Chapitre 14

Le lundi midi, Lacy, Max et moi, nous retrouvons Sydney devant notre cafétéria. Nous attendons que Jack, Noam et Luca nous rejoignent. Ce n'est vraiment pas facile de faire coïncider nos emplois du temps donc le meilleur moyen que nous ayons trouvé pour notre première réunion de groupe, c'est ce midi. Ce n'est pas vraie réunion, mais disons une première rencontre avec tous les membres du nouveau groupe.

Sydney lève la tête à notre approche.

— Amanda vient de m'envoyer un message, elle mange avec ses amis de Chimie.

— Tant mieux, lâche un Max des plus honnêtes.

Nous le regardons avec de grands yeux étonnés. C'est la première fois que quelqu'un du groupe dit tout haut ce qu'il pense concernant Amanda, en ne me comptant pas. Mais je n'aurais jamais imaginé que ce serait Max. Il est le gars le plus cool que je connaisse, pas du genre à critiquer qui que ce soit. Il nous en a coupé le sifflet.

— Quoi ? s'étonne-t-il face à notre silence stupéfait. Arrêtez, ne soyez pas choquées. On entend tous les tacles qu'elle balance à Leigh. Personnellement, ça commence à m'énerver.

— Je suis étonnée, c'est tout, dit Lacy. Je pensais que vous étiez super bons copains.

— Ce n'est pas parce que je suis sympa avec tout le monde, que j'apprécie tout le monde. Et c'est toi qu'elle apprécie le plus.

Lacy pose une main gênée sur son front.

— Je l'aimais beaucoup au début mais là...

Elle se tourne vers moi.

— Comment tu fais pour te retenir de la rembarrer Leigh ? Je ne saurais compter le nombre de fois où je me suis empêchée de le faire, mais je me suis dit que ça te mettrait sûrement mal à l'aise.

— Je me suis dit que ça ne valait pas la peine de créer une dispute dans le groupe. Mais si jamais elle dépassait les bornes, je ne me gênerais pas.

— Et quelle jubilation ça a été au bar !

Lacy regarde Max.

— Ah mais attends ! T'es pas au courant toi, t'étais bourré !

Elle lui fait un bref résumé.

— Ça confirme mon point de vue, affirme Max sérieusement. Ses propos sont blessants et ça me donne de moins en moins envie de rester avec elle.

— Elle semble elle-même le vouloir, fait remarquer Sydney. Elle reste de plus en plus souvent avec ses nouveaux amis de Chimie.

— Donc la conclusion de cette conversation, c'est qu'on ne va pas regretter qu'elle s'éloigne de nous ? demande Lacy.

Tous mes amis hochent la tête. Je ne pensais pas que Max et Sydney étaient également gênés par le comportement d'Amanda. Je les embrasserais tellement ils me touchent.

— Du coup, on attend qui précisément ? s'enquiert Max, redevenu tout sourire.

— Noam et Jack, des étudiants en quatrième année de Mécanique et Luca.

Dès que Lacy mentionne Jack, Syd se met à rougir mais je suis la seule qui le remarque. Je ne la fixe pas car je pense que ça la mettrait mal à l'aise. Je ne sais pas pourquoi elle se bloque dès qu'il est question d'un beau garçon qui pourrait faire battre son cœur, mais j'espère qu'elle vaincra cette peur. Il y a beaucoup de filles qui n'ont jamais eu de copain et franchement, ce n'est absolument pas grave. Mais je peux comprendre ce qu'elle doit ressentir.

Notamment dans les soirées d'étudiants, où le flirt et le sexe sont comme une seconde peau pour de nombreux filles et garçons. Sydney doit se sentir comme un poisson hors de l'eau. Et il y a toujours les « qu'en dira-t-on ». Il suffit d'un garçon pas très compréhensif ou d'une fille un peu moqueuse et la confiance en soi s'en retrouve malmenée.

Personnellement, j'ai perdu ma virginité avec mon copain du lycée, lorsque j'étais en terminale. Nous avons rompu l'été avant mon entrée à la fac. Il allait dans une autre université, moi je restais à Sampton alors il était préférable d'en rester là. Autant dire que j'ai passé un super été !

Et puis il y a eu Victor, avec qui j'ai commencé à sortir au début du mois de novembre de ma première année. J'ai aussi couché avec lui, mais cette nouvelle idylle a perdu de sa flamme lorsque l'état de ma mère a empiré. Les deux mois restants de notre relation, nous n'avions plus rien d'un couple.

Alors voilà, même si je ne suis plus vierge, je n'ai pas non plus une expérience folle du sexe. Chacun doit y aller à son rythme, comme il l'entend et sans avoir à se soucier de ce que pensent les gens. Ce qui est très – très – difficile, voire souvent impossible.

