Chapitre 6
Enfin à la maison.
Je restais plantée devant l'immeuble, épuisée de devoir autant me déplacer alors que j'avais été kidnappée. Si j'avais contacté le Conseil plus tôt, peut-être m'aurait-on envoyé un avion ?
Légèrement courbaturée, je passais une main dans ma nuque. Un geste qui me rappela la présence de ce joli tatouage. Aux yeux de tous, il paraissait passer inaperçu. Un simple tatouage assez classique. Rien d'extraordinaire. Mais pour moi, il s'agissait de la preuve irréfutable que j'avais touchée à un objet qui n'aurait jamais dû tomber dans mes mains. Bien que, si l'on en croyait les lettres du père Jean, ce collier avait appartenu à ma famille. Autrement dit, il s'agissait de mon héritage. Un bijou de famille.
Entrant dans le bâtiment, je montais une à une les marches de l'escalier, l'ascenseur étant encore en panne. Mais bon, il ne fallait pas s'attendre à ce que le gérant le fasse réparer. En plus d'être un gros pervers, il ne bougeait le petit doigt que pour venir rappeler qu'il fallait payer son loyer. D'ailleurs, en parlant du loup...
Devant la porte de mon appartement se tenait un homme plutôt petit et trapu. Son odeur de transpiration agressait mon nez, piquant mes yeux en plus de la vision de quelques taches sur son débardeur. Le mauvais sourire étirait ses lèvres pour délivrer un aperçu de ses dents ayant perdu de leur blancheur. Ce dernier se persuadait être un Don Juan, un gentleman que toutes les femmes trouvaient désirables. Il en oubliait ses mauvaises manières et son manque d'hygiène qui le rendait écœurant.
Le concierge, tourné vers moi, m'attendait avec impatience.
— Mademoiselle Gladio, il faut payer votre loyer.
— Vous êtes en avance de deux jours.
Il s'approcha de moi, me matant le derrière sans se cacher.
— Eh bien si vous pouvez pas payer, je peux toujours faire un effort pour vous donner un délai supplémentaire, m'accordait-il généreusement en se léchant la lèvre.
Malgré le grand sourire professionnel sur mon visage, à l'intérieur, j'étais en train de vomir de dégoût. Autant ne pas lui donner d'excuse pour rester trop longtemps dans les parages.
Je déverrouillais la porte de mon appartement.
— Je vais chercher l'argent tout de suite.
Sitôt à l'intérieur, mes sourcils se froncèrent. Une impression étrange titillait mon instinct. Et mon instinct avait très rarement tort. D'ailleurs, il n'avait jamais tort.
Je pris l'enveloppe posée sur l'un des meubles de ma chambre-salon avant de ressortir pour la tendre au concierge. Elle avait été préparée en amont pour justement pouvoir me débarrasser de l'homme au cas où ce genre de situation puisse arriver.
— Tenez, monsieur Amaro. Le compte y est.
Le concierge partit bredouille après avoir minutieusement vérifié le paiement. Une fois loin, ma voisine d'à côté sortit en riant.
— Encore à vouloir te mettre dans son lit, se moquait-elle.
— Valentina, tu as aussi le même problème, je te rappelle.
Elle se mit à rire tout en sortant une cigarette de son paquet. Elle m'en proposa et je refusais poliment.
— J'ai arrêté.
Allumant la cigarette avec son briquet, elle expira la fumée nauséabonde dans le couloir. Valentina était une jeune femme du même âge que moi. Très énergique et super gentille, aux regards de certains, elle apparaissait tout de même assez intimidante. Rien de bien étonnant. On pouvait s'en rendre compte lorsqu'elle chassait son amant au beau milieu de la nuit pour une parole de travers qu'il aurait eu à son égard.
Nous échangions quelques mots rapides avant que je ne décide de rentrer.
— Ah, Virginia, me retint-elle un instant alors que je m'apprêtais à fermer ma porte. Des amis à toi sont entrés il y a quelques minutes. Tu les as loupés de peu.
— Des amis à moi ?
— Oui, le grand... Comment est-ce qu'il s'appelle déjà ? Ah oui, Michele. Et il était accompagné de deux autres gars.
