Chapitre 14

L'aéroport n'était pas un lieu que j'affectionnais particulièrement, mais avec Lysandre à mes côtés, je venais de trouver un moyen de tout de même m'amuser un peu. Son désarroi était une petite récompense, un rayon de soleil après une tempête. Ou bien le calme se trouvant dans l'œil du cyclone. Le pauvre ange n'avait eu d'autre choix que d'accepter son sort entre mes mains expertes. Un avant-goût des talents de la pécheresse dans l'art du déguisement venait de le transformer en le plus lambda des hommes. À peu près. Le charme d'un monstre restait difficile à dissimuler, surtout lorsque ce dit-monstre possédait une musculature de rêve et un sourire à faire tomber les anges.

Et n'oublions pas sa grande taille !

J'avais fait au mieux avec ce que j'avais pu emmener, et le résultat était assez satisfaisant.

— Tiens, mets ça, l'obligeais-je à continuer de suivre mes ordres.

Lysandre s'empara des fausses lunettes de vue, marmonnant son mécontentement. Il ne fit pas le moindre effort pour cacher son agacement. Un plaisir pour mon cœur un tantinet sadique au contact de l'ange. Le voir m'obéir à contrecœur et suivre toutes mes directives valaient mieux que mon envie de lui poignarder le cœur précédemment.

— Pourquoi est-ce qu'on doit porter tous ces trucs ?

Bien sûr, Lysandre ne fut pas le seul à porter un déguisement. Et pour moi, cela avait été bien plus facile et rapide. Je restais une humaine. Si ma beauté avait tendance à défier les dieux – parce qu'après tout, j'étais désirable et magnifique – la banalité se voulait être d'une simplicité enfantine pour mon apparence.

Mais le maquillage ne plaisait pas à mon ange. Encore moins ma perruque brune.

— Tu es laide, s'entêta-t-il à vouloir me vexer pour me faire céder.

S'il pensait que j'allais retirer ma perruque pour ses beaux yeux...

— Merci pour le compliment, mon ange. C'était le but.

Adorable réaction, l'enfantillage repris de plus belle lorsque Lysandre souffla par le nez, mécontent de ne pas avoir ce qu'il voulait.

— Aller, ce n'est pas si terrible.

— Je n'aime pas me déguiser. Je préfère encore me faire repérer et devoir affronter mes adversaires en face.

— Eh bien pas moi. Moins je me bats devant la foule et mieux je me porte, crois-moi. Je n'ai pas envie que les monstres du monde entier repèrent mon visage. Ma vie serait un véritable Enfer.

Mais Lysandre ne l'accepta pas aussi facilement. Il ne voulait pas sortir de la voiture. Avait-il conscience que ma véritable apparence, ma véritable identité, était inestimable ? Les monstres et le Vatican souhaitaient ma peau. Autant dire, la moitié du monde vendrait père et mère pour connaitre ses informations. Si cela venait à être exposé, je ne donnais pas cher de ma vie. Être fugitive n'avait déjà rien d'amusant, alors jouer à John Wick...

Sans façon.

— Fais comme tu veux. J'irais toute seule alors, déclarais-je avec le plus grand des sérieux, fermant ma portière.

Il n'en fallut pas davantage pour le convaincre de sortir, ses lunettes sur le nez.

— Tu as promis de ne plus m'abandonner.

— Oui, et puisque tu ne veux pas venir, j'estime que c'est toi qui m'abandonnes. Ciao, mio angelo !

Bien sûr, il cessa très vite de résister.

Je fermais la voiture et avançais, vêtue de ma robe de vacancière, en faisant rouler ma petite valise. Un rôle très simple pour aujourd'hui. Deux amis en direction de l'Italie pour leurs vacances. Si j'arrivais aisément à le faire croire, muni de mon sourire charmeur et de mon air innocent ayant été travaillés depuis l'enfance, je sentais bien que ce serait difficile avec Lysandre à mes côtés.

