Chapitre 18
Le soleil se lève à peine et l'air est chargé d'humidité. Aron et Kiona attendent les Muncaniennes sous le porche de l'auberge. Ils ont passés la nuit blottis l'un contre l'autre. Ils savent qu'ils ne pourront jamais être ensemble alors ils ont profité de cette nuit pour se dire adieu sans céder à la tentation.
Kiona ne comprend pas ce qui pousse Aron à partir aussitôt. Elle n'a pas osé lui demander.
La jeune femme ne sait pas non plus ce qu'il s'est passé hier soir avant qu'il ne revienne dans la chambre. Il semblait tellement soulagé de la voir. C'était assez étrange.
— Aron, explique moi pourquoi tu veux quitter cet endroit avec tant de précipitation ? Dis-moi ce qu'il s'est passé ?
— Ma bichette, (Il pose sa main sur sa joue et la regarde avec bienveillance.) moins tu en sauras, mieux tu t'en porteras. La seule chose importante dont tu dois te souvenir, c'est de toujours être méfiante et de ne pas accorder ta confiance à n'importe qui. Nous sommes en danger en permanence.
La jeune femme met sa main sur celle du jeune homme et plonge ses yeux bleus dans les siens.
— Et toi, je peux te faire confiance ? lui demande-t-elle en entrelaçant ses doigts aux siens.
— Bien sûr. Je te promets d'être toujours là pour toi, même si nos destinées nous séparent.
— Je le regrette. (Kiona baisse la tête, les larmes aux yeux.) S'il n'y avait pas eu cette guerre, peut-être que les choses auraient pu être différentes, tente-t-elle de se convaincre la voix tremblante.
Le visage d'Aron se ferme et ses yeux brillent. Il aurait aimé lui aussi que tout soit différent. Il approche son visage du sien et dépose un chaste baiser sur son front.
— Si les choses avaient été différentes, nous ne nous serions peut-être jamais rencontrés, chuchote-t-il avant de s'écarter d'elle rapidement.
La porte de l'auberge s'ouvre doucement et interrompt cet échange. Les deux Muncaniennes tout sourire saluent Kiona et Aron.
— Dis-moi Aron, pourquoi partir si tôt ? le questionne Linzi.
— Rester trop longtemps au même endroit n'est pas envisageable. Cela nous mettrait en danger. Allez savoir si des sbires d'Abran ne sont pas déjà à notre poursuite. Nous devons être en mouvement autant que nous le pouvons.
Kiona le fixe, les sourcils froncés. Elle se doute que ce qu'il vient de dire n'est qu'une semi-vérité.
— Allez, venez, suivez-moi et pas question de s'arrêter avant que je ne le décide, déclare-t-il sur un ton autoritaire.
Il ouvre la marche et coupe à travers bois. Hors de question de prendre un chemin déjà tracé. Le passage ouvert par Aron est trop étroit pour être côte à côte et les oblige à rester en file. Linzi est juste derrière lui suivie de Stella. L'Aboui ferme la marche. Elle admire la beauté du réveil des lieux.
Les feuilles perlées de rosées, scintillante ici et là où les rayons du soleil parviennent à s'immiscer. De rares oiseaux entonnant leur chant matinal. Les racines sortant de terres et recouvertes d'une épaisse mousse verte dont émane une odeur terreuse appréciable lorsqu'une brise légère la dissipe dans l'air.
Elle sourit, ravie de voir que la nature n'a rien perdu de son charme et sa magnificence.
Le soleil est déjà haut dans le ciel quand Aron décide de s'arrêter afin de se reposer. Jusqu'à présent, ils sont tous restés silencieux, restant aux aguets aux moindres bruits ou mouvements suspects.
Les trois jeunes femmes sont ravies lorsqu'elles comprennent qu'elles vont enfin pouvoir souffler et détendre leur corps engourdis par cette marche harassante. Elles s'assoient à même le sol sans chercher un quelconque confort.
— Sais-tu au moins où nous sommes et où nous allons, demande Linzi à Aron sans même le regarder.
Elle est appuyée sur les coudes, le buste en arrière donnant l'impression à sa poitrine d'être plus volumineuse qu'elle n'est. La tête levée vers les cimes des arbres, elle a les yeux fermés. Elle se concentre sur sa respiration afin de délasser ses muscles tendus.
