Chapitre 9
Aron s'est endormi, au chevet de son père. Il est assis au sol, sa tête repose sur le bord du matelas de paille.
Le soleil commence à peine son ascension. La clarté du jour filtre au travers du fin tissu blanc accroché au-dessus.
Le jeune homme s'éveille en douceur, mais une main sur son épaule le fait sursauter. Il n'a pas le temps de se retourner que la voix faiblarde de son père le fait tressaillir :
— Fils...
Aron reste un court instant immobile, transi avant de s'agenouiller auprès de la tête de son père.
— Fils..., articule-t-il une nouvelle fois péniblement.
Sa gorge est sèche et ses muscles sont engourdis. Son regard hagard se balade sur le plafond en rondins de bois qu'il ne reconnaît pas. Il le pose ensuite sur son fils. Voir son visage le rassure.
Aron attrape le pichet posé sur la table de chevet et verse de l'eau dans la tasse en bois à côté avant de la porter aux lèvres de son père. Il passe sa main libre derrière sa tête et lui maintient afin de la relever un peu.
Ahiga en prend un peu et humidifie sa bouche avant d'avaler par petites gorgées. Elles lui sont si salvatrices. Il s'en délecterait presque s'il ne se sentait pas aussi minable d'avoir besoin de son fils pour l'aider.
Il le remercie d'un léger hochement du menton tandis que Bidzil et Erika les rejoignent.
L'homme balafré vient aux côtés d'Ahiga et pose un genou au sol, la tête baissée en signe de soumission.
— Seigneur Ahiga, vous revoilà enfin parmi nous.
Le père d'Aron lance un regard glacial à Erika qui se précipite pour imiter Bidzil. Le visage fermé, elle ne dit mot.
— Où sommes... commence à articuler difficilement Ahiga avant de s'interrompre à cause d'une quinte de toux.
Sa gorge le brûle et trop fier pour redemander de l'aide, il parvient à se saisir de la anse de la tasse avec une maladresse qui n'échappe à aucun des êtres présents dans la pièce. Bidzil rattrape le pichet qui tangue alors qu'Ahiga boit d'une traite avant d'ouvrir grand les yeux lorsqu'il se rend compte que ce qu'il tient entre ses mains est un récipient en bois.
— Des Abouis ! énonce-t-il nerveusement.
Il écarquille les yeux, furieux, sa respiration s'accélère un peu plus à chaque fois que cette idée devient de plus en plus claire dans son esprit.
— Seigneur Ahiga, ce ne fut pas un choix, mais le destin qui nous a conduits ici, déplore l'homme balafré en baissant un peu plus la tête.
Des lueurs rouges traversent les iris du père d'Aron. Sa colère ne cesse de croître. Les traits de son visage se durcissent. Son sang bouillonne et cette poussée de fureur lui redonne de l'aplomb. Sans crier gare, il se met debout lançant des regards assassin à son fils, Bidzil et Erika.
Tous les trois stupéfaits n'osent pas prononcer le moindre mot.
— Des Abouis, des Abouis, ne cesse-t-il de répéter.
Son torse se lève et s'abaisse de manière régulière et rapide. Il tente de contenir sa rage pour ne pas tout exploser dans la pièce. Il s'approche doucement de l'homme à genoux et l'attrape par le collet et le soulève. Ses pieds hors sol, le balafré se laisse faire sans réagir, prêt à répondre de ses actes.
— Pourquoi... les as-tu... laissé...me sauver ? demande-t-il d'une voix saccadée en appuyant sur chaque mot. Tu mourras pour cette déloyauté !
Bidzil plante son regard dans celui de son Seigneur. L'air commence à lui manquer, mais il ne laisse rien paraître si ce n'est ses joues rougissantes.
Un silence de mort envahit la pièce, la tension est palpable.
— Ce n'est pas lui, c'est moi ! déclare Aron en se mettant à genoux dans l'attente d'être châtié.
Ahiga relâche son étreinte laissant l'homme retomber au sol. Ses pieds frappent les planches de bois dans un bruit sourd. Il s'agenouille presque aussitôt qu'il touche le sol.
Le chef des Chyrikas leurs tourne le dos. L'air renfrogné, il assimile l'idée que c'est son propre fils qui l'a parjuré.
— Toi, mon fils, dit Ahiga d'une voix semblant venir d'ailleurs.
— C'était la seule façon de te garder en vie ... père.
Ahiga fait volte-face et avance doucement vers son fils. D'un geste de la tête, il le fait se lever afin qu'ils soient face à face.
— Ce que tu as fait est une insulte envers moi ! Envers les nôtres !
