Chapitre 8
« Cours, cours, petite brebis égarée.
Cours, cours, mais tu ne peux te libérer.
Les chaines chantent une douceur.
Leur mélodie emprisonne ton fragile cœur.
Silencieuse Chani,
L'amour n'est qu'illusion
Le rouge n'est que passion.
Peux-tu encore aimer le mensonge ?
Peux-tu encore aimer ce qui te ronge ?
Tout le monde le sait,
Et tout le monde le tait.
Les roses d'un rouge écarlate sont messagères de l'amour et de la passion,
Et leurs épines ramèneront toujours à cette véritable et douloureuse raison. »
Oui, les roses étaient messagères d'un amour passionnel. Seulement, lorsque les épines venaient écorcher nos doigts innocents, pensant pouvoir s'emparer de la fleur impossible à capturer, elles ne représentaient plus qu'une illusion des plus cruelles.
L'amour était ainsi. Inutilement idyllique, stupidement utopique.
La main tendue n'atteindrait jamais la rose d'un carmin irrationnel. Elle n'atteindrait jamais ce songe profondément révélé et silencieusement crié par nos cœurs dont la seule compagnie serait la solitude.
Une seule vérité : rien n'était destiné. Le hasard n'existait pas, mais rien n'était écrit à l'avance. Dieu n'avait pas de réalité, pas plus que tous les autres êtres divins de ce monde. Nous avions été créés avant d'être abandonnées. Une révélation à laquelle nos cœurs démunis s'étaient faits à l'idée depuis longtemps. Nous étions nés seules, nous mourrions seules. Voici la seule vérité pouvant exister.
Pourtant...
Un soubresaut m'extirpa d'un étrange rêve. Un rêve se différant des cauchemars habituels. Mais la brusquerie de mon éveil me força à me tenir la tête de mes mains, ma vue s'en troublant en conséquence. Une nausée passagère s'empara de moi avant de repartir. Le mal de crâne resta un peu plus longtemps.
Par habitude, ma main chercha mes médicaments posés sur ma table de nuit. Ces maux n'étaient pas si rares et mes envies de fumer plus grandes en cas de nuits difficiles ou de journée particulièrement éprouvante. Il n'y eut ni médicament, ni cigarette. Ma main ne rencontra que le vide.
Je ne me trouvais pas dans mon appartement, rien d'étonnant. Allais-je le retrouver un jour ? Peu de chance.
Lâchant un soupir bien énigmatique, je rouvris les yeux, m'accordant la curiosité d'observer le nouveau lieu.
Un lit moelleux occupait la pièce ronde. L'un des nombreux ameublements de la chambre aux couleurs indigo. Cette teinte semblait occuper l'endroit dans sa presque entièreté.
Repoussant les draps de soie posés sur moi, je me levais du lit. Mes jambes étaient légèrement flageolantes, mais je tenais debout. C'était le principal.
Premier problème. Mes vêtements avaient disparu, remplacé par une courte tunique blanche tombant au niveau de mes cuisses. Soit les anges étaient des êtres pervertis, soit ils ne comprenaient pas que ce genre de vêtements étaient révélateurs des formes d'un corps féminin. Une indécence qui ne me dérangeait pas particulièrement. Mais pour le principe, je préférais m'en plaindre.
Soupirant de nouveau, je supposais que ces êtres célestes étaient seulement stupides.
M'approchant de la porte de la chambre, je voulus la pousser afin de sortir. Cependant, au moment d'agir, je me stoppais. Des voix s'élevaient derrière. Plaquant mon oreille contre le bois, j'essayais d'écouter ce qui était en train de se dire.
— Seulement quelque temps, ce ne sera pas pour l'éternité, Gaddiel.
— Je refuse de la laisser ne serait-ce que quelques minutes.
— Gaddiel, elle est en sécurité ici alors cesse de t'en faire.
— Il n'en est pas question !
