Chapitre 2 - Fuite (1)
Sixtine regardait les gouttes tomber du plafond de sa cellule sur le sol de terre battue de sa cellule. Elle n'avait opposé aucune résistance. C'était inutile. Elle aurait dû être couronnée depuis deuxjours maintenant, si elle se fiait au changement de tons de la lumière qui filtraitau travers de sa minuscule fenêtre, situées des mètres au-dessus d'elle. Et ellese retrouvait là, dans la crasse et l'obscurité. Ses yeux étaient éteints. Depuis combien de temps préparait-on sa perte ? Combien de parjures contenaient ce complot ? Septima était-elle à sa tête ? Était-ce un coup d'Etat ?
Jamais elle n'aurait pu prévoir ce scénario. Pourtant, elle avait passé des heures à apprendre dans les moindres détails les plus célèbres trahisons que comportait l'Histoire. Tout ça pour se faire avoir par sa sœur. La trahison originelle, celle qui venait de la famille.
Son cachot était froid et austère. Il comportait cependant un lit et une chaise, ainsi qu'un broc et une bassine en émail ébréchée. Elle savait que sa prison était luxueuse par rapport aux autres. L'humidité la faisait frissonner dans sa robe de bal rendue méconnaissable par la crasse et les déchirures. Les gouttes se formaient sur le plafond, s'accumulant progressivement, jusqu'à être assez développées pour ne plus tenir à la surface de pierre et s'écraser. Sixtine les regardait, et ne pouvait s'empêcher de penser avec cynisme que ces gouttes auraient fait une belle métaphore pour illustrer sa chute.
Il fallait qu'elle reste calme. Le coup d'état de sa sœur pouvait encore échouer. Beaucoup parmi les nobles et les bourgeois la soutenaient, le peuple était de son côté : tant de raison pour elle d'espérer qu'elle ne resterait pas longtemps ici. Mais il y avait la question du corps de sa mère, du corps de la Reine. Sixtine n'arrivait pas à se résoudre à croire qu'elle l'avait tuée. Mais elle n'imaginait pas sa sœur tuer son plus puissant allié non plus. Alors que s'était-il passé ? Allait-elle être accusée du meurtre ?
La princesse entendit des pas résonner dans l'escalier qui menait à sa cellule, qui était à l'écart de toute les autres – encore un privilège accordé par son statut – et Sixtine s'était levée du lit où elle s'était affalée. Elle se tenait droite, placide, aussi noble que si elle recevait simplement quelqu'un lors d'une audience. Son visage cependant ne put s'empêcher d'exprimer tout son soulagement lorsqu'elle vit le visage de son visiteur.
- Epervier ! avait-elle soufflé.
Il avait troqué son beau costume contre une tenue plus sobre et plus discrète en lin noir. Ses cheveux étaient en pagaille, et ses bottes étaient recouvertes de boue. Mais il était là. Pour elle. Il était revenu.
- Si l'on m'avait dit que je viendrais au secours de la puissante Sixtine... J'ai l'impression d'être un preux chevalier qui vient secourir une demoiselle en détresse.
Bien que son ton soit celui de la plaisanterie, Sixtine remarqua ses traits fatigués et son expression inquiète. Son regard était aussi sombre que l'orage.
- Comment vas-tu ? lui demanda-t-il avec sollicitude.
- Epargnons nous les paroles inutiles, avait répondu Sixtine. Je ne sais pas combien de temps on a avant que les gardes comprennent que tu es ici. Te connaissant, tu as dû encore faire dans la dentelle.
Epervier avait souri de toutes ses dents, confirmant l'hypothèse de la princesse.
- Comment ça se présente là-haut ? Qu'est-ce qu'il se dit ? l'avait-elle questionné.
- Mal, lui avait répondu Epervier, se rembrunissant. On t'accuse du meurtre de ta mère. Et puis...
Le jeune homme avait marqué un silence, et Sixtine lu dans ses pupilles grises que ce qu'il avait à lui dire allait la plonger dans une rage folle. Elle attrapa sa main dans la sienne au travers des barreaux, l'enjoignant à parler.
- Ta sœur a été couronnée Reine cette après-midi. Avec la bénédiction de toute la noblesse et la bourgeoisie.
Le sang quitta le visage de Sixtine.
- Et... Et le peuple ? Qu'a dit le peuple ? avait-elle bredouillé.
- Le peuple n'a pas été consulté. Ce couronnement a été fait sans son assentiment.
- C'est contre tout ce que mère défendait ! n'avait pu s'empêcher de s'exclamer Sixtine.
Epervier avait plaqué sa main gantée sur sa bouche, les sens en alerte. Au loin, on entendait des pas. Le cœur de Sixtine battait fort dans sa poitrine. Elle écoutait le bruit des bottes sur les pavés. Le rythme régulier et affreusement lent du cuir sur le sol lui lacérait les oreilles. Enfin, il s'éloigna, sans que l'alerte ne soit donnée. Peu importe de qui il s'agissait : il n'avait pas trouvé les gardes qu'Epervier avait dû assommer.