— Je n'avais pas le choix !
Tous les deux se défient du regard. Aron en a assez ! Quoi qu'il décide son père n'approuve jamais. Alors, il bombe le torse et s'apprête à répliquer au premier coup qui pourrait lui être asséné. Ses yeux rougeoyants trahissent ses intentions, mais il n'en à que faire. Sauver son père d'une mort certaine était pour lui le meilleur choix à faire - bien qu'il en doute à présent - et il est prêt à l'affronter pour affirmer que ses intentions étaient bonnes.
— Tu connais mon aversion, notre aversion, pour ce peuple !
— Mais je n'en connais pas tous les tenants et aboutissements ! se défend Aron. De plus, tu devrais leur être reconnaissant d'être encore en vie, mais non, bien sûr, le grand Ahiga préfère s'en prendre à son fils d'avoir tout fait pour le sauver !
Les yeux d'Ahiga s'ouvrent plus grand encore, sa cage thoracique lui semble se comprimer sur ses poumons, l'insolence et l'irrespect dont fait preuve son fils envers lui le révulsent au plus haut point.
Jamais il n'a levé sa main sur son fils, mais là s'en est trop. De plus, il a mis leur peuple en péril et il l'a rabaissé au niveau de ces Abouis ! De ces animaux !
Bien droit face à son fils, les bras le long du corps, il sent ses doigts se rétracter de colère dans ses paumes. Sous la pression de sa force, ses phalanges émettent des craquements.
Sans crier gare, son poing droit vient à la rencontre de la mâchoire de son fils. L'impact est d'une telle violence que les murs tremblent lorsque Aron percute la porte d'entrée la sortant de ses gonds et la brisant. Il se retrouve à plat ventre sur le sol graveleux en dehors de l'habitat.
Plusieurs êtres arrivent en courant et s'amassent autour de lui. Aron sent les regards endormis et incrédules posés sur lui. Il se relève, crache du sang avant de vociférer à haute voix :
— C'est tout ce que t'as ! Allez, viens ! Viens exhiber ta force ! La foule est là pour t'admirer ! Allez, père, montre-toi et viens finir de me mettre une correction pour t'avoir sauvé la vie !
Kiona se fraye un chemin à travers les êtres regroupés et est prise d'un haut-le-cœur lorsqu'elle aperçoit Aron, le menton dégoulinant de liquide vermeille. Elle reste prostrée avant d'avoir un mouvement de recul quand elle voit Ahiga enjamber les débris et venir à la rencontre du jeune homme dans une démarche qui semble décisive. Dans l'encadrement de la porte, Bidzil et Erika assistent à la scène sans broncher. Ils connaissent leur Seigneur et se mettre entre lui et son fils risquerait d'empirer la situation.
Ahiga tend son bras gauche et fait glisser son index le long de la phrase qui y est inscrite en vieux Vazoran tout en avançant vers son fils.
— Tu sais ce qu'il y a écrit ici ! Tu le sais ! Dis-le !
Aron sait exactement ce qu'il y a de marqué et ce que cela veut dire. Cependant, il préfère garder le silence et garde son regard fixé sur son père se dirigeant vers lui.
— ....Tout homme doit mourir, se met à hurler Ahiga. Tu entends ! Tout homme doit mourir !
Il arrive à la hauteur de son fils et réitère son premier coup. Celui-ci envoie Aron s'écraser plusieurs pas plus loin. Il s'étale sur le dos dans un bruit sourd.
Kiona est persuadée d'avoir entendu des os se briser et est effarée par la violence du père envers son fils.
La jeune femme se demande ce qu'elle peut faire pour faire cesser cette brutalité, mais son grand-père et Jacy la devancent, son père, Solon, Agus, Linzi et Stella sur leur talons.
Munco se dresse devant le chef des Chyrikas tandis qu'Aron revient vers son père. Du sang coule sur son torse provenant de sa bouche et de son arcade ouverte. Malgré cela, il continue de défier son père :
— C'est tout ce que tu as ? Je sais très bien que non ! Allez encore et surtout ne réfrène pas ta force !
Munco jette un coup d'œil à Agus et d'une inclinaison de la tête lui demande de retenir le jeune homme. Celui-ci s'exécute. D'une rapidité presque fulgurante, il se retrouve derrière le Chyrika et l'entrave avec ses bras. Ses biceps paraissent bien démunis à côté de ceux d'Aron dont les muscles et les veines apparentes grossissent leurs traits. Pourtant, le Rajasir ne vacille pas, il donne l'impression que ses pieds sont ancrés au sol.
