Chapitre 16

La semaine suivante passe assez vite. Je suis bien trop prise par notre projet pour avoir le temps de penser à mon père. Mais je dois avouer que j'observe du changement. Disons que le silence, qui était jusqu'à maintenant omniprésent, se fait tout doucement remplacer par des bruits du quotidien. L'écran de télé allumé sur des émissions intelligentes, la musique dans la cuisine, l'aspirateur en marche. Mon père n'avait plus fait ces choses depuis un moment.

Ces activités n'ont aucun lien avec son travail, il évite soigneusement l'établis, mais au moins, il s'occupe.

Noam et Jack sont particulièrement distrayants – tant par leur humour que par leurs magnifiques visages. Noam a trouvé une très bonne idée pour notre projet mercredi et nous allons nous pencher très sérieusement dessus et commencer à modéliser sur ordinateur. Il y a une véritable cohésion qui s'installe. Luca nous en apprend énormément avec Lacy et même s'il est assez réservé, il est passionné par ses études et cela se ressent dans ses explications.

Noam et Jack assurent côté mécanique et sont assez pointilleux. Dans le milieu de l'aérospatiale, ce n'est absolument pas une tare, au contraire. Il faut vérifier, revérifier et re revérifier constamment.

Ils s'incrustent dès qu'ils en ont l'occasion, notamment le midi. Je pense que Jack a un véritable faible pour Sydney et que c'est réciproque. Je sais Sydney timide mais je ne pensais pas que Jack le serait également. Syd ne fera jamais le premier pas – elle doit certainement se persuader qu'il n'a pas flashé pour elle – et étonnamment, Jack non plus.

Certes, une cantine remplie d'étudiants n'est certainement pas un endroit propice au rapprochement, mais je ne crois pas qu'ils se parlent en-dehors de ces instants. A défaut de ne pas vouloir de relation, ça ne m'empêche pas de vivre celles des autres par procuration.

Et donc, en ce jeudi midi, notre groupe habituel accueille ses deux invités réguliers. A force, ils vont devenir des membres à part entière. Noam se glisse à mes côtés et ouvre la bouche pour parler mais une voix que je n'avais pas entendue depuis longtemps nous coupe dans notre montée des marches.

— Attendez-moi les gars ! proteste Amanda. Je mange avec vous ce midi, je vous ai même envoyé un message.

Je lève les yeux au ciel, ce qui n'échappe pas à Noam. Son ton est à la limite de l'accusation. Je ne prends pas la peine de regarder mon Numécran, je sais que je n'ai reçu aucun message. Max et Syd vérifient les leurs.

— Amanda, tu as envoyé ton message il y a trois minutes, fait remarquer Max.

— Oui, je sais, désolée, d'un ton qui semble dire le contraire.

Depuis quand tous ses gestes et paroles m'horripilent-ils à ce point ?

Elle remarque enfin la présence de deux nouvelles têtes. Un éclat d'approbation traverse ses yeux lorsqu'elles les dévisagent. Evidemment qu'elle approuve. Si le charisme avait une quelconque influence sur les comportements, Noam et Jack traineraient dans leur sillage des centaines de bonnes femmes à poil.

— Salut, je m'appelle Amanda.

Les garçons se présentent à leur tour, alors que nous entrons dans la cafétéria.

— Et du coup... hésite Amanda en passant de notre groupe à Noam et Jack, pourquoi vous êtes là ?

— Ils font partie de notre projet pour le concours, expliqué-je. Avec Lacy et un autre étudiant en Aérospatiale.

— Oui, je sais que Lacy et toi participez au concours, dit-elle d'un air agacé.

Elle ne fait même plus semblant maintenant. L'épisode du bar a marqué un nouveau tournant. Je vois Noam froncer légèrement les sourcils face à son ton. Personnellement, je ne lui avais pas parlé du concours mais comme elle continue de parler aux autres, c'est sûrement l'un d'entre eux qui l'a mise au courant.

Les garçons nous devancent et Amanda se penche vers Lacy pour être plus discrète mais j'arrive à l'entendre.

— Vous les avez dénichés où ces canons ?

Lacy ralentit et se met à ma hauteur pour m'inclure dans la conversation.

— Grâce à Leigh. Elle a croisé plusieurs fois Noam, qui savait qu'on cherchait quelqu'un. Et comme on connaissait aussi Jack – on avait fait une partie de billard avec eux il y a quelques semaines – on n'a pas eu seulement un, mais deux étudiants en Mécanique.

Je lui adresse un grand sourire tout sauf sincère et Amanda pince les lèvres.

— C'est cool pour vous.

Ma tête ne doit vraiment pas lui revenir.

Amanda rejoint Max au début de la file. Je suis tellement perdue dans mes pensées, lorsque je prends le plateau et les couverts, que je ne remarque la présence de Noam derrière moi qu'au moment où il m'adresse la parole.