— J'avais oublié, ils devaient passer vérifier si j'avais bien éteint le gaz, inventais-je stupidement pour justifier ce geste suspect de mes « amis ».
Refermant derrière moi, je me précipitais dans chaque recoin de mon appartement, cherchant ce qui avait été déplacé et fouillé. Et en effet, tout avait été fouillé minutieusement. Mon instinct ne m'avait pas trompé.
Michele était méticuleux, mais apparemment pas suffisamment pour berner une pécheresse. Certaines de mes affaires avaient été déplacées. Mais rien n'avait été emporté. Toutes mes affaires se trouvaient là, en place, dans mon appartement. La question maintenant était de savoir ce que le Conseil cherchait, et pourquoi ? Jamais Michele ne fouillerait jamais chez moi s'il n'en avait pas reçu l'ordre.
Ma main passa machinalement sur ma nuque. Avec les derniers évènements, j'avais bien une petite idée. Le père Jean avait caché ce collier, un bijou dont la magie se manifesta pour pénétrer ma chair. Une babiole ayant fait réagir Lysandre par sa seule énonciation.
Connaissant le père Jean, il avait dû garder l'existence de la babiole secrète. Et le Conseil m'ayant aussitôt interrogé après sa mort...
Je deviens parano.
Néanmoins, si ma supposition s'avérait réelle, alors cela signifiait que le Conseil cachait de nombreux secrets et mystères. Mais surtout, que le père Jean n'était pas mort à cause d'un cambriolage ayant mal tourné, comme cela avait pourtant été déclaré ! Si le Vatican cherchait vraiment cette boîte que j'avais trouvée dans le bureau du père Jean, alors le Conseil n'était pas totalement innocent quant à la mort du vieil homme.
Un rire nerveux s'échappa d'entre mes lèvres, une nouvelle idée germant dans mon esprit. Et si j'étais surveillée ? Et si mon appartement avait lui aussi été mis sur écoute comme le bureau du père Jean ?
J'inspirais profondément, calmant la folie montante qui m'empêchait de rester logique et raisonnable.
Tout ceci n'avait pas de sens. Je me laissais choir dans mon lit. Un regard pour ma table de nuit, je cueillis la jolie croix offerte par Lysandre. Un collier capable de me pister. Très romantique.
— Je pensais vraiment l'avoir tué.
Ma vie n'avait pas basculé à la mort de l'ange, mais le jour où l'on m'envoya en mission à ses côtés. Il refaisait son apparition peu de temps après la mort du père Jean, alors qu'un collier magique laissait fleurir des roses rouges sur mon corps. En l'enfilant comme promis, mon corps se détendit presque rassuré. Tout allait bien, je n'avais rien à craindre. Les crises de paranoïas pouvaient arriver dans notre domaine de façon très fréquente.
Mais ce fut la tête remplie de théories du complot que je sortais de chez moi, mon sac dans le dos. Direction le Vatican.
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Le Vatican restait une ville aux nombreux bâtiments. Le Conseil et ses Ordres se cloisonnaient dans des locaux à l'architecture tout aussi impressionnante que le reste de la cité vaticane. Non loin de la Place Saint-Pierre, les touristes n'y prêtaient qu'un coup d'œil curieux, prenant par moment des photos.
Un endroit qui restait tout de même plutôt grand. Tout du moins suffisamment pour que je me perde et hésite à demander mon chemin. Même après tant d'années à courir dans ces couloirs, ses plans me paraissaient toujours aussi flous qu'au premier jour.
Je ne pouvais pourtant pas me permettre plus de retard. Je devais rendre quelques comptes et offrir un rapport détaillé de la situation. Rien que d'y penser me filait la migraine. Devoir annoncer que l'ange devant être mort ne l'était pas totalement, que le démon devant être capturé avait été tué par ce même ange qui m'avait ensuite kidnappé pour me relâcher peu après... À leur place, je trouverais toute cette affaire très louche.
J'entendis quelqu'un m'appeler par mon prénom dans un hurlement déchirant. Et au moment où je me retournais, je fus percutée de plein fouet et tombais à la reverse, atterrissant sur les fesses.
