Chapitre 18

Je tente malgré tout de poursuivre mon chemin mais Elias agrippe mon bras pour me retenir.

— Ne t'excuse pas surtout.

— Comme si tu avais eu mal, Elias.

Je regarde sa main enserrer mon bras bien trop fort.

— Lâche mon bras.

— Tu as mal ? demande-t-il avec un sourire pervers en coin.

Elias a manifestement un coup dans le nez, car même si c'est un gros con, il ne jouerait pas au tyran menaçant et agressif comme il le fait actuellement. Il resserre sa poigne sur mon bras. Evidemment que j'ai mal, mais je réponds par la négative.

— Non.

— Mais c'est que Leigh Flord a des couilles ! s'exclame-t-il bien trop fort.

Par réflexe, j'observe autour de moi si des personnes l'ont entendu. Si à mon arrivée, je m'étais dit de lâcher du lest par rapport à ça, les derniers articles parus sur mon père m'ont rendue de nouveau prudente. Malheureusement, Elias remarque ma crispation et est assez intelligent pour savoir de quoi il retourne. Son sourire s'élargit alors que je tire sur mon bras. Il finit par me lâcher. Je m'apprête à tourner les talons mais ses prochains mots me clouent sur place.

— Tu n'aimes pas qu'on sache qui tu es Leigh ?

J'essaye de jouer la désinvolture, mais trop tard, il a perçu mon effroi et ma crainte dans mon regard avant que je les enfouisse sous une couche de décontraction.

— Tu as raison Elias, j'ai trop peur qu'on découvre mon identité, je mens en jouant la carte du sarcasme.

Je recule pour disparaître dans la foule mais il m'attrape à nouveau le bras. Mon agacement vient de monter en flèche et j'ai une soudaine envie de lui coller mon poing dans la tronche.

— A quoi tu joues ? m'énervé-je en tirant sur mon bras.

Je n'étais pas au bout de mes surprises.

— Hé tout le monde ! hurle-t-il.

J'ai un très mauvais pressentiment. Je prie pour que sa voix se soit perdue dans le bruit de la musique et des conversations, mais beaucoup trop de personnes se retournent. Je savais qu'Elias me détestait, mais je ne savais pas à quel point. Il siffle et attire encore plus l'attention puis il pointe un doigt au-dessus de ma tête et crie :

— Vous saviez que cette fille, c'est Leigh Flord ? Flord comme dans Caroline et Simon Flord !

La surprise traverse certaines personnes, la curiosité pour d'autres, et je déteste dès lors les regards qui se posent sur moi.

— Elle est en deuxième année, en Aérospatiale et je peux vous dire que c'est une vraie connasse !

Elias a un rire mesquin, l'alcool le rend encore plus mauvais.

Mon cœur bat à cent à l'heure et je sens mes oreilles se boucher tellement je me sens humiliée. Quelques personnes froncent les sourcils à ses paroles, d'autres ont l'air amusé. Je ne sais même pas si certains ont remarqué que ses doigts laissaient actuellement des marques sur ma peau. Je ne vois aucune personne que je connais. Elias vient planter son regard dans le mien alors que j'enfonce mes ongles dans sa main.

— Ce n'est qu'une petite pute qui a tout alors qu'elle ne le mérite pas.

Je ne sais pas ce qui me vaut autant de haine mais la suite se passe en un éclair. Je retire mes ongles de sa peau et je lui donne une gifle magistrale. Ses sens sont trop ralentis pour pouvoir m'arrêter. Le bruit de la claque semble se propager dans le reste du bar. Je sais qu'il n'y a qu'une petite partie qui est témoin de cette scène mais il me semble que toute la salle nous regarde, sans rien faire.

La gifle ne lui a pas fait lâcher mon bras pour autant. Au contraire, elle semble l'avoir énervé davantage. Son regard se teinte d'une aura menaçante et je commence réellement à avoir peur. Le temps parait ralentir alors que je le vois lever sa main libre.

Il va me frapper. Il va me frapper devant tout le monde.

Mais heureusement, il existe encore des gens bien en ce monde. Quelques personnes se rapprochent et un type vient s'interposer entre nous.

Je mets quelques secondes avant de reconnaître Noam. Il domine Elias et rapproche un visage crispé et furieux près de lui. Elias me tient toujours le bras mais je ne sais même pas s'il s'en rend compte. Cet abruti et moi sommes les seuls à entendre ce que Noam lui dit d'un ton menaçant.

— Maintenant, tu vas lâcher son bras, tu vas tourner les talons et quitter le bar. Tout de suite.

Ses mots regorgent de promesses peu séduisantes. Ils se toisent l'un l'autre et Elias finit par libérer mon bras avec un sourire narquois.

— T'inquiète mon pote. Je comprends pourquoi tu nous as quittés. Elle est tellement baisable, c'est normal d'essayer.