Mais les regards se braquaient déjà sur nous. En outre, celui de deux ou trois femmes jouant à la discrétion tout en insistant pour tenter d'attirer le regard de l'ange malicieux. Lysandre affichait un visage heureux.

Quel connard ! Je m'efforce de nous cacher et il sourit à des pétasses !

— Je vais acheter des billets, tu n'as qu'à aller m'attendre. Essaie de ne pas attraper de MST en mon absence.

Il haussa un sourcil. Ignorait-il ce qu'étaient des MST ?

Foutus monstres avec leurs immunités à toutes les saletés humaines, pestais-je intérieurement d'un grincement de dent.

Lui laissant ma valise, je partis en direction de la file pour acheter nos billets. De son côté, Lysandre ne se contenta pas d'aller s'asseoir, mais choisit de s'installer sur le même banc que ces dindons gloussant stupidement !

Je n'eus pas l'occasion de m'enrager par cette provocation. Lysandre ne faisait pas attention à elles, bien trop occupé à me surveiller.

Je me reconcentrais sur la queue. C'était déjà suffisamment long sans qu'en plus je ne perde mon temps à épier un ange enfantin. D'autant que si j'avais pu avoir un accès à internet et surtout à ma carte de crédit, j'aurais sans aucune difficulté pu acheter les billets en ligne ! Mais non, à la place, je devais me contenter de mon argent liquide, une partie ne provenant pas de mes poches par ailleurs. Devais-je m'estimer heureuse que Lysandre se trimballe aussi avec de l'argent sur lui ? Peut-être

Mais au moins, je possédais encore une jolie carte : un pass diplomatique. Parfait pour faire passer mes bagages sans que des curieux de la douane ne puissent s'inquiéter de voir certaines de mes plus belles pièces provenant tout droit de l'armurerie familiale.

Ma main passa machinalement sur ma nuque.

Je n'avais effectivement pas beaucoup de temps. Cet ange grandissait en moi. Il me dévorait et laissait ses marques sur mon corps. Tellement humiliant...

Un frisson lécha soudain ma peau, en réaction à une sensation inconnue. Pas si étrangère que ça en vérité. Une sensation très proche de ce qu'offrirait un incube en chasse... mais tout de même différent.

Inspirant profondément, je me saisis d'un prospectus non loin pour m'en servir comme d'un éventail.

Une chaleur bouffante semblait s'amuser à envelopper mon corps de vagues incessantes. Une chaleur qui fit rougir mes joues sans mon consentement.

Et cette fichue queue qui n'avance pas !

La colère... Je perdais déjà patience.

Sentant une présence derrière moi, ma réaction fut de me retourner, prête à me battre. Mais les mains de la personne me saisirent les poignets discrètement, m'empêchant de me défendre.

— Ce n'est que moi, détends-toi Vi, me rassura la voix de Lysandre.

Je pris une grande inspiration, reprenant mon calme avec difficulté. La présence de l'ange m'aida à m'apaiser, mais pas à me sentir moins sensible.

— C'est vraiment long, me plaignais-je enfin

Cela le fit rire. Un rire dont le souffle me frôlait la peau.

— Tu as vraiment peu de patience. Tu n'as attendu que cinq minutes à peine.

— Oui, et j'en ai déjà marre.

Finalement, la raison de mon excitation trouva son origine. En partie. Et ce n'était pas Lysandre le problème. Mon instinct m'alertait. Et par moment, depuis que cet oeuf était en moi, le danger accueillait en mon corps de la chaleur, des yeux brûlants et tout pleins d'autres symptômes aussi amusants.

Alors, prétextant d'en avoir assez de l'attente, je tentais de laisser Lysandre prendre ma place. Le voir m'apaisait, mais m'énervait aussi suffisamment pour que je le chasse d'un geste de la main.

— Tu gardes la valise et tu t'occupes des billets pendant que je vais aux toilettes.

Retourne voir ces nanas, je m'en fiche.

— Je viens avec toi.

La surprise dans les yeux, je ne pus m'empêcher de me figer devant cette décision imposée. Venait-il vraiment de le suggérer ?

