Chapitre 6
La rivière est une source d'eau douce importante pour la survie des êtres résidant sur l'île. C'est un endroit paisible, où il fait bon se prélasser, à l'instar des deux jeunes Chyrikas. Après un bon décrassage, ils se sont allongés dans l'eau et se laissent envelopper par sa fraîcheur et sa douceur.
— Ça fait bien longtemps que je n'ai pas senti mon corps aussi détendu, déclare Aron en faisant rouler ses épaules dénouées des tensions subies quotidiennement sur le continent.
S'opposer au Roi Abran n'est pas de tout repos. Toujours être sur le qui-vive et ne jamais cesser de surveiller ses arrières sont des règles primordiales pour survivre sur Rala. Et les combats menés contre ses troupes peuvent être extrêmement violents. Même si les Chyrikas guérissent de leurs blessures, cela ne les empêche pas de ressentir la douleur et parfois même en garder des traces.
Erika se colle au jeune homme et fait glisser sa main sur son torse de bas en haut. Elle s'arrête sur sa cicatrice et la dessine avec son index. Ensuite, du bout de ses doigts, elle caresse son cou jusqu'à atterrir sur sa joue. D'une pression de ceux-ci, elle lui fait pivoter la tête afin que leurs regards se croisent.
— Il y a un moyen d'être encore plus détendu, suggère-t-elle d'une voix aussi vibrante que son corps nu.
Aron lui adresse un sourire empli de désir avant de l'embrasser langoureusement passant sa main derrière la tête de la jeune femme pour approfondir un peu plus leur baiser.
Tous les deux ne sont pas destinés à devenir l'être de vie de l'un l'autre, mais leurs ébats leur permettent d'oublier, le temps d'un instant, l'ambiance anxiogène dans laquelle ils vivent en permanence. Au grand dam du père du jeune homme. Celui-ci aimerait que son fils officialise sa relation avec Erika pour rassurer leur peuple. Ils ont besoin d'un couple solide à leur tête auquel les hommes et les femmes peuvent s'identifier. A son grand désarroi, Aron ne veut pas se marier, préférant sa liberté de laquelle il profite pleinement.
Cachée derrière un bosquet, Stella les espionne. Elle avait espoir d'en apprendre davantage sur eux et leurs intentions et ne s'attendait pas du tout à assister à une telle scène. Alors qu'elle s'apprête à repartir auprès de Linzi, elle aperçoit Kiona, un peu plus loin. La jeune Mucanienne avance à grandes enjambées afin de la rejoindre rapidement.
Kiona, quant à elle, ne s'est pas rendu compte de la présence de Stella. Abasourdie, elle reste bouche bée de stupéfaction devant Aron et Erika se donnant l'un à l'autre à la vue de tous.
Aron est dos à elle et elle remarque qu'il a un tatouage commençant entre ses omoplates et remontant vers sa nuque, elle devine qu'il s'agit d'un poignard. Elle ne peut s'attarder dessus et détourne rapidement le regard lorsqu'elle sent les yeux de la Chyrika braqués sur elle.
Exaltée, Erika se donne encore plus maintenant qu'elle a aperçu l'Aboui. Un sourire narquois face à l'air déconfit qu'affiche Kiona. Si elle avait dans l'idée de séduire Aron, les voir s'ébattre devrait calmer ses envies.
Quand bien même, ils se sont mis d'accord qu'ils ne feront pas leur vie ensemble, Erika s'approprie jalousement Aron. Certaines en ont d'ailleurs gardé des stigmates.
Les Abouis, eux, sont assez intimistes et le comportement des deux Chyrikas met Kiona très mal à l'aise.
De plus, elle n'a pas encore passé cette étape avec Solon. De quoi la déstabiliser davantage.
Pourtant, son futur Naran a déjà tenter de désobéir aux règles en vigueur, mais elle a toujours refusé, même si parfois il a énormément insisté. Cependant, pour la jeune femme, il est hors de question de faire un tel déshonneur à sa famille, son grand-père le lui a assez répété.
Le regard triomphant d'Erika bloqué sur elle, lui donne l'impression d'être paralysée. Dans un effort qui lui semble considérable, elle se détourne d'eux et s'enfuit dans les bois sous une poussière dorée.
