Chapitre 3 : Dear future self - 1/3

Arkady

Asher nous est envoyé des cieux tout triomphant, ce soir. Un grand sourire aux lèvres, il débarque les bras grand ouverts dans la salle commune et annonce d'une voix forte :

« Les enfants, voici Shelby Williams, nouvelle recrue du groupe à compter de maintenant. »

« Les enfants » est une expression employée quasi exclusivement par Soufiane, et presque expressément inventée pour Asher puisque c'est lui, le plus immature de la bande, le seul d'entre nous pour lequel ce qualificatif n'a rien d'ironique. Mais lorsque Soufiane nous quitte – et Soufiane nous quitte toujours, passée une certaine heure – Asher se plaît à se glisser dans sa peau, à lui voler ses automatismes, à l'imiter sans fausse note. Manque de chance pour lui, ce soir Soufiane se trouve encore parmi nous, et comme il ne supporte pas d'être pris pour cible de la sorte, il se penche en avant, émerge de son angle mort, et décoche un regard noir à notre apprenti comédien préféré.

« Souf ! Tu es là ! Je ne t'avais pas vu, derrière cette... cette chaise, enfin, ce fauteuil, pardon, tu es si svelte, si élégamment discret, tout en élégance et en...

— Discrétion ? », je ne peux m'empêcher d'intervenir, et cette fois c'est Asher qui me lance un regard assassin, avant de reprendre ses présentations.

Nous nous sommes réunis comme tous les soirs dans la salle commune de notre tourelle. Notre tourelle. Ceci est une légère exagération. Après tout rien, ici, ne nous appartient réellement. Le manoir se compose de quatre tours, en tout. Elles abritent les chambres des sixième et septième année. Deux pour les filles, deux pour les garçons, avec une zone de passe-droit accessible à tous, au rez-de-chaussée de chacune d'entre elles, appelées salles communes et remplies de fauteuils, de livres, de jeux de société, d'une cheminée dont les flammes crépitent au cœur de l'hiver, et même d'un minibar.

Celle que nous avons décrétée nôtre, c'est la tourelle sud-est, dans laquelle se trouve notre chambre, à Soufiane, Asher et moi. De temps en temps, Soufiane tente bien de nous convaincre de nous rendre dans l'aile ouest du château, mais c'est uniquement parce qu'il espère toujours y croiser Meredith – ou devrais-je dire Meredith, comme Soufiane, qui ne se lasse jamais de l'emphase – une sixième année à laquelle il voue une passion inexorable depuis son arrivée à l'internat, l'an passé. Avec Asher, nous n'y consentons presque jamais. Ici, c'est chez nous. Ici et nulle part ailleurs.

D'ailleurs, même Veronica a l'air de s'y sentir à son aise. Elle lit, étendue sur le sofa. Je n'ose pas lui demander quoi, elle paraît absorbée. Un peu plus tôt, elle a écarquillé les yeux. Quelques pages plus tard, je l'ai vue sécher une larme sur sa joue. Soufiane et Paula jouent aux échecs – ou plutôt, Soufiane somnole face à la table d'échecs, tandis que Paula réfléchit à chacun de ses coups pendant presque quinze minutes. Assis à même le sol, je croque dans mon carnet les silhouettes de mes amis. Enrageant sous cape, car je ne parviens jamais à retranscrire sur papier la grâce des mouvements de Paula. Ni même à rendre justice au charme insolent de Soufiane. Je me lève pour me présenter à Shelby, lorsque les autres se bornent à un salut de la main sans daigner quitter leurs positions respectives. La nouvelle se tient droite, esquisse à peine un sourire contrit, mais me rend ma poignée de main avec fermeté, ce que je prends comme un signe de déférence.

« Qu'as-tu fait pour tomber dans les bonnes grâces d'Asher ?

— Elle a sauvé la vie de Tobias.

