Chapitre 2
Le soleil se lève lentement sur l'île. Les deux jeunes femmes après avoir passé la nuit ensemble s'échangent un langoureux baiser. Quand soudain, une voix s'élève derrière la porte et les interrompt :
— Linzi, ma petite, tu es réveillée ?
Toutes les deux sursautent de surprise. Leur liaison doit absolument rester secrète. Si cela venait à se savoir, elles seraient rejetées par les leurs, car une relation entre deux femmes est proscrite par les lois de Rala.
— À l'instant, ment la jeune femme rousse d'une petite voix.
Elle se lève tandis que sa compagne se dépêche d'aller se cacher derrière la porte.
Linzi sort rapidement de la chambre afin de s'assurer que Stella ne soit pas découverte.
Elle se retrouve nez à nez avec sa grand-mère. La dame aux cheveux gris dont les reflets argentés scintillent à la lumière filtrante esquisse un sourire forcé. L'air soucieux affiché sur son visage accentue ses traits vieillis.
— Que se passe-t-il ? s'enquiert vivement la jeune femme sur un ton inquiet.
Sa grand-mère déglutit difficilement, lui prend la main et l'entraîne dans la pièce à vivre.
Sur la table ronde qui trône au milieu de celle-ci, des cartes y sont disposées en demi-cercle.
Il s'agit d'un tirage du tarot de Muncan. La dame ne s'en sépare jamais et continue d'utiliser ce moyen pour tenter de déchiffrer l'avenir, malgré son faible taux de fiabilité.
La jeune femme arrête son regard sur chaque image et écarquille de plus en plus les yeux au fur et à mesure de sa lecture.
— Tu as prévenu Munco ? lui demande-t-elle hâtivement.
— J'attendais ton interprétation avant, mais à en croire la tête que tu fais, ma petite, je pense que nous avons lu la même chose.
Deux cartes l'intriguent plus que les autres. La première représente deux ombres blanches en forme d'être, face à face séparées par deux éclairs blancs entrecroisés et scintillants sur un fond bleu ciel. La deuxième est presque pareille. Elle a la même couleur de fond, cependant les deux ombres sont noires et sont séparée par un éclair violet menaçant. Ce dernier prend naissance à la garde d'un poignard dont le manche en or étincelle réellement.
— Mais pourquoi ces deux cartes se suivent ? Ami, ennemi, c'est étrange et pas vraiment compatible !
Sa grand-mère soupire, le visage fermé.
— Je le sais bien, cela ne me semble pas être de bonne augure. Après, peut-être que nous n'en faisons pas la bonne lecture. Les cartes sont capricieuses et ne se laissent pas toujours lire comme il le faut, tu le sais bien.
Sans donner plus d'explications, elle se dirige vers la porte qui donne sur l'extérieur. Elle pose sa main sur la poignée et se tourne vers sa petite fille :
— Je vais aller avertir Munco, il faut se préparer à les accueillir.
Protégée par de vieilles incantations, cette île ne peut être approchée que par des gens opposés au Roi Abran. C'est une sorte de refuge pour tous ceux fuyant la guerre. Plusieurs êtres de factions différentes y vivent ensemble. Pourtant, dans le monde tel qu'il était avant la guerre, chacun restait sur ses terres sauf pour tout ce qui concernait le commerce d'une manière ou d'une autre.
Elle marche d'un pas rapide sur le chemin ralliant sa cabane à celle de Munco, le meneur des Abouis. Ensemble, ils ont fondé ce cantonnement de fortune.
L'île est accueillante si on fait abstraction des volatiles sortant chasser la nuit. Il faut dire que c'est là une des raisons pour laquelle ils ont choisi cet endroit pour se cacher. Personne ne veut avoir à combattre un Avemagos. Ces grands oiseaux au long bec rempli de dents acérées et aux griffes crochues ne font généralement qu'une bouchée de leur proie.
Jacy est absorbée dans ses pensées. À tel point qu'elle n'entend pas le chants des coqs. Elle ressasse sa lecture à la recherche d'un détail passé inaperçu. Rien ne lui vient. Les cartes ne sont pas toujours fiables et encore moins précises, elle le sait pertinemment, néanmoins, elles restent utiles pour parer à des éventualités impromptues.
Elle s'interrompt dans sa réflexion lorsque des volailles viennent se pavaner entre ses jambes. Elle a vite fait de les faire déguerpir en leur donnant de faux coups de pieds. Et se remet immédiatement à réfléchir.
