Chapitre 10

Les questions s'accumulaient. Et plus j'avais l'impression de m'approcher d'un semblant de réponse, plus de nouvelles interrogations affluaient dans mon esprit.

Tout désignait la France comme pays des solutions ! Haziel m'y avait déposé, sans doute à raison. Puis, après un combat contre des jeunes et la révélation d'un refuge pour monstres, le père Daniel me promettait des explications. Mais m'avait-il révélé quoique ce soit ? Bien sûr que non ! Le père Daniel – le nom de ce menteur de chanoine ou de prêtre ! – faisait tout sauf me céder des informations. Pire encore ! Il m'exploitait en miroitant la possibilité d'une récompense durement méritée. Celle de la vérité.

— Virginia, un problème ? me demanda le curé avec un grand sourire davantage moqueur que sincère.

Frappant de mes mains contre son bureau, je le fusillais du regard.

— Trois semaines ! Cela fait trois semaines que je suis coincée ici et vous ne m'avez encore rien dit ! Je vous pose toutes les questions, mais vous ne faites que les esquiver ! À la place, vous me forcez à entrainer vos créatures et à jouer la nounou. Et je commence à en avoir assez !

Trois semaines que le père Daniel me manipulait habilement pour que j'entraine sa foire aux monstres. Trois semaines où je devais me démener pour les entrainer aux combats. Et si ce n'était que ça...

Les plus jeunes, des créatures ados en pleine crise, sortaient souvent dehors auprès des humains. Cela n'aurait pas été dérangeant s'ils n'agissaient pas comme des putains d'ado en chaleur ! Cela m'obligeait à les ramener de force alors qu'ils draguaient, picolaient ou bien se battaient, menaçant de révéler leur nature aux yeux de tous. Et jouer à la maman mettait mes nerfs à rude épreuve ! Surtout que j'étais toute seule ! Pas de papa ou de nounou, pas même une autre mère pour m'épauler. Déjà que je n'étais pas spécialement connue pour ma patience – quoique, j'en étais capable lorsque je le voulais bien – là, ça me faisait vieillir à vue d'œil.

M'effondrant sur la chaise devant le bureau du père Daniel, j'enfouissais mon visage dans mes mains. J'étais si fatiguée que des cernes étaient apparues autour de mes yeux. Et j'avais maigri...

Non, je n'allais vraiment pas bien.

Le père Daniel éclata de rire. Cet enfoiré se foutait littéralement de moi, me menant en bateau depuis le départ. Il me traitait en esclave, puisque évidemment le père Daniel ne me payait même pas. Ses monstres étaient des... monstres. Insensibles et sans cœur qui ne m'écoutaient jamais.

— J'en ai marre, ils sont insupportables. Ils ne m'écoutent pas, ne me laissent pas me reposer. Dès que j'ai le dos tourné, ils se remettent à faire n'importe quoi. Tenez-les en laisse bon sang ! Moi, j'en peux plus. Regardez, j'ai des cernes et j'ai même de l'acné qui revient. Ça n'était jamais arrivé depuis mes seize ans !

Je pointais sur mon visage un minuscule bouton qui ne devrait même pas être là. Une pécheresse nettoyait bien sa peau et nous possédions nos secrets de beauté. Un secret du Vatican.

Un secret de plus, un de moins, quelle différence ça fait ?, haussais-je des épaules en me rendant compte de la capacité du Vatican pour alimenter de nombreux mystères.

Autrement dit, si avec de tels soins mon corps se mettait à redevenir celui d'une femme normale avec ses problèmes classiques, plus rien n'allait. Soit ça, soit le père Daniel me mentait également sur la provenance des produits de soin qu'il m'avait offert à mon arrivée ici.

— Père Daniel, les pécheresses doivent rester parfaites physiquement. Mais regardez-moi ! J'ai perdu du poids, j'ai des cernes et maintenant, j'ai un bouton.

Le père Daniel se pencha vers moi, passant un doigt sur ma joue.

— Non, ce n'est pas un bouton. Ce n'est qu'une miette de croissant. Tu manges enfin les petits déjeuners français ? se moquait-il avant de souffler sur la miette.

Bonne nouvelle, les produits du Vatican restaient sans défaut. Mais ça ne résolvait aucun des soucis que ce maudit prêtre m'imposait à rencontrer !

— Ok, je n'ai peut-être pas d'acné, mais je suis vraiment fatiguée !

— Tu dis ça, mais depuis que tu es là, les jeunes sont devenus plus raisonnables. Avant, ils se renfermaient sur eux, se mêlant à des affaires assez illicites. Une ou deux sorcières de ma connaissance m'aidaient, mais ils étaient encore plus intenables. Aujourd'hui, ils rient et s'amusent.