— C'est moi où il y a des tensions dans l'air ?

Je ricane.

— Au contraire. C'est le grand amour, dis-je sarcastiquement.

— Une raison particulière ?

Tout simplement mon désintérêt total pour les relations sociales du fait que ma mère soit malade. Ma poitrine se comprime toujours quand je pense à cette période de ma vie. Je ne suis toujours pas à l'aise avec le fait d'en parler mais étonnamment, m'ouvrir légèrement à Noam ne me rebute plus autant qu'au début. Probablement parce que je commence à le connaître.

« M'ouvrir » est un bien grand mot, vu que je ne rentre pas dans les détails :

— L'année dernière, pendant... plusieurs mois, j'ai mis de côté tous mes amis. Les anciens et les nouveaux. Je n'ai jamais eu le temps de créer une véritable amitié avec elle.

Je récupère un potage fumant puis je jette un regard en direction de Noam. Il m'observe attentivement et je sens mon cœur se mettre à tambouriner entre mes côtes. Il reporte son regard au-dessus de ma tête, vers Amanda, avant de le replonger dans le mien.

— Même sans ça, je ne suis pas sûr que vous seriez devenues de grandes amies.

— Probablement pas, dis-je en secouant la tête.

A table, je discute principalement avec Sydney pendant qu'Amanda raconte les dernières nouvelles la concernant, puisque nous ne la voyons pas beaucoup. Elle s'est volontairement placée au centre de notre table et accapare l'attention de Jack et Noam depuis le début du repas. Est-ce que ça m'énerve ? Oh, non, à peine, ce n'est pas comme si j'avais envie de lui balancer le reste de mon potage à la citrouille sur la tête.

Je mets cette excès d'énervement sur le compte de mes règles avant de changer d'avis lorsqu'Amanda déclare :

— Dites, vous avez l'intention d'aller à la soirée ingénieure vendredi prochain ? Sydney n'est pas très à l'aise en soirée et Leigh s'en fiche généralement, mais vous ? ajoute-elle avec un sourire en direction des autres.

Un blanc s'abat sur la table. J'échange un regard avec Syd, assise en face de moi. Elle a rougi et la main qui tient sa fourchette est crispée. Si avant Amanda était plus subtile, elle ne l'est plus. Et cela me pousse à prendre la parole.

— Qu'est-ce que tu cherches Amanda ? A te faire détester ?

— Toujours aussi premier degré à ce que je vois, répond-elle en riant et en remettant ses cheveux derrière ses épaules.

Ça a le don de m'horripiler. Elle utilise toujours l'humour comme excuse.

— Laisse-moi être premier degré alors. Je crois qu'il est temps qu'on soit honnêtes toutes les deux. Tu ne m'apprécies pas. Et je ne t'apprécie pas non plus. Donc à partir de maintenant, j'aimerais que tu m'ignores, que tu gardes tes piques puériles pour toi et que tu ailles emmerder quelqu'un d'autre. De préférence quelqu'un qui n'est pas à cette table.

Lacy et Max m'adressent un sourire d'approbation, ce qui n'échappe pas à Amanda. Sincèrement, je pensais que ce genre d'attitude aurait disparu à la fac mais il faut croire que certaines personnes sont en retard par rapport à d'autres. Je suis persuadée qu'Amanda a beaucoup de qualités mais elle a choisi de ne m'en montrer aucune donc au bout d'un moment, je n'ai plus envie de m'en prendre plein la gueule.

J'ai pris le taureau par les cornes, j'ai dit ce que j'avais à dire et j'espère que l'histoire est bouclée. Mais Amanda n'est pas du genre à rester silencieuse après s'être fait moucher.

— Attends, tu n'exagères pas un peu ?

— Je ne sais pas, à ton avis ?

— J'en pense que tu fais beaucoup de bruit pour rien, mais c'est un trait de famille non ?

Au moment où elle finit sa phrase, je vois dans son regard qu'elle le regrette, ou du moins qu'elle ne voulait pas le dire à voix haute, même si elle le pensait. Je suis au moins rassurée de voir qu'elle a une conscience mais trop tard, le mal est fait. J'ai l'impression qu'un immeuble s'est abattu sur ma tête. Je n'en reviens pas qu'elle ait osé dire ça.

— Sans déconner Amanda, tu aurais vraiment dû la fermer, fait un Max dégoûté.

Je suis terriblement gênée que cette dispute se déroule dans un lieu public, mais surtout devant Noam et Jack. Mon dieu, que doivent-ils penser ? C'est une querelle puérile de collégiennes.

Un sourire las se dessine sur mes lèvres.

