Chapitre 8
— Avec grand plaisir ! s'exclame Lacy, d'une voix gaie.
J'ai une soudaine envie de lui cogner la tête contre la table. Je tente de lui faire passer un message mais elle ne me regarde pas.
— Désolée, s'excuse Sydney, je suis nulle au billard. Je vais retourner voir Max mais amusez-vous bien. Salut, ajoute-t-elle avec un petit signe de main timide en direction des garçons.
Jack et Noam la regardent s'éloigner et je crois voir une légère moue de déception chez Jack. Tiens, tiens.
— Leigh ? m'interroge Lacy avec le sourire auquel je peux rarement résister.
Elle aura ma peau.
— D'accord. Faisons une partie.
Je sais ce que j'ai dit. Ma volonté de ne pas laisser croire à ce garçon qu'il a une chance est bien dans un coin de ma tête. Ça ne veut pas dire que je vais flirter. L'alcool m'a un peu désinhibée et me convainc de lâcher prise, de m'amuser et de ne penser à rien hormis mettre une râclée à ces garçons. Cette sensation de bien-être n'est que temporaire, la fille que Noam a devant les yeux n'est qu'une pâle version plus joyeuse de ce qu'elle est au quotidien. Il ne peut pas deviner que, sous cette couche de vernis, il y a plus de souffrance et de mal-être qu'il ne devrait y en avoir normalement.
Ce n'est rien qu'une petite partie de billard, je ne signe pas un contrat de mariage.
Alors que nous nous dirigeons vers la salle du fond et que les garçons marchent devant, je prends tout de même le temps de préciser à Lacy que je n'ai rien dit concernant ma famille et mes études, qu'aucun des deux n'est au courant. Malgré les brumes de l'alcool, elle hoche la tête d'un air entendu.
Plusieurs tables de billard sont libres – les étudiants commencent à migrer vers la discothèque –, nous nous emparons de quatre queues et d'un lot de billes rouges et jaunes.
— Comment on fait les équipes ? demande Jack. On peut essayer d'équilibrer le jeu en faisant des équipes mixtes ?
Cette petite phrase, en apparence sexiste, ne sert qu'à mettre le feu aux poudres. L'alcool ayant fait disparaitre la sensibilité de Lacy pour le second degré, celle-ci tombe sans surprise dans le panneau. C'est une personne que je qualifierais de sanguine, et les cocktails ont tendance à amplifier le phénomène. Elle éclate de rire et remet une mèche de cheveux bruns derrière son oreille. Dans ses yeux bleus brillent la compétition.
— D'ordinaire, ma petite taille me joue des tours lors d'une partie de billard, mais tu vois ça ? dit-elle en désignant ses talons. Avec ça, je vais être imbattable. On se fait un mecs contre filles.
Je l'embrasserais pour cette brillante idée. J'écarte les main en signe de reddition.
— La messe est dite.
Jack acquiesce en souriant et met les billes en place sur la table rectangulaire tout en titillant Lacy, qui renchérit avec tact comme elle sait si bien le faire. Noam ne parle pas mais je sens son regard posé sur moi. Je jette un coup d'œil dans sa direction et je ne m'étais pas trompée. Il est nonchalamment appuyé contre le mur et promène sur moi un regard qui ne laisse pas de place au doute.
— Voyons voir comment vous vous débrouillez les filles. A vous l'honneur, annonce Jack avec un geste du bras en direction de la table de billard.
Lacy ne se fait pas prier. Elle positionne la boule blanche et tire un grand coup dans les autres billes positionnées en triangle. Aucune n'est empochée, Lacy rejoue et arrive à faire rentrer une rouge, notre couleur pour le reste de la partie. Elle fait une nouvelle tentative sans parvenir à empocher une nouvelle bille. Noam prend sa place. Toute en décontraction et désinvolture, il empoche trois billes coup sur coup avec une certaine maitrise. Pendant un instant, je me demande s'il n'a pas fait exprès de louper la quatrième. Il vient se positionner avec mes côtés et par son haussement de sourcils en direction de la table, il me nargue ouvertement. « Essaye de faire mieux que ça » semblent me dire ses yeux noisette. Ce type exsude la confiance en soi mais cela ressemble davantage à du culot et de la taquinerie qu'à du narcissisme.
Je ne réponds pas à sa provocation et je m'avance pour mieux observer le jeu. J'ai plusieurs coups possibles dont deux qui semblent compliqués. Je pourrais les tenter mais le but ici est de faire ravaler la fierté de ces garçons. Si j'essaye de me la péter et que je me foire, ça ne nous aidera pas. Bien que je me débrouille assez bien, je ne suis pas une professionnelle. Je choisis un coup facile, je me mets en place et après avoir été frappée, la bille roule jusqu'au trou.
Et d'une.
Je fais le tour de la table, me penche en avant pour viser et je tire.
Et de deux.
