Chapitre 6 : A quick peep

Asher

Je frappe comme un fou à la porte du tsar. Lorsqu'émerge sur le seuil ce qui ne peut être qu'une vue de mon esprit, une hallucination issue de l'un de mes rêves les plus loufoques, mon poing reste suspendu en l'air. Je découvre Arkady comme personne ne l'a jamais vu, pire, comme personne n'a jamais été capable de l'imaginer. Cheveux blonds ébouriffés, chemise blanche à moitié ouverte, sueur dégoulinant sur la peau de son torse, traces de peinture sur les vêtements, le front, les doigts, partout, de la peinture partout. Ce spectacle est si inattendu, bordel, si presque fabuleux, que j'en demeure bouche bée pendant de longues secondes.

« Bon sang, Dandy, je finis par pouffer, ma parole, mais tu es une loque ! » Il reboutonne sa chemise à la va-vite. Mal. N'importe comment, en réalité. « Tu te mets dans cet état à chaque fois que tu peins ? »

Je me hisse sur la pointe des pieds pour tenter de voir par-dessus sa silhouette débraillée et me faire une idée de l'ampleur de la catastrophe, à l'intérieur de son atelier. Espérant même apercevoir des fragments de ses toiles. Il pousse le battant de la porte pour en dissimuler la majeure partie.

« C'est à quel sujet ?

— Les autres sont au courant ? Enfin, je veux dire, ils savent, que tu es capable d'un tel laisser-aller ? Non, non, sérieusement. Tu as conscience que tu es pieds nus, là, et que ton petit orteil est violet ?

— Asher ! »

Il gronde, et le son provient du plus profond de ses entrailles. Un jour il faudra que je lui demande comment il fait, pour produire de telles vibrations, cela pourrait me servir pour un rôle. Pas maintenant, bien sûr. Maintenant, la créature fabuleuse s'est muée en bête féroce, ce qui coupe court à mes envies de plaisanter. De toute façon, je n'étais pas venu pour rire. J'ai une annonce des plus sérieuses à faire.

« C'est à quel sujet ? », répète-t-il, et cette fois les mots sont des pièces détachées qui forment vaguement un tout, filtrées par ses lèvres pincées.

Je crois bien qu'il s'efforce de ne pas me montrer que ses dents se sont vraiment changées en crocs.

« Veronica est à l'infirmerie. »

Avant de partir, il réclame cinq minutes pour se laver et se changer. Et me fait jurer sur ma vie de ne jamais révéler à personne son secret.

***

Paula

Nous nous sommes tous précipités à l'infirmerie dès que la nouvelle est tombée. Tous, sauf Shelby.

« Vous êtes sûrs, qu'elle est au courant ? », interroge Asher pour la cinquième fois et de nos trois voix en parfaite harmonie, nous l'implorons de se taire.

Miss Joseph, l'infirmière, nous a demandé de patienter à l'extérieur il y a environ cinq, non, six Dancing Barefoot, que je chantonne à part moi depuis tout ce temps [1]. C'est la faute de Soufiane, si j'ai cet air en tête. Depuis tout à l'heure, il tourne en rond, il spins so ceaselessly [2]. Son agitation nous prend presque par surprise. D'ordinaire il ne connaît pas la peur, ne tremble devant une tornade que lorsqu'Asher se trouve piégé au cœur du tourbillon. Alors, il s'inquiète. Et puis se désagrège. Son teint devient spectral, ses yeux s'éteignent, ses jambes le traînent d'un bout à l'autre du monde jusqu'à ce qu'il trouve une solution. Mais voilà qu'aujourd'hui, il semble se tourmenter presque autant. Pour quelqu'un d'autre.

Quand j'ai réalisé que nous resterions ainsi longtemps, testant notre endurance, je me suis assise par terre, le dos contre le mur, et Arkady n'a pas tardé à m'imiter. Je crois qu'il a eu peur que je n'aie soudain l'air ridicule, seule dans cette position de bohémienne. Il peine encore à le comprendre : à moi, peu m'importe bien d'être ridicule. Je troquerai jusqu'au baisser de rideau des fragments de mon orgueil contre des miettes de magie. Au bout d'un moment, néanmoins, je ne supporte plus cette ambiance pesante. Some strange music draws me in, makes me come like a heroine, et je bondis sur mes pieds pour aller tambouriner à la porte jusqu'à ce que quelqu'un daigne enfin nous laisser entrer [3].

***

Veronica

Ils débarquent tous dans la pièce à un moment où je suis encore sous l'influence de l'anesthésie, tant et si bien que de prime abord, je vois Paula flotter à quelques centimètres au-dessus du sol, et j'entends Soufiane me parler en espagnol. Au fur et à mesure que les effets du gaz sucré [4] s'estompent, une douleur s'attaque à ma cheville, peut-être parce que quelqu'un m'a poussée dans les escaliers, hier soir, et que de cette chute a résulté une fracture, ou bien peut-être parce qu'Asher s'est assis sur mon lit, juste au niveau de ma cheville blessée, désormais emprisonnée dans un plâtre, manquant de l'écraser. Quelqu'un le traite de sombre idiot – Arkady, il me semble – avant de l'enjoindre à se relever. Paul attrape dans un bocal en verre l'une de ses sucettes qui colorent la langue en bleu, normalement réservées aux enfants malades. Soufiane me serre la main, je ne sais pas s'il s'en rend compte ou s'il s'en est saisi par réflexe. Sa peau est chaude et douce, ses yeux dans le vague. En envahissant mon espace, ils se sont traînés au centre de l'univers. Autour de nous, tout le monde nous regarde, et tout le monde se plaint du vacarme que nous causons. Seul Arkady se tient en retrait de cette joyeuse pagaille, mais sourit néanmoins. Je me sens soudain si choyée que j'en ai le cœur qui déborde. J'en oublierais presque ce qu'il m'est arrivé, j'en oublierais presque que la situation est grave.