Les tempes d'Ahiga pulsent tellement, qu'il se demande si sa tête ne va pas imploser. Voir ces deux êtres s'interposer l'irrite au plus au point.- Comment osent-ils ? De quel droit ?- Il essaye de s'avancer vers le meneur des Abouis, mais il se retrouve dans l'incapacité de bouger. Il ne met pas longtemps à comprendre pourquoi.
— Jacy ! J'aurais dû me douter en vous voyant à ses côtés que vous utiliserez votre magie pour m'empêcher de m'en prendre à lui.
— Je suis navrée Ahiga, lui dit-elle en toute sincérité, mais cet endroit est un havre de paix et je tiens à ce qu'il le reste.
La mâchoire serrée, contrarié, le chef des Chyrikas les poignarde du regard. Se sentir impuissant alors qu'il est à moins de dix pas du cou de cet animal. Il le tordrait en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
— Vieille folle que vous êtes ! Vous ne pourrez pas me garder immobilisé indéfiniment !
Jacy sait qu'il dit vrai, mais un sourire en coin étire ses lèvres.
— Il en va de soi, mais le temps que ta colère retombe me suffira.
Bidzil et Erika sont eux aussi soumis à la magie de la Mucanienne et ne peuvent venir au secours de leur Seigneur.
Dictée par son instinct, Kiona cherche le moyen de les rejoindre.
La jeune femme se faufile entre les curieux présents afin de trouver un passage. Elle ne sait pas vraiment ce qu'elle espère, mais à le sentiment que c'est ce qu'elle doit faire.
Elle parvient à rejoindre le devant de la foule. Elle hésite. Une des premières règles que lui a enseignée son père est de toujours mesurer les risques et ne jamais rien tenter si un doute persiste.
Indécise, elle analyse la situation, poussée par l'envie de s'interposer par elle ne sait quel moyen.
Kiona jette un regard vers Aron, malgré la distance et le fait qu'il se débat pour se délivrer de l'étreinte d'Agus, elle distingue ses iris rouge vif braquées sur Ahiga. Frappée par la fureur qui semble le consumer, elle reste immobile. Tétanisée par toute cette haine qui émane de lui.
Prenant le temps d'analyser les risques encourus, elle réussit à se convaincre qu'elle doit rester à distance - ceux-ci sont de trop grande ampleur - et dans un effort étourdissant, elle réfrène son instinct.
Aron n'a plus que son père au centre de sa vision, rien d'autre n'a d'importance. Il veut en découdre une bonne fois pour toutes.
Il continue de se débattre férocement et ce même si de longues griffes semblent littéralement lui perforer le ventre. Sa colère est telle qu'elle lui procure un sentiment d'invulnérabilité et il n'en ressent que très peu la douleur.
Un visage qui lui est maintenant familier vient lui obstruer la vue et commence à lui parler. Ashkii.
La fureur d'Aron l'empêche de comprendre les mots qui sortent de la bouche de l'Aboui, a contrario, il entend distinctement son père ordonner à celui-ci de ne pas s'en mêler.
— Mon garçon, regarde-moi, regarde-moi, répète Ashkii inlassablement jusqu'à capter son attention.
Il y arrive lorsque le jeune homme plonge ses yeux dans les siens. Aussi bizarre que cela puisse paraître, la voix du père de Kiona procure au Chyrika une certaine sensation d'apaisement. La même qu'il ressentait lorsque sa mère le consolait quand il était enfant...
Ashkii constate que le jeune homme oppose moins de résistance à l'encerclement des bras d'Agus. Il en profite pour s'ancrer dans son esprit
La colère d'Aron se dissipe et un bien-être envahit son esprit. Ses iris reprennent leur couleur d'origine : vert. Il est sur le point de s'évanouir et il ne parvient pas à résister. Le jeune homme laisse glisser son âme dans un abîme douce et chaleureuse.
Les muscles détendus, il perd connaissance dans les bras d'Agus.
Ashkii ne pensait pas obtenir un si bon résultat- il y a bien longtemps qu'il n'a pas utilisé cette technique - mais elle a fonctionné et il en est ravi.
Kiona reste pantoise, ignorant ce qu'il s'est passé. Quant à Ahiga, il n'a de cesse de vociférer de plus en plus enragé face à Munco. Ce dernier pose ses mains sur ses épaules pour lui faire connaître le même sort. Ensuite, il s'occupera d'Erika et Bidzil. Mettre les Chyrikas dans cet état permettra d'apaiser les esprits.