— Eh bien s'ils pouvaient arrêter de s'amuser à m'emmerder, ça me ferait des vacances... Oh mon Dieu, des vacances... C'est la première fois depuis que je travaille que j'ai envie et besoin de vacances... Est-ce que je serai tombée malade ?

Des vacances... Soudain, l'idée de me rendre au bord d'une mer azurée pour autre chose que tuer une sirène ou deux me parut être une idée des plus attrayantes. Bronzer, draguer, me prélasser et jouer à la pétasse dont le corps de rêve attirerait à moi tous les gars en chaleur des alentours.

J'avais besoin d'un billet d'avion et de faire ma valise pour fuir ce milieu dévastateur. Seul bémol, le Conseil me recherchait activement et pour l'instant, j'étais en sécurité seulement parce que la ville de Bourges me le permettait. Le père Daniel s'évertuait à ce que je ne sois pas découverte.

Mais mon séjour ici n'aurait jamais dû être aussi long.

— Je n'ai même plus le temps de faire mes propres recherches de mon côté.

Me plaindre... J'avais aussi besoin de me plaindre. Certes, c'était devenu une habitude, principalement parce que le Vatican avait eu la fâcheuse tendance à me refiler des contrats de merde, mais aussi parce que j'aimais ça. Un très bon entrainement pour être agaçante. Mais même ça ne me fut pas permis, la porte du bureau du père Daniel s'ouvrant brusquement pour m'arrêter.

Trois garçons d'une quinzaine d'années entrèrent sans politesse, me toisant de leurs regards emplis de malice. Ils étaient pires que des démons. Un loup-garou, un kitsune et un sorcier. Et à eux trois, ils étaient les plus impitoyables des mômes que j'avais à gérer.

Je suppliais du regard le père Daniel, qui se contenta de sourire aux jeunes.

— Je vous la laisse, nous avions fini.

Alors deux des gamins m'attrapèrent par les bras, me soulevant pour m'emporter avec eux.

Si l'Enfer existait, il trouvait ses débuts ici.


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— Tenez-vous tranquille, merde ! m'énervais-je pour de bon.

Par peur de me regarder directement dans les yeux durant mon sermon, les cinq garnements préférèrent bouder et détourner le regard, s'ils ne fixèrent pas directement le sol d'une mine chagrinée. Les ados étaient d'excellents comédiens, il fallait s'en méfier comme de la peste.

— Si je dois encore vous reprendre à pourchasser des chats pour les éventrer, je vous promets que ça se finira très mal. Vous avez compris ?

Les gamins baissèrent les yeux, couinant légèrement. Ils étaient des loups-garous orphelins et le père Daniel les avait recueillis. Histoire classique, les parents avaient été exécutés par des chasseurs, laissant les nourrissons seuls face au monde. Habituellement, les pécheresses s'occupaient de nettoyer ce travail mal-finie lorsque les petits subissaient leur première transformation, les exposants au Vatican. On m'y avait rarement envoyé. Mes talents me donnaient accès à des missions bien plus importantes et difficiles.

Les louveteaux se levèrent, partant directement chez le père Daniel, qui avait une grande demeure non loin de la cathédrale. Quelle idée d'ouvrir ses portes à des monstres faisant leurs dents n'importe où et chassant en meute de petits animaux ! Les prémices d'une tragédie. En grandissant, leurs proies aussi grossiraient. Bientôt, les humains seraient préférés à de simples chats.

Lâchant un soupir épuisé, je n'eus pas le temps de m'asseoir sur l'un de ces magnifiques bancs en pierre si confortables devant la cathédrale que déjà l'une des créatures que le père Daniel abritait revint vers moi.

— Vi, viens vite ! Kate a des problèmes.

Soupirant de nouveau, je suivais Paulette. Ces monstres me faisaient vraiment courir partout.

Je vais demander une augmentation au Père Daniel, pensais-je avec le plus grand sérieux avant de me souvenir que j'étais bénévole non-volontaire pour ce travail. Autrement dit, une esclave.

Paulette courait, je marchais vite, peu enthousiaste. Nous traversions à deux de nombreuses rues de la ville, certaines étroites et méconnues des touristes. Les passants nous regardaient en souriant, amusés de nous voir courir apparemment. Mais en voyant que nous nous enfoncions dans des coins désertés et peu fréquentés, je commençais à m'inquiéter sincèrement pour Kate.

