Chapitre 1 - Trahisons (2)
La fête battait son plein dans la salle de bal. Les robes aux couleurs chatoyantes et variées côtoyaient les couleurs uniformes des costards, dans une danse sociale qui ne pouvait être observée qu'à l'occasion de ce genre de réception royale. Epervier se tenait prudemment à l'écart des festivités, préférant observer de loin les mondanités. Il n'était nullement ébloui par le faste de l'évènement : il s'agissait du couronnement de la princesse Sixtine après tout.
Tout le monde en semblait heureux, la noblesse se félicitait d'avoir bientôt pour reine une guerrière et une meneuse d'homme aussi aguerrie que la princesse. N'avait-elle pas, après tout, tenu tête à l'empire voisin qui menaçait d'envahir leurs terres ? N'était-elle pas revenue de glorieuses batailles, tâchée du sang de ses ennemis, ramenant avec elle richesse et prospérité ? Pourtant, les visages de ces nobles restaient tirés ce soir. Ils prétendaient, mais personne n'était dupe : la future reine, malgré tous ses exploits, les dérangeait. Epervier sourit en voyant leur hypocrisie qui rayonnaient sous les lustres étincelants de la salle.
Les coupes de champagne tintaient, changeaient de main. On se faisait des révérences et des baise mains. Les jeunes filles à marier – le verbe « vendre » aurait peut-être été plus approprié -, identifiables par une tulipe nouée à leur poignet, se pavanaient devant de jeunes hommes plus impressionnés par leur corps que par la compagnie de ces dames. Des idiots, songea Epervier. Il observa mieux, et vit qu'une de ces demoiselles avaient été mise à l'écart par les jeunes gens. Son visage était rouge, et elle agitait vigoureusement un éventail devant elle, sans doute dans l'espoir vain de se rafraîchir. Sa robe de taffetas rose était bouffante, alors que la mode était plutôt à des robes serrées ne s'évasant qu'aux pieds. Pourtant, sa toilette ne manquait pas de diamants et autres luxueux détails.
Une nouvelle riche... songea Epervier. Malgré tous les efforts qu'elle ferait, la position sociale ne s'achetait pas au pays des nobles. Les codes, les bonnes manières, les modes, tous ces savoirs étaient cloisonnés, jalousement gardés. Bien que la Reine Ichi ait abrogé leurs privilèges, proclamant un semblant d'égalité entre tous, ces nuisibles avaient trouvé immédiatement une autre manière de se distinguer de la foule, d'autres raisons de moquer ceux qui n'appartenaient pas à leur milieu.
Soudain, la jeune fille tout emmaillotée dans sa robe rose croisa son regard et lui sourit. Epervier failli s'étouffer avec la gorgée de champagne qu'il venait d'ingurgiter. Il l'avait observée trop longtemps, perdu dans ses pensées, et maintenant elle s'avançait d'un pas décidé vers lui.
- Monsieur, s'était-elle présentée à lui avec une timide et maladroite révérence, j'espère que vous passez une agréable soirée.
La jeune femme lui tendit sa main et Epervier se résolut à y apposer ses lèvres. Il valait mieux pour ce soir se plier au jeu des nobles et des bourgeois. Si la demoiselle faisait un esclandre, cela pourrait rapidement tourner au vinaigre pour lui.
- Elle est ma foi, à la hauteur de ce que l'on pourrait espérer pour le couronnement de la princesse Sixtine.
- Avez-vous déjà eu le bonheur de la voir ? avait demandé avec curiosité la jeune femme, en tentant de jouer de ses charmes, ses longs cils noirs battant excessivement vite.
- A quelques rares occasions.
- Comment est-elle ?
Epervier prit un moment pour réfléchir à la question. Il n'était pas exclu que l'un des espions de Sixtine ou de sa sœur Septima soit en train d'épier leur conversation. Le jeune homme aux cheveux noirs comme le charbon savait que les deux sœurs aimaient savoir ce qu'il se disait dans leur dos pendant les réceptions. Et il n'avait pas particulièrement envie de s'attirer les foudres de Sixtine ce soir.
- Telle que l'on la décrit, répondit-il, tentant de maîtriser son ton. Courageuse et brave. Aussi insaisissable que le vent, et aussi vive que l'éclair.
