Chapitre 9

Lysandre avait fini par s'endormir. Incapable d'accepter de me laisser seule, la bataille avait été rude. Je n'avais accepté que pour une unique raison. Pour mener à bien mon entreprise, il me fallait pouvoir partir du Paradis. Sans lui.

Retirant délicatement ses bras, qui avaient décidé de s'enrouler autour de ma taille, je sortis discrètement du grand lit aux dorures splendides. Mes vêtements pliés sur une chaise m'attendaient docilement. Je retirais donc cette horrible tunique pour retrouver ma tenue, ainsi que ma magnifique et précieuse dague. La seule arme que je possédais pour me défendre de tous aujourd'hui.

Me dirigeant vers la porte, mon regard s'attarda sur l'ange dans le lit. Celui-ci paraissait si vulnérable. Un visage serein, parfois une grimace lorsqu'une pensée dans ses rêves le dérangeait, des mimiques que l'on retrouvait même sans que ce dernier soit endormi. Cela me replongeait en de lointains souvenirs. Ceux de ma mission. Nous n'aurions jamais dû devenir un couple, ce scénario n'avait pas été proposé par le Conseil. Mon rôle devait être celui d'une amie. Pourtant, Lysandre était un jour venu à ma rencontre avec un bouquet de douze roses au rouge sans défaut. Devenus amants sur un coup de tête, le voici qui avait débarqué pour me demander de devenir officiellement sa compagne. Et j'avais accepté. Refuser aurait pu le faire fuir, non ?

À partir de là, tout s'était vite enchainé. Projet d'un avenir, achat d'une maison, une même chambre et un quotidien mouvementé chacun de notre côté. Et tout comme cette nuit, nous avions souvent partagé le même lit. Lysandre se contentait de me prendre dans ses bras et de poser délicatement sa tête sur mon ventre. À m'enlacer sans rien demander de plus.

« Je voudrais avoir une famille », me réclamait-il de temps à autre, ne sachant rien de ma stérilité. Alors, je me contentais d'esquiver d'un « Nous sommes déjà une famille, n'est-ce pas ? Juste toi et moi... ». Cela le convainquait quelque temps. Quelques jours, quelques semaines.

Aujourd'hui ce genre de souvenirs me revenait dès que cette pensée m'effleurait : Lysandre croyait encore en cette fausse relation. J'avais fait mon deuil, j'avais réussi ma mission et était passée à autre chose. Est-ce que lui y parviendrait ?

Retirant son collier encore autour de mon cou, je sortais de la chambre. Un cadeau, le plus précieux d'entre tous. Le seul que j'avais conservé de notre vécu sans vraiment en saisir les raisons m'y ayant poussé.

Je partais et il ne me retrouverait jamais. C'était une promesse que je comptais bien tenir. Saurait-il s'en tenir là et comprendre le message ?

Reste loin de moi. Le père Jean t'a sauvé la vie, alors fais-lui honneur et ne t'approche plus de moi.

Je devais résoudre mes problèmes seule. Les secrets du Conseil, le mystère derrière la larme et ses tatouages, mais également les vérités que ma défunte famille cachait. Et pour le découvrir, il me fallait me débrouiller. Les pécheresses travaillaient efficacement lorsqu'elles étaient seules. Ma mission était simple : découvrir la vérité derrière tout ce complot entourant la mort du Père Jean. Mon seul indice se trouvait être un foutu bijou ayant pénétré mon corps pour laisser germer des tatouages. Mais les réponses orbitaient autour du Conseil.

Regagnons notre liberté.

Continuant mon chemin dans les couloirs vides du Paradis, je partis en quête d'une arche comme celles que nous avions empruntées pour arriver jusqu'ici. Et bien sûr, malgré mon manque flagrant de sens de l'orientation, il ne me fallut pas longtemps pour en trouver une.