— Non, tu ne viens pas avec moi. Je vais dans les toilettes pour les dames, et tu n'es pas une dame.

— Ça m'importe peu.

Être un ange ne l'obligeait pas à être débile et dénué de toute logique tout de même ! Dans quel monde un homme venait avec une femme dans les toilettes pour femmes ? Des pervers. À l'exception des médecins, des papas et des amoureux transis et lubriques.

— Eh bien pas à moi. Donc, tu restes ici bien sagement et tu attends le retour de maman.

Ne lui laissant pas le temps de répliquer, je sortis de la file pour me précipiter jusque dans les toilettes les plus proches et isolées. Une fois entrée à l'intérieur, ma destination ne fut pas l'une de ces cabines, mais un robinet, espérant que cette eau sur mon visage puisse apaiser l'agacement montait et la chaleur de plus en plus enivrante.

Puis mon regard se posa sur les tatouages.

Lysandre m'avait fait une promesse, celle de me garder en vie. Seulement, je n'étais en aucun cas une fillette naïve ou innocente. Si conserver cet œuf en moi allait me tuer et que me l'arracher mettait également mon existence en danger, il paraissait certain que ma vie ne se destinait qu'à une seule issue : la mort.

— De toute manière, Lysandre est un connard.

Comment pouvait-il me faire une telle promesse alors même que se rapprocher d'autres femmes ne lui posait aucun soucis ?

Mes mains se posèrent sur le marbre, mon visage vers mon reflet. Étais-je énervée pour une raison bien réelle ?

— Peu importe, chassais-je l'énième question. De toute manière, j'ai beau désirer des réponses, elles viennent difficilement à moi ces derniers temps.

Soudain, une piqûre m'arracha un râlement. Pas un insecte, pas une seringue, mais une sensation de picotement sur mes tatouages. La chaleur interne qui me faisait bouillonner vint me brûler la peau en ce même point.

Je me tournais légèrement, remarquant alors avec stupéfaction que la rose fanée se mettait à renaitre, redevenant un bourgeon. Mais ce bourgeon ne possédait plus la couleur rouge qu'il avait eu la première fois. Un bleu pâle l'avait remplacé.

— Je dois le montrer à Lysandre.

Un changement de couleur, un changement de forme, un changement d'état... Quels secrets se cachaient derrière ces fleurs ?

Seulement, au moment de sortir pour le retrouver, le souvenir de Lysandre près de ces femmes me revint en mémoire. Ça et une évidence brutale : j'allais de toute façon mourir. Alors pourquoi m'embêter à un tel effort ?

La porte s'ouvrit, laissant entrer une femme. Elle se figea, m'observant regarder mes tatouages.

— Ils sont magnifiques. Vous avez de très bons goûts.

— Ah, je vous remercie.

Un déclic m'imposa la méfiance. Cette femme avait quelque chose d'étrange.

— Les roses rouges sont synonymes de passion, mais les bleues sont mes préférées. Elles symbolisent l'impossible. Mais je suppose que vous le saviez déjà.

— Vous aimez les fleurs, je suppose.

— Je suis fleuriste, c'est tout naturel pour moi, me racontait-elle.

Seulement, elle n'était pas fleuriste. Nous le savions toutes les deux. Mais avait-elle remarqué que son jeu d'acteur n'avait pas su m'atteindre ?

Elle s'approcha de moi, comme pour regarder mes tatouages de plus près. Je ne connaissais pas cette femme, mais quelque chose en elle m'était familier. Suffisamment pour que je comprenne de quoi il s'agissait.

L'attrapant par le poignet, je la balançais contre l'un des murs, sortant ma dague cachée sous ma robe.

— Qu'est-ce qu'il vous prend ? se mettait à paniquer la femme.

— Oh pitié, ne joue pas ce jeu avec moi. Je suis aussi une pécheresse, tu sais ?

Alors ses yeux s'écarquillèrent en grand.

— Ah bon ? Tu es une pécheresse ?