Elle galope à en perdre haleine, sinuant entre les arbres. Déconcertée par ce qu'elle vient de voir.
Stella est à ses trousses. Elle peine à la suivre et la perd rapidement de son champs de vision. Elle espère que cette course folle se finira bientôt.
La distance est de plus en plus grande entre les deux jeunes femmes et c'est à bout de souffle que Stella s'arrête et obtempère : elle ne parviendra pas à l'atteindre.
Stella est beaucoup moins impressionnée que son amie par les ébats des Chyrikas. Elle vit, elle-même, une relation hors union. D'ailleurs, Kiona le sait et le jour où elles lui ont appris, sa réaction les a surpris. Stella et Linzi ont même été plus que stupéfaites. Kiona a haussé les épaules en souriant et leur a tout simplement dit que si leur amour était sincère, elle ne voyait pas pourquoi il serait interdit. D'ailleurs ce qui l'a le plus inquiété est le fait que ses amies pourraient avoir de gros ennuis.
Par la suite, elle leur a expliqué qu'elle avait abordé ce genre de sujet avec son père et qu'il lui a raconté une histoire sur deux amis à lui qui s'aimaient. Malheureusement, l'un des deux hommes en a payé de sa vie. Une relation jugée contre-nature sur les Terres de Rala peut valoir la peine de mort. Kiona trouve cela injuste de mourir pour le simple fait d'aimer une autre personne différente ou du même sexe.
Aron se détache d'Erika et la fixe les sourcils froncés.
— Tu as entendu, lui dit-il sur un ton perplexe. C'était quoi ?
— Tu as peur qu'on nous surprenne ? se moque gentiment Erika. Qui que ce soit, ce n'est pas ton père, donc rien ne nous empêche de continuer.
Elle l'embrasse avec encore plus de ferveur afin de finir ce qu'ils ont commencés.
Aron hésite un court instant avant de se laisser enivrer à nouveau par le plaisir.
Au même moment, Stella, les mains sur les genoux, la gorge en feu, respire bruyamment et tente de ralentir les battements de son cœur éreinté par cette chevauchée.
Elle pousse un cri de stupeur, lorsqu'une jeune biche sort des fourrés et vient à sa rencontre. Des paillettes se mettent à tournoyer autour de celle-ci et forment un nuage opaque avant de se dissiper et de laisser apparaître Kiona, elle aussi haletante.
Stella lui adresse un regard inquiet.
— Ça va, l'interroge la Mucanienne dans un souffle.
— J'ai...tu as vu..., n'arrive qu'à bredouiller l'Aboui.
— Oui, j'ai vu.
Elle se redresse en douceur et vient à côté de son amie. Elle lui prend les mains pour la rassurer.
— Tout les peuples n'ont pas les mêmes mœurs, Kiona, lui explique-t-elle. Certains n'ont pas de pudeur pour ce... enfin pour le faire.
— Oui, je sais, mais quand même, rétorque l'Aboui d'une petite voix.
La Mucanienne repousse les cheveux de Kiona derrière ses oreilles avec délicatesse afin de mieux accrocher son regard.
— Tout va bien, ma belle.
— Tu as raison, ça va. J'ai été prise au dépourvu. Je ne sais pas pourquoi ça m'a tant boulversé. Ils devaient se croire à l'abri des regards.
Stella lui adresse un sourire bienveillant, au contraire de Kiona dont le visage s'assombrit.
— Tu penses à ta future union, devine la Mucanienne. Tu préférerais avoir le choix de ton être de vie, n'est-ce pas ? Je sais que tu n'aurais pas choisi Solon si cela ne tenait qu'à toi, lui expose-t-elle en toute sincérité.
La jeune Aboui baisse la tête. Des larmes lui montent aux yeux sous le poids de la vérité des paroles prononcées par son amie. C'est vrai qu'avec Solon, ils n'ont pas beaucoup en commun. D'ailleurs, dès qu'elle le peut, elle évite sa compagnie.
Kiona préfère passer outre ce constat et dévier le sujet :
— Peut-être, élude-t-elle. Mais là tu vois...ce qu'ils faisaient, dit-elle gênée, à la vue de tous, c'est quand même... c'est... c'est du non-respect d autrui. Ils doivent tout de même se douter que n'importe qui peut les surprendre.