Au milieu des nuages se dressait une même arcade accessible par un chemin de pierre. Déglutissant péniblement, j'avançais prudemment, mais rapidement. La présence de deux gardes angéliques corsa la situation. Comment allais-je pouvoir passer sans me faire remarquer ?

Je pouvais toujours faire comme si de rien n'était et passer incognito par le passage magique. Dans les films, ça marchait. Dans la vraie vie, il arrivait que cela fonctionne. Mais au Paradis ?

Prenant cette seule proposition comme solution, je m'avançais. Sur un malentendu... Soudain un ange se posa devant moi de dos. Ses immenses ailes argentées me cachaient suffisamment.

— Virginia, reste derrière moi. Mes ailes te cacheront. Ce sera ta seule chance de sortir.

— Haziel ? Mais qu'est-ce que tu fais ici ?

— Je t'aide à sortir.

— Et pourquoi fais-tu cela ?

— Parce que je sais ce que l'on ressent lorsque l'on cherche des réponses à des questions qui n'en ont pas. Si tu restes au Paradis, jamais tu ne trouveras ce que tu cherches.

Fronçant légèrement les sourcils, je posais ma main sur le dos de l'ange qui n'était pas mon ami.

— Tu te poses des questions ?

Son visage se tourna à demi vers moi.

— Comme tout le monde, n'est-ce pas ?

Je n'aurais jamais imaginé que même les anges, dont la foi devait être aveugle, pouvaient se questionner. Quel genre d'énigme pouvait interroger un ange ?

— Écoute, un jour, on parlera peut-être de nos problèmes de questions sans réponse, mais là, on n'a pas le temps. Tu veux que je t'aide ou non ?

— Oui, ça m'évitera de les tuer et d'avoir tout le ciel contre moi.

Et alors que je déclarais tout ceci sans réellement y croire moi-même, les grandes ailes d'Haziel vinrent autour de moi, cachée dans son dos. Cette cachette était vraiment efficace.

— Haziel, que fais-tu ici ? Il fait nuit, la Lune est dans le ciel.

— Et j'aurais voulu en profiter, croyez-le. Seulement, j'ai moi aussi des occupations.

— Je suppose que oui. Les Chérubins doivent veiller sur l'Eden.

— Et l'Arbre de vie, je suis au courant, se moqua gentiment Haziel.

Alors Haziel était un Chérubin ? Intéressant. Je me maudissais de ne pas avoir su écouter plus attentivement mes cours sur la théologie et l'anthropologie. J'avais même séché le catéchisme.

En tout cas, Haziel parvint facilement à passer l'arche, et tout cela sans encombre. Au moment de traverser l'arche, l'ange se tourna rapidement vers moi, me prenant dans ses bras. Mon visage plaqué soudainement contre son torse me bloqua la vue.

Plusieurs longues secondes plus tard, Haziel me relâcha enfin. Nous étions de retour dans le château immense, près de l'arche qui se trouvait en hauteur.

Haziel me saisissait par les épaules, me cachant derrière lui alors qu'il se tournait vers les anges gardant le lieu de ce côté-ci. C'étaient les mêmes que la dernière fois, ceux n'ayant pas voulu me faire passer avec Lysandre. L'un d'eux avait d'ailleurs posé sa main contre mon front après avoir parlé d'ange gardien. Quelque chose en moi avait semblé l'expulser avant que je ne perde conscience.

L'expérience ne me donnait pas envie d'être renouvelée.

— Salut les gars, les interpela Haziel.

— Haziel, tu repars pour le jardin d'Eden ? questionna l'un des deux anges.

— Oui, même s'ils peuvent se passer de moi. Il n'y a pas vraiment de problème en ce moment là-bas.

— Ah bon ? Je croyais que quelqu'un s'était approché de l'Arbre de vie.

— Oui, mais ce n'était rien. Juste une âme humaine qui s'était égarée de son Paradis, confia Haziel avant de se tourner vers moi.

