Chapitre 26
— Je suis désolée.
Ce furent les dernières paroles qu'elle prononça.
Un coup retentit et Vi tomba.
Lysandre regarda la jeune femme, étendue non loin de lui. Les yeux de celle-ci étaient grands ouverts, ne le quittant pas un seul instant. Elle semblait le juger alors que les larmes terminaient leur chemin sur les pierres froides du sol, se mélangeant au sang écarlate qui s'échappait d'une blessure béante au niveau de son crâne. Sa magnifique chevelure rougeoyante s'éparpillait, des mèches ici et là... Ces cheveux dans lesquels il aimait glisser ses doigts.
Il avait vu beaucoup de mort dans sa vie. Des amis, des ennemis, de gens qu'ils ne connaissaient pas. Il en avait souvent souffert. Parfois même, il voulait bien le confesser, la disparition de certains l'avait enchanté. Et pourtant, la douleur qui s'insinuait dans son corps, dans son cœur, était une chose qu'il n'avait encore jamais vécue. Quelque chose qui grimpait crescendo, de plus en plus fort, de plus en plus douloureux à mesure qu'il réalisait la situation. Il n'avait pas su accomplir sa mission, il n'avait pas su la protéger.
Vi est morte.
Un hurlement de rage déchira le silence des lieux. Lysandre grondait sa colère. Il n'avait pas réussi à la protéger. Il le lui avait promis et pourtant...
Misérablement, il se mit à pleurer. Les blessures physiques qui tatouaient son corps étaient laides et douloureuses. Mais aucune n'était à l'origine de sa souffrance. Je suis inutile et faible.
Le vieil homme responsable de la tragédie venait en leur direction, s'arrêtant près de Vi. Près de sa femme ! Les humains l'empêchèrent de bouger tandis qu'il s'excitait à l'idée de lui arracher la tête. Le coupable de ses maux approcha sa main de la paume de Vi, où une perle venait d'apparaitre. Tous les tatouages de sa bienaimée avaient disparu, ne laissant que cette perle. L'œuf d'un ange, la forme véritable de Vi qui n'avait pas eu le temps de s'élever en être de lumière.
Ce n'est pas une perle..
Si c'était bien une perle.
C'était la seule chose qui restait d'elle. Et il était hors de question que Lysandre laisse un misérable humain, un assassin, un pécheur, s'emparer de cette créature tant désirée par son cœur !
Les ailes enchainées de Lysandre s'étirèrent dans une force impossible, se libérant avec puissance et fureur tandis qu'il se relevait, faisant fi de toutes les souffrances que son corps lui renvoyait. Ces imbéciles d'humains avaient véritablement cru que l'on pouvait retenir un ange, même blessé ?
La peau de Lysandre s'illumina alors que les blessures disparaissaient, tout comme ses vêtements. Sa véritable apparence arrivait. Ses vêtements devinrent ses traditionnels habits d'anges, soit une toge et des sandales. Sa luminosité ne s'atténua pas, et ses yeux devinrent miroitants, sans pupille. Son auréole apparaissait, tout comme un glaive à sa ceinture.
Mais au moment où il voulut attaquer, Lysandre se stoppa net. Il ne pouvait pas avancer.
Levant sa tête vers le plafond, il découvrit des écrits. De l'énochien ?
Des symboles du langage des anges étaient inscrits. Des symboles l'emprisonnant. Ces humains n'étaient peut-être pas si idiots que cela. Lysandre perdit de sa luminescence, mais conserva son apparence, les poings serrés.
Le vieillard souriait avec arrogance. Cet enfoiré savait parfaitement que l'ange ne pourrait rien faire.
— Lorsque Métatron viendra, vous serez tous réduits en cendre par sa lumière plus puissante que tous les autres anges réunis.
Ses geôliers l'obligèrent à s'avancer vers le vieillard.
— Tu vas m'aider à ouvrir les portes du Paradis, ange Gaddiel.