— Oui, et bien que cela ne m'enchante pas, (Il sort une petite hache de son sac et l'abat sur le tronc face à lui.) nous devons passer par cet endroit afin de, j'en suis sûr, nous rapprocher de l'Alcane.
Il attrape un contenant et le positionne sous la hache contre le tronc avant d'ôter celle-ci d'un coup sec. Du liquide gluant et jaunâtre commence alors à s'écouler de la fente.
— C'est quoi ça ? s'enquiert Stella, un air de dégoût sur le visage.
— Ça, ça pourra t'éviter de mourir si tu te fais mordre par un Inaja.
— Un quoi ?
— Inaja, répète Kiona. C'est un serpent des sables vivant exclusivement dans l'Etienda (Elle se tait et ses yeux écarquillés, elle se tourne vers Aron toujours en train de récupérer du niaja) On ne va tout même pas ?
— Si. Nous allons traverser l'étendue de sable, lui confirme-t-il d'une voix soucieuse.
Les deux Muncaniennes s'échangent un regard apeuré. Elles ont appris au travers des écrits de la bibliothèque de Muncan que ces terres sont arides et l'eau manquante. Cependant, il paraît que la folie s'accapare les esprits des êtres s'y risquant bien avant de mourir de soif.
L'estomac de Kiona se noue. Seuls les peuples nés sur ses Terres survivent à la traversée, tel les Rajasirs, mais eux quatre, de son point de vue, n'ont aucune chance. La soif est intenable, mais le pire serait de sombrer dans la démence.
Aron est conscient que cela ne sera pas facile, mais ils doivent remonter vers le nord afin de s'éloigner de l'auberge. Avec sa mère, il se souvient être passé par l'Etienda pour rejoindre son village. Au contraire de lui et des jeunes femmes, sa mère avait un guide Rajasir avec elle, mais il s'efforce d'avoir confiance en son instinct pour réussir la traversée.
Kiona se lève et vient auprès de lui. Toujours face au tronc, il ne se tourne pas vers elle, son attention rivée sur le liquide s'écoulant. Elle pose sa main sur son avant bras qui tient le contenant.
— Aron, je ne pense pas que ça soit faisable, c'est une Terre inconnue et sans un Rajasir pour nous guider, nous avons peu de chance de nous en sortir...
— Vivant. (Il lui jette un regard sombre.) Je sais, mais nous n'avons pas d'autre choix. De l'autre côté de cette traversée, il y a Irani et Ahuni et c'est assez loin du Royaume de Muncan pour espérer y trouver l'Alcane.
— Et si la folie s'empare de l'un d'entre nous ? (Cette idée l'affole et raidit son corps. Le souvenir d'un Aboui devenu fou lui traverse l'esprit et accentue sa peur.) Est-ce que tu sais que seul la mort délivre une personne dont l'esprit est trop confus ? Je refuse de tuer l'un d'entre vous ! Je refuse de mourir de votre main !
— Tu parles comme si c'était certain que cela allait se passer ! Alors que ce ne sont que des rumeurs ! Le plus dur sera la soif.
Il dégage la main de Kiona en même temps qu'il s'écarte de l'arbre, furieux qu'elle croit à ces ignomies.
Elle ne lâche pas l'affaire et vient face à lui. Elle lui adresse un regard profond et déterminé. Les traits dorés de ses iris bleus scintillants.
— Détrompe-toi, Aron, j'ai vu un fou de mes propres yeux ! Tu entends ! J'ai vu la folie s'emparer d'un des miens ! Je l'ai vu s'en prendre à des innocents ! (Des sanglots se bloquent dans sa gorge et elle les ravale difficilement.) Je l'ai vu s'en prendre à... moi. (Sa voix se brise de tristesse et un peu plus, à chaque mot prononcé ensuite.) Je n'étais qu'une petite fille et j'ai vu mon peuple ne rien pouvoir faire pour lui si ce n'est lui ôter la vie pour le délivrer... Et jamais je n'oublierai leurs visages ravagés par la tristesse.
Des larmes glissent doucement sur ses joues. Elle baisse la tête et les essuie du bout de ses doigts.
À présent Aron se sent bête et ne sait comment réagir. Il est immobile, impuissant face à sa détresse.
Heureusement, les deux Muncaniennes le devancent et viennent enlacer leur amie.