— Je crois que tu as tout dit Amanda, dis-je d'une voix calme, enfouissant ma colère au plus profond de moi.

Je récupère ma pomme, je me lève et prend mon plateau, le tout avec nonchalance. Je suis passée maître dans l'art de cacher ce que je ressens. Je m'adresse une dernière fois aux garçons avant de partir.

— A plus les gars, on se reparle sur le groupe de discussion.

Puis je croque tranquillement dans ma pomme et je quitte la cafétéria, comme si de rien n'était.


Lorsque je me dirige vers la salle du cours de boxe, je sens que je vais me dépenser comme jamais ce soir. Je vais très certainement imaginer la tête d'Amanda sur toutes les surfaces que mes gants vont atteindre. Je ne suis pas sûre que ces pensées soient très saines, mais du moment qu'elles restent dans ma tête, elles ne gênent personne.

Je suis très étonnée de voir Cléo lorsque j'entre dans la pièce, puisqu'elle n'est pas venue les fois dernières. Elle me sourit dès qu'elle m'aperçoit et vient à mon encontre.

— Salut Cléo, tu vas bien ? lui demandé-je.

— Oui, merci. Ça va beaucoup mieux.

Elle me donne des nouvelles de son père, qui se fera opérer dans les prochains jours puis qui suivra un traitement de fond. Les médecins sont assez optimistes car le cancer n'est pas généralisé ni invasif. Je suis soulagée d'entendre la positivité dans sa voix. Elle semble en bien meilleure mine.

Notre prof arrive et nous avertit qu'il devra exceptionnellement écourter le cours d'aujourd'hui. Il m'adresse un regard appuyé et je comprends que je ne pourrai pas rester m'entrainer dans la salle. Quitte à travailler moins longtemps, autant y mettre toute mon énergie.

Une heure plus tard, je suis dans le hall du bâtiment et je m'apprête à rentrer chez moi mais mes pieds me conduisent à un autre endroit. J'emprunte le couloir par lequel Jack était arrivé la première fois que je l'ai vu, en direction du gymnase.

Je ne sais pas trop pourquoi je me rends là-bas. Enfin si, j'ai bien une idée : je veux voir Noam. La question est : pourquoi je le veux ?

Je chasse ces interrogations de ma tête au moment où j'arrive devant la double porte qui mène à la grande salle. Je ne suis pas certaine d'avoir le droit d'entrer par-là, donc j'emprunte les escaliers sur ma droite qui donnent accès aux gradins supérieurs. C'est la meilleure solution si je veux éviter d'interrompre l'entrainement – ou me recevoir un ballon en pleine face –, mais surtout si je veux me faire discrète.

Lorsque j'ouvre la porte, je remarque que cette partie-là des gradins est plongée dans le noir. Encore mieux. Je me glisse sur un siège de la dernière rangée et je prie pour ne pas me faire repérer. Il y a deux équipes de joueurs qui s'affrontent et quelques-uns sont assis sur le banc de touche pendant que leur entraineur crie dès qu'il y a une faute.

Noam fait partie de ceux qui jouent. Je l'observe pendant plusieurs minutes et je dois avouer que son aisance naturelle lorsqu'il manipule le ballon ne me laisse pas indifférente. Je n'avais pas vraiment fait attention à lui au match de janvier mais maintenant que je le scrute... ça me rend toute chose.

Bordel, non !

Il faut que je sois honnête avec moi, les choses ont changé maintenant. Je ne peux pas faire comme s'il n'existait pas. Il fait partie du projet, on mange ensemble le midi, bref, nous nous voyons régulièrement. Je peux considérer que nous sommes des amis, à présent.

Je continue de penser que je ne veux pas faire évoluer cette relation vers quelque chose de plus intime. Les problèmes avec mon père et mon deuil restent ma première excuse. Moi qui ai toujours été pudique concernant ma vie privée, ces soucis-là en rajoutent une couche. Ils me rendent méfiante et peu ouverte aux autres et même lorsque la barrière d'une pseudo-confiance est franchie, je ne suis pas du genre à m'étaler.

J'ai également perdu toute confiance en ma capacité d'être intéressante pour les autres. Je ne veux pas que Noam se rende compte que je suis... éteinte et qu'il le regrette. Ceci dit, c'est une fausse excuse. Noam n'a jamais cessé de me manifester de l'attention, et je dois avouer que je me sens bien en sa compagnie. Il a la capacité à me faire oublier mon stress et les pensées bouillonnantes dans ma tête.

Mais la vérité... la vérité pure, c'est que j'ai tout simplement peur.

Je n'ai pas répondu aux avances d'un garçon qui, manifestement, a de l'intérêt pour moi, parce que je suis terrifiée à l'idée de me lancer dans une relation. Noam est charmant, drôle et très gentil mais on n'est pas à l'abri d'une histoire qui finit mal. Je ne sais pas si j'aurai la force d'endurer un cœur brisé.