— Ce n'est pas exactement ce qu'il s'est passé », tente-t-elle de rectifier.

Mais c'est inutile, et sans doute l'apprendra-t-elle bien assez tôt. Nager à contre-courant des exagérations d'Asher n'apporte rien d'autre que la promesse de finir noyé. Seul Soufiane lève le menton, et je décèle l'inquiétude qui obscurcit son regard. Ces deux-là et ce chien, si vous saviez. J'ai commis l'erreur, une fois, d'exprimer en leur présence le peu d'intérêt que j'éprouvais pour les animaux en général, et je les ai vus se décomposer comme si je confessais un crime contre l'humanité. Depuis, je fais profil bas. Et de temps en temps, Asher rappelle à qui veut bien l'écouter à quel point je ne suis qu'un monstre et à quel point il faut me pardonner tout de même.

Shelby s'installe sur le canapé, près de Veronica. De toute évidence très mal à l'aise.

J'arrache la feuille de mon carnet, la roule en boule, l'envoie d'un mouvement de poignet dans la corbeille à papier située à l'autre bout de la pièce, sans rater mon coup, et les yeux rivés sur les deux nouvelles, assises à deux pôles opposés du sofa qui soudain semblent devenus les deux pôles opposés du globe, j'entame un nouveau dessin.

***

Veronica

Peut-être était-ce une piètre idée.

L'amphithéâtre est rempli d'élèves que je ne connais pas, et qui m'effraient tout de même. Un peu comme dans ces cauchemars dans lesquels on court, on court, on court sans s'arrêter jusqu'à la chute, jusqu'au réveil, poursuivi par un ennemi sans mobile et sans visage. La scène me paraît gigantesque. Lointaine. Contrée inexplorée, au milieu d'une galaxie pour laquelle je ne suis pas équipée. D'ailleurs, ça y est, je sens que je suffoque. Zéro gravité, zéro sécurité.

Je m'en vais.

« Veronica ! », s'exclame une voix masculine alors que je me lève, et voilà que tout le monde me remarque, voilà que tout le monde sait comment je m'appelle.

En interceptant le regard d'Asher – ses yeux enjoués comme un gamin sur une balançoire, persuadé que s'il pousse assez fort sur ses jambes, il deviendra Neil Armstrong – j'aperçois Shelby qui prend place deux rangées derrière lui, soit trois rangées derrière moi. Les cheveux noués en une tresse à six branches d'une complexité inouïe, elle fait bien attention de lisser les plis de sa jupe avant de s'asseoir, et puis elle croise les bras sur sa poitrine, le torse bombé, les pommettes hautes, le regard fier. Elle ne me remarque pas ; je ne vois qu'elle. Aussitôt mes genoux se plient, et me voilà de nouveau calée au fond de mon siège. De nouveau simple marionnette de mes désirs de métamorphose.

« Tu t'es inscrite en théâtre ? me demande le meilleur ami de Soufiane.

— Non, j'avais une envie pressante et j'ai cru qu'ici, c'était les toilettes.

— Ah, des sarcasmes ! Parfait, excellent, j'adore. »

Il gigote de bonheur, et j'ai du mal à contenir mon sourire parce qu'il est insupportable, cet enfant, franchement insupportable, mais qu'il n'y a rien à y faire, c'est à se tordre de tendresse. Il prend appui sur le dossier d'un siège et enjambe la rangée qui nous sépare pour sauter de l'autre côté, sans s'inquiéter de provoquer des vibrations sous nos pieds.

« À propos de l'autre soir, me glisse-t-il tout bas, je ne voulais vraiment pas te ficher les jetons, tu sais.

— Ce n'est rien, ne t'en fais pas. C'est déjà oublié. »

Mais non, c'est inexact, ce n'est pas ça, c'est encore mieux que d'avoir oublié. Cette peur, je l'ai balancée dans le vide, l'autre jour, au bord des falaises. Hurlée dans le vent. Et elle s'est envolée. Elle et toutes les autres.