Pourtant, ce n'est pas une compétition, on ne devrait pas se comparer les uns les autres. Tomber amoureux, avoir des relations intimes, c'est strictement personnel. Il n'y aucune date de péremption qui dit « Si tu n'as jamais eu de copain ou de relations sexuelles avant tes vingt ans, tu es une merde ».

Malgré ça, c'est difficile de faire disparaître ce qu'on ressent à l'intérieur.

Je finis par me reconcentrer sur la conversation avant de partir en guerre contre les normes sociales. Max explique que Luca l'aide beaucoup aux cours de soutien et qu'il est curieux de rencontrer deux nouvelles têtes.

— Ça manque de testostérone dans cette bande, conclut-il.

— Tu vas peut-être les reconnaître, déclaré-je. Ils faisaient partie des joueurs de basket au match qu'on est allé voir en janvier.

Il hoche la tête, l'air d'approuver, alors que Luca arrive en premier. Il nous salue poliment et peu de temps après, nous voyons débarquer notre duo infernal. Jack nous fait de grands signes de la main – une marque de fabrique apparemment – et Noam dénote dans ce paysage gris et blanc avec sa doudoune orange et ses après-ski « pattes d'ours ». Comment fait-il pour que son sex-appeal n'en soit pas entaché ? Il respire la décontraction et l'assurance.

— Bébé Flord, me salue Jack, t'as l'air en forme.

— Merci Jack, toi aussi, je réponds avec un sourire sincère.

Sa bonne humeur est contagieuse. Il a l'œil vif et le sourire éclatant. Jack fait partie de ces types à la beauté naturelle et rafraîchissante.

Oui. Rafraîchissante.

Dans le sens où il n'a pas besoin d'artifices pour être beau. Il est tellement spontané et joyeux qu'on a immédiatement envie de sourire dès qu'on le voit. Je croise le regard de Noam qui hausse les épaules l'air de dire « il est tout le temps comme ça ». La tête blonde de Jack s'oriente vers le reste de la bande et ses yeux verts en amande viennent se poser sur Sydney qui tripote l'anse de son sac.

— Salut. Il me semble qu'on s'est déjà vus au bar.

— Oui. Je suis Sydney, dit-elle timidement.

Jack lui sourit en retour, se tourne vers Max qui se présente également, puis vers Luca à qui il sert la main. Lorsqu'il se recule, je ne rate pas son nouveau coup d'œil en direction de Sydney. Noam se présente à son tour et nous entrons dans l'air chaud et parfumé de la cafétéria.

Lorsque nous attendons pour les plats, il se passe un moment magique.

— Bonjour Jacqueline ! s'exclame Jack devant nous. Vous allez bien aujourd'hui ?

— Merci Jack, ça va, lui répond la dame qui s'occupe du service des plats avec un grand sourire.

— Alors qu'est-ce que vous avez à me proposer de bon aujourd'hui ? J'ai une faim d'ogre.

Elle lui fait une rapide présentation des nombreux plats proposés.

— Mmh... hésite Jack. Je vais prendre un peu de chaque.

— Tu sais que ce n'est pas très équilibré tout ça non ? tente de le raisonner Jacqueline, mais elle commence déjà à remplir l'assiette.

— Je suis un garçon en pleine croissance ! assure-t-il vigoureusement. Je savais qu'on serait sur la même longueur d'onde Jacqueline, on porte presque le même prénom !

C'est un gosse. Un véritable gosse. Lacy, qui est juste devant moi, se retourne avec des yeux écarquillés et un sourire mi-figé, mi-émerveillé. Elle s'adresse à Noam, qui est derrière moi.

— Ton pote est dingo.

Il éclate de rire.

— Crois-moi je le sais. Ce n'est qu'un vague aperçu de ce qu'il est au quotidien.

Nous nous retournons de concert pour l'observer à nouveau.

— Non mais regardez-moi ça, ajouté-je en voyant Jack attraper une assiette qui déborde de tous côtés. La huitième merveille du monde, juste sous nos yeux.

Noam nous adresse un sourire complice.

— Vous voulez jouer ?

Il désigne Jack de la tête.

— Je parie un repas qu'il va aller se resservir.

— Je parie qu'il ne va pas finir son assiette, enchaîne Lacy. Même si j'en doute fort.

Ils tournent tous les deux leurs têtes vers moi, attendant ma proposition.

— Je parie sur un petit vomito.

Ils éclatent de rire alors que nous avançons vers les plats. Lorsque nous nous posons à une table, c'est au tour de Max de faire un commentaire sur l'assiette de Jack.