Rien n'est encore arrivé que je suis déjà pessimiste, mais ces derniers mois m'ont rendue particulièrement mélancolique et j'enfouis tout ça sous une apparence de coriacité.

Alors voilà, je sais qu'au plus profond de moi, j'ai très envie de me lancer tête baissée dans un flirt avec Noam et d'apprendre à le connaître, mais la partie rationnelle de mon esprit a encore le dessus. Mon cœur m'a guidé jusqu'ici mais mon cerveau me pousse à me lever et à déguerpir. Au moment même où je prends cette décision, j'entends le coach siffler et crier :

— OK les gars, ramenez-vous. On débriefe avant que vous puissiez rentrer chez vous.

Je n'attends pas la suite, je rejoins la porte que je franchis sans un regard en arrière et je dévale les escaliers. J'espère quitter le bâtiment avant que les joueurs ne sortent. Au moment où je pose le pied sur la dernière marche, la porte s'ouvre. Je me fige.

C'est Noam, qui a eu le temps d'enfiler un jogging et un sweat. Il a l'air pressé, peut-être va-t-il continuer son chemin sans me... Ah non, son regard se porte sur moi. Un éclat de surprise traverse ses iris noisette.

— Leigh ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Il regarde l'escalier derrière moi et devine d'où je viens. Un sourire en coin apparaît, un brin séducteur.

— Tu es venue me voir jouer ?

Vous voir jouer, le corrigé-je. Jack et toi.

Je n'ai même pas vu si Jack était dans le gymnase. Comme d'habitude, je feins la décontraction mais à cet instant, il dégage une telle confiance que je me demande s'il a toujours cru à mon petit jeu.

— Et alors ?

— Mouais. Pas mal. Je préfère les boxeurs.

Son assurance manifeste me pousse à le titiller. Je descends la dernière marche et je lui fais comprendre que je vais vers la sortie. Il m'emboîte le pas, tout en enfilant sa grosse doudoune couleur citrouille.

— Ah oui, les boxeurs ?

— Oui, les boxeurs.

— Sûrement à cause de leurs muscles.

— En effet.

— Et leur nez cassé peut-être ? C'est tellement sexy un nez cassé. Avec le sang qui coule sur les dents. Miam.

Je tourne ma tête dans sa direction et je comprends à son sourire narquois qu'il va tourner la conversation à son avantage.

— Ou quand leurs yeux sont tellement boursouflés qu'ils ont des têtes de nouveau-nés ? Tu as déjà vu la tête d'un nouveau-né Leigh ?

Un sourire me démange et je hoche la tête.

— Oui, Noam.

— C'est très moche un nouveau-né. Vraiment très vilain. Mais ce n'est pas le propos.

— Et quel est le propos ?

Nous sortons dehors où un vent glacé vient nous souhaiter la bienvenue. Le givre commence à recouvrir le sol.

— Les joueurs de basket sont les sportifs les plus sexy. Loin devant les boxeurs.

— Sexy ? Les joueurs de basket ?

— Tout à fait.

— Avec vos grande guibolles ?

— Tu sais ce qu'on dit des hommes très grands ?

Je vois très bien où il veut en venir. Pourquoi est-il toujours question de pénis avec les mecs ?

— Votre engin est proportionnellement inversé à votre taille. Je vous plains.

Il éclate de rire.

— Plutôt l'inverse, bébé Flord.

Ce surnom dans sa bouche... il n'a pas la même valeur que lorsque c'est Jack qui le dit. Je me sens rougir et je suis contente qu'il fasse nuit noire.

— Alors, reprend-il plus sérieusement, tu as l'air d'aller mieux que ce midi.

Je lui jette un regard en coin, ses yeux contiennent une question.

— Ouais. Je n'aime pas ressasser des choses qui n'en valent pas la peine. Ça fait un souci en moins.

Je me crispe suite à ma dernière phrase. Quelle conne. J'espère que Noam ne va pas rebondir dessus. Je continue de marcher en fixant obstinément la station de tramway. Mais il n'en fait rien. Au contraire, il change de sujet.

— Et du coup, tu vas aller à la soirée ingénieure ?

— Sûrement. Toi aussi ?

— C'est prévu, oui. 

Il commence à se diriger sur la droite.

— Mon logement est par là.

Je le salue et il commence à s'éloigner mais il me rappelle au dernier moment.

— Leigh ?

— Oui ?

— Les joueurs de basket sont au-dessus.

— J'ai peur que tu dormes mal si je réponds non, alors oui.

— J'arriverais à te convaincre.

— On verra ça. 

***

Voilà un nouveau chapitre, qui j'espère vous aura plus ! 

Eiouam. 

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