Chapitre 21
Tant que Lucifer se trouvait dans les parages, j'avais rarement à m'inquiéter de ces monstres. Avec lui à mes côtés, personne n'osait quoique ce soit. Jamais en sa présence.
Mais en cet instant, il se trouvait loin, ailleurs. Je m'étonnais encore qu'un tel être puisse passer de l'Enfer à la Terre sans aucune difficulté. Mais le monde se composait de nombreux mystères. Il aurait été prétentieux d'affirmer tous les connaitre. Alors, bien que l'on m'ait appris que ceux appartenant à l'Enfer étaient incapables de fuir ce territoire damné, je ne pouvais écarter la possibilité que cette théorie ait ses limites lorsqu'il s'agissait d'un être comme Lucifer.
Le suivre me traversait souvent l'esprit, mais le secret de sa méthode pour se rendre sur Terre demeurait entier. J'étais tout bonnement incapable de l'espionner. Soit il prenait ma filature pour un moyen de l'autoriser à me tripoter, soit il parvenait à me semer. Mais pas pour longtemps. Pas éternellement.
— C'est l'humaine qu'il a ramené ? se murmurait quelques créatures dans le coin.
— Elle n'a pas les cheveux noirs.
Encore ? En quoi avoir des cheveux rouges posait-il problème ? Une coutume de l'Enfer ?
Je continuais mon exploration, persuadée de pouvoir trouver un moyen de fuir. Et seule, malgré les nouveaux interdits de Lucifer. Après tout, les attaques n'avaient pas cessé, bien qu'elles aient été moins régulières. Je pouvais manger sans crainte d'être empoisonnée, une fois sur deux l'œuf me défendait, et le reste du temps, Méphisto ou Lucifer m'accompagnaient. Donc, me balader seule était de moins en moins dangereux. Pour autant, un sentiment étrange alertait mes sens et mon instinct, ce dernier criant que je devais me cacher, m'enfuir. Pas combattre, mais seulement me mettre en sécurité.
Puis un homme – ou plutôt un démon – plus imposant que les autres se plaça devant moi. Il jeta un regard aux autres qui, aussitôt, déguerpirent. Apparemment, mon sentiment d'insécurité n'était pas une erreur.
Méphisto venait de faire son entrée.
— Toi, tu ne devrais pas trainer en Enfer comme s'il s'agissait de ta demeure. Lucifer apprécierait peu que tu te fasses écorcher vive.
Il secoua de la tête, poussant un profond soupir.
— Tu dégages une forte aura de désir. Lucifer est vraiment stupide de t'avoir ramené.
— Je partage cet avis. Comment je retourne sur Terre ?
Il arqua un sourcil, ne tombant pas dans le panneau visiblement.
— Méphisto, je m'en charge.
Et voilà le retour de Lucifer, un sourire aux lèvres.
— Ne pense même pas à me prendre dans tes bras, le menaçais-je au moment où ce dernier tendait ses mains.
Il se contenta de caresser mes cheveux, les observant avec fascination.
— Tu comptes me garder longtemps ?
— Pour toujours, même après ta mort. N'est-ce pas la définition de l'amour ?
— Non, ça, c'est une définition selon les connards psychopathes et les harceleurs, qui sont aussi des connards psychopathes.
L'effet de mes remarques ne fut pas de l'agacement, mais un amusement de la part du déchu. L'autre démon, Méphisto, regarda simplement ailleurs.
— Vous devriez l'enfermer dans la Chambre Abyssale.
Une chambre de torture ? Avec un nom pareil, ça n'annonçait rien de bon. Allait-on me pousser dans des abysses ?
Lucifer parut réfléchir à la question.
— Tu as raison.
Les deux m'emmenèrent sous le regard troublé et remplis d'émotions répugnantes des démons alentours. La haine commençait à disparaitre. Qu'est-ce que cette chambre avait de si particulier pour que finalement toute l'animosité qu'on m'accordait disparaisse ?
Ma curiosité fut étouffée par mon plus puissant désir : retourner à mon exploration pour trouver un super portail magique. Le palais était immense et les possibilités d'en fuir impossible. Pour le moment tout du moins.
Peut-être Lysandre viendrait-il me sortir de là avant que je n'y parvienne moi-même ? Étrangement, cette pensée me rassurait, m'apaisait et me nourrissait d'une forme d'espoir que j'avais rarement eu l'occasion de ressentir dans ma vie.
