Chapitre 1 - Léo
"J'ai l'impression de ne pas avoir de vie
Ou du moins, de ne pas en être le personnage principal
Je ne suis que spectateur
Spectateur de la vie des autres"
Léo n'avait jamais rien écrit d'aussi vrai. Il avait l'impression de se trouver derrière un miroir sans tain, derrière lequel, quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, on ne le remarquait pas. Sa présence n'avait pas de poids. Les autres ne le connaissaient pas et ne s'en portaient pas plus mal pour autant.
Pourtant, il était bien là, il existait. Sauf que toute la nuance semblait être ici. Il existait Léo, mais il ne vivait pas.
Parce que vivre, c'était décrit comme ressentir sa réalité sur Terre dans toute sa puissance, pas seulement la subir en se contentant d'avoir les pieds sur Terre.
En vérité, il n'avait pas tant les pieds sur Terre que ça, Léo. Il passait son temps à penser et imaginer des tas d'histoires. Il se disait poète, aussi, puis il se demandait qui il était pour se définir ainsi alors que personne d'autre que lui n'avait jamais lu un seul de ses écrits.
La question se résumait même à moins que ça.
Qui était-il ?
Qui était-il s'il n'était pas le personnage principal de sa propre histoire ? Qui était-il s'il n'était pas plus qu'un spectateur dans l'obscurité de la salle ?
QUI ÉTAIT-IL ?
Léo posait toujours des tas de mots sur ses peurs, ses inquiétudes, ses interrogations. Des mots sur des maux. Et c'était à cause de tous ces maux qu'il voulait dormir. Quelle ironie lorsqu'on se disait que chaque jour, le grattement de son stylo sur le papier était l'une des seules choses qui le tenait éveillé.
Quand il était enfant, les adultes lui disaient que l'écriture était un don, il voyait plutôt ça comme un fardeau.
Parce que Léo avait peur lorsque son cerveau se mettait à tourner à plein régime. C'était toujours dans ces moments-là que les questions lui venaient. Il les notait sur une feuille et les relisait sans arrêt.
"Pourquoi Maman est partie ?"
"Parce qu'elle ne m'aimait pas ?"
"Pourquoi Papa boit beaucoup ?"
"Parce que l'alcool rend heureux ?"
Alors pour ne pas trop réfléchir à toutes ces choses qui le rendaient triste, Léo dormait beaucoup. De cette façon, il mettait son esprit en pause pour empêcher ce qui ressemblait le plus à des réponses d'affluer.
Il dormait toute la journée dans sa chambre qui ressemblait à un gigantesque aquarium, enroulé dans ses draps qui transpiraient le chagrin.
Parfois même, il s'imaginait à la place de la Belle au bois dormant : un prince charmant viendrait l'éveiller d'un baiser de son sommeil profond.
Mais tout ça était dans sa tête, comme toutes les questions, tous les rêves, tous les démons.
Et il y en avait beaucoup des démons, au fin fond de son esprit. Certains plus humanoïdes que d'autres. Parfois même, il semblait reconnaître sur quelques-uns d'entre eux, le visage haineux de ses harceleurs au lycée. Cela faisait longtemps qu'il n'y avait pas remis les pieds, mais certaines empreintes sont plus profondes que d'autres. Leurs insultes avaient beau être invisibles, c'était une marque indélébile qu'elles avaient laissée sur le cœur de Léo.
Mais personne ne savait vraiment ce que ressentait Léo au fond de lui, car avec le temps, il avait pris goût au silence.
Il y en avait que le silence oppressait, lui, il l'apaisait. Dans l'obscurité de sa chambre, il était très rare d'entendre du bruit. Il n'y avait jamais de musique, jamais personne pour discuter avec lui. "Les murs ont des oreilles" lui avait-on déjà dit, pourtant ils restaient sourds aux plaintes et aux sanglots qui le secouaient parfois pendant la nuit.
Un jour, Léo voulut réapprendre à parler. Alors, lorsque les premières lueurs de l'aube apparurent, il ouvrit grand sa fenêtre et passa sa tête au travers. Le vent du nord qui fouettait son visage était la seule chose qui le faisait se sentir en vie. Le soleil, traversant timidement les nuages blancs, réchauffait son visage alors que ses rayons dorés se perdaient dans ses cheveux.
Après de longues minutes sans bouger, les yeux clos, il posa une main sur son cœur tempétueux qui semblait menacer de s'évader de sa poitrine comprimée. Il ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit.
Soudain, une réplique de Roméo et Juliette, lui parvint aux oreilles.
- Les saintes n'ont-elles pas des lèvres, et les pèlerins aussi ?
Le vent se tue. Aucun bruit ne venait déranger le calme en cette heure si matinale. Les arbres avaient cessé de s'agiter, les oiseaux restaient muets. Il ne restait dans l'air que le vague écho de la question de Roméo, en attente d'une réponse.
Et c'est ce qu'il fit, Léo, il répondit, fouillant dans sa mémoire pour trouver la réplique qui venait ensuite.
- Oui, pèlerin, des lèvres vouées... à la prière, souffla-t-il.
Et la voix lui répondait, encore et encore, modifiant parfois quelques phrases, mais l'accompagnant dans sa quête de parole.
D'une voix mal assurée, au début, une voix sèche, une voix usée par le silence, Léo déclama les plus belles répliques des pièces de théâtre auxquelles il avait assisté. Tant pis si son ton n'était pas parfait, tant pis s'il n'y avait personne pour l'écouter.
Léo parlait.
Et dehors, le vent se levait.
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