— De toute manière, ce n'est pas à toi de décider, coupa sèchement l'une des voix.
Un silence très court s'ensuivis. Un moment où mes sourcils se froncèrent. Le sujet m'échappait, mais je devais en être l'objet phare. Que proposait l'inconnu à Lysandre pour que ce dernier soit furieux à ce point ?
— Nous la garderons le temps de l'examiner. Puis, nous le retirerons de son corps avant que celui-ci n'ait entièrement fusionné en elle.
Inutile de se triturer les méninges pour comprendre. Un seul sujet était sur les lèvres de tous me concernant : la larme. Haziel avait changé d'avis en voyant les tatouages, le Conseil me voulait vivante grâce au collier et le Père Jean avait perdu la vie à cause de lui.
Les autres anges semblaient également intéressés pour une raison que je n'expliquais pas encore. Ça ne signifiait pas que je ne trouverais jamais la réponse. Si on se refusait à m'expliquer les choses, je n'aurais qu'à laisser mes oreilles trainer ici et là, mener mes propres recherches et investigations. Je finirai par tout savoir à un moment donné. Ce n'était qu'une question de temps.
— Cela la tuera, n'est-ce pas ? en conclut Lysandre.
On parlait effectivement de moi. Ce collier était-il dangereux ? Le retirer revenait à me condamner à mort auprès du Conseil.
— C'est très probable, en effet.
Donc non seulement sans la larme en moi, je serai en danger sur Terre, mais l'opération pour l'enlever menaçait ma vie de manière inévitable.
— Je vous en empêcherai.
— Je ne te demande pas ton avis.
— Zaphkiel ne sera pas d'accord ! hurlait Lysandre, incapable de laisser quiconque lui tenir tête, comme à son habitude.
— Pour le moment, il n'est pas là. Alors, je décide de ce qui devra être fait ou non.
Je reculais, entendant les bruits de pas dans ma direction. Ma main dans le dos, je me préparais au combat de ma survie. Lysandre m'avait emmené, malgré lui, dans un lieu menaçant mon existence. Je survivrai par moi-même. Mais ma dague ne se trouvait plus à sa place. Je la rangeais souvent dans mon dos ou contre ma cuisse.
La porte s'ouvrit en grand.
— Lauviah, je t'interdis de t'approcher d'elle ! gronda Lysandre alors qu'un homme se présentait silencieusement devant moi.
Vêtu d'une longue toge indigo, ses longs cheveux blonds ondulaient en cascade alors qu'une auréole violette et rosée ornait au-dessus de sa tête. Les traits de son visage étaient si délicats qu'il faisait penser à ceux d'une femme. La beauté androgyne de l'ange Lauviah était à couper le souffle.
Il me saisit par la main, m'entrainant hors de la chambre.
— Vi, ne le regarde pas dans les yeux, m'ordonna Lysandre.
Mais je n'y parvins pas. Les yeux de cet homme étaient si hypnotiques et d'un rose pâle magnifique... Sous le charme de ce regard, lorsque je repris de nouveau le contrôle de moi-même, je ne me trouvais plus aux abords de cette chambre, mais dans une tout autre pièce. Une grande salle en cercle, sans mur. Seules des colonnes soutenaient le toit de pierre. Les ouvertures étaient camouflées par des rideaux fins et transparents de cette même teinte omniprésente.
Regardant de nouveau devant moi, je découvris un trône immense. Lauviah était posé devant, mais n'osait pas s'en approcher, prouvant qu'il n'était pas destiné à gouverner.
— Bienvenu au Chœur des Trônes, dirigé par l'Archange Zaphkiel, me présenta poliment Lauviah.
L'ange se courba délicatement en avant, me charmant de son sourire chaleureux et bienveillant. Que m'avait-il fait pour que je me laisse ainsi manipuler sans opposer la moindre résistance ?
— Je suis Lauviah.
