Chapitre 10

Deux semaines plus tard, nous avons réussi à recruter Cléo, qui a tout de suite accepté lorsque je lui ai parlé du projet, et Luca, un étudiant de quatrième année en Aérospatiale, qui nous a été suggéré par Max. Il va au groupe de soutien pour certains cours et Luca en est tuteur. Accompagnée de Lacy, je suis allée à son encontre à la fin d'un des cours de Max, qui nous a présentées.

Je connaissais assez bien Cléo avant de lui demander d'entrer dans un tel projet. A force de discuter avec elle durant les cours de boxe, j'ai appris qu'elle faisait partie des dix meilleurs de sa promo. En plus d'être une fille intelligente, elle est très sympathique et futée, ce qui m'a conforté dans mon idée.

En revanche, je ne savais rien de Luca. Il s'avère être un étudiant discret et sérieux avec le cerveau d'Einstein. Et modeste en plus de ça. Nous avons eu un bon feeling dès le départ et, bien que Luca soit déjà surchargé par ses propres cours, les cours de soutien, et plusieurs jours de stages dans l'année, il a accepté de faire partie du projet.

Nous voilà donc, quatuor de choc, à patienter dans une salle en attendant de nous inscrire. Ce projet va nous prendre beaucoup de notre temps mais nous sommes tous prêts à y mettre toute notre énergie.

Je ne cesse de penser à papa, qui n'a toujours pas manifesté un signe d'intérêt concernant le travail ou le concours. Je l'ai à peine vu ces deux dernières semaines. Comment va-t-il réagir quand je lui annoncerai la nouvelle ? Même s'il me porte peu d'attention – quasiment aucune en fait – j'ai l'espoir qu'il s'intéresse à ce concours, au moins pour moi.

En attendant notre tour – chaque personne ou groupe est reçu personnellement pour valider le dossier –, je me plante devant le panneau d'affichage numérique où de nombreuses annonces ont été publiées, par des étudiants, des associations ou des profs.

Un message d'association attire mon attention et je l'agrandis avec mes doigts. J'avais bien lu. Ces gens proposent de s'essayer au théâtre... nu ! Ils vont même jusqu'à nous demander de cliquer sur un lien pour pouvoir y admirer certaines photos des pièces représentées.

— Tu projettes de te lancer dans le nu ? demande une voix grave et taquine sur ma gauche.

Je sursaute et suis encore davantage surprise quand je découvre à qui appartient cette voix. Noam Cray m'adresse un sourire authentique et éclatant.

— A vrai dire, j'en ai fait l'an dernier mais voir des quéquettes à longueur de temps, ça devient lassant, je réponds sérieusement.

Je suis choquée de ma réponse totalement spontanée et inappropriée. Cet humour décalé, je croyais l'avoir perdu depuis la mort de ma mère mais il vient à l'instant de prendre les commandes de ma bouche. Je n'ai pas du tout réfléchi avant de parler.

Et il a l'effet escompté. Noam éclate d'un rire franc et caverneux.

— Si je m'y attendais !

Je hausse une épaule mais je lis dans son regard qu'il a saisi mon second degré. Je repère Jack derrière lui, en train de discuter avec Lacy et mes deux nouveaux coéquipiers.

— Tu viens t'inscrire pour le concours ? me demande Noam.

— Oui, vous aussi ?

— On attend trois autres personnes avant de sceller notre destin.

— Alors... les bonnes manières veulent que je te souhaite bonne chance.

— Et les mauvaises ? fait Noam en appuyant une épaule contre le mur et en plissant ses yeux marron doré d'un air taquin.

— Je ne crois pas que tu veuilles vraiment le savoir, annoncé-je, un sourire sardonique aux lèvres.

Noam m'observe plusieurs secondes avec attention.

— Je sens que ce concours sera plus intéressant que prévu finalement.

— Ça dépend. Si votre projet consiste en un détournement de robot ménager, je ne suis pas sûre que vous alliez très loin.

Ses sourcils bruns se froncent d'incompréhension avant que ses yeux ne s'illuminent sous le coup des souvenirs. Son regard se fait d'un coup plus charmeur.

— Je ne savais pas que je t'avais déjà laissé une si bonne impression.