— Kiona, ils ont certainement dû inspecter les alentours et pensaient être seuls.
Elle caresse affectueusement la joue de Kiona avec son pouce avant de la serrer dans ses bras et chuchote en plaisantant :
— Imagine la tête de Jacy si c'est elle qui les avait surpris ou ton grand-père.
Kiona ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire amusé. C'est vrai que cela aurait donné lieu à une situation bien plus cocasse.
— Allez, viens, ne restons pas là, la sollicite Stella en la prenant par le bras. Mais doucement, je suis épuisée de t'avoir couru après. Bien que je suis persuadée que j'aurai pu te rattraper.
Elle lâche un petit rire de dérision. Elle sait qu'elle n'a aucune chance de battre son amie Aboui à la course et encore moins lorsqu'elle est métamorphosée en biche.
— Désolée. Mais dès que j'ai repéré ta présence, je me suis arrêtée et j'ai fait demi-tour, se justifie-t-elle, un sourire aux coins des lèvres.
— Alors, tu as pu en savoir plus sur eux ? Ton père t'a dit quelque chose ?
Kiona hoche la tête par la négation.
— Je suis curieuse de savoir pourquoi le Chyrika n'a pas guéri seul, déclare Stella. Ça me paraît vraiment étrange.
— Un puissant poison peut-être, lâche Kiona.
— Si c'est le cas, je n'en ai jamais entendu parler. Et Linzi, non plus.
Kiona passe son bras au creux de celui de son amie.
— Rentrons, avec un peu de chance, mon père m'en parlera et peut-être que Linzi en sait plus, indique Kiona.
Aron et Erika ont fini de folâtrer et sortent de l'eau afin de se rendre auprès d'Ahiga. En chemin, Aron s'interroge :
— Tu penses que quelqu'un nous a vus ?
— Mais que crains-tu Aron ? Ça change quoi que quelqu'un nous ait vu ou non ? Je t'ai connu plus audacieux.
Elle finit sa phrase sur un ton plus taquin.
Il lui empoigne le poignet avec force et l'oblige à lui faire face. Sa désinvolture à tendance à l'exaspérer.
— Erika, l'interpelle-t-il avec sérieux, nous sommes ici en tant qu'invités et ils ont certainement des vieilles moeurs. Il pourrait nous bannir pour notre laisser-aller. Tu as pensé à mon père ? Il n'est pas en mesure de voyager !
La jeune femme pose sa main sur celle d'Aron refermée sur son poignet et commence à lui décoller l'index. Celui-ci craque sous la pression. Malgré la douleur, le jeune homme reste impassible et la défie du regard. Elle passe alors au suivant : le majeur. Elle passe son pouce dessous et commence à pousser.
— Nous n'avons rien à attendre d'eux ! s'énerve-t-elle. Tu ne t'en es peut-être pas rendu compte, mais nous ne sommes pas les bienvenus, ici. Alors leurs mœurs, m'importent peu ! Et s'ils veulent qu'on s'en aille, ils attendront le rétablissement de notre Seigneur !
— Tu sais Erika, ma mère m'a appris que chaque peuple avait droit au respect, alors tant que nous serons sur cette île, nous ferons en sorte de suivre leurs règles. Que ça te convienne ou non. Mon père n'étant pas en capacité de te donner des ordres, tu suivras ceux que je te donnerai, compris ?
Il renforce son étreinte sur le poignet d'Erika et une lueur rougeâtre traverse ses yeux. La jeune femme continue de le défier du regard.
Erika ne cille pas, même si ses os sont sur le point de se briser. Elle a appris à résister à la douleur et à cacher ses ressentis. A contrario, elle lit la colère sur le visage d'Aron. Elle peine à comprendre pourquoi il se soucie tant de ces êtres. Ils n'ont rien à leur apporter.
— Lâche-moi, Aron ! lui ordonne-t-elle les dents serrées.
— Seulement si tu me promets d'essayer d'être un peu plus courtoise.
La jeune femme ferme les yeux et soupire d'agacement.
— J'essaierai si c'est le grand Seigneur Aron qui m'en donne l'ordre, qui suis-je pour ne pas m'incliner face à lui, ironise-t-elle.
— T'amuses pas à ça, Erika, s'énerve-t-il.
Elle lève les yeux au ciel.