Comment cet homme connaissait son nom angélique ? Lysandre n'était connu dans aucun des écrits des humains, tout comme les anges de sa génération.
— Tu te demandes certainement comment je connais ton nom, n'est-ce pas ? J'ai aussi mes contacts. Par exemple, je sais que ton Père, ce Dieu misérable, a disparu. Beaucoup d'entre vous doivent souffrir de cette perte, n'est-ce pas ? Il vous a abandonné.
— Notre Père ne nous a pas abandonnés ! s'emporta Lysandre.
Les paroles de Vi résonnaient encore en son esprit. Il croyait en ces mots, elles étaient rassurantes et un espoir précieux pour son cœur.
Le vieillard souriait de plus bel, s'approchant de lui.
— Mais je ne suis pas comme lui. Lorsque je l'aurai remplacé, je deviendrai un dieu digne de votre amour.
Lysandre grinçait des dents. Cet humain était écœurant.
— Je préfère mourir que de vous aider à détruire les miens ainsi que mon Père.
— C'est désolant. Branwen ? appela alors le vieillard.
Sortant de l'ombre, une jeune femme apparue. Son pantalon similicuir noir moulait ses formes et les talons aiguilles de ses bottes étaient très peu discrètes auditivement. Son long manteau sombre possédait une capuche large qui lui masquait le visage, tout comme le foulard qui faisait office de cache-nez. Ses mains gantées par des gants en cuir étaient posées sur ses hanches.
Elle prêtait seulement attention à l'humain.
— Branwen est une femme merveilleuse qui m'a été confiée par un ami dont le but est commun au mien. Il veut au moins autant que moi voir le Paradis s'écrouler.
Mais déjà Lysandre n'écoutait plus. Il regardait fixement la femme, les sourcils froncés. Il avait l'impression de la connaitre. Il lui était impossible de l'identifier. Et pourtant, le frisson glaçant qui le parcouru lui parut familier.
Elle se tourna alors vers lui, lui dévoilant ses yeux d'un bleu si clair qu'ils paraissaient translucides. Des yeux presque blancs, empreint d'une magie incertaine. Ses cils étaient si noirs, comme le contour de ses yeux...
Puis Lysandre devina. Il s'agissait d'un être semblable aux anges. Seulement, quelque chose différait. Un détail plus obscur. Elle le fixait avec une telle haine qu'il se demandait finalement s'il ne l'avait tout simplement pas oubliée. Sinon, pourquoi montrerait-elle ouvertement autant d'hostilité à son encontre ? À moins que ce ne soit pas contre lui spécifiquement, mais contre les anges en général qu'elle en voulait ?
La femme attendit avant de l'approcher. Prenant son visage en coupe, celui-ci frissonna de ce contact. C'était bien plus que juste froid. Sa peau était gelée. Comme si toute la chaleur de son corps s'en était allée. Elle s'insinuait en lui, chassant ses résistances d'un simple regard. Et alors qu'elle le touchait ainsi, Lysandre sentait son souffle se couper. Sa force le quitta brutalement. Il s'effondra à genoux et la femme le relâcha avant d'aller directement voir le vieillard. Elle tenait dans ses mains une sphère lumineuse. Son énergie qui lui avait été dérobée. Comment cette femme avait-elle été capable d'une telle prouesse ?
— Parfait. Et tu peux ouvrir le Paradis avec ? demanda le vieux.
Les autres vieillards autour de la table s'étaient levés pour s'approcher.
La mystérieuse femme leva alors ses mains vers le ciel. Excepté qu'au moment d'utiliser l'énergie de Lysandre, celle-ci disparut. La femme se pétrifia avant de vivement se tourner vers le vieux, vers l'œuf. Soudain, elle courut vers les ombres de la pièce, disparaissant comme une voleuse pour fuir un danger imminent.
Les vieillards n'eurent pas le temps de se poser des questions. L'homme qui tenait la perle dans ses mains la relâcha brutalement en hurlant de douleur. Sa main avait été brûlée.