— Maria, tu n'étais pas partie en mission ? m'étonnais-je en voyant la jeune fille dans mes bras.
— Tu vas bien ? s'empressa-t-elle d'enquêter sur mon état. L'ange que tu devais tuer est vraiment en vie ? Et il t'a vraiment kidnappée ? Comment tu t'es enfuie ?
Un bon résumé des questions qu'on allait me poser.
Maria fut soulevée du sol par Isabella. Celle-ci m'offrit un sourire crispé.
— Je t'assure que je l'avais tué, me justifiais-je inutilement.
Isabella leva la main pour me couper.
— J'en suis persuadée Virginia. Comme tout le monde d'ailleurs. La vraie question est de savoir comment il a réussi à survivre ?
Je soupirais de soulagement. Au moins tout le monde me croyait lorsque j'affirmais avoir tué Lysandre.
Le père Jean était le vrai coupable de toute cette affaire ! Ses raisons ne me paraissaient pas claires. J'avais seulement pu constater que ce ne devait pas être la première fois qu'il secourait des anges. Une subtilité dans ses lettres me le laissait supposer. Dans ce cas, le hasard avait voulu que Lysandre soit sauvé. Une autre pécheresse aurait pu être à ma place, ce n'était rien de personnel. Néanmoins, ses agissements me retombaient dessus aujourd'hui. Et même si je ne pouvais décemment pas dénoncer le père Jean, je gardais une certaine rancune pour ce vieil homme.
Pour l'instant, j'étais complice de ses secrets. Au moins le temps pour moi de comprendre tout ce quiproquo et d'avoir le fin mot de l'histoire. Entre la fouille secrète de mon appartement, le collier, et que sais-je encore ! — Je me faisais un devoir de démêler le vrai du faux.
— De toute manière, tu dois sans doute donner ton rapport au Conseil, n'est-ce pas ? devina Isabella sans trop de difficulté. Tu me raconteras comment cela s'est passé.
Après la promesse de lui payer un verre plus tard, je me relevais du sol et repartis pour le sous-sol.
Il me fallut plusieurs minutes à vagabonder à la recherche de la salle souterraine pour me rendre compte qu'il valait mieux demander mon chemin. Ce fut bien plus efficace, et j'arrivais enfin devant les deux grandes portes massives. Le Conseil se trouvait derrière.
Poussant les portes, je pénétrais dans l'immense salle de réunion, sans meuble et sans fenêtres. Il faudrait vraiment que les Anciens pensent à faire aménager ce lieu. C'était froid et très peu chaleureux, rendant mal à l'aise n'importe qui entrant ici. Mais peut-être était-ce le but recherché ? Et dans ce cas-là, cela fonctionnait parfaitement bien !
Les membres du Conseil étaient réunis autour de la table en demi-cercle, me décrivant du regard.
— Mademoiselle Gladio, nous attendons. Que s'est-il passé ?
Droit au but. En même temps, je ne pouvais pas me plaindre. J'avais du retard.
— J'étais en mission avec des chasseurs dans la traque d'un démon, commençais-je à expliquer. Au moment d'affaiblir considérablement le démon, un ange est apparu pour le tuer.
— Cet ange est celui que vous étiez chargée de tuer dans une ancienne mission, n'est-ce pas ? me coupa l'un des Anciens.
Mes poings se serrèrent. Je grinçais des dents, aussi furieuse que frustrée.
— Oui, c'est bien cela. Mais je vous assure qu'il était bien mort. Je n'ai pas d'explication quant à sa résurrection. Ensuite, il m'a kidnappée pour des raisons tout aussi inconnues avant de me relâcher de nouveau, sans quoi je ne serais pas là aujourd'hui.
L'Ancien du centre ouvrit un dossier.
— Nous aurions bien une explication à fournir sur cette renaissance de l'ange que vous étiez chargée d'abattre, commença l'Ancien. Il se trouve que les anges possèdent des pouvoirs de guérisons puissants. Et s'il y avait encore un souffle de vie dans le corps de l'ange que vous deviez tuer, il est tout à fait possible qu'un autre ange l'ait aidé.