Munco, tout comme Jacy, veille à ce que la paix règne sur cette île depuis le début et il est hors de question que cela change. Aidé par des êtres présents, il emmène les Chyrikas dans la hutte sous les regards perplexes pour certains, soucieux pour d'autres.
Après toute cette agitation, la fouler s'est dispersée et Kiona est partie en forêt afin d'apaiser son esprit bouleversé par ces événements.
Lorsqu'elle revient sur son lieu de vie, elle se dirige vers l'habitation qu'elle partage avec son père. Il est assis à table et ne se retourne pas lorsqu'elle passe la porte.
— Qu'est-ce que vous leur avez fait ? l'interroge Kiona d'emblée sur un ton sec. Vous les avez tués ?
Ashkii ne bouge pas. Il reste le dos tourné à sa fille et continue de savourer la soupe de poisson préparée par Jacy pour le repas de la mi-journée.
Elle prend place sur une chaise, face à lui, les sourcils froncés et le braque du regard dans un silence pesant.
Son père continue de porter la cuillère en bois à sa bouche plusieurs fois en lui jetant de bref coup d'œil avant de daigner la laisser tomber dans le bol.
Il la fixe et esquisse un sourire navré.
— Pour répondre à ta deuxième question, non, nous ne les avons pas tués juste mis dans un état d'inconscience profonde.
La jeune femme relève les sourcils. - Comment ont-ils fait ça ? Ce procédé, est-il propre aux Abouis ? En est-elle aussi capable ? - Toutes ces questions et bien d'autres se bousculent dans sa tête, lui donnant l'impression d'avoir la nausée.
— Tu veux en savoir plus, n'est-ce pas ?
Son père a posé cette question tout en sachant déjà la réponse. Il connaît sa fille et sa manière de vouloir tout savoir et tout comprendre. Il savait que le jour viendrait où il devrait lui en apprendre plus sur les dons que possèdent les Abouis, mais il n'aurait jamais pensé que ce serait dans de telles circonstances.
Kiona hoche la tête en signe d'approbation, suspendue aux lèvres de son père, le corps tremblant, avide d'en apprendre davantage.
Ashkii se redresse sur sa chaise et inspire profondément faisant gonfler son torse au maximum.
— Il s'agit là d'un don assez complexe, explique-t-il en premier lieu. Il demande un entraînement spécifique.
Il scrute le visage de sa fille : les yeux écarquillés et brillants, la bouche entrouverte, toute ouïe. C'est le même air qu'elle affichait quand elle était plus jeune et qu'il lui enseignait la métamorphose. Une vague de mélancolie lui traverse l'âme. Sa petite fille est une jeune femme à présent et il a souvent tendance à l'oublier - surtout ne pas vouloir y faire face - car cela signifie que tôt ou tard elle n'aura plus besoin de lui, peut-être est-ce déjà le cas...
— Si on ne le maîtrise pas correctement, ce n'est plus dans un état d'inconscience qu'ils sont plongés, mais vers une mort sans douleur, poursuit-il.
— Pourquoi tu ne me l'as pas enseigné ?
Les dents serrées, l'air d'Ashkii s'assombrit, la tête baissée sur son bol presque vide.
— Depuis ta naissance, nous n'apprenons plus à maîtriser ce don. Non pas qu'il soit inutile, mais pour protéger les nôtres.
Kiona ne comprend pas où il veut en venir. Calmer la colère d'autrui peut leur sauver la vie, pourquoi se passer de maîtriser cette capacité ? Cette question lui brûle les lèvres.
Elle se décide à ne pas la poser et d'attendre que la suite lui soit dévoilée par son père qui semble perdu dans de lointains souvenirs.
— Protéger les nôtres, répète-t-il. Tu sais, il est assez difficile de savoir s'arrêter lorsque nous plongeons les autres dans l'inconscience profonde et c'est d'autant plus difficile aux Abouis possédant des yeux bleus aux filaments dorés...
Il laisse un silence planer, la respiration de la jeune femme s'accélère - les yeux bleus parsemés de filament dorés, depuis sa naissance - elle commence à comprendre, enfin peut-être...
— Pourrais-tu être plus clair, papa ? s'impatiente-t-elle à présent.
Ashkii se lève doucement. Kiona l'imite. Il vient face à elle et prend ses mains dans les siennes. Il les lui caresse avec ses pouces traduisant sa nervosité.
— À ta naissance, reprend-il sur un ton neutre, ton grand-père a interdit cette pratique, car lorsqu'un ou une meneuse à ta couleur d'yeux, ce pouvoir est intense. De plus, il accroît celui de tous les Abouis. S'il n'est pas maîtrisé à la perfection par la meneuse ou le meneur, il ne l'est pas non plus par son peuple.