Je lance un regard par en-dessous à Noam. Ses iris étincellent de défi et peut-être d'autre chose. Je reste impassible. Le seul coup possible va demander davantage de précision. Pitié, faites que je ne me plante pas. Je me place dans un coin, je réajuste ma queue de billard et je retiens ma respiration avant de tirer. La boule blanche tape une fois sur un côté avant de frapper la rouge qui vient se loger dans un trou.
Et de trois.
Je ne peux pas m'en empêcher, je me retourne vers Noam en haussant un sourcil provocateur comme il l'a fait juste avant. Bon joueur, il incline la tête avec un sourire qui creuse sa fossette. Mon cœur s'emballe face à son charme naturel. Il est d'une beauté authentique, à la fois dans ses traits mais aussi dans ses expressions qui le rendent irrésistible. Con-cen-tra-tion.
Je rate la suivante, au grand bonheur de Jack qui commençait à croire qu'il n'aurait pas la possibilité de jouer. Je recule pour lui laisser de l'espace et Noam vient me rejoindre.
— Impressionné ? demandé-je sans détourner mon regard du jeu.
— Très.
— Il t'en faut peu.
— C'est exact. Une fois, j'ai pleuré parce que mon chien avait réussi à poser sa crotte dans le caniveau et non pas sur le trottoir.
Sa réponse est tellement étrange que je ne peux me retenir de tourner ma tête vers lui. Ses yeux viennent brièvement croiser les miens avant de se reposer sur Jack qui tente une deuxième boule. Il se penche légèrement vers moi, comme s'il allait me dire un secret.
— C'est un exploit pour un caniche. Ce n'est pas très futé ces petites bêtes-là.
Je cligne plusieurs fois des yeux tant je ne sais quoi en penser. Ce garçon est tout à fait surprenant... et amusant. On n'en est quand même pas au point où j'éclate de rire – ce qui n'arrivera pas avant très longtemps – mais cette simplicité d'échange est agréable. Très agréable. Un sourire se dessine naturellement sur mes lèvres.
— Tu sembles tellement sincère que je me sens obligée de te croire, mais j'ai surtout l'impression que tu te moques de moi.
— Un peu, avoue-t-il. Je n'ai pas pleuré. Et ce n'était pas un caniche mais un berger australien. Je l'ai quand même applaudi.
Son léger froncement du nez quand il a prononcé le mot « caniche » – comme si c'était une maladie cutanée dont il fallait absolument se débarrasser – me pousse à le titiller.
— J'ai un caniche.
Il perd la moitié de son sourire et sonde mon regard à la recherche d'un mensonge. Je ne sais pas mentir mais il ne me connait pas assez pour le remarquer.
— Merde, c'est vrai ?
Je tourne la tête vers la table de billard. Jack hésite entre plusieurs coups et Lacy tente de l'embobiner. Je me reconcentre sur Noam.
— Non.
Le soulagement envahit ses traits.
— Je me serais senti très con si ça avait été le cas. Et pour en revenir à ce qu'on disait, sincèrement, tu joues très bien.
— Merci. J'y ai beaucoup joué durant mes années lycée.
Je plisse les yeux d'un air soupçonneux.
— Avoue. Tu as fait exprès de rater ta quatrième boule.
— Tu as remarqué ? s'étonne-t-il.
— Je l'ai supposé.
Il ne rajoute rien et me lance un regard assez impressionné. En tout cas, je le ressens comme tel mais il pourrait très bien ne pas savoir quoi dire de plus. Comme on ne va pas se regarder dans le blanc de l'œil pendant toute la soirée, je me concentre à nouveau sur Jack.
Il a manqué de faire rentrer la deuxième bille de peu. Lacy le chambre et va se positionner à son tour. Mais elle rate son tir et la boule blanche fait son petit bonhomme de chemin sans rencontrer aucune bille de couleur.
— Merde, je suis désolée Leigh, je crois que j'ai trop bu pour être assez concentrée.
— Imbattable hein ? se moque Jack. Montre-leur Noam.
Noam prend la place de ma meilleure amie. Contre tout attente, il n'arrive à faire rentrer qu'une seule boule.
— Je vois qu'on peut compter sur toi, fait le blond d'un ton blasé.
— Quand tu arriveras à mettre trois boules, on en reparlera, ne se démonte pas Noam.
Je prends sa place et malgré mes efforts, une seule bille rouge va rejoindre les autres. Les garçons n'ont plus que deux billes jaunes à faire rentrer, puis la noire, et ils auront gagné.
— Laissez faire le pro, enchérit Jack en jouant des épaules.
Je me place à côté de Lacy tandis que de l'autre côté de la table, Noam se passe une main sur le visage, comme ces parents à bout qui ne savent plus quoi faire de leurs enfants. Jack a peut-être le physique d'un homme mais il m'a l'air d'être un grand enfant dans sa tête. Lacy se rapproche imperceptiblement de moi.