— Si c'est le cas, pourquoi est-ce que ce même ange ne m'a pas tuée ? demandais-je sans vraiment avoir conscience de mes mots.
L'Ancien sourit.
— En effet, la question se pose. Mais nous avons une deuxième théorie qui risque de ne pas vous plaire, mademoiselle Gladio.
Je pus voir le vieil homme sortir un document du dossier. Une feuille ? Une photo ?
— Il se trouve que le père Jean n'était pas aussi « blanc » qu'on pourrait le croire. Il complotait depuis quelque temps contre le Conseil, supposant une corruption en notre sein et nous accusant de créer une Apocalypse inexistante. Il allait jusqu'à blasphémer et nous accuser de vouloir simplement détruire les anges pour atteindre le Seigneur tout-puissant afin de nous emparer du pouvoir divin.
Mes yeux s'écarquillèrent en grand. Était-ce ce que le père Jean avait voulu que je découvre moi-même ? Étaient-ce les fameuses choses qu'il pensait que le Vatican nous cachait ? Mais c'était insensé !
— Le père Jean s'est d'ailleurs procuré une arme assez particulière et très rare. Une arme qui lui a certainement permis de guérir cet ange.
— Attendez, vous êtes en train d'accuser le père Jean d'avoir guéri un ange en plus d'avoir comploté contre vous ?
— Je sais que cela peut paraître insultant..., intervint l'Ancienne de l'Ordre des pécheresses.
— Oui, c'est insultant, lui confirmais-je tout en sachant pertinemment qu'il ne s'agissait là que de la vérité.
— Virginia, coupa de nouveau l'Ancien Gregorio.
Je me tournais vers lui. Et lorsqu'il me montra une photo, je dus faire des efforts surhumains pour ne rien montrer comme expression qui pourrait me trahir.
— Voici l'arme que possédait le père Jean. Elle ne lui appartient pas. Virginia, si tu as déjà vu ce collier, il est de ton devoir de nous communiquer sa position. Nous devons absolument le récupérer pour le conserver loin des mains aux mauvaises intentions.
L'Ancien avait cessé de me vouvoyer. Il voulait des réponses, et maintenant. Pourtant, tout commençait à devenir clair dans mon esprit.
Sur la photo était montré un collier. Le collier à la larme blanche et rouge qui avait pénétré dans ma main. Un collier se trouvant à présent en ma possession, dans mon corps. Un collier qui devait être la cause de la rose fleurissant sur ma nuque, cachée par mes cheveux écarlates.
Voir un tel cliché dans les mains du Conseil confirma mes soupçons : le Conseil avait tué le père Jean.
— Je ne reconnais pas ce collier.
Le vieil homme soupira avant de claquer des doigts.
Soudain, des gardes entrèrent dans la pièce. Chacun pointait son arme sur moi, des pistolets à gros calibre. Et alors que je me demandais ce qu'il se passait, un homme plus imposant entra. Il s'agissait de Michele. Mon ami me regardait avec une froideur que je ne lui connaissais pas.
— Virginia Gladio, vous êtes en état d'arrestation pour complot à l'encontre du Conseil, m'accusait-il cruellement.
Ce devait être un cauchemar. Ou alors une blague de très mauvais goût.
Mais lorsque Michele leva son arme, pointant le canon sur moi, je compris que tout était bien réel. Mes yeux s'embrumèrent d'eux-mêmes. Je venais de pénétrer dans un conflit bien plus complexe et réel que je ne le pensais.
Le père Jean avait peut-être même raison. Et si le Conseil était corrompu ?
Non, c'était impossible. Il nous dirigeait depuis toujours, nous guidant vers la victoire face à l'Apocalypse. Mais alors pourquoi me faire arrêter ?
Parce qu'il me soupçonne de trahison.
C'était ça, simplement un malentendu.
Je me tournais vers le Conseil.
— Je ne comprends pas.
Alors le vieux du milieu me montra un nouveau cliché. Un cliché qui me montrait dans le bureau du père Jean. Seulement, j'étais masquée. On ne pouvait pas me reconnaître.