Kiona fronce les sourcils, un trait se forme entre eux. Son père parvient à esquisser un sourire pour tenter de l'apaiser.
— Le fils d'Ahiga est dans ma chambre, lui apprend-il en faisant un geste de la tête en direction de celle-ci. Viens, allons faire une balade que je te raconte une histoire comme quand tu étais enfant.
La jeune femme ne se fait pas prier pour le suivre et tous les deux partent en direction de la forêt environnante. Ils traversent les habitations sous les regards pesant et les murmures des êtres qu'ils croisent.
Kiona les connaît tous, certains sont des Abouis, d'autres non. Mal à l'aise, elle accélère le pas, obligeant son père à faire de même.
Tous les deux s'arrêtent dans une petite clairière et s'assoient contre le même énorme tronc. Côte à côte, ils restent quelques instants silencieux avant que Kiona ne s'impatiente de nouveau :
— Pourquoi les yeux bleus aux filaments dorés ?
Ashkii esquisse un sourire silencieux. Elle lui rappelle tant Satinka, toujours à vouloir tout savoir, tout de suite.
— Comme tu le sais, la couleur de tes yeux est rare chez les Abouis. Tu es d'ailleurs la seule que j'ai jamais vue. Et cela pour une raison particulière... Ils sont signe d'un grand pouvoir qui peut vite devenir incontrôlable.
La jeune femme acquiesce discrètement. Elle se remémore cette volonté de vouloir s'interposer entre le père et le fils. L'impression qu'elle pouvait mettre un terme à ce combat et venir en aide au jeune homme.
— Tu l'as ressenti, n'est-ce pas ?
Sans qu'elle n'ait eu besoin de le dire, son père avait deviné - comme bien souvent, d'ailleurs - ce à quoi elle pensait.
— Oui, répond-elle à voix basse. J'avais cette envie de me retrouver entre eux et de prendre le contrôle sur leur esprit sans savoir comment.
Les dents serrées pour ne pas hurler, elle ancre son regard sur une touffe d'herbe plus épaisse que les autres. Et si elle était parvenue à aller à leur rencontre qu'en serait-il advenu ?
— Et si...
— La question ne se pose pas, ma fille, l'interrompt son père avant qu'elle n'aille au bout de son raisonnement. Avec des si, tout est envisageable, mais rien n'est certain.
Il pose sa main derrière la tête de sa fille et lui caresse affectueusement les cheveux.
— Tu es parvenue à te contenir. Ça, c'est incroyable et c'est ce qu'il faut retenir, la félicite-t-il. D'ailleurs, comment t'y es-tu prise ?
— Comme tu me l'as appris, lui indique-t-elle, j'ai jaugé les risques encourus. Tu me l'as assez répété pour que je m'en souvienne.
Ashkii se met à rire, la désinvolture avec laquelle elle vient de lui exposer comment elle avait réussi à contrer son instinct le ravit. Elle ne se rend pas compte de l'exploit qu'elle a réalisé - rares sont les Abouis comme elle qui y sont arrivés - et il ne peut s'empêcher d'être hilare face à la naïveté de sa fille.
— Pourquoi ris-tu ?
— Parce que tu es formidable et que tu as l'étoffe d'une meneuse.
Son visage s'assombrit soudain avant qu'il ne poursuive :
— Même si ton grand-père pense que Solon est le mieux placé pour être notre meneur et que tu ne feras que le seconder.
— Tu n'aurais pas dû refuser de prendre sa suite et je ne comprends toujours pas cette décision. Tu es fait pour ça toi aussi.
Un sourire bienveillant étire les lèvres d'Ashkii, sa fille est quasiment tout ce que Satinka et lui espéraient qu'elle soit... Courageuse, vive d'esprit, curieuse, intelligente, posant toujours les bonnes questions, et bien d'autres. Malheureusement, il lui manque une certaine ouverture d'esprit. - Élevée parmi les Abouis et manipulée par son grand-père malgré elle, celui-ci a réussi à lui inculquer certaines idées qu'elle devra par elle-même faire voler en éclats. Comme la mère de Kiona et lui-même, ainsi que d'autres Ralans avant eux l'ont fait. L'ouverture d'esprit et appréhender les choses et les relations entre les êtres différents, voilà ce qu'elle devra apprendre à faire à l'avenir. La compréhension et l'empathie en sont les maîtres mots. Leur exil sur cette île a d'ailleurs d'ores et déjà ouvert une brèche lorsqu'elle s'est liée d'amitié avec les deux Muncaniennes...
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