Je hausse les sourcils et lui coule un regard que j'espère blasé, ce qui le fait rire.

— D'ailleurs, tu ne m'as précisé dans quel domaine tu étais ? ajoute-t-il.

Je n'aime toujours pas donner des détails mais ça serait vraiment ridicule de continuer à le cacher.

— Aérospatiale. Deuxième année.

— Ouah, murmure Noam, impressionné. Je sais que c'est très difficile d'être sélectionné alors bravo à toi.

Je m'apprête à le remercier lorsqu'une voix perçante d'homme vient nous assaillir les oreilles.

— Fais chier les gars, il y a déjà une équipe avant nous ! Tout le monde s'est donné le mot ou quoi ? Je n'ai pas que ça à faire moi !

Lorsque je vois la personne qui parle, je cherche à me cacher derrière Noam. Il ne manquait plus que lui. Malheureusement, se cacher est inutile. La pièce est bien trop petite et je devrai quand même passer devant lui pour aller m'inscrire.

Plus de quinze mille étudiants ingénieurs, toutes promos confondues, et il faut que je tombe sur ce con d'Elias Cromwell.

Il s'était rapproché de moi en première année, et avait prétendu être mon ami, mais ses intentions ne suivaient qu'un seul objectif : obtenir un stage dans l'entreprise de mes parents. Le pauvre garçon ne savait pas à qui il avait à faire. Il m'avait prise pour une brebis naïve qui ne comprendrait pas son petit jeu alors que je voyais venir des personnes du même acabit à des kilomètres. Le pire ? Son égo surdimensionné n'avait pas supporté que je coupe tout contact. Les insultes fleuries avaient été mon lot quotidien avant que je le menace de lui fermer toutes les portes des entreprises pouvant accueillir des stagiaires. Je n'avais ni le pouvoir ni l'influence pour une telle chose mais Elias y avait cru, et il m'avait laissé tranquille.

Je croise le regard, légèrement vindicatif, de Lacy mais le contact est coupé lorsqu'Elias s'avance entre nous. Il jette un coup d'œil dans ma direction et me reconnait dans la seconde. Il s'arrête, me lance un sourire fourbe et une pointe de perversité traversent ses iris bruns. Son regard s'attarde sur Noam et je devine sans l'ombre d'un doute qu'Elias est une des trois personnes avec qui Noam va travailler tout le restant de l'année.

J'ai le goût de la déception sur la langue. Comment un type charmant comme Noam peut-il s'engager dans un projet avec un crétin comme Elias ?

— Noam, je ne savais pas que tu connaissais la petite Flord, fait Elias, mielleux.

— Flord ? demande Noam, sincèrement surpris en me jetant un coup d'œil.

Malheureusement, je me suis renfermée comme une huître. A quoi bon répondre, je sais qu'Elias va s'en charger dans tous les cas, et prendre un malin plaisir à le faire. Il me désigne d'un geste dédaigneux du bras.

— Leigh Flord. La fille de Simon et Caroline Flord. Elle t'a dit qu'elle avait été prise en Aérospatiale ? Une aide de papounet, bien entendu.

Je serre les dents et le laisse déverser sa bile. Je pourrais me défendre mais je veux montrer aux personnes présentes dans cette pièce quel genre de pourriture il est.

— Toujours à péter plus haut que son cul, à sélectionner ses amis, à viser le haut du panier. On n'est jamais assez bien pour une Flord. Parce que ma tête ne lui revenait pas, elle a menacé de me fermer toutes les portes des entreprises pour les stages.

Il se rapproche et plante son regard haineux dans le mien.

— Tu veux que je te dise ? Tu n'es qu'une garce prétentieuse.

— Eh Elias, c'est bon là, s'interpose Noam qui tente de calmer le jeu.

— Non laisse, interviens-je sans le regarder, en accordant toute mon attention au type devant moi. Tu as fini Elias ?

Il ouvre la bouche pour répliquer mais je poursuis avant qu'il en est l'occasion.

— Tu sais quoi ? La garce prétentieuse, elle en voit passer régulièrement des insultes comme les tiennes. Elles ne me font plus ni chaud ni froid. Alors ton caprice de petit enfant malheureux, je vais m'en passer. Si tu n'es pas content, va te plaindre à ta mère. Au moins toi, tu en as une.

