Chapitre 3

Après le repas, nous gagnons le salon pour l'ouverture des cadeaux. Le sol se retrouve rapidement jonché de papier – recyclé bien entendu.

Je tiens un petit paquet entre mes mains que je n'ose encore donné à papa. J'ai trouvé le cadeau parfait. Une montre à cadran datant de 1996. Une véritable pépite. Le cadran était cassé et il lui manquait quelques pièces quand je l'ai dénichée dans ce petit magasin du centre de Sampton, mais elle est maintenant comme neuve. Après plusieurs jours de recherche aux quatre coins de la ville, j'ai réuni toutes les pièces manquantes. Il m'a fallu quelques heures de travail pour la réparer mais le résultat en vaut la chandelle. On ne trouve plus beaucoup de montres comme celle-ci. Trop désuète pour la majorité des personnes.

Notre société actuelle a tendance à déprécier tout ce qui date d'avant « le grand changement ». Elle considère que notre passé n'a rien de glorieux – ce qui est vrai sur beaucoup de points – et qu'il est futile de vouloir garder un pied dans une époque révolue. Ce que la technologie nous propose aujourd'hui serait, selon eux, bien suffisant.

Nos ancêtres ont fait beaucoup d'erreurs, mais tout n'est pas bon à jeter.

En tout cas, je sais que cette montre pourrait faire plaisir à mon père, lui qui collectionne les objets séculaires. Cependant, je tremble un peu lorsque je prends mon courage à deux mains et que je me lève pour lui tendre son cadeau. Ses yeux se teintent d'une légère surprise, qu'il arrive à dissimuler en me remerciant.

Contre toute attente, il se penche pour prendre un paquet qu'il me donne et dont les contours ne laissent pas de place à l'imagination : c'est un livre. Mon cœur rate un battement. Je ne pensais pas que mon père m'aurait fait un cadeau. Ce n'est pas tant l'objet qui m'émeut mais l'attention. Il ne m'a pas oubliée.

Je sens ma gorge se nouer alors que mon père fuit le contact visuel, comme s'il était gêné.

Depuis des mois, nous nous limitons à quelques mots échangés, des regards détournés et des gorges comprimés. Mon père ne sort pratiquement jamais de l'appartement, alors je ne m'étais pas attendue à ce qu'il fasse un effort pour m'offrir un cadeau, quel qu'il soit.

Bien que nos rapports n'aient pas véritablement changés ­– comment le pourraient-ils en l'espace de trois jours ? – j'ai le sentiment qu'une étape vient d'être franchie. Je ne sais pas si c'est grâce à ma famille ou parce que c'est Noël, mais pour la première fois depuis des mois, une étincelle d'espoir naît en moi.

Je retourne m'asseoir sur le canapé à côté de mon cousin Ben qui semble exalté par son cadeau : un jeu vidéo ancienne génération. Je guette la réaction de mon père lorsqu'il découvre la montre. Sa mâchoire se contracte et ils pincent les lèvres comme s'il se retenait de pleurer. Lorsqu'il relève la tête et que ses yeux brillants croisent les miens, il acquiesce de la tête sans dire un mot comme si cela allait lui faire perdre toute retenue.

Je me concentre sur mon propre paquet dont je retire l'emballage. C'est un livre assez épais dont le titre Ce que vous ne savez pas sur les trous noirs fait écho à ma passion pour l'espace. Je suis une mordue d'étoiles, de planètes, de voyages spatiaux et ce n'est pas pour rien que je spécialise mes études là-dedans. Je me contente de remercier mon père d'un signe de tête, même si je meurs d'envie de me jeter dans ses bras.

Je croise le regard de ma tante, qui n'a manifestement pas loupé une miette de notre échange. Elle me fait un clin d'œil tout en faisant glisser un énorme paquet à mes pieds. Je tombe des nues en découvrant ce que c'est. Une imprimante 3D. Ouah.

C'est un outil que j'utilise énormément à la fac mais jamais je n'aurais cru en posséder une.

Je suis en deuxième année en Ingénierie Aérospatiale. La pomme ne tombe jamais bien loin de l'arbre. En même temps... je baigne dans l'innovation et la conception depuis toute petite, donc ce n'est pas une surprise en soi. Mes parents m'ont transmis leur passion, mais je poursuis mon propre chemin.