Et au moins aussi ardente que le feu, ajouta-t-il en son for intérieur. Mais cela, il ne pouvait décemment le dire en public.
- Cela ne m'aide pas vraiment à me la figurer, avait répondu d'un ton agacé la jeune bourgeoise.
Epervier lui avait rendu un regard traduisant un étonnement feint. La demoiselle était devenue encore plus rouge qu'auparavant. Le ton acerbe qu'elle venait d'employé était une faute impardonnable dans la haute société. Ici haut n'était admis qu'un ton mesuré et égal. Même les hommes réservaient leurs éclats de voix et débats enflammés à l'intimité des clubs et des salons.
- Je... Je suis désolée, avait bafouillé la jeune bourgeoise. Je ne voulais pas...
- Si vous voulez avoir un aperçu plus détaillé de notre future reine, l'avait coupé avec espièglerie Epervier, fort amusé par la panique de son interlocutrice, je vous recommande de vous retourner : la voilà qui paraît enfin.
En effet, Sixtine, accompagnée de la Reine Ichi, daignait enfin paraître en haut de l'escalier. Décrire le luxe de ce dernier serait inutile : la beauté du mobilier, et même de toutes les personnes présentes dans la pièce avait été éclipsée par la présence de la future Reine. Une robe couleur miel paraît sa peau foncée, ornée de perles blanche qui s'enroulait autour de son corps svelte. Des bijoux d'or et de rubis ornaient ses oreilles, son cou et ses poignets, aussi lumineux que les rayons de soleil, emplissant les espaces libres sur sa peau.
Mais le plus impressionnant était la cicatrice qui barrait son nez aquilin. Héritée de sa bataille contre l'Empereur du royaume de la lune, Sixtine ne ratait jamais une occasion de la mettre en avant. Et en ce soir si particulier, ce fin trait de chair blanche faisait rayonner sa beauté. L'entaille était emplie d'une poudre dorée, entourée des mêmes perles blanches que celles qui ornaient sa tenue. Au-dessus de cette cicatrice trônaient deux yeux d'un bleu profond, cerclé d'un noir charbonneux. Le mélange de l'or et du noir était sublime, mettant en valeur les traits sévères de la princesse, rappelant aussi bien son rang que sa position de guerrière.
La princesse descendit les escaliers de marbre, sa mère à son bras, le menton haut et fière, l'air altier. La foule avait cessé ses bavardages incessants. Toute l'attention était portée vers la future Reine. Elle avait volé le souffle de toute l'assemblée.
- Chers invités, quel honneur de nous compter parmi nous ce soi, avait-elle énoncé de sa voix forte et sans faille, étendant ses bras vers ses convives. La nuit est fraîche, réchauffons là de nos chants et nos danses !
Un tonnerre d'applaudissement répondit à cette déclaration aussi courte qu'impactante. Epervier applaudit également, peut-être plus discrètement que les autres, un sourire ornant son visage. Il ne voulait pas attirer son attention. Pas encore. Il repéra un froissement de soie couleur crème qui s'échappait vers l'un des balcons qui bordaient la salle de bal. Alors que la foule se pressait en direction de Sixtine, vers le centre de la salle, Epervier s'éclipsa lui aussi, se lançant à la suite de la robe écrue.
- Vous ne pourrez pas vous cacher toute la soirée...
La jeune femme ne s'était pas retournée, regardant fixement les étoiles. Ou du moins, tournant son visage diaphane vers le ciel.
- Princesse, conclut Epervier, son sourire s'agrandissant.
Cette fois-ci, Septima s'était tournée vers lui. Sa robe était aussi belle que celle de sa sœur, moins tape à l'œil, mais non moins élaborée. Sa toilette mettait en avant la pâleur de sa peau et de ses cheveux. Si Sxitine était le soleil, Septima était la lune. Pour son front : une tiare d'argent ornée de saphir. Pour ses poignets : des bracelets d'onyx qui s'enroulaient en de longue forme complexe. Pour son cou : une rivière de diamants. Pour un peu, on aurait cru voir une de ces elfes que décrivaient les contes anciens.
- Pas si fort Epervier, tu veux tous les ameuter ici ? l'avait-elle disputé.