Je le contourne pour rejoindre Lacy, Cléo et Luca, qui ont suivi cet échange avec sidération. Je sens Elias me suivre du regard et je pourrais presque le voir ouvrir la bouche pour enchérir. C'est sans compter sur mon ange gardien à la grande gueule. Lacy s'avance, le doigt levé.

— Eh ducon, ne pense même pas à rouvrir la bouche. A moi les insultes, ça m'horripile alors si je ne vois ne serait-ce que tes lèvres bouger, je viens t'éclater la gueule. Et au cas où tu en douterais, je pratique plusieurs arts martiaux donc si tu as envie de garder ton ossature d'homo sapiens arriéré, je te conseille de te la fermer.

Lacy ressemble à une guerrière amazone, elle est aussi belle qu'effrayante avec ses yeux bleu ciel qui brillent de colère et ses joues rouges. Heureusement, elle n'a pas à mettre en pratique ses menaces, car au même moment, la porte du bureau des inscriptions s'ouvre et le précédent groupe en sort.

Je ne regarde pas en arrière et je m'engouffre dans le bureau avec mon équipe.


Durant toute la durée de l'entretien, j'ai été perdue dans mes pensées. J'ai menti à Elias. J'arrive à passer au-dessus de certaines choses, mais ça ne m'empêche pas d'être blessée de temps en temps. Je me suis repassée en boucle l'échange que nous avons eu quelques minutes plus tôt avant de décréter que je ne pouvais plus m'y attarder. Elias n'a dit que des choses fausses, il faut que je les oublie.

J'essaye aussi de ne pas trop penser au fait que Noam côtoie Elias. Ma mauvaise foi me dit que c'est une excuse supplémentaire pour ne pas le connaître davantage mais au fond de moi, je suis déçue.

L'entretien se termine – notre dossier est accepté – et nous sommes poliment congédiés. J'ai décidé de m'inscrire sous un autre nom de famille. Je préfère éviter toute possibilité de critiques. Ma véritable identité est bien enregistrée mais elle restera privée.

Lorsque nous sortons, le groupe d'Elias est toujours présent mais étonnamment, Noam et Jack sont un peu en recul. Elias fait une remarque que nous n'entendons pas et les deux autres garçons ricanent. J'ignore ces gamins, je fais un signe de tête discret en direction de Noam et Jack – car il serait carrément dédaigneux de les ignorer également – puis je sors dans le froid glacial de cette fin de janvier. La neige s'est remise à tomber en épais flocons depuis le début de l'après-midi.

— Je n'arrive pas à croire qu'il t'ait dit ça ! explose Lacy lorsque nous sommes loin du bâtiment. Mais quel goujat !

Luca remonte ses lunettes de vue d'un air gêné et Cléo ne semble plus savoir où se mettre tandis que nous nous enfonçons dans le tapis de neige.

— Je suis désolée, m'excusé-je. C'était un garçon de notre groupe en première année. Ce qu'il a raconté était faux. Enfin, la partie où je l'ai menacé était vraie mais c'est parce qu'il m'insultait à longueur de journée.

— Mais pourquoi ? demande Cléo.

— Ce connard s'est mis à nous coller dès que les gens ont commencé à savoir qui elle était ! répond Lacy. Il espérait s'en servir pour obtenir un stage.

— C'est la seule personne de cette université qui ait été aussi agressive avec moi. Je m'excuse sincèrement que vous ayez assisté à cette dispute puérile. J'espère que vous avez toujours envie de travailler avec nous.

— Pour ma part il n'y a aucun souci, répond calmement Luca. Sinon, je ne me serais pas inscrit.

— Je t'apprécie beaucoup Leigh, me sourit Cléo. Je te fais confiance concernant ce type. Aucun problème non plus de mon côté.

— J'aurais dû lui péter une ou deux dents, rumine Lacy, qui n'est toujours pas passée à autre chose.

Cléo éclate de rire tandis qu'un discret sourire voit le jour sur les lèvres de Luca. J'aime bien ce petit groupe que nous formons. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top