— Si on n'a même plus le droit de rire, se plaint-elle. Allez lâche-moi, s'il te plaît, je ferai attention à mon comportement, promis.
Elle connaît bien Aron et son caractère obstiné et impulsif. Elle ne veut pas livrer un combat contre lui pour si peu.
— Bien, dit-il en desserrant un peu ses doigts.
Il approche sa bouche de l'oreille de la jeune femme et chuchote :
— La prochaine fois, je serai peut-être moins clément. Et à partir de maintenant, tu ne parviendras plus à me distraire.
Sur la plage, assez loin de leur lieu de vie, Ashkii est confronté par Agus quant à ses motivations qui l'ont poussé à sauver Ahiga.
— Ne me fais pas croire que tu as fait ça par simple bonté d'âme, mon ami ! Tu as oublié ce qu'ils ont fait !
— Non, je n'ai pas oublié, figure-toi ! s'emporte Ashkii. Jamais je ne pourrais oublier, j'y pense chaque jour qui passe ! Et la culpabilité me ronge toujours plus !
— Ah, nous y voilà ! s'exclame le Rajasir. La culpabilité ! Sauf que tu n'es en rien responsable de ce qu'il s'est passé !
Il ancre son regard aux iris jaunes dans celui de l'Aboui et pose une main ferme sur son bras avant de poursuivre sur un ton plus conciliant :
— Tu n'es pas fautif, mon ami, tu n'as rien fait de mal, tu entends ?
Ashkii a les entrailles serrées par les regrets. Rien n'y fera, il se sentira toujours coupable d'avoir osé transgresser les règles. La charge émotionnelle engendrée par cette discussion est telle qu'il ne peut contenir ses larmes. Elle coule lentement le long de ses joues.
Agus, lui offre son épaule pour épancher sa peine qu'il ne sait que trop douloureuse.
Tous les deux sont amis depuis de très nombreuses lunes noires, ils savent tout l'un de l'autre et les épreuves traversées par chacun.
— Ashkii, il faut que tu me parles de la magie obscurcie, déclare gentiment Agus pour ne pas trop le brusquer. Ahiga était vraiment en train de mourir ?
L'Aboui se détache d'Agus, se laisse glisser contre un tronc et s'assied.
— C'était une expérience des plus désagréable, Agus. J'ai cru ne pas pouvoir la contenir, c'était extrêmement douloureux. J'ai eu l'impression qu'elle était vivante et qu'elle cherchait un autre hôte. Pourtant, Jacy l'avait affaiblie, mais malgré tout, elle était très puissante. Elle essayait de me voler ma force vitale.
— Heureusement que tu as été plus fort qu'elle, mon ami. Donner ta vie pour sauver Ahiga relèverait de la démence.
Ashkii frotte ses joues afin de chasser les dernières larmes et relève la tête vers son ami.
— À qui le dis-tu... Enfin, pour revenir à la magie obsurcie, c'est la première fois que j'y fais face, et, j'espère, la dernière. Certes je suis parvenu à la maîtriser, mais je suis épuisé. Et comme tu l'as dit, si Abran a réussi à s'emparer de la mungiscanie, nous ne sommes pas au bout de nos peines.
Agus se plante devant lui, l'air soucieux.
— Munco va sûrement nous réunir, Ashkii et à mon avis, il va te reprocher de ne pas avoir fait appel à lui.
Les lèvres d'Ashkii s'étirent légèrement.
— C'est certain, même. Mais si Ahiga avait rendu son dernier souffle entre nos mains, les trois autres auraient fait un carnage parmi les nôtres. Le choix était vite fait.
— Effectivement, vu sous cet angle, il valait mieux tenter de le sauver rapidement.
Agus passe ses deux mains dans ses cheveux afin de les replacer correctement.
— Mon ami, j'ai confiance en toi et je sais que tu ne prends pas de décision à la légère et je pense que tu as agi avec discernement. Excuse-moi d'avoir pensé le contraire.
Ashkii lui sourit.
— Tu avais toutes les raisons de douter et peut-être que dans ce que tu as pensé, il y a un peu de vérité.
Agus inspire avant de lui tendre la main pour l'inviter à se relever.
— Allez, viens chez moi, je te servirai un bon bol de soupe pour te requinquer avant que ton Meneur ne te sermonne.
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