Chapitre 21

J'attends les garçons devant l'immeuble où M. Mann nous a donné rendez-vous. Je suis arrivée un poil en avance. Je déteste être en retard, et avec le temps instable de ces derniers jours, je voulais être sûre de ne pas manquer ce rendez-vous important.

Ce qui n'est pas le cas des garçons, visiblement. Techniquement, ils ne sont pas en retard mais je ne sais pas, j'ai un mauvais pressentiment les concernant.

Au moment même où je me fais cette réflexion, je vois Noam apparaître au coin de la rue. Seul.

Je pensais que Jack serait avec lui... A-t-il eu un empêchement ou nous rejoint-il de son côté ?

Il arrive devant moi avec un grand sourire sur les lèvres. Quelques longues mèches de cheveux bouclés s'élèvent au-dessus de sa tête et je me retiens de soupirer béatement. Il est à tomber.

— Tu es arrivée depuis longtemps ? me demande-t-il.

— Vingt minutes à peu près.

Il écarquille légèrement les yeux. « Un poil en avance » chez moi est un euphémisme.

— Tu sais qu'on a seulement rendez-vous dans quinze minutes ?

— Oui. Je n'aime pas être en retard, m'expliqué-je.

Un air taquin vient imprégner ses traits. Je le vois venir à des kilomètres : il va se foutre de moi. Alors je le coupe avant qu'il ait pu ouvrir la bouche.

— Ne dis pas un mot.

— OK, dit-il en pinçant les lèvres pour retenir un rire et en écartant les bras.

Je me retiens de lui donner un coup. Comment peut-il être si agaçant et drôle à la fois ? Je secoue la tête face à son sourire narquois et je change de sujet.

— Où est Jack ? Il arrive bientôt ?

— Non, il ne viendra pas finalement. Il a eu un petit souci de dernière minute.

Noam ne me donne pas plus de précisions, comme s'il ne souhaitait pas s'étaler sur le sujet.

La tarée en moi hurle « C'EST UN COMPLOT POUR QUE NOAM PUISSE ÊTRE SEUL AVEC TOI ! » mais la rationnelle – qui occupe la plus grande partie de mon esprit – lui caresse doucement le dos et lui dit d'un ton calme « ne t'affole pas, Jack a sûrement un empêchement, ne commence pas à t'imaginer des choses. »

J'acquiesce donc sans chercher à en savoir plus. Je lui indique l'entrée du bâtiment et nous pénétrons à l'intérieur. Je marque un temps d'arrêt. Le hall est particulièrement grandiose. Le plafond est vraiment très haut ce qui donne une impression d'immensité. Les multiples plantes vertes associées aux grandes fresques à motifs floraux peintes au-dessus de nos têtes apportent un côté très exotique à ce hall.

Nous nous dirigeons directement vers l'ascenseur, M. Mann nous ayant déjà donné toutes les indications pour trouver son bureau. Nous attendons avec plusieurs autres personnes et lorsque l'ascenseur ouvre enfin ses portes, nous nous retrouvons vite agglutinés à l'intérieur.

Je me place à côté de Noam mais je suis littéralement collée à lui. Une personne se désigne pour appuyer sur les boutons des différents étages et quand j'entends le nombre d'étages énoncés, je me dis qu'une année aura le temps de s'écouler avant que nous rencontrions M. Mann.

Notre ascension commence et je suis happée par l'odeur corporelle de Noam. Ce qui est, de premier abord, un effluve agréable se révèle être un parfum euphorisant. Il sent divinement bon. Cela n'a rien à voir avec les effluves synthétiques des parfums commercialisés. Je devine que c'est son odeur propre, celle qu'il dégage naturellement. Elle est indescriptible, et je me retiens de me pencher pour le renifler plus à mon aise. Merde alors, ses phéromones me font un effet bœuf.

L'ascenseur s'arrête et une femme derrière moi souhaite descendre. Je me décale du mieux que je peux en empiétant davantage sur l'espace personnel de Noam et je me retrouve alors face à lui. La femme finit par s'extirper mais je n'ai pas le temps de retrouver ma place initiale car déjà, tout le monde est remonté à bord.

Ma poitrine est littéralement à deux centimètres du buste de Noam. Je sens sa respiration contre ma joue alors que je fixe obstinément la paroi de l'ascenseur. Les scientifiques se sont trompés : le cœur est un organe présent dans tout le corps. Comment expliquer le fait que je ressente ses pulsations du haut de ma tête jusqu'à mes orteils sinon ? Il est aussi bruyant que des étudiants bourrés à une soirée.

Noam bouge légèrement ce qui me ramène sur Terre... et me fait lever les yeux vers lui. Il ne me regardait pas mais mon mouvement de tête lui fait baisser la sienne. Nos regards se rencontrent et ses lèvres se relèvent légèrement.

A ce moment, il n'y a pas un soupçon de taquinerie sur son visage. Il fait preuve d'une intensité sérieuse alors que notre échange se prolonge. Si d'habitude ses vannes et sa décontraction me font me sentir très à l'aise en sa présence, je me sens à ce moment toute petite... et intimidée.