— Vous êtes un ange de la Kabbale, devinais-je finalement d'un soupir ennuyé.
Je n'avais pas écouté correctement mes cours de théologie pour en connaitre davantage sur le domaine. Néanmoins, je savais que les anges possédaient une hiérarchie, décrite par la Kabbale. Entre autres. Les informations du Vatican enseignées notamment aux pécheresses, différaient en certains points inintéressants pour celle ayant préféré profiter de ces enseignements pour dormir. Et surtout, si j'avais été mauvaise élève en cours théorique retrouvable dans n'importe quel bouquin, j'avais été bien plus à l'écoute sur l'étude des forces et faiblesse des monstres. Les anges en faisaient partie, bien que le Conseil en connaissait bien peu sur eux contrairement aux autres créatures existantes.
Si tous les anges étaient une attraction nous incitant à la confiance, certains d'entre eux possédaient quelques atouts particuliers. Particulièrement les anges de la Kabbale. Les yeux de Lauviah devaient être de ces dons uniques.
L'ange androgyne confirma d'un mouvement de la tête.
— Oui, se contenta-t-il de répondre à ma question. Et toi, Virginia, tu possèdes en toi quelque chose qui ne t'appartient pas.
Passant ma main dans mon cou, contre ce tatouage étrange, je devinais aisément l'origine de l'accusation grotesque. Mais le père Jean avait fait en sorte que ce collier me revienne.
— Il m'appartient, affirmais-je sèchement.
Un collier que ma famille avait elle-même possédé auparavant. Bien que je me demandais finalement comment mes parents avaient pu posséder un tel objet, je ne comptais pas le donner à un ange. Même si le Conseil était désormais mon ennemi, cela ne voulait pas dire que je pouvais avoir confiance en des créatures. Surtout pas les anges !
De plus, si cela signifiait qu'il y avait des risques pour que ma vie soit en danger, il était hors de question que l'on me retire cette larme du corps.
— Virginia, je vais retirer ce bijou que ta chair a accueilli. Je te pris de ne pas résister ou cela rendra la tâche plus difficile qu'elle ne l'est déjà. Est-ce que tu comprends ?
— Où est Lysandre ? le coupais-je sans me laisser une seconde fois avoir par ses yeux.
Aussitôt, un bruit de pas retentit dans mon dos, me poussant à me tourner. Lysandre arrivait, visiblement furieux. Et on pouvait comprendre pourquoi. Deux anges le tenaient fermement par les bras, ne le laissant libre d'aucun mouvement.
En me voyant, son regard enragé ne s'apaisa pas. Bien au contraire.
— Lauviah, je te préviens. Si tu lui fais quoique ce soit, je te détruirai.
— Gaddiel, tu n'es qu'un simple ange. Tu ne feras jamais le poids face à moi. Alors détends-toi un peu. D'autant que je ne compte pas la tuer.
— Les chances qu'elle survive sont trop minimes pour qu'elle ait une chance et tu le sais parfaitement !
N'arborant aucune expression inquiète, mon attention se posa sur Lysandre. Juste une curiosité me titillant depuis mon arrivée ici.
— Pourquoi est-ce qu'ils t'appellent Gaddiel ?
— Chaque ange possède un nom angélique, intervint une autre voix.
Haziel venait d'apparaitre.
— Lauviah, Zaphkiel sera en colère lorsqu'il reviendra et qu'il découvrira ce que tu as fait.
— Non, il comprendra. Il aurait fait la même chose à ma place.
— Tu sais parfaitement que non, répliquait calmement Haziel.
Mon nouveau meilleur ami !
Mais Lauviah ne céda pas pour autant. Et alors qu'il s'approchait de moi, je commençais à reculer. Le seul ange que j'étais parvenue à tuer n'était pas mort. Et à ce moment-là, j'avais possédé une arme pour me défendre ! Là, je ne tenais rien de comparable.