Depuis, il me semble renaître.

Comme Asher, déjà, hoche la tête, je me sens toutefois obligée de préciser : « Ne t'avise jamais de recommencer.

— Évidemment, évidemment. Jamais. Croix de bois, croix de fer, si je mens, tu m'envoies en enfer.

— Grosso modo. »

Soudain les lumières se tamisent, et un couple de professeurs fait irruption sur scène. En proie à la panique, j'attrape le bras d'Asher comme pour lui arracher juste un peu de son énergie, juste assez de sa nonchalance. Lui remarque à peine mon angoisse.

« Je n'en reviens pas, murmure-t-il sans même me regarder, un sourire éclatant collé aux lèvres, j'ai trouvé mon Elaine. »

***

Arkady

Je revenais de mon atelier, lorsque j'ai entendu le microphone grésiller. Une voix a résonné dans les couloirs. A prononcé mon nom. Je me suis figé.

J'étais convoqué chez Sir Douglas.

Pour la toute première fois en quatre ans de scolarité.

Depuis, je marche à reculons. Soufiane surgit devant moi sans prévenir, quelque part à mi-chemin entre la bibliothèque et le bureau du directeur adjoint. Il pose une main sur mon omoplate, la serre avec fougue et me demande ce que j'ai bien pu faire, au juste, pour mériter une punition.

« Une convocation », je corrige en secouant les épaules pour en chasser ses doigts.

Mais sur son visage, je constate que pour lui, tout cela revient au même. Arkady Stefanovitch ne colorie jamais en dehors des contours. Bientôt l'été sera balayé de tempêtes de neige, et l'océan se videra de son eau, et une météorite slalomera entre les étoiles pour percuter le pauvre astre qui nous supporte, et nous redeviendrons poussière en une seule nuit, et nous n'aurons pas de temps pour les regrets.

« Tu n'as rien fait de grave, pas vrai ? »

Soudain Soufiane ne semble plus si amusé, et cela ne m'étonne pas. Je me suis senti pâlir, et voilà que... Oui, voilà qu'il m'imite. J'avance d'un pas plus rapide, il me talonne en silence.

« Ne reste pas là, je lui enjoins sitôt atteinte la porte en bois massif du bureau de Sir Douglas. S'il te plaît, ne reste pas là. »

Asher et son cabot apparaissent à leur tour et cette fois, c'est irréfutable : jamais ô grand jamais ne me permettront-ils d'oublier cet instant.

« Dandy, convoqué chez Doug. » Si cet imbécile se fait attraper un jour en appelant le directeur adjoint de cet ignoble surnom, lui-même subira le même sort et nous verrons alors s'il trouve toujours ça si désopilant. « C'est pas croyable. Quel crime as-tu commis, Dandy chéri ? Aurais-tu négligé de dire "après vous" tout en tenant une porte à une dame ? Rendu avec un jour de retard un livre à la bibliothèque ? Non, non, je sais ! Tu n'as pas repassé correctement ta chemise. J'ai raison, n'est-ce pas ? Non parce que j'ai remarqué ça, hier, et j'avoue que même moi, ça m'a stupéfait. Tu as laissé un pli, juste là, à quelques centimètres du –

— Si tu ne baisses pas tout de suite ta main, il faudra que tu voies avec l'infirmerie s'ils peuvent ou non la greffer de nouveau sur ton poignet.

— Ah, le sang russe. Une apparence glaciale, des veines qui bouillonnent. »

Soufiane intervient quelques secondes avant que je ne soupire en tornade mon exaspération. Il attrape Asher par le bras et m'adresse un signe de tête qui veut tout dire, bien qu'il ne sache rien, bien qu'il n'ait pas idée, de ce qu'il s'est passé. Alerté par le bruit, Sir Douglas jaillit sur le seuil de sa porte et sourit en m'apercevant. Un sourire d'apparat, un sourire presque froid.