La sincérité de cette interrogation m'étonna tout autant qu'elle.

— Tu pensais que j'étais quoi ?

— Un ange.

— Un ange ?

— Le Vatican m'a envoyé en mission pour tuer un ange. D'ailleurs, toutes les pécheresses ont été envoyées en mission.

— Toutes les pécheresses ?

— Tu n'es pas au courant ?

Je fis un signe négatif de la tête et elle s'approcha de moi pour murmurer.

— Triple V a trouvé quelque chose qui prouverait que le Vatican n'est pas net. Seulement, le Conseil a bien deviné que nous allions commencer à nous impliquer pour décortiquer le vrai du faux, du coup il nous a toutes mises sur la touche. Mais je suppose que toi aussi, tu es en mission. Peut-être dois-tu traquer le même ange que moi ?

Elle me regardait d'un air intrigué.

— Tu es vraiment banale physiquement pour une pécheresse. Même si, je dois l'avouer, il y a quelque chose chez toi qui te différencies.

Un sourire m'échappa et je retirais ma perruque. En voyant ma chevelure flamboyante, la pécheresse écarquilla les yeux.

— Tu es...

— Oui, je suis Triple V. Si tu veux les réponses à tes questions, retrouve Isabella et Maria. Elles voyagent à travers le monde pour vous retrouver et vous expliquer la situation.

— Et toi, qu'est-ce que tu fais ?

— J'ai d'autres problèmes à régler.

Ses sourcils se froncèrent. Elle ne semblait pas me croire.

— Je suppose qu'une guerre se prépare, n'est-ce pas ?

— C'est une possibilité.

— Et tu n'y participeras pas.

Futée, la jeune pécheresse paraissait plus débrouillarde que je ne l'aurais pensé. Comment avait-elle compris pour mon état lamentable ?

— Je ne sais pas ce qu'il se passe, mais j'espère que tu ne mourras pas. Si une guerre doit vraiment se préparer, nous aurons besoin de toi.

Elle retira sa perruque, révélant une courte chevelure brune.

— Je m'appelle Abigaïl, mais tu peux m'appeler Abi.

— Et ton nom de pécheresse ? Je suppose que tu dois avoir une réputation.

— Tu m'as pourtant facilement démasquée, ce qui montre que je ne suis pas si douée.

— Oh que si, tu es douée. Et je suis sûr que tu le sais.

— Oui, tu as raison, se mit de nouveau à rire Abigaïl. Les gens m'appellent la Mantide Religiosa.

— J'ai entendu parler de toi. Tu as tué un incube et son harem en une nuit.

— Il m'a fallu une année entière pour les charmer, contrairement à toi. Tu es connue pour être rapide dans tes traques. Tu arrives, tu charmes et tu tues. Et tout cela en peu de temps. Moins d'un mois la plupart du temps. Je suppose que tu as un grand tableau de chasse.

— Ma dernière traque a tout de même durée trois ans.

— Les autres pécheresses qui ont traqué des anges ont sacrifié bien plus de trois ans de leur vie.

J'aimais bien cette femme. Avec le compliment facile et une joie de vivre sur le visage, ce n'était pourtant pas par hasard lorsqu'une pécheresse recevait un surnom. Il existait toujours une histoire, une raison.

Pour la Mantide Religiosa, l'histoire en question était plutôt sordide. Lorsqu'elle traquait, elle ne se contentait pas de simplement charmer et tuer. Elle devait trouver son plaisir avant tout. Et tant qu'elle ne le trouvait pas avec sa cible, elle ne la tuait pas. Elle s'amusait encore et encore. Des heures, des jours, des mois à torturer sa proie avant de l'achever, finalement lassée ou rassasiée. Une sadique, sans doute psychopathe. Des caractéristiques bien plus fréquentes qu'on le penserait auprès des pécheresses.

Ma réputation ne devait pas être beaucoup plus charmante.

— Triple V... Lorsque je vais raconter aux filles que tu as pointé ton arme sur moi, elles vont être vertes.