— Même si le visage est caché, la corpulence et la chevelure correspondent parfaitement à vous, mademoiselle Gladio.
Mes cheveux ? Mais eux aussi étaient cachés !
L'Ancien pointa une mèche dépassant de la cagoule. Mes cheveux rouges.
— Non, ça ne constitue pas une preuve ! contestais-je. N'importe qui peut se faire passer pour moi. Il suffit de maquillage et d'une perruque. Et pourquoi est-ce que je me serais infiltrée dans le bureau du père Jean ?
— Pour prendre cet objet, affirma-t-il en me remontrant l'image du collier à la larme blanche.
— Je ne sais même pas ce qu'est cet objet ! m'emportais-je.
L'Ancienne des pécheresses se leva brusquement de son siège.
— J'en ai assez de voir mes filles aussi malmenées à cause de votre paranoïa grandissante, Gregorio !
Le vieil homme lui ordonna de s'asseoir. L'Ancienne grimaça, mais elle se rassit sans faire d'histoire avant de me regarder d'un air désolé.
Soudainement, deux mains se posèrent sur mes bras. Mon corps réagit de lui-même, dicté par pur instinct. Me retournant précipitamment, je me saisis de la main de l'imprudent et le basculais au sol à l'aide de ma jambe, récupérant au passage son arme. Ce fut à mon tour de la pointer sur la tête de Michele. Nous étions à égalité, chacun menaçant l'autre dans un silence des plus pesants.
— Tu peux me tirer dessus, mais mes hommes t'abattront immédiatement.
— Je préfère mourir que d'être privée de ma liberté.
— Si tel est ton souhait...
— Ne tirez pas ! hurla alors Gregorio.
Nous nous tournions tous vers lui, qui venait de se lever de son siège. Ses yeux étaient écarquillés alors que son visage trahissait à la fois de la terreur et de la surprise.
— Virginia Gladio, votre tatouage...
Mon tatouage ? Ah, la rose fleurissante.
Un sourire s'élargit sur mes lèvres. Toutes les pièces du puzzle s'unissaient pour révéler petit à petit la vérité que je ne souhaitai pas entendre. La théorie du père Jean envers le Conseil me paraissait de plus en plus plausible. L'Ancien connaissait la signification de ces tatouages, ce qui était le cas de quelques autres Anciens. Mais c'était surtout l'incompréhension des autres qui me le confirma. Tous n'étaient pas dans la confidence.
Alors que je souriais à l'Ancien, celui-ci comprit immédiatement le message sans que j'aie besoin de l'expliquer. Mais je me fis le plaisir de renseigner ce vieillard corrompu.
— Non, je ne me suis jamais fait tatouer. Si c'était bien là votre question.
L'Ancien sembla se pétrifier sur place.
— Capturez-la, mais ne la tuez sous aucun prétexte, ordonna-t-il en reprenant son calme.
Un rire moqueur m'échappa tandis que mon regard défia l'idiot pensant réellement pouvoir capturer une pécheresse.
— Vous savez très bien comment tout ça va se finir. Quelques os cassés, des cris et de nouvelles rumeurs pour alimenter mon CV.
Et mon regard se fit bien plus menaçant pour ces hommes menaçants.
— Je suis Triple V, bande d'enfoirés.
L'un des gardiens voulut me saisir pour me maitriser, bien peu intimidé par ce nom capable de faire trembler les monstres du monde entier. Je lui donnais un coup de pied dans la jambe alors qu'il courrait vers moi. Sa rotule se brisa dans un bruit sourd tandis qu'un os ressortait. Ce n'était pas faute de les avoir prévenus !
Les autres voulurent à leur tour tenter leur chance.
Si je me battais contre eux tous en même temps, je n'aurais jamais de chance. Ils étaient au moins aussi fort que moi en combat au corps-à-corps. Je courus droit sur Michele, qui se mettait en position de garde. Mais au lieu de l'attaquer, je glissais au sol, passant facilement entre ses jambes. Le temps qu'il se retourne, je m'étais déjà relevée pour déguerpir.