Ses ailes me cachaient toujours. D'ailleurs elles nous cachaient tous les deux.

Haziel me souleva du sol, s'envolant soudainement. Il se dirigea droit vers les épais nuages au loin. Mais en voyant que nous étions très loin du sol, je m'agrippais à l'ange.

— T'es débile ou quoi ? Ne regarde pas en bas si tu as peur.

— Je n'ai pas peur. Et ne m'insulte pas de débile, crétin !

Cela fit sourire Haziel. Je fermais les yeux, préférant ne pas penser au vide en dessous de nous.

Lorsque je sentis qu'Haziel s'était posé, je me décidais à rouvrir mes yeux.

— Tiens, mets ce bandeau. Les passages sont lumineux et baignés de lumière. Cela te rendrait aveugle.

— Tu n'as qu'à plaquer mon visage contre toi comme tout à l'heure.

— Ce passage ramène directement sur Terre, chez les vivants. Par conséquent, il est plus long et plus lumineux. La lumière détruit beaucoup de créatures maléfiques.

Ne me faisant pas prier davantage, j'obtempérais. Haziel me serra contre lui. Il s'envola de nouveau, traversant le passage alors qu'une lumière des plus aveuglantes apparaissait. J'allais retourner sur Terre, l'endroit où tout le monde voulait sans doute ma peau grâce au Conseil. Et pourtant, je voulais tout de même y retourner.

Je n'étais en sécurité nulle part. Le Paradis lui-même avait attenté à ma vie. Rien ne m'assurait que les anges ne recommenceraient pas. Alors, foutue pour foutue, autant rester dans un territoire hostile qui pourrait tout de même m'apporter des réponses. Ce n'était pas dans les nuages que j'en saurai plus pour les manigances du Vatican ou sur cette larme ainsi que son importance pour absolument tout le monde. Encore moins sur les raisons reliant ma famille à tout ceci. Et comme me le répétait souvent le père Jean par le passé « Vivre c'est mourir un petit peu à chaque instant. »

J'avais mis du temps à comprendre le message caché derrière ces mots. Tout ce qui venait à la vie était destiné à mourir un jour.


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Je rendais son bandeau à Haziel. Après un rapide salut sans accolade ni le moindre geste, l'ange reparti avec son morceau de tissu opaque.

La nuit était encore présente sur Terre, ce qui n'aidait en rien à se repérer. Haziel m'avait déposé dans une ville inconnue. Sans doute que pour l'ange cela n'avait aucune sorte d'importance, mais pas pour l'humaine que j'étais !

J'inspirais profondément, ennuyée à l'idée de devoir découvrir d'abord mon emplacement exact. Pour l'instant, il suffisait de marcher pour entendre les quelques passants croisés.

Je pus tomber sur une allée plutôt fréquentée. Plusieurs passants traversaient la rue faite de pavé. Les maisons de pierre semblaient montrer une image bien étrange de la ville. Une ville du passé se trouvant pourtant bien dans le présent.

Les bars et les restaurants encore ouverts animaient la ville pourtant bien endormie. La simple présence d'autant de boulangerie à la ronde me donnait un début d'indication concernant le pays dans lequel cet ange de malheur m'avait déposé. Pour en être certaine, il me suffisait de tendre l'oreille pour écouter les conversations.

Du français ? Oui, les gens d'ici parlaient en français. En France. Qu'est-ce que je foutais en France ?

M'approchant d'un panneau, j'y découvris la carte de la ville. Bourges. La ville de Bourges...

— Tu penses vraiment qu'une personne sans sens de l'orientation a pu suivre et comprendre ses cours de géographie ?

Lâchant un soupir las, je décidais de partir à la recherche d'un hôtel. Ce serait une excellente idée pour commencer. J'avais appris plusieurs langues dans mon enseignement de pécheresse alors le français ne me posait pas de problème. C'était une jolie langue élégante avec un accent chantant et un vocabulaire très riche, dérivé du latin. Donc bien évidemment elle faisait partie du top 3 des langues qui m'avaient fait souffrir à l'apprentissage. Mais au final, cela en avait valu la chandelle. Surtout aujourd'hui.

