Chapitre 20

Un peu plus d'une semaine s'est écoulée depuis le moment où Noam m'a vu craquer. Je l'ai à peine aperçu depuis, tout comme Jack. Nos professeurs se sont visiblement passé le mot pour nous accabler tous en même temps de devoirs à rendre et de contrôles sur table. Nous avons donc décidé de faire une pause, le temps que chacun puisse bosser convenablement.

Même si nous étions tous très occupés, Noam a pris le temps de m'envoyer des messages. Nos échanges ont ressemblé à ça la plupart du temps :

Noam : Cherche l'intrus.

Il m'a envoyé plusieurs photos de basketteurs et une seule photo d'un boxeur. Je vous laisse deviner quelle était l'unique personne qui n'était pas à son avantage.

Leigh : C'est pas vrai que tu remets ça.

Noam : Je suis une personne très obstinée.

Leigh : T'es surtout un gros chieur.

Noam : Et toi une emmerdeuse.

J'avais souri bêtement. Il était revenu à la charge avec la photo d'un entremet particulièrement appétissant.

Noam : Tu penses qu'un boxeur est capable de faire ça avec ses doigts boursouflés ?

Leigh : Noam. J'ai une question que j'ai très envie de te poser.

Noam : Vas-y.

Leigh : Elle risque de ramener à la surface des souvenirs d'enfance que tu voudrais probablement oublier... As-tu été tabassé quand tu étais petit ? On peut en parler tu sais. C'est normal d'avoir peur des boxeurs.

Noam : Voilà mon terrible secret révélé au grand jour.

Ces échanges innocents m'ont fait du bien.

J'apprécie le fait qu'il agisse normalement, même après ce que je lui ai confié. J'avais peur que son regard change. Je n'ai rien raconté à Lacy... pas parce que je ne voulais pas me confier mais parce que ce moment était... très intime. Il a pris une place dans mon cœur.

Nous nous dirigeons vers la bibliothèque pour notre réunion de groupe de travail. Nous sommes en mars et nous n'avons plus que quatre semaines avant de rendre notre projet papier. Lacy me fait remarquer que le redoux ne semble pas vouloir pointer le bout de son nez. Elle a raison. Il a neigé la veille en grosse quantité et vu la couleur des nuages au-dessus de nos têtes, ça ne m'étonnerait pas qu'il tombe encore quelques flocons.

Les garçons sont déjà dans la salle quand nous y pénétrons. Lorsque mon regard croise celui de Noam, je sais que quelque chose a changé. Il est l'un des rares à avoir été témoin de ma vulnérabilité et cela me donne l'impression que nous sommes seuls dans la pièce. Lacy prend la parole et le contact visuel se rompt alors.

— Bonne nouvelle les gars, M. Mann a enfin répondu. Je n'y croyais plus.

Nous avions envoyé le mail avec l'adresse de Lacy et nous n'avions eu aucune réponse avant hier.

— Qu'est-ce qu'il dit ? demande Luca.

— Il accepte de nous rencontrer et on n'a pas trop le choix sur l'horaire, c'est ce jeudi à seize heures. Leigh et moi, on n'a pas cours mais je dois aider Max pour un contrôle. Je peux lui dire que j'annule ?

— Non, reste avec Max, je réponds. On n'est pas obligé d'être tous là.

Les garçons consultent leurs emplois du temps.

— J'ai un cours jusqu'à vingt heures, annonce Luca, dépité. Je n'ai plus qu'à emmener mon repas à ce rythme-là.

— Nous on n'a rien, fait Noam. L'entraînement de basket a été exceptionnellement annulé en plus. On peut venir avec toi.

Je hoche la tête puis nous nous mettons au travail. Cette séance est particulièrement éprouvante car nous n'avons pas travaillé la semaine dernière et il nous faut rattraper notre retard. Sans compter que nous le passons à faire des calculs. Je finis par voir trouble et m'assurer que deux et deux font bien quatre sur ma calculatrice.

Mais nous avançons. Nous avons déjà commencé à rédiger certaines éléments essentiels et Luca – qui est plus doué que nous – s'occupe des modélisations sur ordinateur. Nous voyons tout dans les moindres détails et nous nous partageons différentes tâches.

Je crois très fort en ce projet et j'espère que M. Mann sera de bon conseil.

Après deux heures trente de travail acharné, nous retrouvons l'air frais de cette fin d'après-midi.