Mais après quelques minutes de marche, un tout nouveau lieu apparu devant moi. Sombre, de teintes bleutées, glaciales et nocturnes à la fois, tout était plongé dans un froid étonnant, contrastant avec le reste de l'Enfer. J'en arrivais à me frotter les bras alors qu'un frisson s'emparait de mon corps.
Le calme du lieu plongeait dans la confusion. C'était comme se trouver... Je n'avais pas de comparaison me venant à l'esprit. À l'exception peut-être d'un terme employé précédemment. Celui d'abysse.
Calme, glacial et sombre. Mais également reposant...
— Bienvenue dans la Chambre Abyssale, présenta Méphisto avec bien peu d'entrain.
Lucifer observait ce qui ressemblait à une suite ou un appartement. Une émotion que je ne lui avais jamais vue traversa son regard l'espace d'un instant. Comme de la nostalgie, de la mélancolie. De la tristesse. Une blessure. Il retrouva pourtant très vite le sourire.
— Personne ne viendra t'embêter ici puisque peu de mes sujets sont autorisés à entrer en ces lieux. Tu es libre d'aller où tu veux, Vi. Tu es mon invité, personne n'osera te faire le moindre mal.
Etait-ce aussi simple que ça ? Pensait-il que les démons allaient enfin cesser leur harcèlement ?
Il finit par me laisser seule avec Méphisto, comme pressé de partir.
— Qu'est-ce qu'il lui arrive ?
Méphisto demeura muet quelques instants, réfléchissant visiblement à la manière de me répondre.
— Cette chambre était destinée à une autre personne, finit-il par expliquer.
Et à son tour, le démon partit.
Mon regard s'attarda sur des détails, cherchant des indices sur un moyen de partir. Les livres ici étaient des rouleaux et des parchemins étrangement bien conservés et bien peu abîmés.
Des babioles ici-et-là servaient de décoration.
Je n'aimais pas vraiment le bleu, préférant des couleurs plus chaudes. Autrement dit, ce n'était pas cette chambre qui allait me retenir en Enfer.
Mais un détail attira mon œil. Un pot de fleur posé sur une table. De la terre fertile, en Enfer. Et une jeune pousse en sortait.
J'imaginais mal Lucifer en jardinier. S'agissait-il d'une fleur magique ? J'en connaissais suffisamment sur la sorcellerie pour avoir conscience de la puissance de certaines plantes.
Ma main se tendit, et tout aussi vite, je retirais mon doigt, émettant un sifflement de douleur. Une marque de brûlure s'y trouvait. La fleur était bien magique, mais glacée. Elle devait être la raison pour laquelle le lieu était aussi frais.
Une fleur inutile pour mon évasion.
J'avais pourtant tenté ce qui m'était possible de réaliser. Mais mes apprentissages de pécheresse ne comptaient pas le programme « Comment s'évader de l'Enfer ». Si je ne trouvais pas de portails dimensionnel, je ne pouvais qu'espérer voir débarquer Lysandre.
— Lysandre...
M'installant sur une chaise, mon esprit vagabonda un instant, repensant au jour où j'étais partie du manoir des anges sans me retourner. Que se serait-il passé si je n'avais pas fui à ce moment-là ?
Je secouais de la tête, m'interdisant à sombrer dans les théories des « si » qui n'aidaient jamais.
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Nouvelle pièce de découverte dans le château de l'Enfer : la bibliothèque. Des livres, des rouleaux, des parchemins abandonnés, et surtout très peu de visiteurs. Le lieu idéal pour reprendre mes recherches. Je ne pouvais pas croire qu'ici ne se trouveraient pas des réponses concernant un moyen de retourner sur Terre. Peut-être pas une solution entière, mais au moins partielle, avec des pistes.
Plusieurs bouquins étaient empilés sur la table. Pas d'ordinateur pour m'aider, et les lieux étaient immenses, surveillés par des bibliothécaires très éloignés de l'image classique qu'on en avait. Ici, des montagnes de muscles, agressifs, aux crocs ressortant de leurs babines. Ce qui ne donnait pas envie de prendre le risque de voler des livres.