— Kiona, tu ne nous en a jamais parlé. Nous sommes désolée.
A vrai dire, elle n'en avait jamais parlé à personne. Le jour où son grand-père paternel s'en est pris à elle alors qu'elle n'avait que dix ans l'a tellement traumatisé qu'en parler lui donne l'impression de revivre la scène. Elle se souvient avoir couru vers lui, heureuse de son retour jusqu'à ce qu'elle croise ses yeux vitreux. Un regard sans âme.
Elle avait prononcé "grand-père" plusieurs fois, en vain. Il braquait sur elle, ce regard vide, comme s'il examinait sa proie.
Ensuite, elle a vu ses habits et ses mains tachés de sang et là, elle a vraiment compris que quelque chose n'allait pas. Elle s'est métamorphosée avec l'espoir de parvenir à fuir plus vite et rejoindre ses parents, mais il était plus grand et plus rapide, même sous sa forme humaine.
Son grand-père l'avait attrapé par le cou et soulevé du sol alors qu'elle redevenait une petite fille. Le nuage de poussières dorées dissipé et malgré l'innocence de son regard fixé sur lui, il restait de marbre et doucement resserrait son étreinte. Ensuite, un sourire sadique s'est dessiné sur ses lèvres, comme s'il prenait plaisir à la voir devenir un peu plus livide à chaque instant.
Elle ne parvenait pas à crier et priait Rala de lui venir en aide. L'air lui manquait de plus en plus. La vie quittait son corps, elle le savait. Au bord de l'évanouissement, elle est retombée au sol alors que son grand-père poussait un cri de douleur. Une flèche venait de transpercer son avant-bras tendu. Elle a entendu son père crier son prénom avant de se laisser sombrer.
Les Abouis ont gardé son grand-père enchainés plusieurs jours, tentant en vain, de le sauver. Malheureusement, avide de tuer tous ceux qui s'approchait de lui et devenant de plus en plus incontrôlable, le meneur, à l'époque le père de Munco, a dû prendre une décision radicale : le tuer.
Kiona secoue légèrement la tête afin de chasser les images de son grand-père amèné à l'échafaud immiscées dans son esprit.
Elle refuse de se laisser abbatre par un mauvais souvenir même s'il lui tiraille l'estomac et l'emplit de tristesse.
— Vous ne pouviez pas savoir, lâche-t-elle en reprenant de la contenance. C'est une vieille histoire que je préfère oublier.
Linzi et Stella enlacent un peu plus fort la jeune femme. Quant à Aron, qui aimerait la prendre lui aussi dans ses bras, fait mine de ne rien ressentir :
— Nous veillerons les uns sur les autres, mais nous n'avons pas d'autres choix que de passer par l'Etienda.
Il les abandonne sur ces mots et repart remplir des fioles d'anti-venin. Alors qu'il a repéré un ajar, l'arbre contenant du niaja il avance vers lui, le manche de sa machette serré bien trop fort au creux de sa main. Il le laisse tomber au sol juste avant que celle-ci ne se brise sous sa poigne.
Après avoir obtenu assez d'anti-venin, tous les quatre ne trainent pas à reprendre le chemin de l'Etienda. Il ne doivent pas rester à découvert trop longtemps au même endroit.
Après avoir marché quasiment toute la journée, ils sont enfin arrivés aux portes de l'étendue de sable. Les quatre compagnons se sont arrêtés juste avant que la forêt ne laisse place à un passage rocheux et sinueux en guise d'entrée. C'est là qu'ils vont passer la nuit. Un arbre dont les branches feuillues sont recourbées et touchent le sol leur sert d'abri. À l'aube, ils commenceront leur traversée de l'Etienda.
Adossé au tronc de l'arbre, Aron se réveille en sursaut et pose ses yeux partout autour de lui. Au travers des longues feuilles, il s'aperçoit que la nuit commence à tomber et il se demande combien temps il a dormi. Tout semble plaisible. Il jette un regard aux trois jeunes femmes qui discutent a voix basse autour du feu. Il ne peut dire si c'est pour ne pas le déranger ou si ce sont des secrets échangés.
Il s'est assoupi sans même le vouloir. Ce n'est pas physiquement qu'il est fatigué, mais c'est plutôt son esprit torturé par ses ressentis qui l'epuise.