Ce type est un psychopathe. Noam est tout aussi choqué par ces paroles et je vois à la crispation intense de sa mâchoire et de ses poings qu'il se retient de lui sauter dessus. Mais Noam sait manifestement contrôler ses émotions car il ne se laisse pas envahir par elles.

— T'es un grand malade mon gars, va consulter, dit-il en m'attrapant la main et en me faisant reculer.

Je perçois à peine la sensation de ses mains chaudes et fermes sur les miennes tellement je suis mortifiée par le comportement d'Elias depuis le début de la scène. Plusieurs personnes suivent avec intérêt cette altercation, peut-être dans l'espoir d'y voir des coups pleuvoir, mais d'autres ont l'air estomaqué par l'attitude d'Elias. Finalement, deux types le tirent vers eux avant que ça ne dégénère.

— Mais qu'est-ce que tu foutais mec ? demande l'un d'eux.

— C'est bon, ça va les gars, c'était rien.

Ses deux amis le regardent avec incompréhension. Contrairement à ce que je pensais, ils se dirigent vers la sortie.

Je suis sur le cul.

Je me perds dans mes pensées mais une douce pression sur ma main me ramène à la réalité. Je relève la tête et me perd dans le regard mordoré de Noam. Il fronce les sourcils, visiblement inquiet. Quelques regards s'attardent encore sur nous, ce qui amplifie mon malaise. Noam suit mon regard avant de revenir à moi.

— Est-ce que tu veux qu'on aille ailleurs ? demande-t-il en détachant ses doigts des miens pour venir prendre délicatement mon coude.

Il passe un doigt léger à l'endroit même où Elias a laissé la marque de sa main. Ce simple geste réconfortant me fait frissonner. Avant même que je réponde, il me tire délicatement et m'entraîne dans un coin où nous sommes moins le centre de l'attention. Je finis par retrouver l'usage de la parole, mais je n'arrive pas à remettre en place le masque de la fille détachée.

— Je vais juste aller me rafraichir aux toilettes. C'était ma destination initiale avant que...

Je lisse ma robe de ma main libre pour me donner une contenance, avant de plonger dans son regard à nouveau.

— Merci. D'être intervenu.

— Aucun problème Leigh.

Il continue de caresser mon bras avec son pouce et me fixe d'un regard si intense que je sens une vague de chaleur se diffuser dans tout mon corps, jusqu'à certaines parties... plus intimes. Entre cette histoire d'articles, la myriade d'émotions qui viennent de me traverser, la retombée d'adrénaline et la sensation apaisante des gestes de Noam, je sens mon menton trembler.

— Je vais y aller du coup, annoncé-je pour masquer mon embarras.

— Je t'accompagne.

S'il m'accompagne, il va voir combien cette histoire me bouleverse et que je suis à deux doigts de pleurer. Et probablement aussi le fait que mon attirance pour lui ne cesse de croître... Elle n'est plus seulement physique.

— Ne t'en fais pas Noam. Va plutôt t'amuser. Je crois que j'ai perdu tout sens de la fête pour ce soir.

— Je n'ai pas vraiment envie d'aller m'amuser, dit-il très sérieusement avec une intensité dans le regard que je ne lui avais encore jamais vue.

— Noam... soupiré-je.

— Je t'accompagne Leigh, répète-il.

Je sais que j'ai les larmes au bord des yeux mais je ne détourne pas la tête. Ma vulnérabilité est mise à nue, offerte à son regard. Je ne sais pas qui je cherche à convaincre. Noam ? Moi ? Je ne suis pas bien dans ma peau et je veux me persuader que c'est mieux pour tout le monde si personne ne m'approche de trop près.

— Je pense que tu as remarqué, mais je ne suis pas vraiment de bonne compagnie ces derniers temps. Il est préférable de m'éviter, je file le bourdon à tout le monde.

Noam semble abasourdi par mes propos.

— N'importe quoi. Ce gros porc vient te blesser verbalement et physiquement. Je ne crois pas que ce soit le bon moment pour t'éviter.

Il se rapproche de moi.

— Je n'ai pas du tout envie de t'éviter Leigh.

Je crois que mon cœur a un léger loupé lorsque j'entends ces mots lourds de sens.

— Même si je ne suis pas franchement engageante la plupart du temps ?

Il sourit.

— Crois-le ou non, je t'aime bien.

Moi aussi, je t'aime bien. La phrase se forme dans ma tête mais elle ne franchit pas mes lèvres. Je sais que je pourrais très bien tomber amoureuse d'un garçon comme lui.

Je soupire, et hoche la tête, résignée. J'insiste cependant pour qu'il reste là où il est et je le préviens que je le rejoindrai dans quelques minutes. Je fonce aux toilettes et découvre mon pâle reflet dans un des miroirs.

J'ai les yeux un peu rouges et mon teint – pourtant mat – parait blanc. Je prends quelques feuilles de papier que j'humidifie puis que je me passe sur le visage et dans le cou. Je soulève ma manche au-dessus de mon coude et découvre une énorme trace rouge, là où les doigts d'Elias ont serré ma peau. Je ne devrais pas avoir de bleus mais la douleur reste présente.

