Chapitre 1 - Trahisons (3)

Elle était là, l'attendant patiemment à la fenêtre, dans l'obscurité de sa chambre, un fin rayon de lune baignant son visage. Nul besoin de lumière : c'était elle le soleil de la pièce. Epervier n'était pas dupe : elle savait qu'il était rentré, malgré sa discrétion. Si elle n'avait pas bougé d'un pouce, c'était par choix. Le jeune homme devinait ce qu'elle attendait, aussi il s'avança doucement vers elle sur les tapis de velours rouge. Ses mains attrapèrent sa taille, svelte, sculptée par les batailles. Il n'avait pas besoin de sentir sa peau directement pour savoir exactement où se situait exactement chacune de ses cicatrices. Ses lèvres se posèrent sur son cou.

-          Tu as mis plus de temps que d'habitude... avait-elle murmuré de sa belle voix chaude, presque rauque.

-          J'étais occupé avec une agaçante mouche albinos, avait-il répondu, posant son menton sur l'épaule droite de son amante.

-          Qu'est-ce que ma sœur t'a encore fait ? avait demandé la future reine, amusée.

Epervier avait toujours un don pour trouver les surnoms les plus colorés et indécents. Dans l'intimité, ils en avaient un pour chaque personne du palais. C'était un petit jeu auquel ils se prêtaient volontiers, surtout après que leurs corps se soient unis. Mais en vérité, il ne fallait pas s'y tromper : ces surnoms étaient plus affectueux qu'ils n'y paraissaient. Si une personne méritait que l'on lui en donne un, c'est qu'elle était assez importante pour avoir attiré leur attention.

-          Elle tenait absolument à ce que je vous ramène ceci, avait dit Epervier avec espièglerie en sortant d'une des innombrables poches de son costume noir brodé de fil d'ébène, un des bracelets en onyx de Septima.

Sixtine avait émis un petit rire et s'était tourné vers lui, plongeant son regard doré dans le sien, gris comme un ciel d'orage.

-          Une aveugle, ce n'est une cible un peu trop facile non pour le voleur le plus recherché du Royaume ?  avait-elle dit en caressant sa joue.

-          Rien n'est trop beau pour toi, avait-il murmuré en se penchant de nouveau sur son cou, ma reine...

Sixtine avait été prise d'un frisson alors qu'il posait de nouveau ses lèvres glacées sur sa peau chaude. Elle sentit qu'il glissait dans un même temps le bracelet de sa sœur à son poignet droit. Septima serait furieuse lorsqu'elle s'apercevrait qu'Epervier s'était encore joué d'elle, mais peu importe. Sixtine était beaucoup trop occupée à apprécier ces moments volés au temps avec son beau voleur.

-          Epervier je te préviens, avait-elle soufflé, j'ai mis plus de six heures à m'habiller avec l'aide de pas moins de quatre servantes : si tu me retires cette robe, je te le ferais regretter.

-          J'ai toujours pensé que le nu était surcoté, avait-il susurré dans son oreille. Ceux qui ont besoin de mettre nue la femme qu'ils aiment pour la combler ne connaissent pas assez bien son corps...

-          Pas ce soir Epervier, j'ai besoin de te parler, l'avait coupé Sixtine sur un ton plus ferme, le repoussant.

Le voleur fit par de son mécontentement, mais n'insista pas. Il n'était pas une brute : la parole de la dame était sacrée. Surtout quand il s'agissait de sa dame.

-          Qu'y a-t-il de si urgent ? avait-il rétorqué sur un ton plus sec qu'il ne l'aurait voulu

La future reine s'était assise sur son lit recouvert de drap de soie rouge et avait tapoté la place à côté d'elle, lui souriant insolemment. Elle savait qu'il détestait qu'on le traite comme un enfant, et si Epervier se retenait, tentant de lui soustraire la satisfaction de le voir agacer, elle sentait de sa place qu'elle avait réussi. Le jeune homme mit cependant son égo de côté pour venir s'asseoir à côté de son amante. Leurs mains s'entrelacèrent, unies comme les racines des arbres centenaires qui s'enlacent sous terre.