Ce dont elle est certaine, c'est que ce tirage confirme que les barrières mise en place par Jacy et les siens fonctionnent toujours : les nouveaux arrivants ne sont pas contre eux. La carte des éclairs entrelacés ne serait pas sortie si tel était le cas. De ce fait, elle sait que ce ne sont pas des partisans de ce Roi autoproclamé.
Toutefois, ils seraient ennemis de quelqu'un sur l'île et ce n'est pas très rassurant. Cela pourrait semer la zizanie au sein de la communauté formée par les réfugiés. C'est d'ailleurs ce que laissent penser les cartes et Jacy garde déjà un assez mauvais souvenir des derniers venus. Comme tout le monde ici.
Une fois sa grand-mère partie, Linzi file dans sa chambre rejoindre Stella. Celle-ci est assise sur le lit, la tête baissée. Ses cheveux bruns, coupés au carré, cache son visage et son air contrarié.
— Tu as entendu ? N'est-ce pas ?
Stella reste muette, son esprit empli de contradictions.
Il faut dire que la dernière fois, ce sont des Muncaniens qui ont débarqués. Ils ont créé des tensions au sein des leurs et des habitants de l'île et ont réussis à convaincre beaucoup d'entre eux de rejoindre l'Alcane, dont son père. Elle a refusé de le suivre, cependant, ne pas savoir comment il va, la tourmente beaucoup. Il est sa seule famille encore en vie.
La jeune femme rousse s'agenouille devant elle et d'une douce pression avec son index lui relève la tête afin de plonger son regard dans le sien.
— Je sais ce que tu penses, mais si ce sont encore des marchands de guerre, Munco et ma grand-mère les feront reprendre l'Etiendo sur le champs.
Stella est tiraillée comme en témoigne cette boule venue se former au creux de son estomac.
— Il y a quelque chose dont je dois te faire part, confie-t-elle dans un souffle.
— Comment ça ? s'étonne Linzi, les sourcils froncés.
La jeune femme brune se pince les lèvres, ce qu'elle s'apprête à révéler va sûrement attrister sa bien-aimée. Elle enroule ses doigts délicatement autour des poignets de Linzi tandis que les battements de son cœur s'accélèrent.
— Avec Kiona, commence-t-elle à déclarer, nous avons décidé que dès que l'occasion se présenterait, nous rejoindrons... l'Alcane...
À peine le dernier mot prononcé que Stella ferme les yeux très fort, comme pour ne pas affronter le regard de Linzi.
Un long silence pesant s'installe avant que la jeune femme rousse ne se relève et prenne place aux côtés de Stella. Elle fixe le sol et lâche dans un soupir résigné :
— Je m'en doutais que tu y songeais. Je savais que tu chercherais à rejoindre ton père. Mais pourquoi ne pas m'en avoir parlé avant ?
Des larmes se mettent à couler le long des joues de Stella qui ne parvient pas à poser les yeux sur Linzi.
— Je t'aime, murmure-t-elle, mais je ne supporte plus de ne pas savoir comment il va et j'avais peur de ta réaction.
— Moi, ce qui me fait peur, c'est que tu ailles là-bas. Tu sais, je peux entendre ton envie de rejoindre l'Alcane, je peux aussi la comprendre, mais pas l'imaginer, avoue la jeune femme rousse, un sanglot bloqué dans la gorge. Sur le continent, c'est la guerre, le chaos, la famine, le danger permanent... et s'il venait à t'arriver quelque chose (elle se tait un instant, sa voix brisée par la tristesse) je ne pourrais le supporter.
Stella passe tendrement son bras autour de la taille de sa bien-aimée, attendrie par son inquiétude et pose sa tête sur son épaule.
— C'est vrai, ça sera dangereux, mais c'est aussi l'esp...
— L'espoir de voir renaître les Terres de Rala d'autrefois, la coupe Linzi sur un ton las, de rendre la liberté à tout un chacun. On croirait entendre Kiona.
À l'énoncé de son constat, un triste sourire se dessine sur son visage.
Elle ne peut nier qu'elle s'en doutait. Elle le savait même que Stella voudrait rejoindre son père, tôt ou tard.
Elle ne tentera pas de l'en dissuader. Elle, elle a vu ses parents mourir devant ses yeux et elle n'a aucun espoir de les retrouver, mais si elle en avait ne serait-ce qu'un infime, elle n'y renoncerait pour rien au monde.