- Sortons d'ici, lui avait dit son bien-aimé. Nous aurons tout le loisir de discuter en dehors de ces murs.
- Je ne peux pas partir ! avait chuchoté d'une voix furieuse Sixtine. M'enfuir, c'est reconnaître que je suis coupable !
- Crois-moi, de la part de quelqu'un qui connaît bien les prisons et les tribunaux de ce pays : jamais ils ne t'acquitteront. Bon sang Sixtine, on t'accuse de l'assassinat de la Reine !
- Ce n'est pas moi qui l'ai tuée. Sept... On m'a piégée !
- Je sais, je sais, avait répondu Epervier en prenant ses mains dans les siennes et en plongeant son regard dans le sien. Mais par pitié Sixtine, si dois me faire confiance un jour dans ta vie, il faut que ce soit aujourd'hui.
La princesse aux cheveux noirs comme la nuit avait soupiré, le regard perdu dans le vide. Si Septima avait été couronnée et était soutenue par la noblesse et les notables, elle avait déjà obtenu ce qu'elle voulait. Sixtine voulait croire qu'elle la laisserait tranquille. Elles restaient sœurs. Elles avaient été proches fut un temps. Sa cadette ne pouvait vouloir lui nuire à ce point.
- D'accord, avait-elle soufflé.
Avec un sourire, Epervier avait crocheté la serrure à l'aide de l'un de ses nombreux outils. La grille s'était ouverte dans un grincement qui les avait fait grimacer tous les deux. Sixtine avait agrippé un bout de sa longue robe et l'avait déchirée au niveau de ses genoux. Là. Elle serait plus à l'aise pour courir.
Leurs mains entrelacées, ils s'étaient enfui dans le dédale de pierre qu'étaient le donjon du palais. Ils croisèrent peu de gardes, et aucun ne se rendit compte de leur présence. Sixtine n'était pas étonnée. Eperver était rompu à cet exercice ; et quant à elle, son expérience du champ de bataille se révélait soudain plus utile que jamais. Tout à coup, reconnaissant l'endroit par lequel il voulait la faire passer, elle le retint.
- Non, pas par là ! avait-elle chuchoté. J'ai changé les placements de la garnison la semaine dernière pour couvrir cette partie du château.
- Brillante idée ! avait pesté Epervier.
- Par où es-tu passé en arrivant ?
- Par la cour intérieure, en me mêlant à la foule. Mais au vu de ton accoutrement ; impossible de repasser par là sans nous faire remarquer.
Le coeur de la princesse battait dans sa poitrine. Si Epervier n'avait pas été si inspirer de passerr par l'extérieur, il aurait pu se faire prendre avant même d'atteindre son cachot. Sixtine déglutit à cette idée, et pris un moment pour réfléchir alors qu'ils se tenaient tous les deux dans un recoin sombre d'un couloir, les sens aux aguets.
- Nous n'avons pas d'autres choix. Suis-moi, j'ai une idée.
Epervier lui avait emboité le pas sans protester. Il savait sa chère et tendre au moins aussi stratège que lui et se fiait à son jugement aveuglément. Leurs ombres se faufilèrent deux étages au-dessus de là où ils se trouvaient, jusqu'à une porte dérobée, cachée dans un recoin qui ne devait jamais avoir connu le moindre rayon de lumière. Le jeune homme fronça son nez en comprenant le plan de Sixtine.
- Tu es sûre de vouloir prendre ce chemin ? Il n'y a pas d'autre moyen ?
- Non, avait affirmé la princesse. Fais-moi confiance : personne ne nous verra.
Épervier avait acquiescé, et Sixtine avait ouvert avec précaution la petite porte, se tenant courbée pour passer dans le cadre de celle-ci. Les deux amants arrivèrent dans l'un des balcons qui bordaient la salle du trône, qui servait également de salle de bal. Là se tenait auparavant les musiciens, avant que feu la Reine Ichi décide que les artistes qui habillaient l'air des réceptions de leurs musiques colorés devraient être vus de tous, et non cachés tout en haut de la salle. Une vingtaine de mètres sous eux, on pouvait entendre des voix : une réception se tenait. Devant eux, s'étendait un mince espace entre les estrades où se tenaient l'orchestre et la rambarde des balcons : leur seule chance de les traverser sans courir aucun risque d'être vus.
Sixtine fit de son mieux pour se retenir de regarder ce qu'il se tramait. Pour l'heure, l'urgence était de traverser jusqu'à la porte qui se situait de l'autre coté des balcons. Là, ils pourraient accéder sans encombre à une ancienne armurerie où elle savait que l'on stockait encore des armes et des armures que plus personne n'utilisait. Elle comptait s'y changer avec ce qu'elle trouverait, et surtout, s'y armer. Elle déglutit en songeant qu'elle devrait peut-être combattre sa propre garde.