Cet incident a eu l'effet d'un coup de massue, la fatigue ayant pris possession de tous mes muscles. Je n'ai envie que d'une chose : retourner chez moi me mettre sous ma couette pour regarder une série.

Lorsque je ressors, je croise Max qui passe la porte des toilettes des garçons. Je ne sais pas ce que ça dit de moi, mais je l'avais complètement oublié... Si mon teint est pâle, le sien tire sur des nuances de vert et de gris. Je le rejoins alors qu'il s'adosse au mur tout en fermant les yeux.

— Je viens de tapisser la cuvette, m'informe-t-il d'une voix pâteuse.

— Je viens de me faire humilier par Elias, ajouté-je en m'appuyant à côté de lui.

Malgré son manque flagrant de force, je perçois une grande irritation dans ses prunelles marron.

— Il a fait quoi ? siffle-t-il.

Totalement lasse, je lui explique brièvement l'incident.

— Putain... soupire-t-il en refermant les yeux. Cette soirée est une franche réussite.

— Ça te dit de rentrer ?

— Avec plaisir. Je ne veux plus gerber dans ces chiottes.

— Ça va aller ? Tu vas réussir à te déplacer sans vomir toutes les deux minutes ?

— J'espère.

Je lui lance un coup d'œil inquiet mais il ajoute :

— Je devrais y arriver. J'habite à deux stations de tram. Je vais peut-être laisser une flaque ou deux sur le chemin... 

Il se met à rire.

— Tel le Petit Poucet.

Je souris.

— Allez viens Petit Poucet, on va prévenir les autres.

Max me suit alors que nous avançons dans le bar bondé, à la recherche de nos amis. Noam n'est plus à l'endroit où je l'ai laissé. Mais je n'ai pas le temps de m'en étonner car je le vois revenir, suivi de près par Lacy, Sydney et Jack. Lacy a l'air furieuse et Sydney fronce les sourcils d'inquiétude.

— Noam est venu nous trouver, explique Lacy sans préambule. Je vais castrer cette tête de bite.

Je jette un coup d'œil à Noam et comprends qu'il était allé chercher du renfort. Les filles semblent être au courant de la scène et j'en suis contente car je ne sais pas si j'aurais eu la force de tout répéter. Mais mon instant de répit aux toilettes m'a permis d'ériger à nouveau cette carapace de fille coriace car je réponds :

— J'ai connu pire.

Je désigne un Max tenant à peine debout.

— On va rentrer. Max est malade et moi je n'ai plus la tête à m'amuser.

— Je viens avec vous, fait Lacy.

— Lacy, il est à peine minuit. Ça va aller.

Je vois dans son regard qu'elle s'inquiète. Elle a peur que je me renferme à cause d'Elias. Je me penche à son oreille pour la rassurer.

— Je ne vais pas laisser un petit merdeux comme Elias me mettre plus bas que terre. Il m'a juste coupé l'envie de m'amuser pour ce soir, mais je te jure que j'aurai repris du poil de la bête dès demain. Reste t'amuser.

Je me recule pour m'adresser à tout le monde cette fois-ci.

— Amusez-vous bien, et ne vous en faites pas pour nous. On vous enverra un message quand on sera arrivé.

— Tu es sûre ? demande Sydney.

— Mais oui ! m'exclamé-je avec un grand sourire que j'espère convaincant.

Lacy et Sydney acquiescent mais Noam ne semble pas être d'accord avec mes paroles. Il observe Max qui semble lutter pour rester éveillé.

— Max va tomber d'un instant à l'autre.

Je passe un bras autour de la taille de Max pour le soutenir.

— Mais non regarde. Je le tiens bien. Je vais m'assurer qu'il arrive à bon port.

Alors que je commence à avancer, Max s'appuie sur moi de tout son poids. Je ne suis pas un poids plume mais Max est plus grand et plus costaud que moi, du coup je commence à basculer sur le côté.

Le chemin du retour va être une pure partie de plaisir.

Avant même que je puisse me redresser, on me libère de cette charge supplémentaire. Noam a passé le bras de Max autour de son cou et le soutient sur le côté.

— Je vous raccompagne, annonce-t-il d'une voix qui ne laisse pas de place à la discussion.

Il s'enfonce dans la foule avec Max, en direction de la sortie avant que je puisse dire quoi que ce soit. Je me tourne vers mes amis pour observer leurs réactions. Jack a un sourire en coin alors qu'il observe son pote disparaitre au loin. Lacy et Sydney ne sont plus dupes également : elles échangent un regard convenu avant de m'adresser un sourire éclatant.

Super. Il est maintenant évident pour tout le monde qu'il y a de la drague dans l'air.

Je souffle imperceptiblement, je fais un dernier signe de la main à mes amis puis je me dirige vers les vestiaires.

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