Son ton était celui de la plaisanterie, malgré tout, le jeune homme aux cheveux noirs sentit d'autres émotions contenues dans la voix de la princesse. Du stress, de la peur... Et de la peine ? Le jeune homme se demanda ce qui pouvait bien mettre dans un tel état la jeune femme. Elle était de nature calme et imperturbable – une qualité qu'elle partageait avec sa sœur. Il était rare de la voir tant troublée.
- Pensez-vous que nous arriverons à extraire notre chère Sixtine de cette terrible foule ? avait-il demandé en s'accoudant à son tour au balcon, admirant toujours la future reine.
- Nous savons tous les deux qu'elle s'en sortira bien rapidement.
- Je ne faisais que faire de l'esprit, avait-il répondu, pris au dépourvu par le ton sec de la princesse. Il est vrai que bien que notre future Reine ait une sainte horreur de ce genre de... Cirque, elle joue admirablement bien.
- Avez-vous prévu de vous voir ce soir ? avait demandé sur un ton innocent Septima.
- Croyez-vous que je me déguise en noble pour le plaisir ? avait rétorqué Epervier.
- Ne vous faites pas prendre, c'est tout.
- Vous nous couvrirez de toute façon... N'est-ce pas ?
Septima crut entendre un soupçon de menace dans la voix du jeune homme et elle tâtonna jusqu'à trouver son bras, plantant son regard vide dans le sien. Ses traits tirés juraient avec son apparence angélique. Epervier eut un mauvais pressentiment.
- Si vous avez quelque chose à me dire princesse, vous feriez mieux de me le faire savoir immédiatement, lui avait-il soufflé à l'oreille. Je n'aime guère votre expression, et encore moins votre attitude. Si je ne vous connaissais pas aussi bien, je dirais même que votre attitude est des plus suspecte.
La princesse aveugle avait soupiré. Ses traits s'étaient un peu relâchés, et sa main pâle avait lâché la manche de Epervier. Ce dernier cependant ne la lâchait pas du regard. Son instinct le trompait rarement. La princesse savait quelque chose, et elle brûlait d'envie de se confier.
- Dis simplement à ma sœur de me rejoindre dans le jardin Sud à minuit. J'ai à lui parler.
- Est-ce grave ?
Désormais, Epervier était tout à fait sérieux, et le sourire mesquin qui habillait d'habitude son visage s'était évaporé. Sa question était purement rhétorique. Pour que la princesse n'accepte de se confier qu'à sa sœur, c'est que quelque chose se préparait. Quelque chose de grave. Les poils du jeune homme aux cheveux charbonneux se hérissèrent à une idée. Depuis un moment, il savait que Septima complotait en secret avec la Reine. De quoi pouvait-elle avoir rêvé ? Qu'est ce que Morphée avait bien pu faire voir aux yeux aveugles de la princesse cadette ?
Malgré toutes ces questions qui se bousculaient en lui, Epervier garda la tête froide. La pâle princesse ne lui dirait rien, si elle n'était pas décidée à le faire. Et de toute façon, il saurait bien assez tôt de quoi il en retournait : peu de conversations ayant lieu dans ce palais lui échappaient. Il ne se formalisa donc pas du silence de Septima. D'un coup d'œil dans la salle de bal, il vit que Sixtine avait disparue. Il se pencha au balcon, chercha du regard un foulard rouge qui devait être attaché quelques fenêtres plus haut, et l'apercevant, il sourit.
- Je vous prie de m'excuser princesse, on m'attend, avait-il conclu, retrouvant le sourire.
Il avait fait une courbette volontairement exagérée, sachant pertinemment que de toute façon, la princesse ne pouvait le voir, et s'était retiré.
- Monsieur, avait dit d'une voix claire la princesse. N'oubliez pas votre promesse. Le jardin Sud. A minuit précise.
- On croirait que vous me donnez un rendez-vous galant ! Désolée princesse, mais comme vous le savez bien vous-même, je suis pris ! avait ri Epervier en agitant sa main en signe d'adieu.
Ce nouveau trait d'esprit avait arraché un nouveau soupire à la princesse. Mais elle savait qu'elle pouvait faire confiance au jeune homme pour que son message soit bien transmis. Bien. Maintenant il fallait passer à la suite.
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