— C'est moi ou il a encore neigé ? s'interroge Jack qui s'amuse à marcher dans le tapis de neige fraîche.

— Il a encore neigé, affirme Lacy.

— Fais chier. Je vais avoir les godasses toute mouillées, râle-t-il tel un enfant.

— Je peux te prêter des après-ski, Jack, tu le sais, intervient Noam.

Jack se retourne. Son regard passe des après-ski pattes d'ours aux yeux de Noam avant de faire plusieurs aller-retours entre les deux.

— Jamais je ne mettrai mes pieds dans des airbags pour pieds. Jamais.

Lacy et Noam éclatent de rire. Luca suit la scène d'un œil amusé.

— C'est sûr qu'avoir des chaussures qui font aussi office de pédiluve, c'est le pied.

Noam se tourne vers nous, comme pour nous prendre à part.

— Notez le jeu de mot.

A ce moment, il reçoit une énorme boule de neige en plein visage. La surprise s'imprime sur ses traits et une nouvelle lueur – celle de la vengeance – vient s'y ajouter. Il tourne lentement la tête vers Jack, qui rit déjà d'avance. Ce dernier sautille sur place, comme les boxeurs avant un match.

— Allez viens !

— Tu n'es qu'un gosse, sourit Noam mais il se penche déjà pour former une boule de neige.

Il la lance sur Jack mais ce dernier l'esquive sans aucune difficulté. Ils se transforment en l'espace de quelques secondes et se mettent à se courir l'un après l'autre. Le retour en enfance est parfaitement réussi. Lacy regarde la scène d'un air ahuri et amusé.

— Si je m'attendais à voir ça. Deux grands gaillards en train de se balancer de la neige et riant comme s'ils avaient fumé la moquette...

— Je parie que Noam va réussir à en mettre dans le slip de Jack.

Lacy fait semblant de vomir.

— Ne redis plus jamais ce mot. Pour moi, le mot « slip » est associé à « moule-bite ». Je préfère m'abstenir de cette vision d'horreur.

Luca, qui regardait lui aussi la scène avec amusement, nous fait signe qu'il s'en va.

— Je rentre chez moi. Avant qu'ils ne se rendent compte qu'il y a d'autres victimes à faire.

Lacy émet une sorte de rire machiavélique.

— Oh crois-moi, il est dans leur intérêt de ne pas venir me chercher des noises.

— On ne pratique pas tous des arts martiaux.

— Alors fuis mon ami, je te couvre.

Lacy est timbrée. Jack et Noam sont timbrés. En fait, je suis entourée de timbrés. Luca se marre et finit par s'éloigner.

Je me reconcentre sur la scène extraordinaire qui se joue devant nous. Noam et Jack sont essoufflés, leurs joues ont pris une jolie teinte rosée et leurs cheveux sont humides. Jack a tout un stock de boules de neige prêtes à être propulsées. Noam nous jette un coup d'œil et fait un « discret » signe de tête à Jack. Ce dernier hoche la tête.

— Même pas en rêve les gars. Je ne plaisante pas, les prévient Lacy.

— Oui, oui, répond Jack, faussement innocent, alors que Noam le rejoint.

— OK. Du coup, vous tenez plus à vos jambes ou à vos bras ? Il y aura un supplément testicules dans tous les cas.

— On peut tout simplement retourner dans la bibliothèque, chuchoté-je.

— Je sais, me répond-elle sur le même ton. Je veux juste connaître mon degré de persuasion.

— Tes menaces sont particulièrement efficaces. Ils ont très peur, déclaré-je alors que Noam soupèse déjà une boule dans chaque main avec un sourire rusé.

— Pauvres hommes qu'ils sont, soupire Lacy en reculant.

Au même instant, les deux garçons s'avancent pour mieux nous viser mais le scénario ne se déroule pas exactement comme il aurait dû...

Noam glisse en arrière et ses jambes viennent se cogner dans celles de Jack, qui bascule à son tour. C'est là que la situation devient particulièrement cocasse.

Noam tombe le premier. Il s'enfonce dans le tapis de neige et dans un jeu de mains qui s'agitent, Jack vient s'écraser sur lui. Plus précisément, le royal postérieur de cet homme – dont l'âge mental frôle les cinq ans et demi – vient s'abattre sur le visage parfait de Noam.