Sans raison apparente, des flammes apparurent une à une dans la pièce, à des endroits aléatoires. Le feu se propagea très rapidement, trop rapidement pour être normal et naturel. Les hommes coururent jusqu'à la porte. Seulement, celle-ci ne s'ouvrait pas.
— Partir avant d'avoir subi votre jugement ? Hors de question, murmura une voix féminine que Lysandre reconnaîtrait parmi toutes.
La perle venait de s'élever dans les airs. Elle s'enflamma brutalement, explosant à une puissance plus grande qu'une simple bombe. Tous furent irradiés dans la pièce, et le plafond se détruisit alors qu'une énorme colonne de feu de la largeur de la pièce s'élevait jusqu'au ciel, transperçant les nuages. Lysandre ne fut pas brûlé, contrairement au cadavre de Vi ainsi qu'aux hommes prisonniers dans la pièce.
La perle s'était brisée, disparaissant dans le néant. Dans le ciel s'élevait déjà une forme féminine et angélique. Un ange aux ailes de feu atterrissait dans la salle, près de Lysandre, alors que les flammes s'apaisèrent. Celle-ci, immolée par le feu, se tournait vers ce qui était à présent un tas de cendre, ses yeux enflammés.
— Veni vidi vici.
Le feu autour d'elle disparut d'un seul coup, l'enveloppant pour devenir un vêtement impossible pour les anges habituels. Vêtue d'une courte robe noire, pieds dénudés, la jeune femme à la chevelure flamboyante posa sur lui un regard des plus tentateurs.
— Vi..., devina Lysandre.
Les flammes disparurent, laissant place à la femme aux cheveux écarlates. Ses grandes et puissantes ailes en feu devinrent alors aussi noires que son unique vêtement. Des ailes qui crépitaient comme des braises. Quelques-unes de ses plumes sombres brûlaient encore d'un feu lumineux.
Le bâtiment autour d'eux s'effondrait petit à petit, à cause de la rafale de feu qui avait précédé la renaissance de Vi.
Il s'approcha, tremblant. Lysandre n'en croyait pas ses yeux.
Virginia le prit alors dans ses frêles bras. Elle le rassura tandis que lui ne cessait de la toucher. Il devait la toucher, il devait être certain qu'il s'agissait bien d'elle, qu'elle n'allait pas partir de nouveau loin de lui. Il devait s'assurer qu'elle était bien vivante.
— Lysandre, tu trembles ?
— La ferme ! s'énervait-il.
L'ange avait eu tellement peur, il avait été si malheureux...
Serrant la femme puissamment entre ses bras, il enfouit son visage dans le creux de l'épaule de Vi. Elle l'emmena au sol, à genoux. Il n'aurait pu rester debout très longtemps de toute façon.
— Ne meurs plus jamais, Vi. Je te l'interdis.
Il entendit le doux rire amusé de son ange, ce qui l'énerva.
— Ah non ! Ce n'est pas le moment de rire ! J'ai vraiment cru t'avoir perdu...
— Je n'aurais jamais pu partir. Il est impossible que je t'abandonne de nouveau, Lysandre.
Les joues de Lysandre rosissaient légèrement alors qu'il s'enfouissait davantage dans le creux de l'épaule de Vi, cette fois-ci pour se cacher.
Puis, elle s'écarta de Lysandre avec une force incroyable. La force d'un véritable ange. Prenant le visage de celui-ci dans ses mains, elle l'embrassa avec le talent d'une pécheresse, mais la maladresse de l'embarras. Cela amusa Lysandre, qui reprit alors les rênes de ce baiser, l'intensifiant à sa manière. Sa langue pénétra le passage de ses lèvres, décidant de prolonger ce moment, de s'en amuser.
Mais lorsqu'il bascula la jeune femme au sol, celle-ci l'arrêta.
— Lysandre, ce n'est pas vraiment le lieu... Encore moins le moment d'ailleurs.