Une pécheresse se devait de pouvoir s'adapter à tout environnement. La langue était un passage obligé. Acquérir l'accent, apprendre les mimiques et expressions de la région visitée...

En France, une chose que j'avais apprise bien vite : les français se plaignaient tout le temps, un préjugé très vrai. Et comme ils le disaient si bien, si leur symbole était le coq, c'était bien parce qu'il était « le seul oiseau qui pouvait gueuler les pieds dans la merde ».

Cette pensée m'amusa avant de me redonner confiance.

— Aller, en route.

Première mission en France : trouver un endroit où dormir. Au moins ici, il y avait peu de chance pour que des chasseurs viennent me chercher, et encore moins m'y trouver. De ce que j'en savais, les agents français du Vatican étaient peu efficaces dans les parages. Ils n'aimaient pas l'idée que l'on puisse tuer sans discernement les créatures. Pour eux, chacune des créatures avaient été créées par Dieu et elles méritaient de vivre. Le fait que nous étions en période d'Apocalypse et que, par conséquent, Dieu et le reste du ciel voulaient notre mort, leur importaient peu. Le père Jean, d'origine française, partagea ce genre de pensée de son vivant.

À l'époque, je les trouvais idiots. Les monstres s'en prenaient aux humains, les humains répliquaient en les anéantissant. Rien de plus simple, pas de débat. Mais aujourd'hui, je m'estimais heureuse que ce genre de personne puisse encore exister.

Qui sait ? Peut-être trouverais-je ici des réponses à mes questions ?


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Un son merveilleux, quasiment magique, venait enchanter mes oreilles avant même mon réveil complet. Depuis combien de temps avais-je oublié cette joie si minuscule de simplement écouter le chant des oiseaux au matin ?

Depuis toujours, je dirais. Ou presque.

Habituellement, lorsque je me réveillais, c'était soit à cause de cauchemar, soit pour aller au Vatican. Mais pas aujourd'hui.

La seule chose qui me réveillait était cette mélodie d'une grande beauté et un sentiment bienvenu de liberté. Le monde avait beau être à ma recherche, me traquant pour des tatouages apparus à ma nuque, je me sentais plus libre que je ne l'avais été.

Repoussant les draps qui me recouvraient, je sortis du lit. La chambre d'hôtel dans laquelle je me trouvais était tapissée de papier peint au style ancien, tout comme l'ameublement. C'était magnifique. Et dire que l'hôtel était peu cher.

Prenant une douche rapide, je m'habillais de ma tenue de la veille. Je n'avais rien d'autre à porter de toute manière. Peut-être me faudrait-il penser à m'en procurer de nouveaux ? Hier, dans la nuit, j'avais aperçu plusieurs magasins de vêtements en cherchant un hôtel. Il semblait même y avoir plus de magasins de vêtements que d'hôtel.

Finalement prête, mon sac à dos sur mon épaule, je fermais la chambre avec la clé que l'on m'avait confiée. Mon argent liquide n'était pas illimité, mais ma carte de crédit était devenue une option impensable. On me retrouverait immédiatement.

Je descendais les escaliers, saluant quelques français et passant devant l'accueil tenu par une gérante au sourire joyeux avant de pouvoir sortir dehors.

La journée était véritablement différente de la nuit. La population était plus dense, même si cela restait moins bondé qu'à Rome. Au moins, il ne paraissait pas y avoir énormément de touristes ici, dans cette ville à l'aspect moyenâgeux.

