- Mère, j'ai fait un rêve étrange la nuit passée.
La reine Ichi posa un regard doux sur sa fille cadette. Dans ses yeux verts, enjolivés de ridules qui lui donnaient un air bienveillant et sage, on voyait la vision qu'elle avait de Septima. Celle d'un visage compatissant et bon, d'une peau blanche qui laissait paraître de pâles veines, rappelant la faible constitution de la princesse, et d'un maintien digne de son rang.
Elles étaient toutes les deux assises dans le salon d'hiver. Le mobilier était fait d'ivoire et de soie bleue sur laquelle s'étendaient des motifs cousus d'un fil d'argent. La pièce rappelait la froideur de l'hiver, mais aussi toute sa splendeur, imitant les motifs majestueux que laissait le givre et la glace sur les lacs et les herbes folles. La reine Ichi y faisait la lecture à sa fille lorsque celle-ci l'avait interrompu. A ses sourcils froncés, et à ses pupilles blanches qui s'agitaient, comme à la recherche de quelque chose, la reine devinait sa fille troublée.
- Parle sans crainte mon enfant, lui avait-elle répondu en passant sa main dans les cheveux blonds de la princesse aveugle.
Septima, après un instant d'hésitation, lui conta alors l'étrange et sanglante vision qui lui était apparue en rêve, ne taisant aucun détail, pas même les plus morbides. Il était curieux d'entendre une personne à la voix et à l'apparence si pure décrire tant d'horreur et d'atrocité. Alors qu'elle l'écoutait patiemment, la reine interrompit progressivement ses caresses, comprenant peu à peu l'importance de ce que sa fille lui racontait. Les lèvres roses de la princesse tremblaient lorsqu'elle finit son sinistre conte.
- Mère, avait-elle dit sur un ton doux, tentant de maîtriser sa voix, vous savez que mes rêves ne me mentent jamais. Si mes yeux ne peuvent voir le monde présent, mon esprit me le fait apparaître tel qu'il le sera un jour.
La reine Ichi semblait perdue dans ses pensées, les yeux perdus dans le vague. La couronne ornée d'émeraude semblait soudain peser lourd sur sa tête, mais elle ne s'autorisa pas la faiblesse de laisser choir sa tête dans sa main. Elle se maintint au contraire encore plus droite et rigide qu'à l'accoutumée.
Inquiétée par son silence, Septima chercha la main baguée de sa mère qui reposait sur l'accoudoir capitonné de velours bleu. Elle la trouva glacée, et la serra dans la sienne tant pour lui rappeler son soutien qu'en signe de son désespoir.
- Nous savions que cela risquait d'arriver, avait enfin murmuré la vieille femme à la chevelure blonde cendrée parsemée de cheveux blancs. Tes visions nous avaient déjà mises en garde. Nous ne faiblirons pas. Nous ferons tout ce qui doit être fait.
Une larme brillante et précieuse comme un diamant coula le long de la joue de la princesse. Elle avait hoché la tête en signe d'assentiment. Ce qui allait arriver serait terrible, mais nécessaire. Son cœur battait faiblement dans sa poitrine, alourdit par le chagrin. Elle écouta sa mère lui présenter son plan. Elle entendit le rôle qu'elle aurait à y jouer. Son cœur et son esprit se résolurent à le suivre. Lorsque sa mère eut fini de parler, ni l'une ni l'autre n'avaient encore le cœur à la lecture. La reine referma le traité de géopolitique qu'elle lisait, et la princesse se retira avec pudeur, s'aidant d'une longue canne en bois noble pour se déplacer. Même dans de telles circonstances, elle ne pouvait exprimer envers sa mère aucun signe d'affection.
Alors qu'elle empoignait la clenche de la porte tout en argent, représentant une feuille délicatement sculptée, sa mère la retint :
- Une dernière chose, avait-elle dit dans un souffle. Sixtine ne devra rien savoir. Et ce jusqu'au dernier moment.
La princesse ne répondit pas. L'imposante porte claqua derrière elle. Alors seulement, la Reine eut un instant d'égarement. Elle prit son visage entre ses deux mains, et des filets d'eau salée s'écoulèrent entre ses doigts, venant rejoindre les ornements du tapis bleu à ses pieds, filets d'argent parmi les fils d'argent.
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