bien, avoué-je.
— Tu comptes en parler à ton père ?
— Oui, mais je vais attendre qu'on soit inscrits. Tellement de choses peuvent se passer d'ici là.
Lacy m'offre un sourire encourageant et me prend la main pour me la serrer fort. Je ne sais pas ce que je ferais sans elle. Elle conclut notre discussion par un magnifique :
— On va les défoncer.
***
Et voilà un nouveau chapitre un peu plus axé sur la thématique de cette nouvelle histoire, à savoir l'espace ;) D'ailleurs, est-ce vous trouvez ça intéressant ou carrément ennuyant ?
Je voulais également savoir ce que vous pensiez de mon histoire jusqu'à maintenant, principalement concernant les personnages : des remarques à faire ?
Eiouam
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