Mes cheveux rouge écarlate ne me faisaient pas passer inaperçue. Et pourtant, j'arrivais à croiser des filles avec des cheveux bleus ou rose ! Pourquoi les adolescentes se coloraient les cheveux ? Pour ma part, je préférais profiter de ce que la nature m'avait offert comme apparence. Quoique, la vie m'avait bien gâté de ce côté et mon travail sur mon apparence avait porté ses fruits.

Enfin, cela n'avait pas d'importance. Chacun faisait ce qu'il avait envie et cela me permettait de me fondre dans le décor. En quelque sorte.

Je m'approchais d'un magasin de vêtements parmi plusieurs dizaines d'autres, y achetant un jean et un débardeur des plus normaux, ainsi que plusieurs sous-vêtements. Un regard pour mon porte-monnaie me fit constater l'inévitable : les cavales, ça coûtait cher.

Il était temps d'apprendre à économiser. Je devais éviter à tout prix d'utiliser ma carte de crédit afin d'éviter de me faire repérer par les chasseurs, qui devaient très certainement surveiller mes transactions. Et dans tous les cas, il était possible que mes comptes soient bloqués.

Franchement, quelle galère ! Fort heureusement, je possédais un autre compte n'ayant jamais été déclaré au Vatican. D'ailleurs, il se trouvait sous une autre identité. Même Michele n'avait pas connaissance de ce dernier, celui accueillant l'héritage de ma famille. Le père Jean m'avait aidé à sa conception et sa teneur secrète.

Autant dire que la seule autre personne ayant connaissance du secret était partie en l'emportant dans la tombe. J'avais confiance en l'idée qu'on ne remontrait pas ma piste grâce à ça. Mais il était préférable autant que possible de ne pas tenter le diable.

D'autant que cet argent... Je ne voulais pas l'utiliser.

M'étirant un bon coup, je partais à la recherche de toilettes publiques afin de me changer. Mais lorsque j'aperçus un panneau m'indiquant la direction d'une médiathèque, je ne me fis pas prier. J'avais des recherches à faire et je devais me changer. Et dans une médiathèque, il y avait des livres pour travailler et des toilettes pour se changer.


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Par rapport à la bibliothèque à laquelle je m'étais habituée pour me renseigner sur mes missions ou durant mon apprentissage de pécheresse, cette médiathèque paraissait bien minuscule. Mais au moins, elle possédait des toilettes. Rapide pour changer de tenue, il ne m'avait pas fallu longtemps avant de ressortir pour apercevoir des ordinateurs en libre accès.

Au moins ce lieu était un peu modernisé. Ce n'était pas nécessairement le cas partout. Même dans un pays avancé comme la France.

Allumant le PC, je me connectais à Internet. Les recherches commençaient.

Depuis la mort du père Jean, beaucoup de questions avaient fait surface, de nombreux mystères étaient apparus. Une interrogation en particulier, prioritaire à toutes les autres questions : ces foutus tatouages ! Je devais en découvrir plus sur ces roses dans mon cou.

Deuxième mission importante : en découvrir plus sur ce qui se trafiquait au Vatican. Le Conseil était plus que louche dans cette affaire.

Quant à la troisième, elle concernait ma famille. Quel secret conservait-elle pour qu'un bijou leur appartenant se retrouve à marquer mon corps  de fleurs ? Une larme ayant piqué l'intérêt du père Jean au point que ce dernier semble avoir perdu la vie pour elle.

Il me fallait travailler efficacement au recueillement de ces informations pour le moment inexistantes.

— Bon, commençons par découvrir un peu cette ville.

Toujours commencer par un repérage du terrain. Si Haziel m'avait déposé ici, je voulais croire qu'il ne s'agissait pas d'un hasard.

Apparemment Bourges se trouvait dans le Berry, région Centre. D'un seul coup, je me sentis moins perdue dans le monde. Je connaissais cet endroit. La sorcellerie y était encrée depuis des siècles. Et même si les sorcières d'ici savaient se faire très discrètes, elles existaient encore. Leur puissance avait de quoi faire verdir de jalousie leurs consœurs réparties dans le monde. Pourtant, malgré ce pouvoir grandissant, nombre de ces sorcières restaient des créatures ignorant tout de leur nature magique, se pensant humaines jusqu'à la fin de leurs jours.