La jeune banshee était une étudiante en fac de droit, l'une des morveuses les plus calmes dont j'avais à me soucier. Sans histoire, d'un tempérament très réservée, elle ne me causait jamais de problème. Les banshees avaient tendance à s'occuper de famille jusqu'à la disparition totale de cette dernière. Kate n'était pas encore arrivée à ce stade et elle avait fui sa famille d'adoption, les banshees ne connaissant pas leurs parents. Les cicatrices sur les jambes de Kate prouvaient les mauvais traitements subis dans cette famille. De nouveau un grand classique d'enfant orphelin recueilli par des parents cruels.

Mais surtout, Kate était tellement gentille et timide qu'elle avait peu confiance en elle. Elle n'arrivait jamais à se défendre toute seule. Si elle rencontrait vraiment des problèmes, elle serait sans aucun doute tétanisée et oublierait de crier pour faire blanchir les cheveux de ses adversaires. Une capacité dangereuse qui démontrait la puissance de ce genre de créatures.

Arrivant à une impasse, la scène se dessina enfin devant moi. Kate, jeune fille aux longs cheveux blancs relevés en queue de cheval, se tourna vers moi, le regard terrorisé. Ses yeux clairs me supplièrent de lui venir en aide. Mais l'homme baraqué, qui se tenait à ses côtés, m'inquiéta davantage. Tout en muscles et mesurant bien deux mètres, son air suffisant le plaçait en oppresseur. Et ce que je vis de lui me confirma la menace.

Je m'approchais de Kate, la prenant par le bras pour la faire passer derrière moi. Cet homme n'avait rien d'humain.

— Kate, on s'en va, lui ordonnais-je à son grand bonheur.

Et alors que nous partions, l'homme posa sa main sur mon épaule, apparemment peu enclin à nous laisser repartir.

— Hey, j'en ai pas fini avec elle !

Aussitôt sa main posée sur mon épaule, je lâchais Kate et me retournais vers l'homme. Il n'était pas question qu'un monstre dicte sa loi sur mon territoire !

Me saisissant de sa main, je tordis ma prise pour m'en servir de point de bascule avant d'enrouler mes jambes autour de son cou pour l'amener ainsi de force au sol. Allongé sur le dos alors que je l'immobilisais de mes jambes et de mon bras, je restais calme et sereine.

Je n'avais en rien volé mon titre de pécheresse parmi les meilleures. Lorsque l'une de nous possédait un surnom, souvent donné par les monstres que nous traquions, il s'agissait d'une étape importante. Celle faisant de nous les plus compétentes et dangereuses pécheresses du Vatican.

— Approche-toi encore de Kate et je t'explose la tête, enfoiré de déchu.

Il acquiesça d'un discret mouvement de tête et je le relâchais en me relevant avec aisance. Avait-il compris à ce dont il avait affaire ? Je n'avais rien de commun avec ses proies habituelles.

Laissant le déchu au sol et à sa souffrance, j'attrapais Kate par le bras, la forçant à me suivre.

— Vi, m'appela alors une voix.

Je grinçais des dents, comprenant que ma migraine naissante n'était pas près de s'en aller. Les trois pires gamins arrivaient : le loup-garou, le kitsune et le sorcier. Le loup, le renard et la belette. Rien de pire...

— Vous n'avez pas des devoirs à faire ? m'agaçais-je en les voyant déjà me tourner autour à la manière de bébés prédateurs venus mordiller leur souris.

Le sorcier, Gillian, croisa ses bras d'un air arrogant. Des trois, celui-ci s'avérait être le pire. Les sorciers étaient très rares au contraire des sorcières, cela lui donnait l'impression de posséder une sorte de puissance et d'aura légitime. Un comportement typique d'ados puéril et prétentieux.

Tout à coup mon instinct me cria de me retourner, m'obligeant à me détacher du groupe de jeune. Mon instinct était toujours fiable. Ma main en protection, j'arrêtais de justesse un coup de poing qui aurait pu faire de très gros dégâts à ce magnifique visage qu'était le mien.

Le déchu n'était plus tout seul. Trois autres de son espèce venaient d'entrer en scène.

— Les enfants, rentrez.

— Non, on ne va pas te laisser combattre toute seule, me déclarait Gillian en bombant le torse.

Calmement, je le glaçais de mon regard le plus menaçant. Il n'était plus question de jouer.

— Rentrez, maintenant, articulais-je aussi froidement que possible.

Gillian se crispa de stupeur et baissa les yeux. Le groupe repartit pour me laisser gérer seule ce problème.