-          Je veux que l'on se marie après mon couronnement.

Epervier crut que son cœur allait lâcher dans sa poitrine. Elle ne pouvait pas avoir dit ça, c'était impossible. Pas la Sixtine, la fougueuse et indomptable Sixtine qu'il connaissait.

-          Qu... Qu'est-ce que tu dis ? avait-il bégayé – et Dieu savait qu'Epervier ne bégayait jamais.

-          Je veux, avait répété Sixtine doucement, que l'on...

-          Que l'on se marie, merci, c'était rhétorique, avait répondu Epervier en lâchant ses mains. Tu as perdu la tête ou quoi ? Je suis le bandit le plus recherché du pays ! Et toi tu es...

-          Sur le point de devenir la Reine, l'avait à son tour coupé Sixtine. La plus haute autorité du royaume. Celle qui peut te gracier. Celle qui peut te prendre pour époux.

Epervier s'était levé brusquement et s'était dirigé vers la fenêtre, la main sur ses lèvres, accablé par ce qu'il entendait. Lui ! Marié ! A la Reine en plus ! Non, ce devait être l'un des tours de Sixtine, elle le faisait tourner en bourrique comme elle savait si bien le faire. Il lui jeta un bref coup d'œil, vit son regard brillant, empli d'espoir et d'amour. Il détourna le regard aussi rapidement que s'il avait vu le Diable en personne. Bon sang. Elle était sérieuse.

-          Sixtine, avait-il repris, refusant de croiser le regard de celle que pourtant il aimait. On ne peut pas faire ça. Ça mettrait le Royaume à feu et à sang. Je pensais que toi plus que quiconque tu le saurais.

Derrière lui, un bruit de froissement lui indiqua que son amante s'était raidie. Sans même la voir, il devinait que ses traits s'étaient tirés. Le jeune homme savait qu'il allait la blesser, et son propre cœur lui faisait mal en sachant ce qu'il devait dire et faire. Mais il savait que c'était pour le mieux.

-          Alors tu refuses ? lui avait-elle demandé d'un ton pincé.

-          Oui, avait-il répondu d'un ton intransigeant.

La colère qui bouillait en Sixtine irradiait la pièce. Epervier aurait voulu aller la prendre dans ses bras, l'aider à expier sa peine. Mais il n'était pas hypocrite à ce point.

-          Veux-tu que je parte ? avait-il demandé.

Du coin de l'œil, il vit que la future Reine acquiesçait. Qu'elle semblait soudain misérable. Sa lumière s'était ternie, elle en avait même perdu sa voix. Si on lui avait dit que l'amour réduirait à cet état cette puissante guerrière qui avait terrassé tant d'ennemis... Et que pouvait-on dire de lui ? Le terrible voleur malicieux, que rien ni personne n'impressionnait, il avait du mal à maîtriser les tremblements de son corps tant ses actions et ses mots lui faisaient mal à lui aussi. Il se dirigea à contre cœur en dehors de la chambre. Avant de sortir, la porte en main, il voulut cependant ajouter quelque chose, un trait d'esprit n'importe quoi qui rendrait la situation moins dramatique. Mais la seule chose qu'il trouva à dire fut :

-          Ta sœur m'a demandé de te dire qu'elle t'attendra au jardin Sud à minuit. Vas-y, ça avait l'air important.

Puis, le voleur, si bavard à l'accoutumé, se retrouva à court de mots et se retrouva contraint de fermer la porte. Il s'enfuit du palais discrètement, le cœur aussi lourd qu'une pierre. Il ne reviendrait plus. Cela ne ferait que la tourmenter davantage. Il fallait qu'elle trouve quelqu'un d'autre. Quelqu'un de plus respectable que lui. Au fond de lui, une petite voix lui hurlait qu'il n'était qu'un trouillard.

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