Comment vaincre un être se disant plus fort que le seul être céleste ayant effleuré la mort de mes mains, et sans une arme pour m'y aider ?
Ma tentative de m'éclipser apparu bien vaine. Lauviah fut bien plus rapide que je ne le serai jamais. Bien plus encore que toutes les créatures ayant croisé mon chemin jusqu'à présent. Et il se retrouva devant moi en moins d'une fraction de seconde, me faisant face avec ce même sourire stupide, et à présent agaçant, sur la tronche.
Sa main s'approcha de moi, un geste que j'interprétais comme menaçant.
— Ne me touchez pas, murmurais-je sans pour autant pouvoir l'en empêcher.
Mon cœur battait fortement dans ma tête à mesure que la terreur me paralysait et s'emparait de moi. J'avais peur. Cet ange était plus fort que moi. Plus fort que Lysandre. Personne ne pourrait m'aider.
J'étais seule, menacée et incapable de me défendre. Vulnérable.
Triple V était vulnérable.
Lysandre se débattait, cherchant encore à combattre pour venir à mes côtés. Un regard de ma part le pétrifia. Que voyait-il dans ces yeux ? Ma peur ? Ma crainte de ne pas pouvoir me défendre ?
— Vi...
Sa voix n'apaisa rien. Il était aussi impuissant.
— Virginia, ne soit pas effrayée, petite brebis. Tout va bien se passer, m'assura Lauviah.
Sa main s'approchait lentement.
— Ne me touchez pas..., continuais-je de persister.
Son geste ne s'arrêta pas, continuant son chemin vers mon visage. Et plus elle se rapprochait, plus elle me terrifiait, le rythme cardiaque de mon cœur s'affolant dangereusement.
Mon corps se réchauffait sans raison apparente, me consumant de l'intérieur. Une chaleur qui fut étouffante. L'air commençait à me manquer. En réaction à ma peur de l'ange m'envahissait un brasier de plus en plus brûlant en ma chair. Je le sentais... Ce feu. Et cette force...
— Non, ne me touchez pas...
Je me mise à suffoquer, ma voix prenant un son plus grave dans son chuchotement.
— Détends-toi, Virginia. Tout va bien.
Mais ma vue devint de plus en plus aveuglée. Je regardais Lauviah, complètement paniquée. Haletante, je m'embrassais de l'intérieur. Une sensation qui s'intensifia à mesure que la main de Lauviah s'approchait, à mesure que ma terreur s'élevait.
— J'ai dit... Ne me touchez pas ! hurlais-je enfin.
Dans une voix dédoublée, la chaleur en moi explosa sans crier gare. Mes yeux se mirent à me brûler et je poussais un cri de douleur, tombant au sol, à genoux, ma peau comme en feu sans que la présence de réelles flammes n'ait été nécessaire. Mon dos semblait se déchirer, mon cou me lacérait...
Tout sembla cesser lorsque deux bras m'enlacèrent doucement, mais avec fermeté. Deux puissants bras dont l'étreinte suffit à m'apaiser. Le feu se calma, la douleur disparue pour laisser place à un sentiment serein de sécurité. Tout allait bien, ou presque.
Cette chaleur en moi, je le connaissais pour l'avoir expérimenté longtemps. Cette caresse appartenait à Lysandre. Il n'était en rien nécessaire pour moi de le voir pour le reconnaitre. Entre mille, personne ne serait son équivalent.
Mais je ne parvenais pas à le voir. Mes yeux étaient grands ouverts, pourtant je ne voyais rien ! Seulement le feu, juste le feu...
— Lysandre, je ne vois rien.
Je paniquais de nouveau, mais les mains de Lysandre se posèrent délicatement sur mon visage qu'il prit en coupe.
— Calme-toi Vi, je suis là. Ferme les yeux, tout va bien.
Je fermais les yeux, bercée par ses mots, confiante en l'idée que Lysandre ne souhaitait que m'aider.