Enfin, je vais pouvoir me défouler et évacuer tout ce que j'ai emmagasiné à cause de toutes ces merdes qui me sont tombées dessus depuis quelque temps, souriais-je, ma main enveloppant toujours le poing de cet homme ayant attenté à la beauté de mon visage.

Repoussant l'homme, un mouvement de pivot me permit de prendre de l'élan pour éjecter la première menace d'un violent coup de pieds. Les pécheresses n'avaient de délicat que l'apparence. Et en comparaison avec mes consœurs, je devais sans aucun doute être la plus puissante dans mes coups.

Un autre tenta de m'atteindre, se prenant de ma part une main directement contre son cœur. Aussitôt, et dans un cri de douleur du déchu, ma main s'y enfonça avec aisance.

Il parvint à se défaire de l'attaque, reculant pour observer la brûlure et les chairs fondues sur son torse. Je levais ma main d'un grand sourire. Un chapelet, dont la croix se retrouvait plaquée contre ma paume et les perles enroulées autour de mes doigts et de mon poignet. Le tout baigné dans de l'eau bénite et une petite concoction particulière, spécialité des exorcistes du Vatican. Ça faisait des dégâts sur les créatures rejetées de Dieu. Démons, vampires et déchus n'appréciaient pas tellement ce petit bijou que je possédais et que d'autres pécheresses me jalousaient, ne sachant pas comment en arriver à un tel résultat de destruction. Sans doute le dosage des ingrédients.

En position de garde, prête à arracher leurs têtes à ces déchus, un vertige s'empara soudain de ma tête. Mon corps semblait perdre de l'énergie. Était-ce dû à ces dernières semaines ? Garder des petits monstres était-il devenu ma faiblesse ultime ?

Ce n'est pas le moment de faillir pour un fichu vertige !

En un moment d'inattention, deux des déchus réussirent à m'attraper, me plaquant brutalement contre un mur. Le déchu que j'avais mis à terre un peu plus tôt s'avança vers moi. J'étais complètement neutralisée contre le mur. À cause d'un mal de tête ? Tu te ramollis ma pauvre.

Il prit une mèche de mes cheveux entre ses doigts en souriant. Sa main glissa jusqu'à mon chapelet pour l'arracher. Les perles tombèrent au sol, les doigts légèrement brûlés par ce contact bref avec l'arme. Mais contrairement à son ami, ce dernier paru guérir bien plus vite de sa blessure.

— Cheveux de sang, parfum envoûtant et caractère épineux, sans oublier cette maudite force physique...Triple V, c'est un honneur de te rencontrer.

— Navrée, mais ce plaisir n'est pas partagé.

Entendant un bruit sur le côté, je vis Kate, accompagnée de Gillian. Les deux imbéciles étaient revenus. Pourtant, la terreur que je lisais dans leur regard n'était plus destinée aux déchus. Pas même la touche de dégoût qui faisait grimacer Gillian. Ces émotions m'étaient destinées à moi.

— Tu es Triple V, comprit le sorcier.

Il était vrai qu'à l'exception du père Daniel, et des quelques futurs guerriers que je devais former pour lui, personne ne savait pour moi. On me prenait pour une simple humaine un peu plus forte et particulièrement amusante à tourmenter. Certains me pensaient même être une nonne virée de son couvent pour avoir un peu trop fricoter avec la gent masculine. Jamais il n'avait été mention de pécheresse.

Le père Daniel avait souhaité m'annoncer, mais mon choix de taire cette information avait été respectée. Après tout, les gosses n'avaient pas leur langue dans leur poche. Pas meilleur moyen que d'attirer l'attention de chasseurs ou de monstres souhaitant ma mort !

— Allez-vous-en ! leur hurlais-je de nouveau.

Et cette fois, ils déguerpirent sans se faire prier. Bon sang ce que les gamins pouvaient être stupides !

Ahlala, les gosses, soupira d'un rire moqueur le déchu.

Mes cheveux toujours dans sa main, il commença par me renifler. Vraiment répugnant.

— Je savais bien que cette odeur ne venait pas de Kate. Elle vient de toi.

— Mon odeur ?

Qu'est-ce que c'était encore que cette histoire ?

— Je reconnaîtrai cette odeur entre mille.

Les yeux du monstre se mirent alors à brûler de l'intérieur. Le regard d'un déchu, devinais-je sans peine.

La main de l'homme glissa vers mon visage, derrière ma tête. Il se rapprochait de moi, ne s'arrêtant que lorsque nos souffles furent si proches l'un de l'autre qu'ils menaçaient de s'unir sans consentement.

À quoi jouait-il ?

Oh oh, j'ai touché le jackpot, s'esclaffa soudain le déchu.