— Je ne vois pas en quoi.

— Tu es Triple V, celle qui fait tourner la tête de toutes ses proies, les plongeant dans un désir obsessionnel d'un simple regard. Mais lorsque ton charme s'élève, que ce sort de trois mots t'échappe, c'est la Mort qui se soumet pour t'obéir et achever tes ennemis. Veni Vidi Vici.

Quel genre d'ânerie les jeunes se passaient le soir ?

— Peu importe. Retire-toi, Abi. Je dois terminer ce que j'ai commencé.

— Oh, tu devrais dégager d'ici. Je t'ai retrouvé parce que j'espionnais les conversations de chasseurs. Ils affirmaient avoir trouvé un ange. Je pensais pouvoir me le faire toute seule alors, je suis venue. Mais je suppose que l'ange en question est l'homme venu avec toi et que tu es celle que les chasseurs recherchent.

Je grimaçais légèrement en comprenant qu'elle parlait de Lysandre. Si des chasseurs étaient vraiment en route, nous devions nous dépêcher de partir. La possibilité qu'ils soient déjà là restait possible.

— Ne t'en fais pas, je ne te juge pas. Si tu traines avec un ange, c'est qu'il doit y avoir de bonnes explications. Je me suis déjà tapée des monstres pour le plaisir. Sur ce, je m'éclipse. Je dois chercher Isabella et Maria d'après ce que tu m'as dit.

Il nous fallut quelques instants pour remettre nos déguisements avant de nous séparer. Elle repartait gaiement tandis que je rejoignais Lysandre, bien plus pressée. Il patientait dans la file d'attente, visiblement frustré par l'attente.

Enroulant mon bras autour du sien, je lui fis mon plus beau sourire au naturel.

— Marc, j'ai changé d'avis. Ne prenons pas l'avion, je préfère ton idée. Une croisière serait plus agréable, l'attirais-je hors de la queue.

Il cligna plusieurs fois des yeux avant de comprendre que je lui demandais de sortir de l'aéroport. Ma valise toujours dans ses mains, nous nous dirigions vers la sortie, l'ange capable de se taire et de simplement presser le pas à mon rythme.

Jusqu'à ce que la porte de sortie se présente devant nous.

— Que se passe-t-il ? s'étonna-t-il dans un murmure.

— Les chasseurs savent que nous sommes là. Nous devons partir immédiatement.

Mais lorsque les portes automatiques de l'aéroport s'ouvrirent, je sus qu'il était trop tard. Cinq hommes entraient. Des chasseurs.

Avec mon déguisement, les chances pour que l'on me reconnaisse restaient minces, voire nulles... Seulement, il en était un que je ne pourrais jamais bluffer. Le regard de Nino se levait, me trouvant dans la foule.

Il venait de me reconnaitre.

Mes yeux se fermèrent au moment où son arme se pointa sur moi.

— Police, tous à terre ! hurlaient les chasseurs alors qu'ils sortaient à leur tour leurs armes.

Mais le canon ne me visait pas. Nino ne voulait pas me tuer.

Les paroles d'Abi me revinrent. Les chasseurs traquaient un ange, pas une pécheresse.

Tout naturellement, comme s'il avait s'agit d'une évidence, mon corps fit une chose pour laquelle il n'avait jamais été dressé. Il se plaça devant Lysandre pour lui faire dos, les bras écartés en grand, face aux chasseurs au moment où un tir retentissait.

Protéger. Je tuais, je ne protégeais pas.

La balle me percuta au niveau du bras. Ma main se plaqua dessus pour cacher la plaie. Rien de trop grave, ce qui n'empêcha pas l'ange de hurler de fureur.

— Imbécile ! Ne me protège pas !

Il tenta de m'écarter. Avait-il oublié ma nature de pécheresse ? Je lui fis un croche-patte, utilisant ma jambe comme bascule pour le pousser avec mon bras encore intact. Il tomba au sol, évitant ainsi une deuxième balle alors que je me retournais en balayant de jambe derrière moi. Un chasseur avait fait l'erreur de m'approcher et il se prit mon pied dans la mâchoire, ce qui le fit tomber au sol, sa tête percutant le carrelage parfait et presque trop brillant de l'aéroport.