S'ensuivit ensuite une course poursuite digne des films d'action les plus stupides.
Parcourant le bâtiment, je me rendis alors compte que je m'étais perdue. Mon mauvais sens de l'orientation ne m'avait jamais autant aidé qu'aujourd'hui. Mes mouvements devenaient imprévisibles et les gardiens ne parvenaient pas à me suivre.
Au bout d'un moment, je rejoignis l'extérieur, envahi de touriste. C'était ma chance !
Je me fondis dans la foule massive en ce début d'après-midi brûlant par son soleil lumineux au plus haut dans le ciel. Plongeant ma main dans mon sac, j'en ressortais une perruque, la posant maladroitement sur ma tête avant de sortir des lunettes de soleil. Une pécheresse devait toujours être prête.
Ainsi déguisée, je pus sortir sans encombre, les gardiens n'ayant pas réussi à me retrouver.
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Les agents du Conseil semés, je pouvais enfin trouver un coin calme pour souffler un peu. Mon dévolu se jeta sur une ruelle déserte, placée dans l'ombre. Personne ne m'embêterait ici. J'étais en sécurité pour quelques minutes. Tout du moins, le temps que la situation se calme et que je puisse trouver un plan.
Pour l'instant, ce n'était que des gardiens et quelques chasseurs qui voulaient me retrouver.
Je ne me leurrais pas, les chasseurs continueraient de me talonner. Ils recevraient bientôt l'ordre de me pourchasser sans relâche. Une fois une mission en tête, ils travaillaient méthodiquement et en groupe, leur zone de chasse s'étendant sur le monde. Ma formation de pécheresse restait mon seul avantage en ce moment parce que leur fierté les empêchait de trop nous étudier, ayant pour unique image de notre Ordre celui de nanas faisant leur travail, mais en solitaire. Parfois, les commentaires étaient bien plus crus et blessants, d'autres fois presque tendre et proche d'un comportement de parent surprotecteur.
Toujours était-il qu'ils restaient tenaces. J'allais être la proie de leur traque jusqu'au bout. Et cela aurait été stupide de croire que je pourrais fuir éternellement les chasseurs.
Une pensée rassurante tenta de s'immiscer dans mon esprit. Celle que les pécheresses trouveraient étranges que l'une des leurs soit traquée. La dernière fois que cela était arrivé, la pécheresse avait disparu. Tous soupçonnaient l'Ordre d'y être pour quelque chose sans oser accuser ces femmes de manière officielle.
Inspirant profondément, je tentais de me calmer.
À force de courir partout pour fuir les gardiens, un épuisement s'empara de mon corps. Ce n'était pourtant pas une fatigue physique qui m'ennuyait en cet instant. Appuyée contre un mur, je me laissais glisser jusqu'au sol.
— Qu'est-ce que je vais faire maintenant ?
Les seuls amis que je possédais travaillaient pour le Conseil. Je ne pouvais pas demander leur aide. Je ne possédais aucune planque dans le monde pour me cacher. Même mon appartement était hors d'atteinte. Tout ce que je possédais, le Conseil en avait connaissance. C'était forcément dans mon dossier.
Que devais-je faire ? Franchir la frontière ? M'acheter une nouvelle identité ?
Je ne pouvais compter sur rien ni personne. J'étais...seule.
— Merde...
Une larme s'échappa. Quelques minutes. J'avais simplement besoin de lâcher prise quelques minutes pour me remettre de cette situation.
Tout partait de travers et j'étais prise au cœur d'un engrenage dont je ne connaissais aucun enjeu. Le Conseil mentait, le père Jean avait raison. Et à présent, ceux qui se disaient mes amis me traquaient comme un vulgaire gibier. Pourquoi cela m'arrivait-il ? Je n'avais rien demandé. Ma seule erreur avait été de prendre une petite boîte dans le bureau du père Jean et voilà où cela me menait. Je ne pouvais plus faire confiance à personne et je commençais à imaginer des complots.
Je suis perdue.
J'étais seule dans ce problème. Qui accepterait m'aider alors que j'allais sans doute être pourchassée partout où j'irai ?