Aron prétexte aller faire le tour des environs afin d'assurer leur sécurité. Mais c'est surtout pour s'éloigner de Kiona. Il s'en veut encore de ne pas avoir pris le temps de l'écouter et de l'avoir peinée.
Les trois jeunes femmes sont assises et Stella lance un regard frétillant à l'Aboui qui fixe Aron quitter leur abri de fortune.
— Quoi ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?
— Je sais pas, à toi de me le dire, répond-t-elle sur un ton taquin.
— Elle est persuadée qu'il se passe quelque chose entre toi et le Chyrika, lâche Linzi. Je lui ai dit que tu es bien trop sérieuse pour te laisser séduire par n'importe qui, encore moins par lui.
Stella jette un regard noir à sa bien-aimée.
— Linzi, ne pouvais-tu donc pas te taire, elle ne nous dira rien si tu lui dis le fond de ta pensée, râle Stella, la mine faussement renfrognée.
Kiona sourit et les regarde avec tendresse. Heureuse qu'elles soient ensemble dans ce péril. Cependant, c'est le coeur serré qu'elle appréhende leur avenir proche. Demain, elles affronteront un terrain hostile dont elles connaissent peu de choses sauf sa perversité.
— Alors, tu nous raconte ta nuit ? s'impatiente Stella toute guillerette.
— Ah... heu... non, rien, enfin il ne s'est rien passé, commence-t-elle par bafouiller, l'air hébété, sauf si plusieurs baisers échangés te semblent d'une importance capitale.
— Quoi ! s'exclament les deux Muncaniennes en choeur.
L'Aboui sent le rouge lui monter aux joues et ne parvient pas à soutenir les regards perplexes et curieux de ses amies.
La surprise de se rapprochement passé, Stella et Linzi assomment Kiona d'un florilège de questions toutes les deux en même temps, ce qui les rend à peine audible.
— Taisez-vous toutes les deux, il n'est peut-être pas très loin et pourrait vous entendre. (Affolée à cette simple idée, la jeune femme en balaie les alentours du regard.) Je vais tout vous dire, mais je vous en prie, taisez-vous.
Ses deux amies retrouvent leur calme et sont suspendues à ses lèvres. Elles ont tellement envie de savoir qu'elles en retiennent leur respiration.
Kiona leur raconte alors tout depuis sa première rencontre avec Aron et au passage parle de la méchanceté dont Solon peut parfois faire preuve envers elle.
— Mais pourquoi ne nous as-tu rien dit pour Solon ? s'attriste Linzi.
— Je ne m'en rendais pas vraiment compte, mais la dernière fois a été si violente que...
Au bord des larmes, elle ne parvient pas à finir sa phrase.
— Il faudra que tu en parles à ton père et ton grand-père, il ne peut pas devenir ton être de vie (Stella prend son amie par les épaules.) Je suis persuadée qu'ils comprendront et prendront ta défense.
— Ne pense pas ça... (Elle essuie ses larmes du revers de ses main.) Mon grand-père a décidé que c'était lui et il ne changera pas d'avis. J'ai essayé de lui en parler, mais il n'a rien voulu savoir, me traitant presque de menteuse.
Le visage de Linzi se durcit alors qu'elle caresse les cheveux de son amie.
— Kiona, je te promets que l'on t'aidera quoi que tu décides de faire, même si c'est fuir ton devoir afin d être heureuse.
— Nous savons de quoi nous parlons, renchérit Stella. (Elle prend la main de sa bien-aimée et lui adresse un tendre sourire.) Tu n'imagines même pas tous ce à quoi nous avons pensé pour être ensemble pour toujours.
— Comme tu l'as dit Linzi, c'est mon devoir et je ne peux me résoudre à abandonner mon père.
Les yeux fermés et le coeur serré, elle repense au bien-être qu'elle ressentait blottie contre Aron et esquisse un sourire de réconfort de courte durée.
— Aron ne se dégagera pas non plus de son destin, se désole Kiona dans un murmure. Nous sommes tous deux désignés pour être à la tête des nôtres, un jour ou l'autre, fuir pourrait déterrer la hache de guerre entre nos deux peuples et pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Des larmes perlent aux coins de ses yeux, contrairement à ses amies qui deviendraient juste des norallas, elle et Aron pourrait déclencher le chaos entre les Abouis et les Chyrikas, comme ce fût le cas, jadis.
