— Laisse-moi partir ! hurlais-je à plein poumon.

Ma main traina, cherchant une arme. Nous étions en Enfer, il devait bien y en avoir par terre ! Ou sur les murs ! Oui, là !

Une épée n'attendait que moi. L'empoignant à deux mains, j'étais enfin prête à affronter le roi de l'Enfer en personne, et sa horde de démons aux apparences hideuses et grotesques. Mais aussitôt l'arme décrochée, je basculais en avant, la pointe tombant au sol. Elle était très lourde.

Une fois arrivée en Enfer, Lucifer nous avait conduits dans un immense palais à l'ambiance lugubre. Il y faisait aussi chaud que dans une fournaise. Alors bien sûr, comme toute personne sensée, je m'étais mise à courir pour trouver une sortie, apparemment persuadée que des portails magiques menant sur Terre existaient partout sur cette terre de la damnation éternelle.

Voilà où cela me menait. Dans une salle à manger, en présence de Lucifer et de démons curieux.

Lucifer lâcha un bref soupir amusé. Sans doute se moquait-il devant ma posture bien peu favorable. Je n'arrivais même pas à soulever la seule arme que j'avais pu trouver.

— Elle tremble, murmura un démon à un autre.

Ils avaient foutrement raison ! Je tremblais, mais pas à cause du poids de mon arme.

Tout était différent du Paradis ici.

Le Paradis était calme, reposant. Presque ennuyeux tant où était tranquille. Tout du moins lorsque les anges n'essayaient pas de vous tuer. Mais en Enfer, les pôles s'inversaient. Les cris vous accueillaient et devenaient un son naturel. Mes poils se hérissaient, mon instinct hurlant au danger à chaque seconde. Tout appelait à l'angoisse permanente.

Alors oui, j'avais foutrement la trouille !

Sur Terre, je m'amusais. Renvoyer les démons, c'étaient rigolos. Même croiser Lucifer avait un arrière-goût d'ironie qui prêtait à rire. Mais en Enfer ? Non, les règles changeaient, et je ne les connaissais pas.

Lucifer ordonna d'un geste de la main et chacun disparu.

— Est-ce mieux à présent ?

— Va te faire voir chez les Grecs ! Ramène-moi sur Terre. Et ne t'approche pas !

— Il faudrait se décider, Virginia. Dois-je te ramener sur Terre ou ne pas te toucher ?

— Arrête de jouer au con, le déplumé, je suis armée.

— Déplumé ?

— T'es un ange déchu. J'ai peut-être pas tout écouté de mes cours de bonne petite pécheresse, mais je sais au moins ça. Donc, tu n'es pas un emplumé, tu es un déplumé.

— Virginia, tu n'arrives même pas à tenir une arme correctement. Allez, ça fait des heures que tu cours partout. Tu dois être épuisée. Laisse-moi t'offrir l'hospitalité.

— L'hospitalité en Enfer ?

Je ne connaissais pas encore la raison de mon kidnapping, bien que quelques hypothèses se bousculaient dans ma tête. Une en particulier me semblait être la plus réaliste. Celle que Lucifer aurait senti la présence de l'œuf dans mon bide. Cela l'aurait alors poussé à m'aborder dans le motel pour évaluer mon niveau de dangerosité, et lorsque l'occasion s'était présentée, il m'avait enlevé. Mais pourquoi n'avait-il pas encore cherché à dérober ce pouvoir en moi ?

Parce que j'ai réussi à rester à bonne distance, tentais-je de me convaincre.

Ce n'était pourtant pas très logique. Lucifer, un être déchu, roi de l'Enfer, qui s'embêtait à patienter et à se montrer courtois ? Difficile à croire. Il n'avait aucune raison d'agir ainsi. Il lui suffisait de me prendre cette larme en moi et basta.

Une pécheresse était surentrainée. Nous étions une élite capable d'éliminer n'importe quelle menace. Quoique ces derniers temps, les anges me faisaient passer pour une guignole de service. Mais je devais me rendre à l'évidence. L'Enfer était un domaine de compétence que je ne possédais pas.

Ici, les démons étaient différents de ceux que je rencontrais sur Terre. Plus gros, plus méchants, plus dangereux. Et surtout, plus nombreux. Voici tout ce dont j'étais certaine après ces quelques heures. Tout d'abord parce que j'avais réellement croisé des monstres sortis tout droit de mes pires cauchemars, mais aussi parce que je n'étais pas stupide. Mon esprit logique de déduction fonctionnait encore.

— Ça suffit maintenant, décida l'ange déchu.

Soudain, Lucifer se trouva de plusieurs mètres devant moi à...devant moi.

D'un geste rapide, il prit l'épée d'une main sans la moindre difficulté, me rendant blême. J'étais vraiment misérable ici.

— Pourquoi est-ce que je suis là ?

— Parce que je l'ai décidé ainsi.

Cette réponse évasive avait tout de même un côté rassurant. Elle me laissait croire que je n'allais peut-être pas devoir subir des tortures.

— Tu es mon invité ici, Virginia.

