Chapitre 29
J'ai bien fait de profiter de Noam le dimanche car la semaine suivante, ma vie ressemble à peu près à ça : se lever, aller en cours, rester tard à la bibliothèque avec le groupe pour travailler sur le projet, rentrer à la maison d'un pas lourd et s'endormir comme une masse.
Nous n'avons maintenant plus qu'une semaine pour pouvoir envoyer notre dossier papier par courrier. Nous nous sommes vus tous les soirs donc nous avons bien avancé mais il reste encore trop de choses à faire. M. Mann nous a bien aiguillés mais il ne nous a certainement pas mâché le travail, ce qui est tout à fait normal. Quel mérite aurions-nous dans ce cas ?
Le seul point positif à cette surcharge de travail est que j'ai pu enfermer toutes mes pensées négatives concernant cet anniversaire dont je préférerais ne pas me rappeler dans un coffre-fort au fond de mon esprit. Chose bizarre : je n'ai pas noté de changement dans le comportement de mon père.
Je pensais qu'il retournerait s'isoler dans sa chambre ou qu'il recommencerait à m'ignorer mais aucun de mes scénarii ne s'est produit. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvais chose. L'approche de cette date aurait dû provoquer une réaction chez lui. Un seul détail a attiré mon attention : il s'arrache les cheveux sur l'écriture du discours pour la soirée des sélectionnés. Il noircit des pages et des pages mais elles finissent toutes dans le broyeur.
— Par pitié, fait Lacy à côté de moi. Dites-moi qu'on en a fini pour aujourd'hui. Je n'en peux plus.
La bibliothèque ferme dans quinze minutes, nous sommes tous pressés d'être en week-end. Je jette un coup d'œil à Noam qui fronce ses sourcils de concentration face à son ordinateur. Luca et lui sont en train de procéder à tout un tas de calculs complexes. Lacy s'y est penché les deux dernières heures mais son cerveau a fini par surchauffer face à une cascade d'erreurs annoncées par le logiciel. Les garçons essayent de résoudre le problème.
J'en suis au même point que tout le monde : je me sens courbaturée d'être restée trop longtemps assise et je me demande sincèrement si je n'ai pas un strabisme à force de loucher sur les croquis.
Heureusement, c'est notre rencard avec Noam ce soir.
Je ne sais pas trop pourquoi nous décidons de garder ce jour-là en particulier, vu que notre relation est passée à la vitesse supérieure. Mais j'apprécie cette routine, surtout maintenant que Noam s'est mis en tête de m'emmener dans un autre endroit atypique. Ce qui était un jeu au départ, est devenu une sorte de défi qu'il souhaite relever.
Il relève la tête de l'écran et m'adresse un clin d'œil lorsqu'il voit que je l'observe, avant de pianoter à nouveau sur le clavier holographique. Enfin, un grand sourire monte aux lèvres de Noam et Luca.
— On va pouvoir profiter du week-end, annonce ce dernier. On vient de résoudre le problème.
— Alléluia ! scande Lacy.
Nous soupirons tous de soulagement. Encore quelques heures de travail par-ci par-là et ça sera fini.
Dehors, chacun part dans des directions différentes, sauf Noam et moi. Jack et Lacy nous adressent des regards appuyés en nous souhaitant une « très boooonne soirée ». Je lève les yeux au ciel, comprenant sans mal leurs allusions sexuelles. Ils finissent par disparaître au coin de la bibliothèque et nous nous retrouvons seuls au milieu du campus désert.
— Enfin, soupire Noam en m'attirant à lui pour m'embrasser.
Je savoure son baiser, car nous n'avons pas vraiment eu l'occasion d'en profiter cette dernière semaine. Il se recule en souriant.
— Je t'ai dégotté une perle rare pour ce soir, déclare-t-il alors que nous nous mettons en marche.
— Laisse-moi deviner...
— Tu ne trouveras jamais, me coupe-t-il. Pour le coup, je me suis surpassé.