— Alors, qu'as-tu l'intention de faire concernant ce premier prix qui ne te lâche pas du regard depuis qu'il est venu à notre table ?
Lacy sait ce qu'il en est. Elle connait très bien mon objectif pour le moment, mais si elle me pose la question, c'est qu'elle veut savoir si cet objectif englobe désormais un garçon. Jack réussit un joli coup, et une bille jaune disparait de la table de jeu.
— On s'était déjà parlé deux fois, chuchoté-je, mais je lui ai plus ou moins fait comprendre que je n'étais pas intéressée. Mais la débile que je suis a été le reluquer sans aucune discrétion, ce qu'il a remarqué, et maintenant...
Je jette un bref coup d'œil dans sa direction mais il est concentré sur Jack.
— On en est là.
Jack se concentre à nouveau et, malgré mes prières, envoie la dernière boule jaune dans le trou. Il pousse un cri exalté.
— Soyez prêtes à perdre !
Il se penche vers la boule noire.
— A nous deux, ma jolie.
— Et du coup ? poursuit Lacy. On est team Noam ou tu as toujours pour objectif de rester distante ?
— Sincèrement, il est plutôt sympa et drôle...
— Et beau, me coupe-t-elle.
— Oui, souris-je, et beau. Et malgré mon attitude assez impassible, il ne laisse pas tomber l'affaire...
— Ça, c'est parce que tu l'as maté. Du coup, il sait qu'il te plait.
— Ouais. Frappe-moi dès que tu en as l'occasion d'ailleurs. Plus sérieusement, je n'ai pas envie de sortir avec des garçons... Je ne pense pas que je suis prête à partager mes problèmes avec une autre personne. Même si l'attirance est présente.
— Ne te force pas si tu n'as pas la tête à ça, me soutient Lacy.
Un cri plaintif nous interrompt.
— Non ! J'étais à ça Noam ! fait un Jack dépité en montrant un fin espace entre son pouce et son index.
— On va dire que tu l'as fait exprès pour laisser croire aux filles qu'elles peuvent rattraper le score ? lâche Noam avec un sourire sardonique.
— Exactement, dit le grand blond dans un geste désinvolte.
Ni une, ni deux, Lacy le prend au mot et s'avance d'un pas déterminé. Elle tente de remonter notre score, mais elle n'empoche qu'une seule boule, ce qui laisse de nouveau une chance aux garçons. Noam se met en place, se penche pour viser, tire et la boule noire disparait à son tour.
Nous avons nos vainqueurs. Noam se redresse lentement tout en nous adressant un sourire modeste, ce qui n'est pas le cas de Jack qui vient lui donner un grand coup dans l'épaule.
Nous reconnaissons leur victoire en les félicitant et Lacy, qui a gardé en mémoire notre conversation, les devance avant qu'ils nous proposent une nouvelle partie.
— Merci les gars pour la partie, c'était sympa. On va rejoindre nos amis maintenant mais passez une bonne soirée ! On aura sûrement l'occasion de se revoir pour prendre notre revanche, ajoute-elle avec un grand sourire.
Jack nous répond que ça a été un plaisir de jouer avec nous, et Noam acquiesce d'un mouvement de la tête. Lorsque nos regards se rencontrent, je perçois des questions derrière ses yeux, comme s'il percevait autre chose derrière ma réserve apparente. Je leur souhaite une bonne soirée avant de m'éloigner avec Lacy vers la grande salle où la musique bat son plein.
Nous finissons par retrouver Sydney et Max mais aussi Amanda et Béa qui ont fini par réapparaître.
— Lacy ! hurle Amanda par-dessus la musique. T'étais où ?
Apparemment Lacy était la seule à être partie. Je ne sais même pas pourquoi je m'en étonne encore.
— On faisait une partie de billard avec deux garçons.
Amanda regarde par-dessus nos épaules en cherchant probablement les deux gars en question.
— Ils sont où ? Leigh les a fait fuir ? demande-t-elle en riant bêtement.
Je sens Lacy faire un pas en avant mais je l'arrête de la main.
— Tu as tout à fait raison Amanda, raillé-je. Ils ont tellement eu peur de moi qu'ils sont retournés pleurer dans les jupes de leurs mères.
Amanda perd son sourire.
— Tu n'as vraiment plus aucun humour, me répond-elle d'un ton accusateur.
— Il faut croire que je ne suis pas sensible au tien. Si on peut appeler ça de l'humour. Maintenant si tu m'excuses, ajouté-je en la contournant pour me placer à côté de Sydney.
Cette dernière me lance un regard interrogateur mais je secouenégativement la tête. Je ne vais pas laisser cette bécasse me gâcher la soirée.Finalement, nous montons tous à l'étage et pendant quelques heures, j'oubliemon père, Amanda et Noam.
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