Et avant que je n'aie pu comprendre quoique ce soit, ses lèvres se plaquèrent contre les miennes. Je voulais me débattre et résister. Mais en pécheresse que j'étais, une faille m'apparaitrait bientôt pour me permettre de fuir cette situation. Seulement, pour le moment, ses amis me tenaient fermement. Et j'étais si fatiguée... Tellement fatiguée...

— Ton énergie... Elle est vraiment..., commença le déchu alors qu'il se détachait de moi.

Il allait recommencer, mais mes yeux se fermèrent. J'étais épuisée. Il m'était déjà arrivé de me trouver dans un état semblable après un baiser. Avec un succube.

Et alors que je pensais sentir de nouveau les lèvres du déchu sur moi, et tous ces sentiments de dégoûts en moi en y pensant, les deux autres me lâchèrent presque trop soudainement. Mon corps se laissa tomber au sol.

Des bruits de coups retentirent, m'indiquant un combat à proximité. Lorsque les sons de bastons cessèrent, je rouvris les yeux. C'est alors que l'image la plus merveilleuse du monde m'apparut. Une image pleine d'espoir.

— Isabella, Maria, que faites-vous ici ?

Les deux femmes se tenaient devant moi. Isabella m'accorda un clin d'œil alors que Maria me sautait dans les bras.

— Doucement Maria, elle est K.O, expliqua Isabella.

La femme à la chevelure blonde souleva la jeune fille aux couettes enfantines pour la repousser. Puis, elle me tendit la main, m'aidant à me relever. Mais alors que je pensais pouvoir marcher, je m'effondrais dans ses bras. Isabella me soutenait du mieux qu'elle pouvait.

— Je comprends mieux pourquoi ces déchus ont réussi à te battre. Ma pauvre, tu n'es pas très belle à voir.

— T'as vu ta tête, vieille harpie ? me moquais-je d'un sourire.

Maria éclata de rire, tout comme Isabella d'ailleurs.

— Dès qu'un avis de recherche fut lancé sur toi, les pécheresses se sont mises à te chercher en cachette. Nous avons tout de suite compris que quelque chose de bizarre se tramait.

— En effet, moi-même je ne sais pas ce qu'il se passe, avouais-je aux deux pécheresses. Mais j'ai trouvé quelqu'un qui pourrait m'aider.

— L'ange ? Celui que tu as tué mais qui n'est pas mort ?

Apparemment, l'histoire avait fait le tour du Vatican...

En repensant à Lysandre, mon cœur se serra dans ma poitrine. L'abandonner avait été une sage décision, on ne pouvait pas se fier aux anges. Mais de cette manière...

Oh c'est bon, ce n'est pas la première fois que tu pars d'un lit en laissant un mec transi d'amour roupiller.

— Non, ce n'est pas lui. C'est un prêtre non loin d'ici. Je suis devenue une baby-sitter pour monstres à cause de lui.

— Triple V, battue seulement par trois déchus et veillant sur des bébés monstres... Serait-il possible que tu aies été possédée ?


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Arrivant enfin chez le père Daniel, Isabella et Maria m'aidèrent à entrer. Mais aussitôt à l'intérieur, tous les monstres que je gardais se précipitèrent sur moi, me sautant dessus. Je ne pus tenir debout et perdis facilement l'équilibre à cause de tous ces garnements.

— Vi, tu es vivante ! s'exclamèrent-ils en cœur.

Que je pouvais détester les gosses...

— Nous nous inquiétions pour toi, me déclara une voix beaucoup plus ferme.

Le père Daniel se tenait devant le hall, me regardant sévèrement. Mais son visage trahit rapidement du soulagement.

— Lorsque le groupe est revenu avec Kate pour me dire que tu avais des problèmes, j'étais prêt à venir.

Un prêtre pacifiste venant au secours d'une pécheresse surentrainée mais affaiblit pour une quelconque raison... Le spectacle aurait été des plus grandiose !

— Tout va bien, mes amies sont arrivées, lui présentais-je mes amies avec un certain enthousiasme.

Isabella et Maria le saluèrent d'un petit signe de la main et le père Daniel rougit soudainement. Nous étions trois pécheresses dans le corridor, il y avait de quoi intimider. Surtout lorsqu'une personne aussi magnifique qu'Isabella se trouvait là.

— Vous aussi vous êtes des pécheresses ? demanda sèchement un garçon.

Gillian venait d'apparaitre, furieux apparemment. En le voyant avec Kate, qui me souriait timidement, je me relevais en repoussant gentiment des gosses autour de moi.