— Voilà, c'est bien. Inspire et expire. Calmement, lentement.
Je suivais ses directives. Dès que je n'y parvenais plus, me remettant à paniquer, Lysandre me rassurait immédiatement de ses mots et de ses mains.
Petit à petit le calme me gagna enfin et je réussis à me détendre. Ma respiration saccadée revint à la normale, tout comme ma vision.
Le visage de Lysandre se dessina devant moi, chaque détail revenant au fur et à mesure que je recouvrais la vue. Lorsque je vis de nouveau correctement, l'esquisse de l'ange se profila sur son visage.
— Tu vois ? Tout va bien, m'assura-t-il encore.
J'affirmais de la tête. Oui, tout allait bien. Pourtant, rien n'allait vraiment.
— Que m'arrive-t-il Lysandre ? Qu'est-ce que tu m'as fait ?
Je connaissais cette énergie qui avait éclaté en moi, mêlée à quelque chose d'autre. Mais elle appartenait sans nul doute à Lysandre.
Mon corps se remettait à trembler. Rien n'allait plus. Mon quotidien connaissait une crise et un mal étrange s'emparait de ma vie. Depuis la mort du Père Jean...
Lysandre devait s'en être rendu compte puisqu'il me prit dans ses bras.
— Tout va bien, me répétait-il inutilement, sans doute persuadé que ses mots arrangeraient les choses.
Mes mains s'agrippèrent à sa chemise blanche, les vêtements qu'il portait depuis que nous étions sur Terre. J'avais désespérément besoin d'un appui pour tenir. Déjà à terre, j'avais cette impression de pouvoir m'effondrer à tout moment.
Lysandre serra plus fortement son emprise sur moi sans pour autant m'étouffer. Une sensation protectrice m'envahit au moment où l'ange déployait ses ailes dorées avec une puissance retenue. Des ailes qui nous enveloppèrent comme pour nous enfermer dans un monde à part, un monde emplie de sécurité et de douceur.
Pouvais-je croire en ce genre d'utopie ?
— Mais leurs épines ramèneront toujours cette véritable et douloureuse raison.
Une voix étrange, une citation me venant de nulle part... Mais apparemment mes paroles furent si discrètement murmurées que personne n'y prêta attention.
Lysandre se décida enfin à me lâcher pour se relever. Il me souleva dans ses bras, me gardant au plus proche de lui. Son regard se posa sur Lauviah, qui me fixait comme une bête de foire, visiblement sous le choc.
— Lauviah, l'appela calmement Lysandre.
L'intéressé se tourna vers lui, reprenant son visage souriant et chaleureux. Une expression qui sonnait faux à présent.
— Allez-vous reposer tous les deux. La Lune apparaitra bientôt dans le ciel.
<><><>
Enfin tranquille.
Par le passé, jamais je n'aurais espéré venir ici, au cœur du territoire des anges. Mais aujourd'hui, je rêvais seulement de le quitter. Mon expérience de la journée ne m'aidait pas à vouloir rester.
— Au moins, c'est joli, commentais-je ce paysage.
Accrochée au bord du balcon, me tenant à la solide rambarde, je fixais le ciel étoilé. Même au Paradis, la nuit était capable de vaincre le jour.
Après l'épreuve particulièrement éprouvante, Lysandre m'avait fait une visite rapide de ce ciel avant de nous faire arriver à destination, c'est-à-dire la partie des Puissances, une autre catégorie d'anges. Au contraire de chez les Trônes, où tout était indigo, ici tout était doré, voire rouge. Cela incluait la chambre immense de Lysandre. Ma dague et mes vêtements s'y trouvaient également.
— Vi, et si tu entrais à l'intérieur ? me proposa la voix étrangement charmeuse de l'ange.