Sa main glissa sur mon menton avant de s'emparer de ma mâchoire dans un geste de tendresse. Ce n'était définitivement pas normal.

— Tu trembles, je te fais peur.

— Jamais.

Un voile passa dans son regard, comme de la nostalgie, ou de la mélancolie. À quoi avait-il donc pensé ?

— Je vois bien que tu as peur, mais ce n'est pas nécessaire. Tu es l'invité de Lucifer. Personne n'osera te faire du mal ici.

Laisse-moi en douter.

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— Ta chambre.

Lucifer ouvrit la porte. Comme on pouvait s'y attendre, la pièce était chaude, au style aussi brut que le reste du château. Un rappel assez médiéval dans le choix de ses matériaux, mais élégant par quelques décorations superficielles. Ce qui attira mon regard furent les deux haches croisées contre le mur.

— Elles sont plus lourdes que l'épée de tout à l'heure, murmura le déchu à mon oreille.

Son souffle sur ma peau m'arracha un frisson. Un pas sur le côté me permit de remettre de la distance entre nous. Visiblement, mon comportement l'amusa.

— Laisse-moi partir.

— Je ne te retiens pas, Virginia. Mais tu es en Enfer. Et en dehors des murs, le danger règne, plus effroyable que tous les cauchemars de ton existence.

Ce déplumé me retenait vraiment captive ici. M'échapper du château revenait à me condamner à mort.

— Lucifer, l'appela un démon.

Il se désintéressa enfin de moi.

— Méphisto, tu me déranges.

Le dénommé Méphisto se penchant en avant en signe de soumission, ce qui calma bien vite Lucifer.

— Virginia, je dois te laisser seule. Mais tu es une invitée. Sens-toi libre de visiter et de t'y sentir comme chez toi.

Non merci, l'Enfer ne sera pas ma maison.

Lucifer sortit en premier, partant avant qu'elle n'ait le temps de lui répondre. Méphisto resta un peu plus longtemps.

— Être l'invité de Lucifer ne te protègera pas.

À son tour, le démon rejoignit Lucifer. J'étais enfin seule, et tout de même persuadée qu'un portail menant à la Terre existait forcément. Mais ce n'était pas en restant ici qui je trouverai un moyen de fuir.

Tête dans le couloir, je vérifiai qu'il n'y ait rien ni personne. La voie était libre.

Partons à la recherche d'un portail magique !

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Les fracas et les cris enragés n'alertèrent personnes. Il s'agissait d'un bruit ambiant en Enfer. Et dans tous les cas, personne ne viendrait porter secours à la petite humaine que Lucifer avait ramenée de son dernier voyage sur la Terre !

Le goût ferreux dans ma bouche m'obligea à cracher du sang. Ma recherche de portail magique se passait plutôt mal. Contrairement à ce qu'avait affirmé Lucifer, les démons n'étaient pas aussi accueillants que prévu. Et je n'étais pas au meilleur de ma forme. Pas alors que ces démons me combattaient sous leur vraie forme, sur leur territoire et à plusieurs.

— Elle n'a pas les cheveux noirs.

— Sa peau n'est pas blanche.

Qu'avaient-ils contre les rousses à la fin ! Oui, mes cheveux étaient rouges. En quoi était-ce un problème ? Et maintenant ma peau hâlée était aussi un souci ?

— Mais ces yeux sont identiques, énonça un démon en prenant mon menton dans sa grosse main composée de trois doigts transpirant. Des yeux bleus.

— Qu'est-ce qu'elle de spéciale celle-là ?

— Elle ne sait pas se battre en plus.

Un nouveau coup me coupa le souffle alors que je tombais plus loin. Mon côté était douloureux.

— Elle est plutôt résistante aux coups, en conclut celui qui venait de me frapper.

Cinq démons, gros, robustes et que je n'aurais jamais combattu sans arme. Or, je ne possédais aucune dague, aucun flingue. Rien du tout ! Je restais humaine. Comment pouvais-je prendre l'avantage ?

J'en vins presque à supplier que Lucifer apparaisse... Presque.

M'appuyant contre un mur, je me relevais. Et ils n'attendirent pas, m'attaquant à nouveau. Je ne vais pas réussir à esquiver, me préparais-je à devoir encore encaisser.

Un cri résonna. Ce n'était pas le mien.

— La salope ! C'est une putain de sorcière ! Elle m'a cramé le bras !

Le démon se tenait le membre, qui brûlait encore. Autour de moi, une aura semblait me protéger. L'œuf devait se défendre.

Un sourire mauvais aux lèvres, j'avançais et certains commencèrent à se méfier.

— On n'en a pas fini avec toi, promirent-ils avant de partir.

Bande de trouillards.

Ils s'enfuyaient déjà, parce qu'à présent, je pouvais me défendre. Que de courage ! Incapable de s'en prendre à une simple mortelle tout seul.

Bienvenue en Enfer...

Combien de temps encore allais-je devoir rester ici ? Combien de temps parviendrais-je à survivre ici ? Le temps de trouver un moyen de partir.

Dernière mise à jour 1 : 03/09/2024