— Tu es Triple V de ce que j'ai compris.

Mes poings se serrèrent alors que les siens s'illuminaient de magie. Je me préparais mentalement à devoir le combattre.

La menace, nous étions préparées à devoir combattre le danger. Même celui venu de proche. Qu'il ait s'agit de la famille ou d'ami, d'enfant ou de vieillard... Si la menace prônait devant nous...

Un sorcier s'apprêtait à user de ses maléfices. Contre moi.

« Danger » criait mon instinct. Et j'écoutais toujours mon instinct.

Veni..., commençais-je à prononcer.

Mais soudain Isabella me serra dos contre sa poitrine, plaqua sa main devant ma bouche pour arrêter ma citation.

— Vi, ne prononce pas ces mots pour un gosse.

— Quels mots ? demanda Gillian.

— Les mots de la mort, expliqua Maria, un doigt silencieux devant sa bouche étirée par l'amusement, prête à raconter une histoire d'horreur. Lorsque quelqu'un va mourir des mains de Triple V, elle prononce trois mots. Si ces mots te sont destinés, tu peux être certain de mourir dans les minutes qui suivront. Trois mots devenus hantises parmi les créatures peuplant le monde.

Gillian pâlit à vue d'œil, cherchant à faire tout de même bonne figure pour ne pas montrer sa peur.

Je repoussais Isabella, regardant le père Daniel.

— C'est de ma faute si Kate a été attaquée aujourd'hui. Ces déchus en avaient après moi.

En y repensant, ça me paraissait aussi étrange que logique. J'étais Triple V, une grande menace. Et aujourd'hui le Vatican me chassait. Si les monstres en avaient eu vent, alors sans doute certains s'étaient décidés à lever une vendetta à mon encontre. Il fallait profiter de la mauvaise situation dans laquelle je me retrouvais.

Mais cette histoire d'odeur n'avait pas de sens. Pas lorsque cette dernière était apparemment si puissante qu'elle restait sur ceux m'ayant côtoyé.

— Je repars dès ce soir.

— Je comprends. Et je suppose qu'avant...

— Je veux les réponses à mes questions, achevais-je à sa place. Vous me devez bien ça.

Le père Daniel eu un mouvement de la tête.

Les secrets du Vatican, les raisons de la mort du Père Jean... Tout. J'allais enfin pouvoir tout savoir. Ou tout du moins recevoir les réponses que possédait le Père Daniel.

Ma main passa dans ma nuque alors que je me disais que malheureusement, je n'en saurais très certainement pas plus sur mes tatouages.


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Le père Daniel posa un gros livre sur une petite table de bois, provoquant un bruit étonnement sonore. La couverture était simple et usée, gravée simplement d'un titre que je n'eus pas l'envie de lire ainsi que d'une fleur discrète.

Fleur de lys, très original pour la France, retins-je mon sarcasme de s'exprimer.

Nous nous trouvions dans une petite pièce, près d'une cheminée dont le feu flamboyait et crépitait doucement. Maria s'installa dans un fauteuil confortable avec Isabella. Toutes les deux regardaient tranquillement et calmement le feu crépitant danser dans la cheminée. Que voyaient-elles silencieusement dans ces flammes ? Sans doute un lit merveilleux et douillets ou bien une plage ensoleillée... Ou seulement des flammes.

— Très bien, commença le père Daniel. Pour comprendre ce qu'il se passe aujourd'hui, tu dois comprendre ce qu'il s'est passé il y a des siècles.

Il ouvrit le livre, me mettant face à une illustration marquante. Des hommes et des femmes dessinés avec des cloques sur la peau, une autre illustrant des morts et des flammes. Nul besoin d'être un spécialiste :

— L'Apocalypse.

Ce fut le seul mot qu'il prononça. Je levais les yeux du livre pour regarder le père Daniel. Chacun connaissait cette histoire.

— Les sceaux éclatèrent un à un. Cela permit à Conquête de semer son maléfice. La peste noire se répandit partout dans le monde, bientôt suivit par Guerre, qui mit la terre à feu et à sang. Ces deux cavaliers de l'Apocalypse, si funestement connus, permirent à Famine de dévoiler son fléau. Et enfin le dernier cavalier apparut, nommé Mort.

— Ce ne sont pas les seuls sceaux.

— Non, mais ils apparurent au Moyen Âge, avec quelques autres sceaux que nous ne retiendrons pas. Nous n'avons pas le temps de tous les énumérer.

— Je connais la suite.