Regardant autour de lui, Lysandre voyait quelques débris encore enflammés qui tombaient ça-et-là. Il haussa les épaules.
— Au contraire. Personne ne viendra nous déranger.
Un raclement de gorge se fit alors entendre dans leurs dos. Il s'agissait d'Abigaël, accompagnée de plusieurs femmes humaines et d'autres créatures.
— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais il y a eu une grosse explosion. Tout est en train de s'effondrer et il y a déjà des gens qui filment dehors des vidéos amateurs. Je n'ai pas envie d'être sur Internet alors, on se dépêche, les pressa la pécheresse.
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Nous sortions enfin des souterrains, les fameux passages secrets d'Abi.
Les pécheresses et les créatures, toutes prisonnières du Conseil, étaient aussi sorties. Cela avait été difficile pour les quelques créatures n'appréciant pas vraiment les souterrains. Ce fut notamment le cas de l'hippogriffe, qui était à présent appuyé contre un arbre, reprenant son souffle.
Je souriais en l'observant frémir d'horreur et reprendre son calme.
— Vi, n'offre pas un tel sourire pour un autre que moi, se vexa Lysandre à mes côtés.
Depuis que nous avions quitté le Vatican, Lysandre me tenait la main, m'empêchant de me séparer de lui. Lorsque la vie m'avait quitté, il en avait été si affecté qu'à présent, il refusait catégoriquement de me laisser seule une seconde. Même si je culpabilisais de l'avoir mis dans un état pareil, je le trouvais adorable. Il était comme un enfant apeuré.
Soupirant, je me rendais compte que Lysandre me faisait passer pour une sadique.
Ma main se posa sur son torse. L'ange retint brusquement son souffle de ce geste. Ses doigts se glissèrent dans mes cheveux avant de se diriger vers mes ailes sombres et crépitantes. Elles n'étaient pas comme l'avait espéré mon ange. Son regard pour elles ne trahissait personne.
— Je ne suis peut-être pas aussi parfaite et pure que tu le pensais pour avoir une telle couleur de souillure.
— Métatron m'a un jour révélé qu'il adorait les ombres. Elles lui rappelaient une pureté que lui-même ne pourrait jamais posséder. Je n'ai jamais vraiment compris ses paroles, mais je pense commencer à saisir son message.
Mes sourcils se froncèrent alors que je me demandais ce qu'essayait de m'expliquer Lysandre.
Sa main glissa jusqu'à ma joue, qu'il caressa délicatement.
— Je t'aime, lui déclarais-je sans le moindre effort, si ce n'était celui d'un cœur pudique en sa présence.
Lysandre sourit, se penchant lentement vers moi pour m'embrasser innocemment et tendrement. Mes yeux se fermèrent. J'aurais voulu que ce moment dure pour toujours.
Et pourquoi n'aurait-il pas duré ? Tout était enfin fini. Le Conseil était détruit, j'étais en vie, Lysandre aussi. Rien d'autre n'avait d'importance.
Lysandre écarta ses lèvres des miennes, presque à contrecœur.
— Vi, rentrons à la maison.
Oui, tout allait pour le mieux. Que demander de plus ?
La main de Lysandre se saisit fermement de la mienne alors que nous repartions. Je ne savais pas où nos pas nous mèneraient, mais une chose était certaine. Peu importe la destination, je suivrai tous les chemins si Lysandre se tenait à mes côtés.
Et alors que nous nous éloignions du Vatican, je le réalisais enfin. Tout était bel et bien fini.
Mais ce dont je ne me doutais pas à ce moment-là, c'était que l'histoire ne venait que de commencer, et que les secrets ainsi que les divers autres mensonges étaient loin d'être terminés.
Après tout, la Mort était une amie qui m'accompagnait depuis ma naissance. Et lorsque l'on possédait une amie aussi mortelle, les malheurs n'étaient jamais loin.
Dernière mise à jour 1 : 27/09/2024
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