Celui-ci s'était appuyé contre une colonne, m'observant avec un sourire discret. Ses bras croisés autour de sa poitrine gonflaient sa musculature. Il avait abandonné ses vêtements humains pour revêtir le costume classique de l'ange exemplaire : une toge courte et des sandales. Une auréole dorée ornait au-dessus de sa tête, m'arrachant une esquisse bien triste. Tout cela était invraisemblable. Je me retrouvais chez les anges, les ennemis numéros 1 du Conseil en ces périodes apocalyptiques.
Cette nouvelle apparence de Lysandre... Malgré le temps que nous avions passé ensemble, je ne l'avais jamais vu.
— Dis-moi Lysandre, tu fais partie des Puissances, c'est ça ?
— Oui, pourquoi ?
Je me tournais vers lui, m'asseyant sur la rambarde. Je n'avais pas particulièrement peur. J'avais l'impression d'être en sécurité avec cette rambarde.
— Alors pourquoi ton nom n'apparait pas dans la Kabbale ?
Ma question sembla amuser Lysandre, qui s'approcha de moi.
— Parce que je fais partie de la nouvelle génération. Lorsque notre Père a transmis à Moïse la Kabbale, nous étions encore trop jeunes de plusieurs millénaires pour être nommés dans des textes sacrés.
— De plusieurs millénaires ? Tu te fous de moi ?
— Non. Contrairement à mes frères ainés qui sont nés bien avant la création du monde, ma génération fut créée bien après.
Je ne pus m'empêcher de rire en entendant Lysandre déclarer cela avec autant de sérieux.
— Je n'ai que vingt-quatre ans, Lysandre. Et tu dis qu'un millénaire est un jeune âge ? Mais je ne suis qu'un fœtus alors.
— Un fœtus bien développé physiquement.
Et tout en déclarant ça sans aucune honte, Lysandre enroula son bras autour de ma taille pour me plaquer contre son corps. Un geste qui me perturba.
— Qu'est-ce que tu fais ?
Me prenant dans ses bras, il enfouit son visage dans le creux de mon épaule.
— Je t'aime tellement Vi. Quand pourras-tu me retourner ces sentiments ?
Je ne répondis rien, me souvenant alors de quelque chose d'important. Lysandre était un ange. Peu importait que le Conseil ait menti. Peu importait que le père Jean ait exprimé la vérité. Et peu importait que le Conseil me faisait rechercher dans le monde. Au final, cela ne changeait absolument rien. Lysandre restait un ange, une créature qui n'accordait aucune réelle importance à l'humanité et aux vivants. Encore aujourd'hui, cela m'avait été prouvé. Haziel qui m'avait regardé de haut dès notre première rencontre, les créatures de ce monde de l'Au-delà qui m'avaient observé de façon étrange et enfin Lauviah qui avait été prêt à me tuer pour récupérer un objet en moi. Et aucun ange n'avait semblé vouloir m'aider.
À part Lysandre, chassais-je tout de même de mes pensées.
Aujourd'hui encore, c'était par ma propre force que j'avais survécu. La seule vérité existante et faisant que nous pouvions vivre et survivre était que dans la vie, nous étions seuls. Personne ne viendrait jamais nous aider.
Avec Lysandre près de moi, j'avais bien failli oublier cette seule réalité qui gouvernait le monde. Une vérité universelle et unique.
Nous naissions seuls et démunis, nous mourrions tout aussi seuls et démunis.
Veni, vidi, vici, pensais-je de nouveau. Trois mots en latin formant une phrase des plus exacte et révélatrice sur qui j'étais. Je venais, je voyais et vainquais toujours, qu'importe où je me trouvais. Et tout cela seule, sans l'aide de personne. Tel était le travail enseigné aux pécheresses.
La vérité était un lourd fardeau que nous portions sans nous en plaindre. Le bonheur appartenait à ceux qui ne savaient pas. Et cela nous convenait. Nous le savions. Heureux étaient les ignorants.
Date dernière mise à jour : 13/07/2024
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top