— Non, tu ne connais pas la suite. Le Conseil nous fait croire qu'il se créa et qu'il commença sa lutte contre le ciel pour récupérer son droit de vivre à l'humanité. Seulement, ce qu'il oublia d'expliquer, c'est qu'il ne combattit pas le ciel. Le ciel l'aida à vaincre l'Apocalypse.

Tournant les pages, le père Daniel me montra une peinture dans laquelle un homme et un ange lumineux combattaient côte à côte les forces du Mal.

Je fronçais les sourcils, ne comprenant pas.

Depuis toujours, on nous instruisait du contraire. L'Apocalypse, création des cieux, venait dans le seul but de détruire l'humanité. Entre autres. Et les anges, en fidèle création de lumière, avaient toujours contribué à ce que se déroule parfaitement ce plan divin.

— Vous êtes en train d'insinuer que...

— L'Apocalypse a cessé depuis longtemps d'exister. Le Conseil fait croire le contraire depuis des siècles, se servant de nous pour découvrir un moyen efficace de détruire les anges.

— Mais c'est insensé. Pourquoi est-ce que... ?

Alors Isabella se leva, intervenant dans la conversation pour m'interrompre.

— J'espère me tromper, mais le Conseil serait-il assoiffé de pouvoir ?

Le père Daniel confirma de la tête. Je n'osais pas y croire, espérant seulement que les hypothèses fusant en mon esprit ne soient que des affabulations. Mais de savoir que le Père Jean et moi-même avions été espionnés à notre insu par le Conseil – sinon par qui d'autre ? – et que ce dernier s'évertuait à vouloir me retrouver à cause d'un objet mystérieux tatouant de jolies roses sur les gens de manière automatique et gratuite... Rien ne parvenait à défendre l'organisation.

Mais si je pouvais accepter les théories du complot, je ne voulais pas croire que le Conseil mente sur l'Apocalypse simplement par cupidité. Il s'agissait de siècles d'Histoire tout de même !

— Le Conseil contrôle le monde dans l'ombre depuis toujours grâce à cette fausse Apocalypse, permettant aux Ordres de continuer à semer la terreur parmi les créatures non-humaines pour en garder le contrôle. Mais aujourd'hui, le Conseil convoite bien plus.

Le prêtre mit un temps d'arrêt, surement pour nous laisser réfléchir. Seulement, j'avais beau réfléchir, je ne voyais pas. Si le Conseil était aussi cupide et avare que ça, mais surtout qu'il possédait déjà le monde à ses pieds, que pouvait-il désirer de plus ?

Que peuvent bien désirer les Hommes lorsqu'ils ont déjà tout ?, me questionnais-je en ayant pourtant la réponse. Ils souhaitaient toujours plus.

— J'ai compris, s'excita Maria.

La jeune fille se leva à son tour, souriante comme à son habitude.

— Quelle est la personne qui est le plus puissant depuis toujours ? interrogeait-elle, un doigt levé et un air malin sur le visage.

Je secouais la tête, ne sachant que répondre.

— C'est pourtant simple. Le Créateur lui-même.

— Le Conseil veut devenir un nouveau Dieu et diriger l'Univers, acheva alors le père Daniel. Le génocide des anges ne sera que la première étape pour parvenir à cette folie. Dès qu'ils auront un moyen efficace de les éradiquer efficacement.

— Mais leur Père les aidera, n'est-ce pas ?

Ma théorie tenait parfaitement la route. Le Créateur avait beau n'intervenir que très rarement, il lui était sans aucun doute impossible de fermer les yeux si des Hommes se mettaient à convoiter sa place.

Dieu n'existait pas, pas plus que tous les autres êtres divins de ce monde.

Je tournais brusquement de la tête. Personne. Ce murmure...

Ma main se posa machinalement contre ma nuque. La sensation de brûlure était légère, mais présente. Cette phrase n'avait pas été prononcée. Il n'avait s'agit que d'un soupir en mon esprit. Un simple soupir...

— Au fait, très joli tatouage Vi, me félicita Isabella, pensant certainement que ma main posée ainsi était là pour attendre des compliments de sa part et de celle de Maria. Mais je pensais que toutes les roses étaient rouges tout à l'heure. Je ne me souvenais pas de la rose noire.

Lui souriant, je tentais de garder mon calme avant de prétexter une envie pressante pour immédiatement me rendre dans la salle de bain. Je m'y enfermais à double tour et, dans la panique, me précipitait devant le miroir.

L'une des roses se fanait. Elle avait perdu de sa couleur écarlate, devenue sombre et déchirée. Comme me l'avait révélé Isabella.