Pendant deux secondes, la vision est à se tordre de rire. Noam a disparu dans un endroit qu'il n'aurait probablement jamais voulu explorer. Jack se décale aussi rapidement que ses fesses se sont aplaties sur le nez de Noam et ce dernier voit à nouveau la lumière du jour, tout comme nous pouvons voir son expression. Noam est comme figé, les yeux grands ouverts et fixant le ciel, totalement immobile. Avec un tel poids sur la tronche, il aurait dû avoir mal mais peut-être Jack a-t-il pu se retenir avec les mains. Quoi qu'il en soit, Noam ne manifeste aucune douleur physique.

Il finit par se redresser lentement et se tourner vers Jack, qui frotte ses fesses en grognant, visiblement ignorant de l'évènement traumatique qu'a subi Noam. Puis, tout en clignant des yeux, Noam regarde dans notre direction, l'air complètement hagard.

— Vous ne connaitriez pas un bon psy ? Je crois que je vais en faire des cauchemars jusqu'à la fin de mes jours.

— Oh ça va, n'exagère pas, proteste Jack. Il y a pire.

— Jack. Avoir le nez dans un trou du cul sans que ce soit consenti, tu penses qu'il y a pire ?

Et là.

Le miracle se produit.

Il arrive tellement vite que mon corps, mon inconscient, ou quoi que ce soit à l'intérieur de moi, ne peut l'en empêcher.

Un rire sincère, profond, et naturel jaillit de ma poitrine.

Le temps semble s'arrêter pour moi et j'en oublie les autres. Tout ce que je peux faire pour le moment, c'est rire et rire encore. C'est comme si depuis tout ce temps, j'avais à l'intérieur de moi une cage remplie d'oiseaux entassés, qui ne demandaient qu'à sortir. Désormais, la cage est grande ouverte et les oiseaux se sont envolés par milliers. La sensation de rire est libératrice, j'ai le sentiment de revivre à nouveau.

Et alors seulement, je prends conscience de la personne à l'origine de ce cadeau auquel je ne croyais plus.

Noam.

Qui me dévisage avec cette intensité incroyable qui fait battre mon cœur beaucoup trop fort. On dirait qu'il me voit pour la première fois. Alors que mon rire se tarit et qu'il laisse place à mon plus grand sourire, nous échangeons un regard lourd de sens, qui fait écho à ce que j'ai partagé avec lui il y a dix jours.

Lacy se déplace à côté de moi et je me rappelle alors que nous ne sommes pas tous seuls. Je tourne la tête vers elle et son sourire est plus éclatant que jamais. Elle savait que ce problème de rire disparu me bouffait de l'intérieur.

— C'est l'histoire d'un curé, d'un rabbin et d'un imam... commence-t-elle en plaisantant.

Je lui assène une petite tape sur le bras et son sourire s'élargit. Du coin de l'œil, je vois que Noam se relève enfin. Il s'essuie les mains sur son jean trempé.

— Est-ce qu'il faut t'emmener à l'hôpital ? demande Jack à Noam sur un ton taquin.

— Ça ira, éloigne-toi de moi plutôt. On n'est pas à l'abri d'une nouvelle chute.

— T'es sûr ? T'as le nez tout écrasé. Tu viens de perdre soixante pour cent de ton charisme.

— Jack ? intervient Lacy.

Il se tourne vers elle.

— Oui ?

— Tu es épuisant.

Ses lèvres se retroussent en coin. Il en est fier ce con.

— Et tu n'as encore rien vu.

Il fait un signe de tête à Noam.

— On se rentre ? Je me pèle le cul.

Noam hoche la tête, puis son regard vient accrocher le mien. Je ne saurais dire à quoi il pense, ses yeux sont indéchiffrables. Je suis seulement certaine d'une chose : mon cœur tambourine au-delà de sa vitesse normale et ce, chaque fois que Noam est dans les parages.

Plus j'apprends à le connaître, plus mes excuses paraissent futiles.

Noam me plaît de plus en plus. Il a réussi à me faire rire bordel ! Je ne sais pas trop si je suis capable de sortir à nouveau avec un garçon, mais je mentirais en affirmant que je ne voudrais pas essayer avec Noam.

Je ne sais pas trop ce qu'il en est de son côté, mais je commence à me dire que je le regretterai si je n'essayais pas de me laisser aller avec lui... Que ça aille plus loin, ou non. 

***

Voilà un chapitre que j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire :) 

Bon dimanche

Eiouam

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