Je courus vers les autres chasseurs. Le Vatican me voulait en vie. Ils visèrent donc les jambes. Inutile puisque ces derniers ne semblaient pas avoir prévu mon arrogance. Quelle personne sensée foncerait droit vers des guerriers redoutables armés jusqu'aux dents ?

Les battre fut assez facile, quasiment décevant. J'anticipais les tirs lorsque cela m'était possible, ne m'embêtant pas de combats longs. Un ou deux coups bien placés suffisaient bien souvent. Les pécheresses travaillaient en solitaires. Nous étions faites pour ça, contrairement aux chasseurs. Il s'agissait de mon élément, et ils devaient le subir. Combattre une pécheresse sans se préparer un minimum ne se terminerait que d'une seule façon.

Nous gagnions toujours.

— Tu nous as trahis.

Je me tournais vers le dernier toujours debout. Nino. Ses camarades étaient salement amochés, certains encore conscients, trop affaiblis pour faire quoique ce soit, mais Nino n'avait d'intérêt que pour moi.

Son visage impassible me fixait, cherchant des réponses. Me croirait-il si je lui racontais la vérité ? M'aiderait-il si je l'en suppliais ? Nino restait un ami...

— Le Vatican nous ment depuis le départ. Le Conseil nous manipule.

Mais ce que je vis me pétrifia d'effroi, la douleur empalant mon cœur. Nino était déjà au courant. Il savait, il connaissait la vérité.

S'apercevant que je venais de voir à travers lui, il pesta de fureur.

— Tu ne pouvais pas te contenter de ton travail de pécheresse ! Il fallait que tu fouilles dans le passé.

— Alors, tu étais au courant.

— Bien sûr que je suis au courant. Tout comme Michele.

Que j'avais pu être naïve... Penser que le Conseil avait menti à tous les Ordres, pas seulement aux pécheresses... Ce n'était évidemment pas le cas. Mais de savoir que parmi eux se trouvaient ceux que je considérais comme mes frères... Michele et Nino...

Des larmes embrumèrent mes yeux et une main se posa devant eux pour ne pas me laisser observer une déchirante réalité. Comme toujours, Lysandre venait me protéger des souffrances imposées par la vie, m'offrant le soutien dont j'avais cruellement besoin, m'apaisant de caresses et de mots doux.

Mes larmes roulaient le long de mes joues, et Lysandre continuait de cacher ma tristesse de ses mains.

— Ferme les yeux Vi, me susurra-t-il à l'oreille.

J'entendis plusieurs crissements de pneus ainsi que des bruits de pas. D'autres chasseurs venaient d'arriver en renforts. Lysandre retira sa main, attendant que je ferme les yeux, que je les recouvre de mes mains.

J'entendais les personnes autour de nous qui retenaient leur souffle. Des personnes qui n'étaient que de simples citoyens, des touristes en voyage ou des employés partant pour le travail. Des personnes n'ayant rien à voir avec cette guerre qui durait depuis trop longtemps.

Et parmi ces souffles coupés, j'entendis des cris de terreur et de douleur. Des cris qui ne venaient pas de ces personnes. Des cris qui venaient des chasseurs. Je voulus ouvrir les yeux, mais la main de Lysandre se posa de nouveau devant eux.

— Je t'ai dit de ne pas les ouvrir, me rappela-t-il d'une voix stricte, mais calme.

Il me prit dans ses bras, passant mon sac dans mon dos. Sans doute avait-il abandonné la valise dans lequel ce sac s'était trouvé. Je sentais les plumes de ses ailes contre mes épaules. Pourquoi avait-il déployé ses ailes ?

Un liquide chaud perla sur mes épaules tandis que ses plumes effleuraient ma peau. Pouvais-je ouvrir les yeux à présent ?