Ahiga et Shérine sont accompagnés de Soufènes dont le plus jeune fils du vieil homme qui siège au conseil, Zérian, ainsi que de quelques Igums. Ils marchent au travers de la forêt à la recherche des jeunes gens.
Le chef des Chyrika a ordonné à Erika de rester sur le campement. Bien qu'un Chyrika n'a pas de faiblesse, il a préféré être seul sans avoir à se préoccuper de ce qu'il pourrait lui arriver. Il sait que c'est une bonne guerrière, elle l'a prouvé à maintes reprises, mais Aron pourrait devenir sa faiblesse. Depuis la mort de Bidzil, elle se raccroche à l'espoir de le retrouver. Et cela pourrait la conduire à faire des erreurs lourdes de conséquences.
— Je suis certaine qu'on le retrouvera sain et sauf, dit Shérine venue marcher aux côtés d'Ahiga.
— S'il avait été seul, j'en serais aussi persuadé, mais ce n'est pas le cas. Ces trois jeunes femmes doivent certainement ralentir sa progression et lui apporter des ennuis.
Il inspire profondément, les dents serrées de colère. Oui, il est en colère contre son fils, mais aussi contre lui-même. S'être battu avec lui en lui reprochant de lui avoir sauvé la vie d'une façon qui ne lui convient pas a sûrement quelque chose avoir avec son départ. Il le sait pertinemment, mais accepter d'avoir une dette envers les Abouis est au dessus de ses forces. L'impression d'être un faible depuis ne le quitte pas et lui est insupportable. Lui, chef des Chyrikas, aurait du mourir sur le champ de bataille, les siens n'aurait pas dû battre en retraite. Beaucoup de ses guerriers sont mort ce jour là et il aurait dû en faire partie. Maintenant, les survivants ont sûrement été fait prisonniers et sont devenus esclaves du Roi Abran. Hommes et femmes doivent souffrir contrairement à lui qui est en pleine forme alors qu'une flèche remplie de mungiscanie l'a touché et aurait dû le tuer.
— Pourquoi penses-tu de cette façon ? Chacun de nos peuples a un ou plusieurs dons et ils sont tous utile à leur façon.
Shérine a la tête tournée vers lui, le regard tendre, elle a appris que les différences entre les peuples de Rala ne les empêchaient pas de s'entendre et de s'entraider, car derrière celles-ci, il y a des êtres identiques. Des êtres dotés d'intelligence, de conscience, d'empathie et d'amour.
Ahiga se pince les lèvres.
— Elles ne connaissent rien aux dangers qui rôdent sur le continent. Elles étaient à l'écart, sous protection. L'une d'elles est la dernière Régente du don. Et Muncan a été le premier Royaume à tomber sous le joug de cet autoproclamé Roi. (Il fait subtilement pivoter sa tête de droite à gauche) Ce qui les met davantage en danger.
La Ratifi lève sa main vers la droite et la fait effleurer gracieusement les feuilles des arbustes alignés le long du chemin comme une haie d'honneur. Les yeux dans le vague en pleine réflexion et toujours avec douceur, elle lui fait part de ces suppositions :
— Tu les juges peut-être trop rapidement. Tous les êtres sont dotés de réflexion qu'importe le provenance. Ne les penses pas plus bêtes qu'ils ne sont.
Elle tourne la tête vers lui et esquisse un sourire bienveillant. Ahiga l'aperçoit du coin de l'oeil.
Comment une femme qui a vu les horreurs de cette guerre, peut-elle être à ce point crédule ?
— Comme si nos ennemis se laisseraient abuser par des enfants. Les penses-tu vraiment si naïfs ? Ils en savent long sur nous, (Il cesse un court insatnt de parler. Oui ils en savent long sur nous et j'en ai payé le prix.) Et quand bien même, ils restent des proies potentielles de par leur appartenance.
Shérine lève les yeux vers le ciel, d'un bleu limpide, aucun changement de temps n'est à prévoir. Elle reste silencieuse, car elle l'a bien compris, Ahiga est le genre d'homme à n'être convaincu que par ce qu'il voit et non par ce que l'on peut lui dire. Une personne non-influençable et cela est une très bonne chose. Plus elle discute avec lui, plus son assurance la ravit, malgré que de ce qu'il lui a dit, les Chyrikas sont précédés d'une mauvaise réputation.