Le secteur spatial ne cesse d'évoluer et j'ai toujours été fascinée par ce qui se passait au-dessus de nos têtes. Un jour, j'avais lu que tout ce que nous savions était une goutte, et ce que nous ignorions un océan. Cette phrase m'a marquée. L'univers a toujours été un mystère pour nous, et le restera très certainement mais j'ai quand même envie d'essayer d'ajouter quelques gouttes à notre savoir. C'est à la fois très effrayant – qu'allons-nous découvrir d'ici les prochaines années ? – mais aussi très excitant.

Cette imprimante, c'est la possibilité de travailler en toute autonomie à la maison et de ne pas dépendre constamment de ma fac. Je remercie mon oncle et ma tante pour leur cadeau généreux. Ils ne savent pas combien leur présence est une véritable bouffée d'air frais.

Deux heures plus tard, même si je n'ai plus faim, je dévore des cookies jusqu'à ressembler à une femme enceinte. Je grogne en voyant que Cal est encore tout à son avantage alors qu'il a mangé le triple. Nos parents sont tous allés se coucher et Ben s'est endormi sur le canapé du salon, une manette encore à la main.

— Tu veux le dernier ? me demande Cal en s'emparant du dernier cookie.

— Non vas-y. Je vais exploser, je réponds en descendant un peu ma braguette pour libérer mon ventre replet.

Le premier bouton a sauté depuis la « putain de dinde bien moelleuse ». Il faudra que je me remette sérieusement au sport après les vacances. Je pratique la boxe dans le cadre de l'université mais il n'y a aucun cours pendant les congés.

Je pose ma tête sur le dossier du fauteuil sur lequel je suis assise et pousse un soupir ensommeillé. J'entends Cal se déplacer à côté de moi.

— Je suis désolé Leigh, commence-t-il, je vois bien que tu as évité le sujet depuis que nous sommes arrivés mais... je veux savoir si tu tiens le coup. Je veux une réponse sincère. J'ai une version plus éteinte de ma cousine et je veux m'assurer qu'elle a du monde autour d'elle pour la soutenir.

Je retiens ma respiration avant de lâcher un soupir inaudible. J'ouvre les yeux et je lis dans ceux de Cal combien cette question est importante pour lui. Mon cousin est un ange, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. On pourrait croire qu'il me force un peu la main, mais je ne me sens pas agressée. Cal est de ma famille. On a toujours été complices et sincères l'un envers l'autre, je ne vois pas pourquoi ça devrait changer. Il fait partie des rares personnes à qui je peux me confier.

— Ça pourrait aller mieux. Ça pourrait aller pire, commençai-je. Je ne te cache pas que c'est très dur de ne plus avoir sa mère à ses côtés. Mais, ça ne fait plus aussi mal qu'avant. Du moins, la douleur du deuil commence à s'estomper...

Je pourrais m'arrêter là. J'ai répondu à sa question après tout. Mais ce n'est pas tant pour Cal que je vais poursuivre. Je crois que j'en ressens le besoin.

— Ce qui est douloureux en revanche, c'est que mon père agisse comme si je n'existais pas. Il ne va pas bien du tout et je crois que c'est moi qui le freine. Je suis le portrait craché de ma mère et... (Je prends une grande inspiration.) quand il me voit... je sais que ça lui fait mal.

Les yeux de Cal expriment peine et tristesse tandis qu'il me serre le genou d'un geste apaisant.

— Et parfois, poursuivis-je, il y a des moments où j'ai un regain d'espoir.

— Comme tout à l'heure. Quand vous vous êtes offert vos cadeaux.

Je hoche la tête.

— Donc voilà. Pour le moment, mon père ne remonte pas la pente. Moi, je prends mon temps. Mais je ne sais pas comment l'aider. Il n'est pas retourné au travail alors qu'il adorait ça, donc ça montre combien il est au plus bas.

— Je ne pense pas qu'il y ait de solution miracle. Ça va être très bateau ce que je vais dire mais... il faut être patient. C'est ton père, il ne va pas t'ignorer indéfiniment.

— Je sais.

— Sache en tout cas que tu n'es pas toute seule. On est là nous aussi, même si on habite à plusieurs centaines de kilomètres.

— C'est gentil Cal, merci, réponds-je sincèrement.

Je ne sais pas de quoi demain sera fait et je ne peux pas faire grand-chose hormis laisser le temps faire son job.

Après ça, nous décidons d'aller nous coucher et Cal réveille son frère pour éviter qu'il passe toute la nuit sur le canapé. Lorsque je me glisse sous ma couette, je me repasse la soirée en boucle et j'essaye de me remémorer le peu de moments que mon père et moi avons partagés.

Peu c'est toujours mieux que rien. 

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