Sans que je m'en rende compte, mes mains s'accrochèrent au crucifix de mon collier. Un joli bijou... Une idée stupide traversa mon esprit. Je ne pouvais avoir confiance en personne. Du moins parmi les Hommes. Alors, qu'avais-je à perdre ?
Passant mes doigts sur ma nuque, repensant au tatouage qui m'avait permis de ne pas mourir, des questions emplissaient de nouveau mes pensées.
Je n'avais que des questions pour si peu de réponse... C'était frustrant.
Fermant les yeux, je pris le collier de Lysandre entre mes mains. Et pour la première fois depuis longtemps, je me mise à prier.
— Lysandre, aide-moi, implorais-je dans un murmure idiot. Je t'en supplie...
Mes mots étaient si timides qu'ils s'effaçaient dans le vent, discrets, comme s'ils n'existaient pas. Comme s'ils n'avaient jamais été prononcés.
J'attendais dans l'ombre que la lumière débarque, rassurante et prête à me conseiller, mais rien ne se passa. Mes bras s'entourèrent autour de moi et je ramenais mes genoux pour y enfouir mon visage. Étais-je véritablement seule ?
— Vi.
J'avais l'impression d'entendre mon prénom. Il était exprimé avec une telle douceur que je compris qu'il ne s'agissait là que de mon imagination. Personne ne pouvait prononcer mon prénom avec ce ton en ce moment. Personne ne tenait suffisamment à moi pour m'appeler comme cela.
— Vi, lève la tête.
Encore ? La voix m'appelait de nouveau.
Essuyant mes larmes, je pris ce risque de prêter attention à ce qui m'entourait. Une silhouette familière se tenait devant moi, un sourire angélique sur le visage.
— L-Lysandre ?
L'homme confirma son identité d'un mouvement de la tête. Je me redressais aussi rapidement que possible. Maladroite, je manquais de tomber, me précipitant dans ses bras avant d'éclater de nouveau en sanglot. Des pleurs sincères, relâchés sans retenu. Lysandre me prit dans son étreinte protectrice, comprenant mieux que moi ma propre détresse. Il était un ange et ce moment me le prouvait. Cette tendresse muette, ces bras qui m'empêchaient de m'effondrer...
Il retira ma perruque, libérant ma chevelure. Ses doigts s'y glissèrent, passionnés par leur couleur, peut-être leur douceur. Ces caresses avaient de quoi m'apaiser, me faire croire que tout irait bien. Le Conseil n'existait plus, il n'y avait plus qu'un ange et la femme à l'image de son obsession.
Lysandre était là. Il était vraiment venu pour moi.
— Que t'arrive-t-il ? me demanda-t-il alors.
Je ne souhaitais pas en parler, prenant conscience que ce toucher me procurait une satisfaction insatiable. Mais Lysandre était en droit de savoir, surtout parce que je venais de le convoquer sans raison.
— Le Conseil m'a menti et à présent, je suis devenue une cible. Je suis traquée.
Je suis traquée par le Conseil. Ce fut un écho dans mon esprit, qui prit conscience du danger.
Je m'écartais brusquement de Lysandre. Je ne pouvais pas rester avec lui. Cet ange qui avait répondu à mon appel sans attendre. Celui que le père Jean avait sauvé. Il était en danger s'il restait dans mon entourage. Les chasseurs le tueraient pour l'unique raison qu'il était un ange. Pour ma part, je n'étais pas condamnée. Si les chasseurs m'attrapaient, ils avaient pour instructions de simplement me capturer.
D'autant qu'en tant qu'ange, et ancienne victime du Conseil, Lysandre était également une cible. À nous deux, nous augmenterions nos chances d'être trouvés... Pourquoi n'avais-je pas réfléchi avant de stupidement invoquer cet ange ?
— Je suis désolée. Je n'aurais pas dû t'appeler.
— Ne fais pas ça, s'énerva Lysandre. Ne rejette pas ma protection.
— Je n'ai pas besoin de toi, je n'aurai pas dû t'appeler.
Cette répétition ne fit qu'accentuer sa colère. M'attrapant par le poignet, Lysandre me rapprocha immédiatement contre lui, se refusant à me relâcher.