— Dis m'en plus sur toi, lâche-t-il afin de changer de sujet. Pourquoi n'y a-t-il pas d'autres êtres comme toi au sein de la Résistance ?
Le coeur de la Ratifi se serre alors que des larmes viennent brouiller sa vue. Des images et des sons qu'elle souhaiteraient oublier refont surface. Les visages des siens déformé par la douleur et leurs cris de désarroi, la vue et l'odeur du sang. Et même le goût de son propre sang vient s'immiscer dans sa bouche.
Ahiga remarque immédiatement qu'il a touché un point sensible et s'en désole intérieurement, mais il se permet d'insister, lors d'une guerre, tout savoir de l'ennemi est primordial afin de mieux le connaître, même les pires horreurs qu'il a commises.
— Vous avez été attaqué, n'est-ce pas ?
Shérine acquiesce lentement de la tête, les paupières closent. L'estomac noué, elle prend une grande inspiration et commence son récit :
— Ces salopards (Ahiga écarquille les yeux de stupeur, il ne pensait entendre un tel mot sortir de la bouche de la Ratifi la jugeant trop distinguée.) nous ont attaqués en plein milieu de la nuit et par je ne sais quel maléfice ont rendu nos pouvoirs obsolètes. Démunis, les miens se sont battus du mieux qu'ils le pouvaient, mais chez moi, le combat n'est pas enseigné. (Elle affiche un air déçu et s'aperçoit que le chef des Chyrikas fronce les sourcils et comprend qu'il ne sait pas de quels pouvoirs ils sont dotés.) Nous pouvons nous rendre invisible entre autres et mon peuple étant pacifique, nous nous en servons afin de fuir la violence dont on a bannis l'existence de notre Terre.
— Quelle idée saugrenue, réagit Ahiga élevé dans la pratique du combat depuis sa plus tendre enfance.
Une moue se dessine sur le visage de Shérine. À présent elle aussi trouve l'idée complètement ridicule pourtant, le peuple Ratifi a vécu de longues Lunes Noires dans la sérénité du pacifisme.
— Nous ne conversions que très peu avec d'autres peuples et ces quelques-uns respectaient notre façon de vivre. Même lorsque, (Elle se tait et secoue doucement la tête de droite à gauche.) Enfin nous refusions toutes formes de violence. Et la nuit de l'attaque, nous étions des proies dans l'incapacité de se défendre et nous avons été rapidement submergé. Un grand nombre des Ratifis dont ma famille ont été tués et d'autres ont été fait prisonniers. Tout ça dans une fureur et une hargne indescriptibles. Ils ont mis feu à tout le village où j'habitais et à tous ceux de notre Terre où je suis passée.
Les larmes coulent le long de ses joues et elle ne cherche pas à les dissimuler espérant qu'une fois volatilisées, elles amèneraient de l'espoir aux siens emprisonnés.
Ahiga éprouve une certaine compassion pour la Ratifi, mais une question lui brûle les lèvres.
— Comment t'en es-tu sortie ? demande-t-il une once d'empathie dans la voix.
Shérine déglutit difficilement. La culpabilité la ronge intérieurement du plus profond de ses entrailles.
— Alors que j'étais au milieu de ces cris horrifiés des miens. Ces hurlement même, inoubliable tant il était empli de terreur, je me suis décidée à prendre la fuite espérant que d'autres avaient réussi.
Elle inspire profondément avant de poursuivre :
— Courir était une nécessité, mais mes jambes semblait peser plus qu'un arbre mort. Alors que je réussissais à divaguer entre les tortionnaires et leurs victimes, du sang m'éclaboussait et l'odeur de bois et de chair brûlé qui émanait du village me donnaient des haut le coeur à chaque respiration. (Ahiga écoute avec tellement d'attention qu'il à l'impression de sentir ces émanations fétides et un air de dégoût se forme sur son visage. Ces odeurs, il ne les connait que trop bien.) Puis, un coup à la tête m'a été assèné et ensuite le trou noir. Je me suis réveillée au milieu d'un carnage sans nom à la recherche de survivants en vain... Mon père et ma mère, un simple pêcheur et une simple couturière allongé côte à côte... éviscéré et comme si cela ne suffisait pas, égorgé à en être quasiment décapité...