Je plisse les yeux, soudainement méfiante. Son sourire en coin et son assurance ne me disent rien qui vaille.
Nous prenons le tramway qui nous amène dans le centre, puis nous dînons dans un petit restaurant qui ne payait pas de mine au premier abord. En réalité, il est tenu par un couple de gérants incroyablement sympathiques dont la cuisine exotique a su faire voyager mes papilles. Je me promets d'y emmener Lacy et Syd.
Nous sommes légèrement en retard lorsque nous sortons du restaurant car Noam me fait courir pour prendre un autre tramway. Ma curiosité monte d'un cran lorsque nous tournons en rond dans plusieurs rues avant de pénétrer à l'intérieur de ce qui semble être un petit théâtre de quartier. Noam n'est visiblement jamais venu ici.
Il n'y a personne dans le hall d'entrée. Soit le spectacle a déjà commencé, soit il n'attire pas grand monde... Je pencherai pour la première option car Noam m'entraine au fond, et tend deux billets à un employé qui les scanne. Un ouvreur nous fait ensuite signe de le suivre. Nous entendons des applaudissements alors qu'il ouvre les doubles portes devant nous.
Il allume une lampe torche car les lumières sont éteintes. Ma vue s'habitue et j'arrive à distinguer un peu mieux ce qui nous entoure. La salle semble très petite. Il n'y a qu'une allée centrale avec des rangées de fauteuils de part et d'autre. Elle ne doit pas pouvoir accueillir plus de cent personnes.
Le silence retombe alors que nous nous faufilons le plus discrètement possible vers le devant de la scène. L'ouvreur nous désigne deux places au premier rang sur lesquelles nous nous asseyons, puis il disparaît avec son filet de lumière et nous nous retrouvons à nouveau dans le noir.
Je me déshabille le plus discrètement possible tout en essayant de discerner ce qui fait la spécificité de cette pièce. Malheureusement, je ne distingue pas grand-chose dans cette pénombre. Peut-être cette salle de théâtre est-elle un vestige du monde d'avant ?
Je me renfonce dans mon fauteuil sans chercher à interroger Noam et attend patiemment que la représentation commence. J'entends des pas sur la scène, un artiste semble se mettre en position.
Les lumières s'allument.
Doux Jésus Marie Joseph.
Un pénis se tient devant moi.
Je reste figée quelques secondes, les yeux fixés malgré moi sur le... humhum de cet homme. Je suis bloquée comme un ordinateur en plein bug, mon cerveau a disjoncté. Pendant un instant, je me demande si je n'ai pas des hallucinations mais je ne suis pas folle. Un homme est debout. A deux mètres de moi à peine. Nu comme un ver.
Et là, je comprends.
Je comprends que Noam est dans une catégorie à part, d'un level que personne d'autre ne pourra jamais atteindre.
Je tourne la tête vers lui. Il essaye d'étouffer son rire dans son poing mais je le vois. Ce con se fout de ma gueule. Il a fait exprès de choisir des places au premier rang, pour que j'aie le machin de ce monsieur sous le nez.
Je me rappelle alors notre échange au moment de nos inscriptions respectives pour le concours. Noam était encore dans le groupe d'Elias à l'époque. J'avais vu une annonce d'une troupe de théâtre qui performait nue sur scène et j'avais ensuite plaisanté dessus avec Noam.
Ça lui est visiblement resté en mémoire. J'en ai la preuve sous la yeux.
L'homme recule lentement, tout en fixant un point au-dessus des spectateurs, faisant fi de sa nudité. Il est vite rejoint par d'autres artistes qui s'élancent des coulisses. Une valse enjouée de fesses, de pénis et de paires de seins se déploie sur la scène. Les danseurs entament une chorégraphie élaborée alors qu'une musique rythmée se diffuse dans la salle.
Passé ce choc, je me dis qu'il faut avoir une sacrée confiance en soi pour oser exposer ses parties intimes à des inconnus. Mais cela ne semble pas déranger les interprètes, qui exécutent leurs mouvements sans la moindre hésitation.