— Je sais ce que tu penses, Vi. Mais de simples humains ne peuvent pas me tuer. Et même si c'était le cas, ta sécurité passe avant la mienne.
— Je ne peux pas te laisser courir un danger à cause de moi. Je suis désolée de t'avoir appelé.
— Tu regrettes de m'avoir appelée ?
— C'est ça, je regrette de t'avoir...
Mais je ne pus jamais finir ma phrase. Lysandre s'empara de mes lèvres dans un baiser brusque. Sa bouche pressée contre la mienne, il se délectait d'une telle proximité.
Ce n'était pas mon premier, ce serait loin d'être mon dernier. Pourtant, ce contact possédait un goût différent de tous les autres. Il n'était pas le fruit de la comédie, il était trop authentique pour que je n'en sois pas sensible.
Mon cœur battait à tout rompre, et ce n'était ni la peur ni la colère qui l'animait.
Lorsque son visage s'écarta sans trop s'éloigner, ce fut comme d'arracher un bonbon des mains d'un enfant. Je le voulais encore.
— Moi, je suis heureux que tu m'aies appelé.
Cet idiot me ramena à la réalité. Il ne comprenait vraiment rien. C'était une situation qui le dépassait. Qui me dépassait !
— Tu ne comprends pas, imbécile. Il y a quelque chose en moi qui...
Je me tus subitement. Je ne devais pas tout lui révéler non plus. Son intérêt pour le collier était réel, il le lui avait laissé le temps de le croire. À quel point pouvais-je me confier sans crainte ?
— Vi, que me caches-tu ?
Je me détournais de Lysandre, passant machinalement ma main derrière mon cou tout en dirigeant mon attention partout sauf sur l'ange. Je n'arrivais pas à soutenir le regard de Lysandre.
— Rien du tout. Je ne te cache rien.
Mais à peine eus-je le temps d'affirmer ce mensonge, Lysandre m'avait de nouveau saisi entre ses mains. Il me retourna habilement pour me plaquer face contre le mur, maitrisant suffisamment sa force pour que je n'aie pas mal d'un tel geste dominateur. Il écarta mes cheveux de ma nuque. Ses doigts brûlants sur ma peau n'auraient pas dû m'arracher un tel frisson.
— Vi, quand est-ce qu'est apparu le deuxième bourgeon ? me demanda Lysandre.
— Quoi ? Il n'y a qu'une seule rose alors ne me fait pas peur comme ça ! Et d'ailleurs ce que tu...
— Je sais que ce n'est pas un véritable tatouage, alors ne t'épuise pas à inventer un mensonge. Je connais ce genre de chose. Je suppose que tu as trouvé le collier du père Jean, celui avec la larme blanche comme pendentif.
— Eh bien, elle n'était pas exactement blanche, mais oui, je l'ai trouvée.
— Pas entièrement blanche ?
— Il y avait une sorte de couleur rouge à l'intérieur.
— Je comprends mieux pourquoi le collier a fusionné avec toi alors.
— Comment ça ? Explique-moi Lysandre parce que là, je ne comprends plus rien.
Mais sans m'expliquer quoique ce soit, Lysandre me souleva du sol, un bras sous les fesses pour me tenir contre lui. Une telle position m'obligea à entourer mes jambes autour de sa taille, oubliant tout de mes entrainements pour repousser ce genre d'assaut.
— Sers-moi aussi fort que tu le peux et ferme bien les yeux.
Il me passa un foulard noir, me demandant de le mettre autour de mes yeux.
— Là où nous allons, ils brûleront si tu ne les protèges pas pendant le vol.
— Pendant le vol ?
Ne répondant pas à mon inquiétude soudaine, Lysandre déploya une paire d'ailes dans son dos. Immenses et magnifiques, leur couleur dorée semblait briller de mille feux.
Pour une fois, je décidais de ne pas essayer de comprendre. Attachant le foulard autour de mes yeux, j'enroulais mes bras autour des épaules de Lysandre comme il me l'avait conseillé.
Je décidais de lui faire confiance.
Date dernière mise à jour : 09/07/2024
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