La curiosité ne m'en dissuada pas. Ce que je vis me tétanisa. Ses plumes, habituellement dorées et douces, semblaient aussi dures que de l'acier. Des plumes recouvertes de sang. Quant à Lysandre, il était vêtu d'une courte toge blanche ainsi que de sandales qui remontaient sur ses mollets. Et sur ses vêtements d'un blanc pur, sur sa peau légèrement dorée, une couleur écarlate perlait. Du sang qui n'était pas le sien.

— Vi, je t'avais dit de ne pas ouvrir les yeux.

Ce n'était pas pour me protéger de sa lumière, mais de la violence de ce spectacle. Il chercha à me cacher les horreurs dont étaient capables un ange, un guerrier, son aile faisant barrage de cette scène plus effroyable que ce à quoi j'avais été habituée, me confirmant une seule chose. Si un jour Lysandre se lassait de son amour pour moi, je deviendrai aussi insignifiante et rejoindrai ces cadavres en charpies.

Son aile me cachait cette vérité à présent, mais j'avais eu le temps de voir. Je tournais mon visage vers le sien. Ses yeux étaient lumineux, sans pupille, faits seulement de lumière. Des yeux angéliques qui me déconseillaient de lui désobéir en cherchant à regarder derrière ce plumage d'or.

Mais je souhaitais voir, pour constater de mes yeux la raison pour laquelle je ne devais pas me laisser tenter, m'attendrir pour ceux de son espèce.

Lysandre semblait comprendre ce qu'il se tramait dans ma tête puisqu'il secoua sa tête pour me démotiver. Mais faisant comme je faisais toujours, je ne l'écoutais pas. Une chose que je regretterai lorsque je verrai...

Passant sous ses ailes avec une grande rapidité, je me paralysais devant le spectacle le plus terrifiant de ma vie. Aussi détestable que ce que j'avais entraperçu. Des scènes aussi sales, j'en avais aperçu. Des bien plus écœurantes. Mais pas celle-ci. Jamais.

Les chasseurs baignaient dans leur propre sang. Et parmi eux... Nino.

Mon corps se mit à trembler en le voyant ici. Il m'avait menti, il m'avait trahi et il s'était lui-même rallié au Conseil et à leurs ambitions en toute connaissance des faits. Mais pour autant, il restait mon ami, mon frère. Un frère qui ne m'aurait jamais fait de mal, je m'en persuadais.

M'effondrant à genoux, je rampais dans le sang pour rejoindre ce corps sans vie. Les larmes déferlèrent en une cascade de désespoir sur mon visage. Il s'éleva alors un cri à glacer le sang. Un cri qui devait résonner sur des kilomètres à la ronde, imageant ma douleur par le vrombissement des murs et du vitrage des parages. Il aurait pu s'agir d'une banshee pleurant la mort d'un de ses protégés, mais ce cri, c'était le mien.

Les vitres alentours se brisèrent sous les ultrasons du hurlement glaçant, laissant les pauvres voyageurs, ces humains témoins de l'impossible, s'évanouirent à cette vibrance de banshee. D'où pouvait bien me venir une telle puissance vocale ? Est-ce que cela avait de l'importance ?

Mes bras berçaient Nino, mon visage se plongeant contre sa poitrine immobile.

— Vi, je t'en prie, ne pleure pas, me suppliait Lysandre alors que mes pleurs avaient remplacé mon cri terrifiant.

J'aurais dû en vouloir à Lysandre, dont la priorité était simplement de me protéger. Par amour.

— Ne me touche pas ! lui crachais-je pourtant au moment où il chercha à me séparer de Nino.

Sa main se crispa dans le vide.

— Je les ai lavé de leurs péchés avant qu'ils ne...

Il n'arrivait même pas à terminer sa phrase, regardant ailleurs. De la culpabilité. Cet ange souffrait de ce geste.

— Au moins, ils n'iront pas en Enfer.

— Tu les as envoyés au Paradis ? devinais-je entre deux sanglots. Mais, ce n'est pas... interdit ?