La jeune femme brune relève la tête et du bout de ses doigts effleure le menton de Linzi afin de plonger son regard dans le sien.
— Elle a raison, ma douce, lui assure-t-elle, ce n'est pas en restant ici que l'on fera changer les choses. Ne dit-on pas, tant qu'il y a de la vie, il a de l'espoir ?
Elle lui sourit avec gentillesse et doucement, elle approche ses lèvres de celles de Linzi. Elle ferme les yeux lorsque leurs souffles se croisent et lui offre un lent baiser navré. Malgré tout, elle est rassurée. Sa compagne de vie, celle qu'elle s'est choisie, semble accepter l'idée qu'elle partira peut-être bientôt rejoindre l'Alcane.
Au même moment, à l'extérieur, Jacy et Munco forment deux groupes pour faire le tour de l'île et trouver les nouveaux arrivants afin de les accueillir.
Une certaine appréhension anime le meneur des Abouis. Il l'a appris à ses dépens, certains viennent ici et sèment la discorde parmi eux.
La dernière fois, les Muncaniens qui avaient dérivés vers eux involontairement ont réussi à enrôler quelques Abouis pour rejoindre la résistance, malgré son interdiction. Depuis, il s'est promis de ne plus jamais subir un tel déshonneur.
Et cette fois, Jacy lui a appris qu'il s'agissait peut-être d'ennemis d'un des peuples vivant sur l'île et ça ne l'enchante guerre. Cela pourrait se révéler catastrophique et diviser les réfugiés plus que de raison.
Il balaye les êtres qui l'accompagnent et arrête son regard un court instant sur Ashkii. Il est celui dont il se méfie le plus pour rallier et mener une désobéissance contre son autorité. Contre lui.
S'il savait combien, lui aussi aimerait partir à la recherche de sa fille, mais protéger les siens, ceux qui l'ont suivi est sa priorité. En tant que meneur, c'est son devoir.
Qui plus est, les Abouis sont une communauté pacifiste.
Un serment a été fait par ses ancêtres à Rala depuis la bataille des cent Lunes Rouges. Et ceux qui se sont engagés dans l'Alcane, malgré sa désapprobation pourraient le payer très cher la Lune du jugement venue. Il est persuadé qu'un jour Rala accompagnée de ses gardiens viendront punir tous ceux qui n'auront pas respecté la promesse donnée.
D'ailleurs, il est presque certain que l'étrange épidémie qui a eu lieu sur les Terres de Rala quelque temps avant la naissance de Kiona était un avertissement. À cette période, des disputes ont éclatés entre les Abouis et un autre peuple. Malheureusement, il y a eu des morts. Ensuite la maladie est venue faire des ravages.
Munco est persuadé que Rala a missionné ses gardiens de répandre ce mal contagieux pour faire cesser les querelles. Celle-ci a décimé nombre d'Abouis, mais aussi beaucoup d'êtres vivant sur les Terres de Rala. C'est d'ailleurs à cette époque qu'il a été promu Meneur des Abouis, ses parents ayant succombé à la maladie.
Munco pense qu'Ashkii n'est pas innocent dans ce chaos, mais il n'a jamais pu le prouver. Il est certain que des faits lui ont été cachés de la part du père de Kiona, mais aussi de sa propre fille, Satinka.
De toute façon, il sait qu'un jour la vérité éclatera et Ashkii paiera pour les morts engendrés à cause de lui.
Et comme si le mal envoyé par Rala à cause de lui ne suffisait pas, il a ôter la vertu de sa fille. Elle est tombée enceinte et il a été obligé de l'unir à un être autre que celui qu'il avait désigné. Ce fût un réel déshonneur pour Munco et il n'est pas prêt à le lui pardonner.
Ses muscles se tendent de frustration et il fixe Ashkii d'un regard assassin. Celui-ci tressaillit alors qu'il tourne le dos à Munco. Il ressent les yeux de son meneur et leur intensité posés sur lui. Malgré cela, il continue de discuter avec les autres, comme si de rien n'était. Lui faire face pourrait mener à des hostilités mal venues.
Munco esquisse un sourire fier, il tient Ashkii en respect contre son gré. Et il n'y a d'autres choix que cela continue comme ça. En tant que Meneur, son esprit ne doit pas se laisser distraire de la survie des siens.
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