J'observe ses iris remarquables afin d'en détecter les moindres détails. Ses pupilles sont entourées d'un ocre doré qui s'assombrit légèrement en allant vers l'extérieur. De petits éclats verts constellent ses iris et je remarque qu'il y en a plus dans le droit. Ses lèvres se retroussent en coin : Noam est tout à fait conscient de mon examen approfondi.

Je me rends alors compte que nous nous fixons depuis plusieurs secondes. Je crois que plusieurs personnes sont descendues mais je n'ai même pas fait attention. Et comme je commence à me sentir gênée, je sors le premier truc qui me passe par la tête.

— Alors, pourquoi Jack n'a pas pu venir ?

Mentionner Jack a l'effet escompté. Le charme est rompu. Noam se racle la gorge et prend quelques secondes avant de me répondre.

— Il avait oublié qu'il travaillait avec un groupe sur un exposé.

Je n'ai pas le temps d'ajouter quoi que ce soit car une voix robotisée annonce notre étage. Nous descendons et nous nous mettons à la recherche du bureau de M. Mann. Nous finissons par la trouver, la porte est ouverte et M. Mann est en pleine conversation.

Il nous aperçoit sur le seuil et nous fait signe de rentrer tout en désignant les deux fauteuils devant son bureau. Nous nous asseyons alors qu'il écourte son appel téléphonique. Il nous adresse ensuite un grand sourire.

— Vous êtes bien les étudiants qui travaillent sur un projet d'éboueur de l'espace ? Je veux être certain avant de commencer.

— C'est bien nous, répond Noam nonchalamment.

M. Mann s'adosse à son fauteuil et croise ses mains devant sa bouche tout en nous observant longuement.

— Je dois avouer que je suis plutôt impressionné. Ça fait bien longtemps que je n'avais plus entendu parler d'un tel projet, et en plus de la part d'étudiants. J'étais assez curieux quand j'ai reçu votre mail.

— Merci beaucoup d'avoir accepté de nous rencontrer, commencé-je. C'est vous qui nous avez donné cette idée en fait. On voudrait avoir votre avis et des conseils si possible.

Je sors tout notre dossier avec les différents documents propres à notre projet et je les tends à M. Mann. Il s'en empare et commence à les feuilleter sans rien ajouter. Je jette un coup d'œil à Noam qui hausse une épaule.

Mon prof ne dit rien tout le temps qu'il parcourt le dossier. Un quart d'heure s'est probablement écoulé lorsqu'il relève enfin la tête.

— Je suis encore plus impressionné. Ce n'est pas encore abouti, mais c'est très prometteur. Vous avez bien pour projet de présenter tout ça au concours ?

— Tout à fait, acquiescé-je.

Un sourire voit le jour sur ses lèvres. Un sourire qui semble le reflet de ses pensées et dont il est le seul à en connaître la teneur.

— Eh bien, j'ai une heure à vous accorder donc on s'y met ?


Lorsque nous ressortons bien plus tard, je n'arrive pas à décoller le sourire que j'ai sur le visage. Une mère et son enfant passent devant nous, et la petite fille m'adresse un drôle de regard lorsqu'elle me voit.

Ce sourire heureux doit davantage ressembler au rictus d'une sociopathe qui terrorise des bambins dans les parcs. Tant pis.

M. Mann nous a donné de précieux conseils et nous a même proposé son aide pour toute la durée du projet. Nous allons essayer de nous débrouiller le plus possible mais je compte bien accepter son offre.

— Rassurée ? demande Noam à ma gauche.

Je détourne mon regard de la petite fille pour me concentrer sur Noam. Je hoche la tête.

— Je suis actuellement dopée à l'adrénaline. Je serais capable de bosser huit heures d'affilée sans m'arrêter.

Mon engouement fait sourire Noam. Un sourire qui me donne un coup au cœur. Je consulte ma montre, histoire de reprendre contenance sans me mettre à rougir. Mon cerveau décide alors que c'est le bon moment pour repenser à notre échange de regards dans l'ascenseur.

Putain, je rougis.

— Je... commencé-je.

— Ça te dit d'aller dans un endroit sympa ? dit Noam au même moment.

Il a sorti ça si subitement que je me demande s'il a réfléchi à ses mots avant de les laisser franchir la barrière de ses lèvres.

C'est le retour de la tarée en moi. Elle balance la rationnelle à l'autre bout de mon esprit tel un cowboy avec son lasso, tout en criant « JE LE SAVAIS ! ». Heureusement, elle n'a pas encore pris le contrôle de mes expressions. Bien que ce soit le branle-bas de combat à l'intérieur de moi, j'arrive à conserver un visage plutôt intrigué.

— Et c'est quoi cette endroit, précisément ?

— Où est l'intérêt de te le dire ?

Je l'observe quelques secondes, pesant le pour et le contre. Il est trop tard pour me rendre à mon cours de boxe, je n'ai donc rien de prévu. Il me donne un coup d'épaule et sa fossette fait son apparition.

— Allez, ça va te plaire.

Je suis en train de perdre mon combat intérieur. La peur est toujours bel et bien présente, mais une douce euphorie prend peu à peu place dans mon cœur. Et c'est pour cette raison que je réponds :

— D'accord. 

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