— Vi, tu ne sais pas ce qu'ils voulaient te faire subir. Ils voulaient... Je devais te protéger. Je suis désolé, je sais qu'ils te sont importants, mais je ne veux pas te perdre.

Comment pouvait-il savoir ce que ces chasseurs auraient voulu me faire subir ? Il était un ange, il n'était pas télépathe. Sa capacité à voir la vérité possédait-elle une limite ?

— Tu vois les vérités qui t'arrangent, sanglotais-je de mépris. Mais moi, j'ai vu son désir de me sauver !

Nino aurait tout tenté pour m'aider.

Lysandre tenta de nouveau de me prendre et ne fut obstrué d'aucun obstacle. Je le laissais m'aider à me lever, mes bras s'enroulant autour de lui dans une étreinte qu'il accepta.

— Je suis désolée, Lysandre.

La cause de toutes ces souffrances, de tout ce sang, ne portait que mon nom. Cette responsabilité était la mienne.

— Si je n'avais jamais existé... Si je n'avais jamais rencontré ta route, alors tu serais en paix aujourd'hui. Tu n'aurais pas...

Mes mots et mes pensées furent coupés alors que les lèvres de Lysandre se plaquaient sans délicatesse contre les miennes. Un contact dont il sembla bien plus avide que moi. Il en avait besoin, il refusait que je l'en prive. Pourquoi aurais-je arraché ce désir brûlant ?

J'en pris finalement conscience. Cette faute, je la portais seule. Cela avait commencé avec ma famille, puis avec le père Jean. Je portais malheur, comme si tous ceux m'entourant se condamnaient au désespoir et à une mort certaine.

Mes mains avaient tant détruit, guidées par les ordres du Conseil. Des monstres qui ne le seraient sans doute pas autant que moi, dont la noirceur imbibait l'âme.

Et aujourd'hui... Aujourd'hui, Lysandre souffrait.

— Vi ?

La voix de mon ange me ramena à la réalité. Je m'écartais de lui, un automatisme hors de mon contrôle. Mes lèvres s'ouvraient, mon regard se posant dans le vide :

— Pardonnez-moi de vivre.

Ces mots sortirent d'entre mes lèvres. Mes mots. Pourtant, cette voix semblait doublée et cristalline. À la fois si différente et identique à la mienne...

Mais cela n'avait pas d'importance. Pas plus que la douleur que je ressentais dans ma nuque. Une autre brûlure cuisante...

— Non, Vi, m'interdit Lysandre. Ne fais pas ça...

Il écarta les cheveux de ma perruque, observant mes tatouages. La stupeur et la terreur se trahissaient dans ses yeux.

— Oh non, ce n'est pas vrai. Vi, regarde-moi !

Ses mains s'emparèrent de mon visage, cherchant désespérément à capturer mon regard dans le sien, à m'extirper d'un cheminement de pensées dangereuses.

— Vi, ne m'abandonne pas. Je t'en prie, je t'en supplie...

Pourquoi me supplier ? Qu'attend-il de moi ?

Ce fut en observant mes mains que l'explication apparue d'elle-même. La peau de mes doigts commençait à s'effriter et se retirer pour s'envoler, comme de la cendre, ou comme des pétales brûlés que le vent recueillait. Un spectacle tristement magnifique.

— Je fane...

— Vi, cesse de jouer aux gamines, m'ordonna une nouvelle voix.

La voix masculine et familière qui venait de s'élever n'était pas celle de Lysandre. À qui appartenait-elle ?

Un regard sur l'ange me permit de constater l'évidence : il connaissait le nouvel arrivant. Mes yeux se posèrent à mon tour sur lui, et les larmes me vinrent de nouveau, suivis bientôt par la colère. Il n'en fallut pas plus pour que ma folie passagère disparaisse, ramenant mon corps à un état tout à fait normal.

— Michele, accusais-je en regardant mon ami qui se tenait à côté du cadavre de Nino.

Date dernière mise à jour : 16/08/2024

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