Sans pour autant comprendre la signification de ce changement, inutile d'être un génie pour interpréter le danger de ce symbole. Une fleur qui se fanait ne pouvait pas livrer le message « Tout va bien, je vis d'amour et d'eau fraiche, la vie est une folie merveilleuse ! ».

Prenant mes affaires se trouvant dans l'une des nombreuses chambres de la demeure du père Daniel, je retournais au rez-de-chaussée. Les choses s'intensifiaient et allaient de pire en pire.

— Alors les trois pécheresses me quittent, soupira le père Daniel.

— J'ai des choses à faire.

— Va, Virginia. Tes amis semblent t'attendre dehors. Ne t'en fais pas pour moi et continue ton chemin.

Comme si j'allais m'inquiéter pour un pauvre bougre ayant profité de ma détresse pour me faire travailler en Enfer de manière totalement gratuite ! Un homme m'ayant donné un lieu où vivre et de la nourriture, un refuge et une occupation. Un prêtre ayant fait son possible pour parfaire mon éducation de pécheresse, me prouvant sur le terrain que toute créature n'était pas nécessairement mauvaise... Des choix. Seulement des choix.

— Merci pour ce que vous avez fait pour moi jusqu'à maintenant. Et je ne parle pas du manque de sommeil.

Il sourit en soufflant un rire retenu. Nous nous prenions dans nos bras, une dernière étreinte avant de se dire au revoir. Franchissant la porte de la maison du père Daniel, je partis rejoindre Isabella et Maria.

— Nous allons parcourir le monde pour aller chercher les pécheresses. Nous diffuserons l'infos.

Le trio ne travaillerait pas ensemble, mais séparément pour le même but. Ou presque. De mon côté, je devais continuer dans ma lancée.

— Je pense que c'est le mieux, en effet. Nous devons nous préparer.

Les pécheresses devaient se tenir prêtes à tout instant. Nous restions une grande famille unie. S'en prendre à l'une de nous revenait à attaquer l'ensemble de la sororité.

Regardant vers le ciel, Isabella eut une esquisse amusée.

— Une guerre se prépare. J'espère que nous serons prêts à ce moment-là, humains comme monstres.

— Je ne viens pas avec vous. J'ai des questions qui demeurent encore sans réponse.

— Ne meurs pas entre temps. Nous aurons besoin de tout le monde en temps voulu.

— Aucune chance, j'ai quelque chose que veut le Conseil. Il me traquera, me torturera peut-être, mais on me veut vivante.

— Là, je retrouve Triple V.

Et les deux jeunes femmes partirent de leur côté, me laissant emprunter mon propre chemin.

Passant devant la cathédrale de cette ville française, je m'arrêtais un instant. Mon séjour ici avait été rafraîchissant. J'avais appris beaucoup et pourtant si peu à la fois. À présent, ma vision quant aux créatures avait changé, tout comme mon regard sur le Conseil et l'humanité.

À mon tour, je levais les yeux vers le ciel. Le soleil se couchait, offrant ses couleurs chaudes et éclatantes au ciel. Une sorte de dernier message qu'il transmettait avant que la nuit ne le remplace.

Tandis que je me perdais à l'observation de ce splendide spectacle, quelque chose dans le ciel sembla se dessiner. Un objet, un... truc tombait. Et cela chutait à une vitesse fulgurante, se rapprochant de moi bien trop dangereusement à mon goût.

Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ? Non ! C'est...

— Qu'est-ce que c'est au juste ? questionnais-je dans le vide.

Et soudain le « truc » entra en collision avec le sol, devant moi. Un cratère venait de se former dans un gros « boum ! », entouré de fumée. Et de ce nuage de poussière sortit un homme. Un être aux ailes dorées et à l'auréole toute aussi resplendissante.

— Toi, tu n'es pas Superman, murmurais-je surtout pour calmer les battements de mon cœur.

Comment ne pas le reconnaitre ?

— Lysandre, comment m'as-tu retrouvée ? m'inquiétais-je dans un mouvement de recul.

En voyant cet ange que j'avais fui, je commençais à paniquer intérieurement. Que faisait-il ici ?

Ses yeux brillaient littéralement. Sans pupille, ils semblaient comme deux lumières miroitantes. Mais surtout, Lysandre se trouvait dans un état de fureur comme je l'y avais rarement vu.

Ne me laissant pas le temps de faire quoique ce soit, son bras me saisit à la taille pour me soulever sur son épaule sans aucune forme de manière, encore moins de délicatesse. Ses ailes se déployèrent de nouveau et il repartit aussi vite qu'il venait d'apparaitre.

Mais que se passait-il à la fin ?

Date dernière mise à jour : 02/08/2024

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