Officiellement, je suis tombée dans la cage d'escalier, victime de ma maladresse. C'est ce que Miss Joseph, l'infirmière, a déduit des faits. Je ne l'ai pas contredite. Je ne veux pas que les autres s'inquiètent. Ne tiens pas à ce que s'ébruite l'idée que rôde dans les couloirs quelqu'un qui a déjà tué et qui est prêt à recommencer. Mais moi, je sais que l'on m'a poussée. Que Jay m'a poussée, comme il a poussé Erick. Ne l'ai-je pas envoyé en coulisses sous un faux prétexte, quelques secondes avant mon altercation avec Shelby, quelques minutes avant ma dégringolade ? Personne ne l'a vu revenir, après ça. Aucun doute : il se terrait dans l'ombre des rideaux, m'attendait, me guettait pour se venger.

« Très bien, ça suffit, maintenant, ça suffit, se fâche Miss Joseph. À présent que vous avez constaté que de ce côté-ci de la porte, nous déplorons plus de peur que de mal, déguerpissez, vous voulez ? Miss Rio a besoin de repos.

Et pourquoi cela ? Vous venez de dire "plus de peur que de mal".

Parce qu'elle est restée inconsciente assez longtemps pour que cela justifie de la garder en observation quelques jours. C'est la procédure.

Quelques jours ? s'étrangle Asher. Elle ne peut pas rester coincée ici quelques jours. Les auditions finales pour les rôles féminins ont lieu demain.

Eh bien elles auront lieu demain. Sans Miss Rio. Qui devra de toute façon limiter ses déplacements pendant les six prochaines semaines. »

Je me redresse sur les coudes. Attrape au vol l'attention de mon camarade de théâtre. « Je suis en lice pour les auditions finales ?

Un peu, que tu es en lice. Chloé, Shelby et toi êtes rappelées demain. Tu sais quoi ? Je vais tenter de négocier pour que tout le programme soit réorganisé. »

Sur le trajet vers la porte, poussé avec vigueur par l'infirmière, je l'entends encore se plaindre qu'il serait absolument inconcevable de procéder aux auditions pour Rachel sans moi. Il paraît nettement plus inquiet de cette éventualité que des conséquences de la chute sur mon état de santé, ce qui lui vaut une nouvelle fois de se voir qualifier de sombre idiot – Soufiane, il me semble. J'aimerais partager ses angoisses à la fois futiles et grandioses, mais quelque chose me tracasse davantage que je ne peux l'admettre : où est Shelby ?

***

Arkady

Elle se dandine dans les couloirs, les mains dans le dos, la tête dans les nuages. Spencer Jenkins. Elle me sourit en me voyant m'avancer vers elle, mais ses traits se ferment dès lors que je pose la question qui fâche :

« Où est Shelby ?

Je n'en ai pas la moindre idée. »

Elle ment, bien sûr. Si mal que le doute n'est pas permis. Compense cependant son manque de talent pour la comédie par la férocité de sa loyauté. Comme je commence à me résoudre à l'éventualité qu'elle ne partage pas ses informations avec moi, je remarque qu'elle venait du couloir qui abrite la salle du cours de botanique, alors que celui-ci ne sera pas à son programme avant sa quatrième année.

« O.K., très bien, j'abandonne, j'annonce faussement à la fillette, qui ne me paraît pas dupe. Passe une bonne journée, Spencer. »

Elle ne bouge pas d'un millimètre, moi non plus. Dressée au milieu du corridor tel un chien de garde de format poche, elle semble me défier de mettre mon plan à exécution. J'esquisse un mouvement sur ma droite. Elle aussi. Reviens à ma position initiale. Et elle, à la sienne. Tente une embardée à gauche. Inutile. Prétends reculer d'un pas, elle croise fermement les bras contre sa poitrine. Soupirant d'impatience, je l'attrape par la taille et la soulève contre moi. Elle hurle, cogne mon dos de toute la force de ses mini-poings puis, s'apercevant que cela ne suffit pas, s'attaque aussi à mon estomac en agitant les pieds. Ce monstre-nain en équilibre sur l'épaule, je me dirige vers la porte qu'elle essayait de protéger et l'ouvre sans ménagement. À l'intérieur, je suis frappé par une puanteur acide qui s'engouffre dans mes narines et m'oblige presque à reculer. Shelby lève les yeux de sa marmite et m'ordonne de reposer son amie par terre. Au sol, cette dernière réajuste ses vêtements et continue de pester contre moi. Je l'entends marmonner de sa petite voix que finalement, je ne vaux guère mieux que cet idiot d'Asher, mais ne m'occupe plus d'elle. Shelby est affairée à préparer une étrange mixture que je suis bien incapable d'identifier.

« Mais enfin, qu'est-ce que tu fabriques ?

Si j'étais toi, me met-elle en garde, je ne poserais pas trop de questions. Mieux vaut que tu en saches le moins possible, pas vrai ? Au cas où les choses tourneraient mal. »

J'insiste encore quelques minutes, mais c'est peine perdue. Impossible d'en découvrir davantage.


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