Au bout d'un moment, je finis par m'habituer à voir ces gens à poil. Leur nudité passe au second plan et je me concentre alors sur la représentation.
A la fin du spectacle, je ne sais pas trop quoi en penser au final. C'était... bizarre au début, mais tellement original. Les chorégraphies étaient superbes.
Je crois que j'ai adoré. Dingue non ?
Même si Noam s'est mis en tête de m'emmener dans des endroits insolites, je pense que cette sortie avait une autre portée. Celle de me surprendre, de me faire rire, de me faire penser à autre chose qu'à demain.
L'air est doux lorsque nous quittons le petit théâtre. Je tourne la tête vers Noam, il m'observait déjà, son éternel sourire en coin révélant sa fossette. Il est content de sa petite blague.
— Je ne sais même pas quoi te dire, déclaré-je.
— Que je suis un génie ?
— Je ne peux même pas t'engueuler de nous avoir délibérément placés au premier rang pour que j'aie des kikis sous les yeux, car j'ai bien aimé. Enfin, pas la partie « avoir des kikis sous les yeux » hein. Je voulais dire que j'ai bien aimé la représentation, bafouillé-je.
Noam éclate d'une rire franc et caverneux avant de s'expliquer.
— L'autre jour, j'ai revu la même annonce sur laquelle on avait plaisanté il y a quelques semaines. Je me suis dit que je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion.
— C'est officiellement le rencard le plus original de toute ma courte vie.
Nous avançons vers la station de tramway tout en commentant les danses que nous avons préférées. A la fin, j'ajoute :
— Une des danseuses avait de super beaux seins.
— Laquelle ? La petite brune ? demande-t-il en réfléchissant.
— Ouais.
Il hoche la tête, l'air d'approuver.
— C'est vrai, dit-il sans aucune once de concupiscence dans la voix.
Je me rends alors compte que nous discutons des parties génitales de personnes que nous ne connaissons pas, de manière tout à fait objective. La situation est à mourir de rire.
— Mais je préfère les tiens, ajoute Noam en me jetant un coup d'œil.
— Me voilà rassurée, raillé-je.
Arrivés à la station, Noam m'attrape les hanches pour m'attirer contre lui. La légèreté de notre échange se dissipe alors qu'il me scrute sérieusement.
— J'ai très envie de te demander de venir chez moi ce soir, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dit-il en me lançant un regard entendu. Ce n'est pas le bon moment.
Je soupire. De frustration et de soulagement à la fois. J'ai envie de rester avec lui, mais il a raison. Je ne peux pas m'éclipser toute une nuit et probablement une bonne partie de la matinée, alors que ça fera pile un an demain que ma mère est décédée. Comment pourrais-je profiter pleinement du contact de Noam alors je saurais mon père seul chez moi ?
Je plonge mon regard dans celui de Noam. Il est tellement...
— Fais gaffe, tu pourrais être cet homme parfait finalement.
— Pas si sûr. Je suis à deux doigts de changer d'avis.
Il m'embrasse chastement avant de me faire signe que mon tramway arrive. Nous ne prendrons pas le même étant donné que nous habitons à des endroits opposés de Sampton.
— N'hésite pas à m'appeler si ça ne va pas, ajoute-il.
Comme à son habitude, il ne se montre pas intrusif. Mais il me fait savoir qu'il est là. Un capharnaüm de pensées se déchaînent dans mon esprit. Il y a tellement de choses que je voudrais lui dire mais aucune n'arrive à prendre une forme cohérente. A défaut de pouvoir lui dire ce que je ressens, je lui saute quasiment au cou, attirant ses lèvres sur les miennes.
A travers ce baiser, j'essaye de lui dire tout ce que je ne comprends pas encore moi-même.
J'aperçois furtivement ses iris intenses alors que je recule et saute dans le tramway.
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