Continuant mes recherches, je fronçais les sourcils.

— Une cathédrale ? m'étonnais-je d'une image sur l'écran avant de pester.

Bien sûr, je n'étais pas sotte, et mon sens de l'observation restait un minimum efficace. La cathédrale de Bourges se voyait de loin, même au sein de la ville. Mais de voir les articles sur l'ordinateur concernant l'édifice, cela me donna une idée. Un début dans ma quête de réponses. Aussi, je m'empressais de sortir de la médiathèque après avoir pris le temps de tout éteindre derrière moi.

Les agents du Vatican français ne me feraient rien, il s'agissait d'une certitude. Même s'ils recevaient un ordre de traque de la part du Conseil, ils ne bougeraient pas le petit doigt. Aucune idée de s'il s'agissait de fainéantise ou s'ils étaient simplement prévenants, trop pacifistes pour attaquer qui que ce soit, mais toujours est-il que se mettre à traquer un individu ne faisait plus partie de leurs missions premières. Il s'agissait d'une information assez connue des pécheresses et des chasseurs. Les agents français ne participaient pas à la guerre contre l'Apocalypse. Tout du moins plus depuis quelques siècles. En mission, les pécheresses ne pouvaient donc que rarement compter sur les églises de France, pas concernant nos chasses. Mais lorsqu'il s'agissait d'hospitalité, ils demeuraient excellents et très ouverts.

Bien vite, j'arrivais au pied de la fameuse cathédrale.

Le bâtiment religieux était immense et imposant. Son style gothique rendait la cathédrale tout aussi impressionnante. L'usure sur les sculptures et gravures aux murs apportait de son charme à l'édifice spectaculaire, mêlant deux styles architecturaux, ne respectant pas même les règles de constructions classiques d'une cathédrale.

Une cathédrale se rebellant contre les règles. J'aimais ça. Montant les marches d'escaliers, comme quelques touristes, j'entrais dans les lieux.

L'intérieur accueillait de nombreux individus. La plupart devaient être des touristes, mais il en était certains venus prier et allumer des cierges. Le silence n'y avait rien de pesant. Il s'agissait de calme, mais une sensation étrange m'enveloppa bien vite. Quelque chose de différent. Le froid lécha ma peau, réchauffant pourtant mon corps d'une flamme nouvelle. Mais ce sentiment de malaise... C'était vraiment étrange.

Mon regard repéra enfin le confessionnal de la cathédrale. Je m'y dirigeais discrètement afin de m'y installer. Attendant à l'intérieur, la nervosité me gagna rapidement. Et si je m'étais trompée ? Et si finalement des chasseurs m'attendaient ici ?

Mon instinct m'indiquait une chose, la crainte m'en imposait une autre. Mais mes informations, mes observations en tant que pécheresse... Tout le monde le savait : les agents français étaient pacifistes. Ils ne se mêlaient à rien.

Entendant qu'un prêtre entrait, je tentais de reprendre mon sang-froid. J'avais besoin de réponse. Il était bien trop tard pour faire marche arrière, le Conseil en avait déjà après ma vie et le Paradis aussi. Il ne manquait plus que l'Enfer se mette à me traquer pour faire de ma vie un cauchemar sans fin ni aucun refuge.

J'en viens à voir l'Enfer comme un refuge, ça ne va vraiment pas bien.

— J'ai affronté des démons, des anges, des sorcières, des loups-garous et bien d'autres créatures, décidais-je finalement par me lancer, conservant au mieux mon calme. Pourtant, aujourd'hui, je dois faire face à la plus terrible des choses qui puisse exister. Je dois faire face à la réalité des mensonges.

