Chapitre 20
L'Enfer était... infernal. Pourtant, tout aussi surprenant que cela pouvait paraitre, il semblait être un lieu grandement apprécié pour certains ici. Plus on se classait haut dans la hiérarchie, plus la vie était généreuse et presque paradisiaque. Alors bien évidemment, il était normal que Lucifer ait la plus belle des vies.
Les gens lui faisaient du lèche-botte, ou le craignait, ou encore le vénérait. Parfois les trois à en même temps. Certains l'enviaient aussi. Et tous aspiraient à faire partie de son entourage. Un Roi Soleil accompagné par sa Cour. Alors, bien sûr, mon arrivée paraissait avoir attisé de puissantes émotions. En outre, de la haine et de la jalousie.
Il m'avait fallu du temps pour le déterminer, mais bien moins pour en subir les conséquences. Je n'étais là que depuis quelques jours, et pourtant j'avais l'impression d'être prisonnière depuis une éternité.
Relevant ma chemise, je lâchais un soupir. Un hideux hématome colorait tout le côté de mon corps. Ma respiration difficile me fit supposer une côte de fêlée. Malheureusement, personne ici n'irait me chercher des produits pharmaceutiques pour me prodiguer les soins les plus minimes. Et je doutais qu'il y ait des trucs pour soigner qui que ce soit dans les parages. D'autant que l'hématome était seulement la blessure la plus impressionnante de la petite collection que j'avais commencée.
Malgré ce qu'en pensait Lucifer, je n'étais en aucun cas considérée comme une invitée entre ces murs. Mais au moins, j'avais cessé de me pétrifier et ma combativité m'aidait à me défendre. Et peut-être aussi l'intervention de l'œuf magique dans mon bide. La larme coincée en moi me laissait faire surgir des flammes et une énergie étrange pour devenir mon arme et mon bouclier. On me frappait moins, et on devenait plus mesquin. Sans arme sacrée, difficile de vaincre ces monstres.
Toujours étant que j'étais surtout devenue une prisonnière qui n'était pas en sécurité du tout. Dès que je posais un pied hors de la chambre censée être à ma disposition, je me faisais agresser. Méphisto, proche de Lucifer, restait le seul à ne pas tenter de me tuer pour l'instant.
Mon objectif restait le même : trouver un moyen de sortir de l'Enfer.
Plus facile à dire qu'à faire. Et ce n'était très certainement pas les démons qui m'aideraient avec leurs coups bas. Trois jours que je cherchais un moyen d'y parvenir. Je commençais à perdre des forces.
Quelqu'un frappa à la porte et je m'empressais de rentrer ma chemise dans mon pantalon, cachant les ecchymoses. Il n'était pas question que quiconque voit la faiblesse sur mon corps. Cela satisferait les démons et je sentais que Lucifer serait encore plus casse-pied. Sans doute m'enfermerait-il pour ma protection, réduisant alors à néant tout espoir de découvrir un moyen de retourner sur Terre ?
La porte n'attendit pas ma réponse avant de s'ouvrir et je fis de mon mieux pour ne pas grimacer de douleur alors que je venais de faire un mouvement peu recommandé pour ma cage thoracique malmenée.
Lucifer entra, son sourire charmeur au visage. Il arborait toujours cette tendre expression en ma présence. Une expression qui disparaissait dès qu'il parlait à d'autres.
— Nous allons manger. Viens.
— Je n'ai pas faim, répliquais-je sèchement.
Mon estomac ne fut pas du même avis, se mettant à gronder dans un bruit presque monstrueux. Cela fit rire le déchu alors que je rougissais de honte. Ce fichu corps n'était même plus capable de se contenir pour sa propre sécurité !
— Allez, petite ogresse, suis-moi.
— Non, je ne veux pas.
— Trois jours sans manger, et tu continues à résister ? Comment fais-tu pour rester debout ? N'importe quel humain se serait effondré.
— Je ne suis pas n'importe quel humain. Je suis une pécheresse. J'ai été entraînée, inculte de déplumé.
Ce sourire idiot resta sur son visage alors qu'il entrait. M'attrapant par le poignet, il m'emporta hors de la chambre. Mais la faible pression qu'il exerçait ravivait des douleurs qui me firent pâlir.
Nous traversions les divers couloirs avant d'arriver dans un grand salon. Lucifer me relâcha et me proposa une chaise parmi de nombreuses autour de la table excessivement grande. Je pris une autre place et il s'installa en face de moi.
Une soupe était servie par une femme. Seulement, ce que je vis – ou cru voir – dedans, me coupa immédiatement l'appétit.
Est-ce que ce serait... ?
Je ne pensais pas Lucifer suffisamment tordu pour me faire manger des restes humains ou des choses tout aussi peu ragoûtantes. Ce qui m'inquiétait était plutôt l'odeur.