« Monsieur Stefanovitch, entrez, entrez donc. Je tenais à m'entretenir avec vous de... » – il hésite, et ainsi nous sommes deux – «... l'incident de la semaine dernière. »

***

Soufiane

Asher se redresse, son verre d'eau à la main. Ma main droite se lève par automatisme, prête à le tirer par les vêtements au cas – pas si improbable – où il déciderait de grimper sur la table, au beau milieu de réfectoire.

« Je voudrais porter un toast.

— Ne sois pas ridicule.

— Monsieur El Djebana, enfin, vous ne savez même pas ce qu'il y a à célébrer. Silence, pas un mot de plus. Je voudrais porter un toast, donc, en l'honneur de Miss Veronica Rio qui, et ça n'a rien d'un euphémisme, m'a époustouflé aujourd'hui.

— Ne sois pas ridicule, reprend en écho Habibti.

— Non, non, je suis sérieux, ne sois pas si modeste. Bien sûr, ce n'était pas encore parfait, loin de là, mais malgré tout je t'ai trouvée épatante, cet après-midi, en cours de théâtre. Un potentiel incroyable, c'est moi qui vous le dis. »

L'intéressée lutte un bref instant contre l'incendie de ses pommettes, avant de secouer la tête et de retrouver son calme :

« Tu es juste content de t'être déniché une partenaire de répétitions.

— C'est vraiment cynique, ça, Rio. Il va falloir changer cette attitude. Faire preuve de cynisme, dans la vie, ça revient à se poster devant un lever de soleil et à admirer le spectacle en se plantant une fourchette dans l'œil droit, comme ça, sans s'arrêter. » Il mime le geste, avant d'apercevoir quelque chose, au loin, qui accapare son attention. « Tiens, Dandy, te revoilà parmi nous, viens donc m'aider à expliquer à la dame ici présente les méfaits du cynisme. Même si, franchement, je crois qu'il suffit de te reluquer pour s'en convaincre. Bon sang, mais c'est quoi, cette dégaine ? »

Arkady s'avance vers nous les épaules basses et, d'un regard, me fait comprendre qu'il vaut mieux ne pas poser de questions. Évidemment, Asher ne perçoit pas le message et insiste, tant et si bien que je tire sur son pantalon jusqu'à ce qu'il soit contraint de choisir entre son sens du spectacle et sa dignité humaine.

« Ce n'est pas juste, je n'ai même pas terminé mon toast, se plaint-il en se rasseyant. J'étais également censé féliciter Miss Shelby Williams qui, elle aussi, il faut le dire, a été sensationnelle. »

Là, je retiens un grognement, car s'il est une chose que nous avons tous comprise en une semaine, c'est que Shelby Williams se montre exceptionnelle dans tout ce qu'elle entreprend. Déconcentré, je perds le fil de la conversation de notre table, et peu à peu mes yeux vagabondent jusqu'à celle des autres.

Les autres, ce sont ces sixième et septième année qui sont arrivés à l'internat l'an passé, et qui ont décidé de faire bloc ensemble et contre tout, ensemble et contre nous. Je serais bien incapable de vous expliquer pourquoi. Avant eux, ça ne s'était encore jamais produit, avant eux ne s'était jamais créée la moindre rivalité ; pas de mon vivant, du moins. D'ailleurs, ici je connais tout le monde. M'entends avec la grande majorité. En général, je me présente aux nouveaux, propose mon aide, si besoin, et puis je les laisse suivre leur chemin en sachant pertinemment qu'ils croiseront sans doute à peine le mien. Ceux qui débarquent ensemble restent ensemble, c'est comme ça, cela arrive tout le temps. Ici les gens se lient selon leur âge et la fraîcheur de leur plaie. Je ne crois pas qu'ils le fassent exprès, je ne crois pas même qu'ils s'en rendent compte. C'est comme ça, c'est tout. Et quelque part, ça m'arrange. Ash, Dandy et Paul sont mon sang et mon univers ; jusqu'à présent, je considérais que mon cœur affichait complet.