Prise de nouveau de haut-le-cœur en se remémorant cette image ainsi que les émanations des corps sans vie de ses parents, les trippes à l'air, elle est obligée de s'arrêter. Elle se courbe et prend appui sur ses genoux avec ses mains. Elle gonfle ses poumons et les vide avec régularité sauf lors de soubresauts.
— Je suis... la... seule survivante de ce massacre, murmure-t-elle difficilement entre deux sanglot. Même si j'espère au plus profond de moi, que quelques-uns des miens ont pu s'enfuir, l'espoir s'amenuise à mesure que les lunes noires défilent.
Ahiga comprend qu'elle est en souffrance intérieur, cependant il ne sait pas ce qu'il convient de faire. Ce genre de situation n'existe pas parmi les siens. Les Chyrikas doivent faire preuve d'un mental à toutes épreuves, quelles soit physique ou psychologiques. La seule fois où il n'a pu refouler ses larmes, c'est à la mort de sa femme Mahala. Bien entendu, personne n'en est témoin.
Décontenancé, il s'approche d'elle et se laisse guider par ce qui ressemble à son instinct. Il s'apprête à poser une main sur son épaule, puis se ravise avant de finalement le faire. Il ne sait quoi dire et reste silencieux.
Shérine lui jette un regard reconnaissant et parvient un esquisser un bref sourire.
— Merci, murmure-t-elle.
Ahiga ne saisit pas pourquoi elle le remercie, mais d'un rapide hochement de tête accepte sa gratitude.
— Repos, crie Zérian arrivé à la hauteur de la Ratifi et du chef des Chyrikas.
Les deux ne sont pas rendu compte qu'en discutant, ils avaient devancé les autres. Les voyant arrêtés et à la position courbée de la Ratifi et sa respiration bruyante, le Soufène en a déduit qu'une pause s'imposait.
Ahiga se retourne vers le Soufène, les sourcils froncés d'étonnement.
— Pourquoi les fais-tu s'arrêter ?
— Shérine semble avoir besoin de récupérer. (La Ratifi le poignarde du regard, rapidement il trouve un autre argument.) De plus, cela fait longtemps que nous marchons, le soleil est haut dans le ciel et se ravitailler nous donnera de la force afin de poursuivre. Cela fera du bien à tout le monde.
Le chef des Chyrikas jette un coup d'oeil à Shérine avant d'acquiescer de la tête vers Zérian. Ce dernier hoche la tête avant de s'éloigner.
Alors que la Ratifi s'assoit sur une grosse racine, Ahiga lui tend un petit bidon remplit d'eau ainsi qu'un bout gélatineux sortit d'une petite boîte de bois toute simple récupérées dans sa sacoche.
— Bois et mâche ceci après, cela te fera passer les tournis de ton estomac, mais ne l'avales pas.
La Ratifi le sonde, les sourcils froncés, avant de poser ses yeux sur le morceaux flasque de couleur verdatre qui repose au creu de sa paume.
— Qu'est-ce donc ?
— C'est du ... Ça permet d'apaiser les estomacs tourmentés.
Remarquant son air méfiant, il poursuit pour la rassurer :
— Ne t'inquiète pas, tu ne risques rien, si ce n'est de te sentir mieux.
— Tu sais, je reste persuadée qu'on retrouveras ton fils sain et sauf. S'il tient de toi, je ne doute pas qu'il s'en sorte devant n'importe quel obstacle.
Malgré tout ce qu'elle a enduré, et, il en est certain, elle ne lui a pas encore tout raconté, elle continue de garder espoir et de tenter de l'insuffler. Chez les Chyrikas ont apprend à s'attendre au pire et à le surmonter.
"L'espoir n'a pas sa place dans le coeur d'un guerrier, il ne sert qu'à l'affaiblir", lui répétait son père lorsqu'il pensait déceler une étincelle d'espoir dans l'âme de son fils. Étant son successeur, son père avait pris soin de "l'éduquer " comme il le faut, selon ses dires, comme un guerrier aguerri et sans peur.
Malgré cela, lorsque Mahala a rendu son dernier souffle devant ses yeux, il n'a pu empêcher son coeur de saigner, mais est parvenu à garder son air impassible. Pourtant la souffrance qu'il a ressenti n'avait pas son égal et une partie de lui est morte aussi ce jour là.
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