Alors que le prêtre allait s'exprimer, je fermais les yeux, me forçant à ne pas prier pour que tout se passe bien.

Au pire, tu restes la meilleure pécheresse du monde. S'il tente de te la mettre à l'envers, tu les stérilises et tu te barres, me rassurais-je tout en complimentant un ego qui n'avait pas tant besoin de flatterie pour se sentir bien dans ses chaussettes.

— Mon père, me croirez-vous si je vous annonçais que le Vatican m'a menti et qu'il nous ment à tous depuis longtemps ?

Entendant un discret petit rire amusé, je retins mon souffle en me demandant s'il riait parce qu'il était d'accord avec moi ou s'il se moquait simplement de ma stupidité d'avoir cru qu'il pourrait m'aider.

— Le berger guidera toujours ses brebis égarées.

Alors le mur de bois dans mon dos s'ouvrit, faisant apparaitre un étroit escalier souterrain. Bourges possédait ses mystères dont le Vatican n'en saurait jamais rien.

— Rejoignez-moi en bas, Triple V.

Ne me faisant pas prier, je descendis, finalement dictée par autre chose qu'un instinct de survie face à la menace du Conseil. Une chose aussi dangereuse qu'annonciatrice de possibles grands progrès. Cela s'appelait la curiosité.

Les escaliers menaient dans un lieu assez sombre. Je n'arrivais pas à voir l'endroit dans lequel j'avais atterri, mais je savais que la pièce était espacée. Fermant les yeux pour ne plus me distraire de ce sens devenu obsolète, il me semblait sentir des colonnes de pierres autour de moi.

Soudain, je levais par réflexe mon bras, bloquant une attaque. Venait-on réellement de tenter sa chance contre la grande Triple V ?

Guidée de mon instinct ainsi que de quelques autres sens, je bloquais les attaques de trois personnes. Puis je lançais un coup de pied à l'aveugle, atteignant ma cible par un heureux miracle que je préférais appeler mon génie.

Un autre des assaillants reprit le combat. Prenant pour appui une colonne à mes côtés, mon élan me permit de sauter afin de me saisir de l'individu, enroulant mes jambes autour de son cou. Exerçant une légère pression, je le fis basculer au sol, arrachant une plainte douloureuse pour lui, particulièrement plaisante pour moi.

Mais mon repos fut de courte durée lorsque je sentis une nouvelle attaque, que j'esquivais de peu. Saisissant le poing en plein vol, poing venu depuis mon dos, je fis passer la personne devant moi, la mettant au tapis avec ses camarades.

Et voilà le travail, me félicitais-je non sans me remettre en position de garde, de nouveau prête à devoir affronter le reste d'une armée à l'aveuglette. Ce qui suivit fut bien différent. Était-on en train... d'applaudir ?

Je fronçais les sourcils. Que se passait-il ici ?

La lumière s'alluma, révélant non pas trois mais quatre personnes au sol. Quatre hommes qui grimaçaient et s'appuyaient contre les colonnes maintenant la pièce souterraine. Une pièce bien étrange... Une salle d'entrainement ?

— Tu es vraiment Triple V.

Un prêtre venait de faire son apparition.

— Bienvenue à la cathédrale de Bourges. Désolé pour cet accueil, mais ces garçons doivent s'entrainer au corps à corps.

— Et ça vous arrive souvent d'attaquer dans le noir ? reprochais-je, furieuse.

— Oui, il faut qu'ils s'entrainent comme je te l'ai dit. Et il fallait que je vérifie que tu ne sois pas une menace.

— Une menace ?

Le prêtre ne répondit pas à ma dernière question. Il me fit un mouvement de la main pour m'inciter à le suivre. Positionnant ses mains derrière son dos, il avança jusqu'à arriver à une porte qu'il poussa, vérifiant tout de même si j'avais bien pris la décision de le suivre. Mais rester auprès de mecs complètements H.S ne m'intéressait pas. Je ne soignais pas les gens, sauf si cela pouvait m'être bénéfique. À la rigueur, peut-être aurais-je pu rester auprès d'eux pour me moquer de leur médiocrité ? Après tout, ça je savais faire.