Ce qui a tout chamboulé, c'est l'arrivée de Meredith.

Et des autres. Son frère Gatsby, et sa meilleure amie Chloé, et Jean-Félix, et Antonio.

Mais surtout Meredith.

Meredith.

Avant elle, je crois que je n'avais jamais compris ce qu'était la beauté. Ou plutôt, jamais compris à quel point la beauté est dénuée de sens, à quel point elle échappe à toute forme de définition rationnelle. C'est une mèche de cheveux remontée derrière une oreille et un rire qui dure un peu trop longtemps et un regard qui s'allume pour une raison idiote. C'est tout, et puis c'est rien, à la fois.

Mais ça terrasse,

à chaque fois.

« Attends une seconde, tu as un frère ? »

C'est Shelby, qui pose la question, et Ash, comme d'habitude, qui s'excite.

« Et c'est reparti pour un tour, je ne peux m'empêcher de soupirer. « Les enfants, voilà venue l'heure de l'histoire.

— Elles ne la connaissent pas encore, se justifie mon ami, mais je crois bien qu'il me prend pour un abruti.

— Tu as conscience que tu la racontes tous les mercredis, n'est-ce pas ? La plupart du temps, sans même te donner la peine de changer tes tournures de phrase ?

— Et ? Est-ce qu'on se plaint de ce que personne ne modifie les textes de Shakespeare ? »

Je lève les bras en l'air en signe de capitulation.

« O.K., c'est bon. Il est clairement inutile de débattre avec un type qui n'éprouve aucune gêne à se prendre pour Shakespeare. »

Il singe ma réaction, persuadé qu'il est de pouvoir m'imiter à la perfection. Ses lèvres se pincent et se tordent sous ses grimaces, et je ne peux que m'empêcher de me souvenir du temps où elles semblaient scellées pour l'éternité. Cette histoire, qu'il narre depuis toujours sans jamais s'en lasser, c'est la première chose qu'il ne m'ait jamais confiée. Qu'il ne m'ait jamais dite, en réalité. Il était arrivé deux semaines plus tôt, et ne souhaitait parler à quiconque – ou ne pouvait, cela n'a jamais été clair. Et puis ici et là, il s'est mis à lancer quelques mots à Tobias, le chien immortel du manoir. Voyant cela je me suis approché, et tout en respectant son vœu de silence, je me suis invité dans leur cercle de jeu. Le lendemain il venait me chercher pour recommencer. Le surlendemain, il me racontait l'histoire de son grand frère, qui vit à Dublin, à la fois si près mais si loin d'ici.

Asher ignore ce qu'il est devenu, lorsque lui a été envoyé à l'internat. Il ne comprend pas pourquoi personne n'a su déceler les facultés extraordinaires de cet adolescent à la force quasi surhumaine, et au sens de l'humour capable de vaincre la peur, le chagrin, la mort. Ne comprend pas pourquoi on l'a emmené, lui, enfant chétif qui venait soudain de perdre l'usage de la parole, tout en laissant derrière lui son héros. Il dit que la nuit où ils ont été séparés, son frère a promis de ne jamais quitter la capitale, et d'attendre patiemment le dix-huitième anniversaire d'Asher. À promis que de loin, il veillerait sur lui. Un serment pacte de sang, du genre inviolable sous risque de s'attirer la foudre et toutes sortes de malédictions.

Ça sonnait comme un conte de fées, j'imagine que c'est pour ça qu'on y a cru si fort.

« Un jour, j'irai le chercher, je l'entends conclure, comme à chaque fois. Bientôt. » Il adresse un clin d'œil à Habibti, tout en prenant grand soin d'éviter mon regard. « Peut-être même plus tôt que prévu. »

***

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