Alors qu'ils touchaient au but, traversant les balcons à genoux, Sixtine entendit des mots qui lui firent froid dans le dos.
- Je ne saurais vous exprimer ma gratitude pour votre soutien ! clamait une voix qu'elle ne connaissait que trop bien. En ces temps troublés, qu'il est plaisant de voir que l'on peut compter sur des soutiens fiables !
- Sixtine, qu'est ce qu'il te prend, avance ! lui avait soufflé Epervier, coincé derrière elle du fait de l'étroitesse de l'espace.
- Mais je sais que cette confiance doit être récompensée par des actions. Ainsi, je voudrais profiter de cette réception improvisée pour vous présenter ma première action en tant que Reine de ce pays, avait continué la voix en dessous d'eux. Pour la sûreté de notre Etat, pour sa stabilité, je suis au regret de vous annoncer une décision qui, croyez le, me brise le cœur, mais que je sais nécessaire à notre Royaume.
- Sixtine !
- Moi, Septima de Bleuazur, Reine de Bleuazur, je condamne la princesse Sixtine de Bleuazur, pour son acte de trahison envers le Royaume et l'assassinat de la Reine Ichi de Bleuazur, à la peine capitale.
Des murmures parcoururent l'assemblée qui se tenait plus bas. Suivi d'un applaudissement ; Puis d'un autre : une pluie de battement de main et de « bravos ! » envahirent le silence de la salle. Sixtine resta statufiée. Sa sœur ? Sa douce sœur qu'elle croyait incapable de tuer une mouche venait d'ordonner sa mort ? Elle sentit un élan de rage monter en-elle. Qu'elle avait été naïve de croire que tous ces gens la soutenaient ! Retrouvant l'usage de ses membres, elle s'était hâtée vers la porte, la mâchoire serrée.
- Sixtine, avait dit doucement Epervier, prenant ses épaules entre ses mains une fois la porte refermée derrière eux. Ce que tu as entendu...
- N'a aucune forme d'importance, avait-elle rétorqué. J'aurais pris la même décision si elle avait été à ma place. Allons-y.
Le jeune homme n'avait rien ajouté : c'était inutile. Lorsqu'elle était dans cet état, Sixtine n'écoutait personne, pas même son propre cœur. Ils arrivèrent devant l'ancienne salle d'arme et Epervier en fit sauter la serrure en quelques mouvements habiles. Devant eux se révéla sous une couche de poussière des haches, des épées, et tout un tas d'autres d'ustensiles mortels.
Sixtine ouvrit une armoire et en sortit une cape en laine noire élimée. Elle se saisit également d'une tenue d'archer sombre et proche du corps. Elle avait été rongée par les mites à certains endroits, mais cela serait toujours mieux que sa robe. Cette dernière la fit pester : elle n'arrivait pas à atteindre les agrafes qui la retenait.
Epervier qui était resté sagement en retrait jusque-là, se contentant de la regarder faire s'était approché d'elle.
- Un peu d'aide ? avait-il demandé d'une voix douce.
- Pas besoin, avait grogné la princesse, en se tortillant dans tous les sens.
- Si tu continues à faire autant de bruit, on va finir par ameuter tout le château.
Sixtine avait soupiré, et s'en était remise à lui, laissant les doigts habiles de son amant défaire une à une les attaches qui maintenaient sa robe en place. Elle fit une grimace en enfilant les habits rêches et rabattit le capuchon de sa cape. De son habit de lumière, elle n'avait gardé queses bijoux bien caché sous ses habits de mauvaise facture. Elle les revendraitau marché noir.
- Met ça, lui avait ordonné Epervier en lui tendant un foulard noir. Pour cacher ta cicatrice.
La jeune femme avait acquiescé et avait couvert le bas de son visage. Elle s'était tournée vers son amant, les bras écartés, en attente de son jugement.
- Presque parfait, avait-il décrété.
Il avait jeté un regard autour de lui, et s'était saisit d'un fourreau qui semblait avoir été épargné par la rouille.
- Ah mon avis, elle est émoussée, mais c'est mieux que rien, lui avait-il intimé en lui confiant l'épée.
Elle avait acquiescé et avait caché sa lame sous sa cape, à sa ceinture. Ils s'étaient regardés dans les yeux. Le plus simple était fait. Au loin se mirent à résonner des cloches. De lourds glas qui retentissait à un rythme lent. Pour eux qui connaissait tous les codes de la garde, il était simple de savoir ce que signifiait ce son cuivré et menaçant : le cachot de Sixtine avait été retrouvé vite. A partir de ce moment, ils étaient officiellement en fuite.
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