Humant discrètement cette senteur à peine perceptible, j'en fus certaine. Il s'agissait du poison.
Sérieusement ? Encore ?
Si je ne mangeais pas en Enfer, ce n'était pas simplement pour le plaisir d'emmerder Lucifer. C'était aussi et surtout parce que la nourriture qu'on me servait était toujours polluée par quelque chose, à savoir du poison. Le premier jour m'en avait rendu malade, et Lucifer avait pensé à un stress dû à mon arrivée en Enfer.
Je ne connaissais pas Lucifer. S'il apprenait les traitements auxquels je faisais face, encouragerait-il la chose ? Après tout, j'étais déjà en Enfer. Si j'y perdais la vie, peut-être que mon âme y resterait ?
Oh bordel, je ne voulais pas jouer les Perséphone de ce lieu pourri !
— Tu ne manges pas, constata Lucifer.
Je détournais la tête.
— Je n'ai pas faim.
Un silence pesant se fit alors dans la pièce.
Soudain Lucifer se leva, s'approchant. Il s'empara de ma cuillère, s'apprêtant à me faire boire la soupe par la force.
— Non ! hurlais-je à plein poumon.
J'expulsais la cuillère de ses mains avant qu'il ne puisse amener la soupe empoisonnée trop proche de mon visage. Je ne savais pas ce que cela pourrait provoquer en contact de ma peau, de mes yeux ou de mon nez. Ma résistance aux poisons avait dû faire changer de stratégie à ces tarés. Probablement avaient-ils choisi un poison que je ne connaissais pas ?
Ce haussement de voix me fit terriblement mal. Mes pauvres côtes...
La soupe dans la cuillère était tombée par terre. Le sol ne fondant pas, je supposais que le danger moins terrifiant que prévu. Ça ne signifiait pas pour autant que j'allais me rendre malade juste pour manger une soupe qui me ferait vomir !
Lucifer ne dit et ne fit rien. Puis il trempa un doigt dans mon assiette, léchant prudemment.
— Du poison, devina-t-il. Virginia, depuis combien de temps tes plats sont-ils empoisonnés. Et ne me mens pas, je le saurai.
— Les anges lisent les mensonges.
— Pas tous, non. Mais je vis en Enfer depuis longtemps, ne l'oublie pas.
Mes sourcils se froncèrent. Lysandre avaient pourtant ce pouvoir...
Poussant un soupir qui me coûta beaucoup, je décidais de ne plus cacher ça. Tant pis si je donnais l'impression d'être faible, Lucifer allait devenir bien plus agaçant si je ne disais rien. Et puisque j'étais encore en réflexion concernant des moyens de partir de l'Enfer, il n'était pas question qu'il reste dans mes pattes.
— Depuis mon arrivée.
— Est-ce que tu me caches quelque chose d'autre ?
— Non.
Mais mon bras s'enroula par réflexe autour de ma taille. Alors Lucifer empoigna ma chemise avant de l'arracher violemment, faisant sauter les boutons.
— Pervers ! Harceleur sexuel ! Détraqué mental ! Espèce de... !
Je m'arrêtais dans mes insultes lorsque je vis le regard de Lucifer s'assombrir pendant qu'il observait mes blessures. Une aura pesante et terrifiante l'enveloppa. Les quelques démons dans la pièce se mirent à trembler de peur.
— Qui ?
— Quoi ? demandais-je pour qu'il répète sa question.
— Qui t'a fait ça, Virginia ?
Je ne dis rien.
Furieux de mon silence, Lucifer me souleva pour me plaquer contre la table. Ce geste brutal me coupa le souffle. Je me rendis compte que ma côte fêlée n'était pas la plus douloureuse de mes blessures.
S'installant entre mes cuisses, Lucifer se pencha au-dessus de moi. Sa main glissa sur ma jambe, remontant la cuisse avec une douceur dénotant du geste brutal précédent.
Comme à l'hôpital, sa bouche se posa sur la mienne. Son énergie se déversa en moi dans une sensation de brûlure merveilleuse... Mais cela avait beau être agréable, quelque chose n'allait pas.
Même si ses baisers me guérirent rapidement, je n'aimais pas ça. Pas avec ce déchu.
Le visage de Lysandre s'insinua dans mon esprit, ne voulant plus partir.
Lucifer s'écarta un instant de moi, visiblement choqué alors que je pleurais comme une madeleine.
— Personne n'avait encore jamais pleuré par mes baisers. Excepté de plaisir, bien sûr.
— Enfoiré, je ne suis pas ta chose.
— Je ne t'ai jamais considéré comme telle.
— Je veux rentrer chez moi. Laisse-moi partir de ce lieu maudit.