Le prêtre entrait dans une pièce et j'emboitais ses pas... et je ne pus en croire mes yeux.

Une pièce gigantesque et très espacée, remplis d'armes et des personnes bien vivantes. Des personnes qui n'étaient pas toutes humaines ! Les diverses tables contenaient des cartes, des ordinateurs ou encore les lumières qui projetaient des « trucs ». Aucune idée de ce dont il s'agissait et ça n'avait pas la moindre importance. Une coupe ? Des fleurs de lys ? Des bouquins, des dessins ou des squelettes ? Ils auraient pu révéler la nature reptilienne de la Reine d'Angleterre, j'étais bien trop choquée par tout le reste pour m'en intéresser.

Des monstres bien vivants, pas prisonnier, libres comme l'air, dans un édifice religieux ? Dans une cathédrale !

— Nous accueillons des créatures qui ont besoin d'un refuge. Nous faisons en sorte de leur apprendre à s'intégrer à l'humanité et à se camoufler parmi nous pour passer inaperçus aux yeux du Vatican, commençait à développer fièrement le prêtre sans se soucier de mon état de tétanie ou de mes désirs impulsifs de sauter à la gorge de chacun d'entre eux. Certains rejoignent nos rangs, parfois. Et crois-moi qu'un vampire bien entrainé peut être bien plus efficace qu'une vingtaine de chasseurs.

— Je crois que je ne suis pas très à l'aise.

Me retrouver face à tous ces... monstres. J'étais une pécheresse, ils étaient ceux que je chassais depuis toujours.

Vi, souviens-toi que tu es en danger, ce n'est pas le moment de couper des têtes. Qu'il était difficile d'écouter la raison !

— Virginia Gladio, aujourd'hui, tu es comme ces pauvres créatures. Tu es une proie chassée par le Vatican. Ce qui fut un jour ta réalité n'existe plus.

Il se tourna alors vers moi, et je pus le décrire comme étant plutôt jeune. Le prêtre, un homme d'une trentaine d'années aux courts cheveux bruns, me souriait.

— Je te crois lorsque tu affirmes que le Vatican ment. Le Vatican a toujours menti et tant que le Conseil sera dirigé par des hommes vaniteux et désireux de pouvoirs, il en sera ainsi pour longtemps.

— Vous ne comprenez pas.

Mes mots l'incitèrent à se taire quelques instants. Il attendit patiemment que je justifie, que j'exprime ma pensée. Et elle risquait de ne pas lui plaire.

— Certes, je sais que le Vatican ment, mais j'ai toujours chassé ces créatures. Et aujourd'hui, je me retrouve à devoir croire en vous qui affirmez qu'ils ne sont pas si différents de moi ? Désolé si je n'arrive pas à y croire.

Chacun d'eux possédait en lui une nature mauvaise. Et s'il ne le montrait pas aujourd'hui, ce mal resurgirait à un moment ou l'autre. Je l'avais vu tant de fois... Même ceux ayant réussi à me faire croire le contraire avaient fini par me trahir...

— Tu es venue ici pour distinguer le vrai du faux, n'est-ce pas ?

Exact... La raison de ma venue ici, guidé par Haziel.

— Je peux t'apporter les réponses que tu cherches. Mais pour cela, tu devras me faire confiance et accepter cette réalité. Ces créatures ne sont pas si différentes que les humains. Elles ont le choix de faire le Bien ou le Mal.

Baissant les yeux, j'avais l'impression d'être soudainement devenue une enfant naïve qui ne connaissait rien à la vie, mais qui avait pourtant l'impression de tout savoir.

— Virginia, même les humains sont capables d'être des monstres. 

Date dernière mise à jour : 29/07/2024

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