Malheureusement, je m'étais prise au jeu de découvrir le contenu de ces étagères remplies. Comme attendu, des livres de magies noires, des renseignements sur la démonologie, des prophéties, des histoires sur la possession ou sur les contrats de pactes. En bref, l'essentiel de ce que l'on attendrait du bon petit démon.
— Tu as enfin trouvé cet endroit.
Je n'eus pas besoin de relever la tête pour savoir qu'il s'agissait encore de Lucifer.
— Tu n'en as pas assez de venir m'embêter ? Kidnappeur et harceleur... Il va falloir penser à consulter un psychiatre.
Se retenant de rire, un soupir amusé lui échappa. L'albinos s'installa plus loin, dans un fauteuil qui parut si confortable que je regrettai de ne pas l'avoir vu avant.
— Je ne vais pas t'embêter. Je vais rester à bonne distance.
Il leva un livre, mimant de se plonger dans sa lecture.
Tant qu'il reste loin...
Je repris mes recherches.
Dans les livres de magie devait se trouver des sorts me renseignant d'un moyen de quitter ce lieu de la damnation. Les cercles, les symboles et les diverses incantations tournoyaient dans mon champs de vision.
J'apprenais de nombreuses nouveautés magiques, mais rien d'utile jusqu'à présent. D'autant que mon corps était tendu. L'étrange sensation d'être épiée m'obligeait à passer une main nerveuse sur ma nuque. Un coup d'œil m'indiqua que Lucifer m'observait. Il était responsable de mon malaise soudain.
Son livre n'était qu'un prétexte. Ce beau parleur voulait sans aucun doute me surveiller.
— Si tu crois m'impressionner, tu te trompes. Je vais continuer et trouver la solution pour fuir d'ici.
— Penses-tu que je tente de t'empêcher d'arriver à tes fins ? Virginia, je pensais pourtant que tu avais compris mes intentions depuis quelques temps.
Il se leva, mettant mes sens en alerte tandis que me corps se tournait vers lui, fermant le livre, comme prête à combattre.
Sa main se posa sur la table, son être basculant en avant pour réduire la distance.
— Virginia, je t'ai pourtant dévoilé les sentiments que je te porte.
Sa main se leva, ses doigts effleurant mon visage. Et je grognai, furieuse d'un geste si tendre.
Mon cœur loupa un battement.
— Pourquoi ne pas laisser se consumer tes résistances ? Je ne te demande pas de m'aimer. Pas tout de suite. Mais au moins d'abaisser ton armure, ne serait-ce que pour me laisser un peu de place comme un allié, ou un ami.
— Mais tu ne souhaites pas devenir mon ami.
— Bien sûr que si. Je souhaite être ton ami.Ton confident aussi. Et ton amant par la suite.
Son visage s'approchait dangereusement, m'incitant à reculer sur ma chaise. Ce déchu était plus menaçant que je ne l'avais cru. Plus impitoyable encore que prévu...
— Maître Lucifer ! Un intrus ! s'exclama alors un démon.
Tout retomba. Mes mains se plaquèrent contre lui pour tenter de le repousser. Ça ne lui fit ni chaud ni froid.
Lucifer me sourit avant de se tourner vers l'entrée de la bibliothèque.
— Lucifer, éloigne-toi de ma femme !
Reconnaissant cette voix, je levais mes yeux sur Lysandre qui se tenait dans l'encadrement de la porte, un démon agonisant dans la main.
Lucifer aussi se tourna vers lui tandis que mon ange se débarrassait de ce démon.
— Venir ici était stupide, Gaddiel.
L'ange déchu leva sa paume, un geste que je reconnu immédiatement.
— Non !
Et alors que j'hurlais ma peur de voir Lysandre blessé, une énergie le repoussa pour me permettre de commettre la plus stupide des actions. Je me plaçais devant Lucifer, prenant une boule de feu volumineuse et brûlante en plein torse. L'attaque me propulsa violemment en arrière, Lysandre me rattrapant en plein vol.
— Idiote ! grondèrent Lucifer et Lysandre en même temps.
Un rire s'échappa d'entre mes lèvres, provoquant une toux grasse et douloureuse. Tremblante , je regardais vers mon torse, complètement cramé. Ma chair brûlée avait une odeur horrible. Si cela faisait mal ? Je ne voulais pas y penser, je ne voulais pas en parler.