— Mec, tes mélanges de bouffe, c'est pas possible... Qui prend à la fois des nouilles au bœuf, de la purée courgettes-aubergines et un velouté moléculaire au roquefort ?

Il s'interrompt en fronçant les sourcils et montre du doigt un coin de l'assiette.

— Attends, c'est le gratin de crustacés que je vois-là ?

Jack ramène son assiette vers lui, comme pour la protéger.

— J'aime manger. Point barre.

Sydney observe sa propre assiette et j'y vois un autre mélange peu glorieux. On dirait qu'ils se sont bien trouvés ces deux-là.

Après quelques échanges entre toute la tablée au début du repas, Max et Sydney finissent par discuter en tête-à-tête pendant que nous nous organisons pour le projet. Il s'avère que nos emplois du temps ne coïncident qu'à deux moments : les lundis et mercredis après nos cours. Nous décidons donc de bloquer tous ces créneaux et de réserver des salles de travail à la bibliothèque.

Je fais part à Noam et Jack de notre idée de satellite éboueur. Jack est très enthousiaste, ce qui ne m'étonne pas. En revanche, Noam m'observe pensivement, sans faire de remarque.

— Alors, tu en penses quoi ? insiste Lacy.

— C'est... du génie, finit-il par dire. Le parfait mélange entre innovation et écologie, en-dehors de la Terre. C'est un projet qui se démarque, on ne peut pas dire le contraire.

— C'est ce que j'ai pensé également, intervient Luca.

— Génial, dis-je avec un grand sourire. Mercredi, ça serait bien qu'on fasse une mise en commun. Si chacun d'entre vous pouvait aller chercher tous les travaux qui ont été publiés sur le sujet depuis cent ans. On n'a qu'à se répartir les décennies et ne vous embêtez pas avec des études aux faibles preuves scientifiques. Et si vous avez des idées, notez-les.

— Quoi que tu dises, je te suis bébé Flord, approuve Jack.

Je souris et trouve le regard de Noam qui me fixait déjà. Il a un petit sourire en coin, de ceux qui sont le reflet des pensées. Le sien possède un soupçon de défi, probablement face à l'ampleur du travail qui nous attend.

J'ai toute confiance en ce nouveau groupe.


Lorsque j'arrive à la maison en fin de journée, je surprends une conversation dans la cuisine. John Fredericks, ami et actuellement patron provisoire de la boîte, s'adresse à papa. Ils ne m'ont pas entendue rentrer, donc je reste discrètement dans le couloir pour écouter aux portes. Quelle vilaine fille.

— Je sais que tu ne te sens pas encore prêt Simon, mais tu ne vas vraiment pas avoir le choix. Il va falloir que tu reviennes travailler.

Mon père répond par un grognement.

— Et qu'est-ce que j'y ferai hein ? Je n'ai plus aucune inspiration. Si c'est pour rester immobile derrière mon bureau et croiser le regard de pitié des employés, je ne préfère pas.

— Tu ne comprends pas. Les investisseurs commencent à me mettre la pression. Nous sommes une grosse entreprise avec de nombreux employés. Mais si nous ne proposons rien de nouveau, ils vont réduire leur financement. Nous devrons nous séparer de certaines personnes... C'est ce que tu veux ?

— Bien sûr que non, mais je ne peux pas revenir du jour au lendemain. Je ne m'en sens pas capable.

— Ecoute, je vais rassurer les investisseurs. Ce que je te propose, c'est de revenir progressivement. A commencer par la soirée des sélectionnés pour le concours, qui aura lieu en avril. D'ici là, tu as le temps de te préparer. Est-ce que ça te convient ?

— Est-ce que j'ai vraiment le choix ?

— Je suis désolé, Simon. Je sais combien c'est difficile.

Suite au décès, les médias se sont peu à peu calmés mais le déclin de mon père est resté un os à se mettre sous la dent.

Les journalistes ne savent plus quoi inventer alors ils spéculent. Une écervelée s'est une fois permise de dire en direct : « Une personne telle que Simon Flord ne peut se permettre de disparaître pour un simple deuil. Il y a forcément autre chose. »

Comment peut-on oser dire ça à la télé, sans rire ? Comment peut-on se permettre de critiquer la façon dont les personnes gèrent leur chagrin ? Et puis quoi ? Parce que mon père est célèbre, il devrait étouffer ses sentiments et revenir travailler le lundi comme si de rien n'était ? Alors oui, mon père n'est pas parfait. Il n'arrive pas à faire son deuil et oublie souvent qu'il a une fille mais en aucun cas je le jugerai sur le fait de délaisser son travail le temps de se remettre sur pieds.

