Chapitre 2 - Fuite (4)

2 mois plus tard

- Nous devons partir de la capitale.

Tels avaient été les terrible mots du père de Perdrix, ce froid matin de décembre. La jeune fille n'avait pas été étonnée. La forge tournait à plein régime, pourtant son père n'avait pas touché une pièce de cuivre depuis des semaines. Réquisition pour l'effort national, c'était sous ces mots que l'on lui avait annoncé que désormais, il serait forcé de prendre en priorité les commandes venant du palais, et de les effectuer gratuitement. Et des demandes, il en pleuvait.

Il ne s'était pas passé un jour sans que son père ne reçoive une lettre officielle, lui commandant toujours plus d'ouvrage extravaguant. Ce n'étaient pas des armes que l'on lui demandait, contrairement à ce que son père aurait pu attendre. Mais des bijoux de toutes formes. Des couverts évoquant des ailes d'ange, des écailles de dragons. Des broches, des tiares, des boutons d'or. C'était à en devenir fou.

Où la noblesse stockait toute ces babioles, c'était là un mystère qu'Albus ne saurait résoudre. Il regardait sa fille avec tendresse. Elle était près de l'âtre, silencieuse, comme toujours depuis ce funeste jour, il y a deux mois. Ce jour où on leur avait arraché Lilianna de la plus injuste des manières. Il devait la protéger, coûte que coûte.

Sur la table en fer derrière eux, se trouvait une lettre qu'il avait reçu ce matin. Ce n'était pas une lettre de commande, contrairement à d'habitude, mais une missive brève qui lui indiquait que désormais il devrait payer le triple d'impôt pour conserver son commerce. Il n'était pas étonné. Tous les soirs se tenaient au château réceptions luxueuses et bals colorés. On avait réquisitionné la moitié de la nourriture soigneusement conservée par les habitants de la ville en prévision du froid. Effort national, ils avaient dit. Mais effort pour qui ? Pour quoi ? Les poings d'Albus se serrèrent. La Reine Septima pouvait l'affamer, le tuer au travail, mais il ne sacrifierait pas le confort de sa fille.

Dès l'aube le lendemain, ils avaient plié bagages. Ils avaient pris le nécessaire, échangé ou donné le reste à des voisins et des amis. Albus avait enfourché Cabriole – un cheval de trait pateau mais docile – et Perdrix était monté à l'intérieur de la charrette qu'il trainait, au milieu de toutes leurs affaires protégées dans des coffres forgés par son père. La jeune fille soufflait sur ses doigts, dans l'espoir de les réchauffer, alors que la ville qu'elle avait toujours connue s'éloignait toujours plus d'eux, nimbée de la douce lumière du soleil levant et de brouillard.

Ils étaient habitués au froid, comme tout le reste du Royaume. Il n'y avait pas un hectare qui ne connaisse pas pendant au moins deux semaines dans l'année un épais brouillard et une vague de gel. Ce n'était pas aussi désagréable que d'autres le présentait : on en appréciait que mieux la chaleur du feu et la brulure de l'alcool. Et puis ça aidait à garder les idées claires, se disait Albus. Il conduisait Cabriole d'une main ferme. L'homme à la stature massive savait parfaitement où il allait. Ils rejoindraient sa sœur dans un des villages qui se trouvaient à une poignée d'heures de voyage, vers le Nord. Elle lui avait écrit que les soldats de la capitale n'avaient pas encore poussé leur « effort national » jusqu'à eux, et qu'ils y seraient en sécurité s'ils ne craignaient pas le froid et la pluie.

Ils passèrent par plusieurs villages. Tous étaient constitué des mêmes maisons en briques passant par toutes les nuances de rouges, vermillon et cramoisi. Tous étaient traversés par de petits canaux artificiels qui étaient là tant pour un côté esthétique, que pour donner aux habitants une eau vive et courante à proximité de leur habitation. Pour les villages les plus riches, les rues étaient même pavées, toujours avec cette même brique rouge extraite des carrières du Royaume. Grès rose pour la royauté. Brique rouge pour le peuple. C'était ainsi que l'on reconnaissait le Royaume Crépusculaire. Un royaume constamment au couleur de son nom.

Albus vit sur leur chemin bien plus de mendiants qu'à l'accoutumé. Mais il n'avait rien à donner. Pas même un regard. Il ne voulait pas se donner l'occasion de s'imaginer à leur place. Enfin, le clocher en bulbe de l'église de Champfleuri apparut au loin. Ils n'avaient mis que cinq heures, sans s'arrêter si ce n'était pour laisser le temps à Cabriole de boire un peu. Albus était soulagé qu'ils n'aient pas été attaqué en chemin. Il aurait su se défendre ; mais il avait toujours préféré marteler le fer plutôt que les Hommes. Il s'arrêta devant la maison en brique d'un rouge presque brun que sa sœur partageait avec deux autres familles.