— Je ne peux pas faire ça. Tu possèdes en toi quelque chose de très puissant, Virginia.
— Eh bien prends-le ce putain d'ange à la con qui habite mon corps ! J'en ai marre à la fin !
— Un ange ? Non, peu importe.
Il pointa un doigt vers mon cœur, le regard de nouveau sérieux.
— Je ne peux pas arracher ça de toi. Le lien entre toi et cette larme a sans doute déjà été établie et il est prêt à fusionner. Ça te tuerait.
Il ne parlait pas de perle, comme les autres anges. Ni d'œuf d'ange. Tout comme moi, Lucifer le nommait comme une larme. Mais cette histoire de fusion m'était inconnue.
— Je m'en fous...
— Pas moi, me coupa Lucifer.
Je le regardais à mon tour, choquée. Que venait-il de dire ?
Sa main se posa contre ma joue dans un geste tendre.
— Virginia, je ne veux pas te voir mourir. Ce pouvoir en toi m'intéresse, certes, mais il n'est pas le seul. Je te veux toi aussi. Ton corps, ton cœur et ton âme, je veux tout de toi.
Il était en train... Il n'était pas en train de me dire qu'il m'aimait tout de même.
— Je t'aime Virginia. Dès ce premier jour où je t'ai vu.
— Je ne t'aime pas.
— Ouah, ça fait mal ça. Tu ne vas même pas me dire que tu vas y réfléchir ?
— Non, parce que mon cœur ne t'appartiendra jamais.
Alors son regard tendre devint malicieux, vicieux.
— Tu penses encore à Gaddiel, n'est-ce pas ? Laisse tomber, il ne t'aime jamais sincèrement.
— Qu'est-ce que tu dis ?
— Tu penses vraiment que c'est un hasard s'il est revenu pour toi, prétendant t'aimer ? Tu penses que c'est un hasard si Michel est devenu ton meilleur ami, comme un frère pour toi ?
Qu'essayait-il de faire exactement ? Qu'essayait-il de me dire ? S'il était capable de sourire tendre, l'esquisse de sourire qui lui allait le mieux était cette cruauté qu'il affichait en coin, perceptible jusque dans son regard.
— C'est parce qu'ils veulent seulement récupérer cette larme en toi. Ils pensent qu'il s'agit d'un ange et qu'une fois qu'il te consumera, tu mourras et ce nouvel être angélique sera à leur portée. Ils ne sont pas barbares au point de te tuer eux-mêmes, bien évidemment. En attendant, ils prendront soin de toi, protégeant ainsi ce qu'ils désirent en toi.
Non, Lysandre avait dit qu'il me protègerait moi. Il ne me mentait pas. Il ne mentait jamais.
— D'ailleurs, si Gaddiel t'aimait vraiment, il ne t'aurait pas abandonné à mes bras pour aller sauver ces humains. J'aurais laissé brûler cet endroit sans hésiter pour te garder près de moi.
— Voilà pourquoi je ne t'aimerais jamais.
Mes mots furent prononcés comme une menace.
La surprise passa dans le regard de Lucifer alors que mes yeux semblaient commencer à me brûler. Une puissance que je ne me connaissais pas se mit à m'envelopper, devenant comme une seconde peau. Lucifer s'écarta de moi, entre émerveillement et stupeur alors que je lui faisais face, ma vue s'aveuglant.
— Des yeux enflammés... Une telle puissance...
Ma peau claire devint lumineuse avant d'éclater soudainement.
— C'est magnifique... Tu es magnifique.
Ce regard admiratif pinçait mon cœur d'un sentiment étrange. Tout autour de moi, une aura rougeoyait telles des flammes. Lucifer s'en approcha, observant les grandes ailes qui n'étaient, physiquement, pas réelles. Des attributs angéliques qui se posèrent en obstacle entre moi et le déchu.
— Te méfies-tu à ce point de moi ?
— Tu n'es pas Lysandre.
Une dernière phrase qui fit briller dans son regard comme une blessure.
— En effet, je ne le suis pas. Mais tu n'as pas le choix. Je suis là, et lui ne viendra jamais. Et j'ai pu constater qu'aucun cœur ne résiste au temps. Si tu ne m'aimes pas aujourd'hui, je saurai être patient.
Il me tourna le dos, prêt à partir.
— À partir d'aujourd'hui, je t'interdis de sortir seule de ta chambre. Tu seras accompagné de moi ou de Méphisto. Tu es encore incapable de te faire respecter en Enfer. Note bien que te voir mourir en Enfer, malgré la souffrance que cela me procurerait, me permettrait de t'avoir enchainé ici pour le restant de l'éternité. Alors entête-toi si tu le souhaites, mais connais les conséquences possibles de tes futures actions.
Dernière mise à jour 1 : 06/09/2024
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