J'estime qu'il en a assez fait pour la communauté ces dernières années.

On le sait, le mode de vie a irrévocablement changé depuis deux cents ans. L'architecture en accord avec son écosystème a remplacé les maisons et les édifices surconsommateurs d'énergie. Le but était de libérer de l'espace pour avoir davantage de place pour les champs, pour le développement des énergies solaire, éolienne et hydraulique mais aussi pour laisser la nature reprendre ses droits dans des lieux où elle avait été maltraitée.

A Sampton, c'est l'énergie hydraulique qui est mise en avant. Il faut dire que la pluie s'invite régulièrement, et nous avons également de nombreux lacs et rivières. Tous nos immeubles sont en harmonie avec la nature, et sont à la fois semblables et différents les uns des autres. Les grandes tours côtoient les édifices plus allongés, les toits débordent de serres et de fleurs, les multiples espèces d'arbres et d'arbustes se marient aux balcons et aux trottoirs, et les tramways survolent ou plongent dans les entrailles de la ville. De larges passerelles joignent certains bâtiments les uns aux autres et sont également les points d'entrée des Dirigeables.

Mon père a énormément contribué au développement de notre ville. Même si ce n'est plus le cas aujourd'hui, je suis contente que John n'ait pas lâché la barque et qu'il soutienne mon père durant cette période difficile. Ses paroles ont l'air d'avoir beaucoup d'effet.

Je sais que papa est très attaché à ses employés et cette histoire d'investisseurs est un nouveau coup de pouce pour qu'il se remotive. Même si mon père prétend qu'il a perdu son inspiration, je suis persuadée que retourner dans les locaux de l'entreprise et échanger avec les employés serait très bénéfique pour lui.

Je choisis ce moment pour me manifester. Je rouvre la porte d'entrée, la claque un peu plus fort et je m'avance dans la pièce. Je salue John d'un ton que j'espère surpris.

— Bonjour Leigh, me sourit-il.

— Tout va bien ?

John lance un coup d'œil à mon père avant de revenir à moi.

— Ça peut aller, pour le moment, répond-il honnêtement.

— Je voulais justement te voir. Je me suis inscrite au concours.

Un grand sourire étire les lèvres de l'associé de mon père. Si seulement mon père avait eu cette réaction. Je l'observe furtivement. Contrairement à ce que je pensais, il me dévisage et je ne vois pas l'ombre d'un éclat de colère sur son visage. Il a toujours cet air fatigué et lassé, mais étrangement, il a meilleur mine. J'accorde de nouveau mon intention à John lorsqu'il me félicite.

— Génial Leigh ! C'est vraiment super.

— Je me suis inscrite sous un autre nom. Si nous sommes sélectionnés, les journalistes ne pourront pas se servir de ça pour diffuser une énième rumeur.

— Tu as bien fait.

John reste encore quelques minutes pour terminer son café, puis il prend congé et nous laisse en tête à tête. Comme je n'adresse toujours aucun mot à mon père, je m'apprête à rejoindre ma chambre mais il me prend de court lorsqu'il me demande :

— Il va porter sur quoi ton projet ?

Il a parlé d'une voix douce, sincère, sans aucune trace de dégoût ou de colère.

— Un satellite éboueur. Pour nettoyer les débris spatiaux.

Il hausse les sourcils d'étonnement.

— Ouah. C'est un beau projet.

— Merci. Il faut justement que j'aille travailler dessus.

Je lui adresse un dernier sourire avant de quitter la pièce. Avant notre dispute, j'aurais tenté de pousser ce rapprochement en proposant de manger ensemble ou de passer la soirée à regarder un film. Mais je n'en ai pas envie. J'ai peur de ressentir encore cet espoir, avant de m'apercevoir que ce n'était qu'un passage avant qu'il ne retourne s'enfermer dans sa chambre.

Je fais exprès de pousser le bouchon. J'ai essayé la manière douce, en lui laissant du temps et en faisant comme si son comportement ne m'atteignait pas, mais ce n'était pas lui rendre service. En tout cas plus à la fin.

J'aime mon père très fort. S'il faut que je l'ignore pour qu'il puisse avancer, je continuerai. J'attends qu'il fasse le premier pas. Sa question sur mon projet y ressemble, mais comme je le disais, je ne veux pas avoir une fausse joie.

Je file dans ma chambre pour travailler plusieurs matières, puis je me penche sur mes recherches pour le projet. 

***

Et voilà un nouveau chapitre ! 

J'aimerais beaucoup avoir vos avis sur mes personnages secondaires : 

Lacy ? Jack ? Sydney ? Max ? 

Est-ce que je dois retravailler certaines choses ? 

Eiouam. 

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