Perdrix sauta de la charrette. Ses jambes étaient engourdies après tant d'heure de voyage, et elle avait l'esprit embrumé. A peine ses pieds eurent touché le sol qu'elle sentit quelqu'un la bousculer. La jeune fille s'était retournée : c'était un jeune garçon maigre aux cheveux noirs qui venait d'heurter son épaule, et ne semblait nullement disposé à s'excuser. Elle avait froncé les sourcils. Quoi ? La route n'était pas assez large peut être ? Machinalement, sa main s'était dirigée vers le médaillon que lui avait offert Sixtine. La jeune fille se pétrifia alors que la pulpe de ses doigts ne rencontra que du vide. Soudain, l'attitude du jeune garçon fit tout de suite sens. Son sang ne fit qu'un tour.

- Perdrix ! s'était exclamé son père, occupé à décharger une lourde malle. Perdrix revient !

Mais c'était trop tard, la jeune fille était déjà loin, lancée à la poursuite du jeune voleur qui s'était empressé de détaler en voyant qu'il avait été repéré. Elle remonta sa jupe de laine, laissant le vent froid lui mordre les mollets pour mieux courir. Ce médaillon lui appartenait. La princesse Sixtine lui avait confié. Elle ne pouvait pas le perdre.

Le jeune voleur sauta soudain sur une caisse contre le mur, et grimpa le long de celui-ci, trouvant appui avec une facilité déconcertante le long de la paroi, jusqu'aux toits. Perdrix marqua un arrêt, évaluant ses chances de réussir le même exploit, avant de décider de suivre le jeune homme de la rue. Le regard rivé vers les toits où le voleur enchaînait sauts et glissades, Perdrix bouscula quelques habitants du bourg sans même prendre la peine de s'excuser, s'attirant les foudres de pas moins de quatre personnes. Enfin, elle vit le jeune voleur sauter dans l'arrière-cours de l'herboriste du village. Prenant son courage à deux mains, désespérée, elle rentra dans la boutique.

- Bonjour ! Comment puis-je vous aider ? avait demandé une femme vêtue d'un tablier crème qui recouvrait une chemise en laine brun.

Perdrix était restée interdite, tordant entre ses doigts les plis de sa jupe. Elle tentait de commander sa langue, mais celle-ci s'emmêlait, ne savait plus comment former de mots.

- Tout va bien ? lui avait demandé l'herboriste en passant de l'autre côté du comptoir pour venir poser sa main dans son dos. Tu es perdue ?

Perdrix crut que sa mâchoire allait se décrocher. Elle portait un pantalon. Cette femme arborait avec insolence l'habit réservé aux hommes.

- Vo... Votre tenue ? avait-elle bafouillé, tellement surprise qu'elle se remit à parler sans même s'en rendre compte.

La femme avait ri, ses yeux noisette pétillants de bonté.

- J'ai l'habitude que les hommes la critique, mais je ne pensais pas que je choquerais une jeune demoiselle telle que toi ! Tu devrais essayer, tu verras c'est bien plus chaud et pratique que les jupons de laine. Et ça gratte moins, avait-elle ajouté en lui ébouriffant les cheveux. Et si tu me disais ce qui t'amène ?

Perdrix remarqua alors que la femme finissait sa phrase qu'une ombre se glissait derrière le comptoir.

- Arrêtez-le ! s'était-elle exclamée, en distinguant le visage de celui qui se faufilait dans l'arrière-boutique. Il a volé mon collier !

La femme s'était soudain redressée, l'air tout à fait sérieux, les mains sur les hanches.

- Merlin, vient immédiatement ici, ne m'oblige pas à me répéter !

Le jeune homme s'était présenté dans la boutique, l'air penaud.

- Tu as recommencé ? avait commencé à le gourmander la femme. Rend immédiatement ce collier à cette jeune fille.

- Mais il n'est même pas à elle ! avait protesté le jeune homme. Il est à la princesse en fuite !

- Je ne veux pas le savoir !

La femme avait tendu sa paume ouverte, et le dénommé Merlin avait fini par y déposer le médaillon doré en grommelant avant de s'enfuir de nouveau vers l'arrière-boutique.

- C'est bien ça ? avait demandé l'herboriste à Perdrix avec douceur, lui présentant le collier.

La jeune fille acquiesça timidement, et la femme la fit se tourner, raccrochant à son cou le délicat bijoux.

- Et voilà. N'hésite pas à revenir me voir s'il recommence, il est incorrigible en ce moment avait-elle souri.

Perdrix avait souri timidement. Elle se demanda comment le jeune garçon avait su que c'était Sixtine qui lui avait donné ce collier. Sans un mot de plus, elle s'était dirigée vers la sortie.

- Au fait, l'avait retenue l'herboriste, je m'appelle Vivienne, et toi ?

- Perdrix, avait répondu dans un souffle la jeune fille, avant de disparaître dans la rue.

Son père devait être fou d'inquiétude, mais tout ce à quoi la jeune fille pouvait penser, c'était à l'herboriste en pantalon, à son médaillon, et au curieux voleur qui avait deviné qui lui avait donné ce bijou.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top