— Tu es venu. Tu es venu... Pour moi...
— Oui, je suis venue, Vi.
— Ramène moi...à la maison.
— Sans faute, hocha l'être de lumière, ses grandes ailes nous enveloppant.
Ma main se tendit vers lui, caressant sa joue, ses cheveux...
— Si doux...
Un sommeil commençait à me gagner mais Lysandre me forçait à rester éveillée. Je n'y parvenais pourtant pas. Ma main retomba mollement.
— Chani...
Levant les yeux, je découvris avec émerveillement ma mère. Elle se tenait devant moi, tel un fantôme. Son corps meurtris était horrible à voir.
Les deux hommes la regardèrent avec stupéfaction. Ce n'était pas dans ma tête. Ce n'était pas une illusion.
Elle s'approcha, ses cheveux flottant dans l'air, tout comme son corps.
— Tu n'es pas encore prête. Retourne auprès des vivants, là où tu seras en sécurité pour t'épanouir.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Ma mère m'avait attrapée dans ses bras, stupéfiant ainsi Lysandre.
L'instant d'après, je fus téléportée... chez moi ?
Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
La grande maison devant laquelle je me trouvais était dans un sale état. Elle possédait un aspect typique des maisons italiennes. Seulement, la végétation avait commencé à envahir les murs de pierre. Le jardin n'avait pas non plus été entretenu.
Je n'étais jamais revenue ici.
Ma mère se plaça à mes côtés.
— Tu es en Enfer ?
Elle confirma de la tête en me souriant.
— Mais pourquoi ?
— Parce que le démon qui a possédé ta sœur a accepté de prendre mon âme au lieu de la sienne.
Elle m'indiqua la maison de la main.
— Je suis désolée de ne rien t'avoir révélée lorsque j'étais encore de ce monde. Mais il y a des choses que l'on ne peut comprendre que lorsqu'on est plus âgé. Alors vas dans le salon, près de la cheminée. Dans le canapé se cache les réponses à tes questions, Chani.
— Pourquoi m'appelles-tu Chani ?
Pour toute réponse elle me sourit, apparemment prête à disparaitre.
— Attends ! Comment faire pour te sauver ?
Sa main se posa contre ma poitrine.
— Cette larme m'a offert la capacité de survivre, même en Enfer. Ne viens pas m'aider. Je suis à ma place. Et si un jour je souhaitai partir, je saurai comment faire. Après tout, je t'ai sorti d'ici.
Des flammes enveloppèrent soudainement son être et l'instant d'après, ma mère repartait en Enfer, me laissant de nouveau seule.
M'approchant de l'entrée, je poussais la porte. Elle ne résista pas, semblant s'ouvrir d'elle-même. Évidemment, je n'avais jamais fermé à clé. Peut-être des squatteurs avaient-ils pris les lieux comme nouveau domicile ? Il m'arrivait de recevoir des factures d'électricités ou d'eau venant d'ici. Alors cela n'aurait rien eu de surprenant de rencontrer un étranger.
Mais il n'y avait personne.
Regardant fixement les escaliers, je ne voulus pas les monter. C'était à l'étage que s'était produit le drame. Les cris revinrent à mon esprit, me rappelant pourquoi je n'avais jamais remis les pieds ici.
Entrant dans le salon, je pris un cadre poussiéreux sur une étagère. Ma famille souriait joyeusement, excepté moi. Une petite fille qui se cramponnait à la jupe de sa mère regardait droit vers l'objectif. Elle ne souriait pas, semblait comme une coquille vide. J'avais deux ans sur cette photo.
Souriant tristement, une vague de nostalgie m'envahit soudainement.
Je reposais le cadre, me dirigeant directement vers le canapé dont m'avait parlé ma mère avant de disparaitre.
Soulevant les coussins, je décidais de les déchirer lorsque je ne vis rien. Alors un carnet en sortit. Prenant le petit livre, je tournais rapidement les pages. Le carnet avait été entièrement rédigé à la main. Je reconnu l'écriture comme étant celle de ma mère.
La lecture de la première page m'indiqua que venir à bout de ce dernier allait être long.
« Ma chère petite Virginia, si tu lis ceci, cela signifie que je suis très certainement morte avant d'avoir pu remplir mon rôle. »
Dernière mise à jour 1 : 10/09/2024
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