𝟿 | 𝚗𝚎𝚞𝚏

Bonne lecture !

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Marc a l'air triste : c'est la première chose que Spencer remarque. Il a l'air triste et soudain très seul de l'autre côté de cette table carrée qui contient uniquement un échiquier fixé.

La seconde chose, c'est que George a dû attraper un rhume car il n'arrête pas de se moucher dans un vieux morceau de tissu (ce qui est dégoûtant et cela enfreint au moins douze des règles de Spencer sur les microbes et les bactéries et la santé). Sa peau foncée paraît un peu verdâtre, aussi.

La partie de George ne dure pas longtemps, et il bat Marc plus rapidement encore.

Une moue se forme sur ses lèvres.

— Est-ce... ça va ?

Lui va mieux : la fièvre est tombée au bout de deux jours dans les vapes, et sa mère a fini par se calmer, voir son fils malade ayant sûrement été un déclencheur assez fort. Elle lui a lu des livres à la chaîne, et lui a préparé à manger (sa soupe préférée, des tartines chaudes, et du chocolat épais).

Spencer est retourné au lycée le troisième jour. Et à présent, les deux hommes ont l'air... malade pour l'un et triste pour l'autre. Il attend sagement, balançant ses jambes trop courtes dans le vide sous la table.

La voisine lui a coupé les cheveux la veille au soir, alors que Spencer regardait la TV (documentaire sur une affaire de crime dans les années 50'). Anne, très gentille comme toujours, et son mari un peu écrasé dans le fauteuil mais qui s'est tout de même levé pour donner un verre d'eau à Spencer quand sa gorge encore un peu enflammée est devenue sèche et rauque.

Sa mère a cuisiné pour eux tous. C'était bien. Il sourit en y pensant.

— C'est rien, Spencer, dit Marc en forçant un sourire.

Il replace les pièces sur le plateau, sachant très bien que la partie a été bien trop rapide pour que Spencer doive déjà repartir chez lui.

— Tu peux me dire. Je suis jeune, mais ça veut pas dire que je ne sais pas écouter : je passe mes journées à écouter en cours.

— Ouais, mais en cours tu sais sûrement déjà tout. Là, c'est...

Spencer se mord la lèvre. George paraît un peu éteint, sûrement trop fatigué : il reste sur sa chaise en silence et les observe en serrant son livre sur ses genoux.

— Là c'est... ?

Marc l'observe, l'observe vraiment, et il semble hésiter de longues secondes. Finalement, quand ses épaules s'abaissent, il finit par soupirer :

— J'ai finalement signé les papiers du divorce, hier. Je suis officiellement séparé de ma femme.

La bouche de Spencer s'ouvre, car il a l'impression de devoir dire tout ce qu'il a appris à propos des papiers juridiques matrimoniaux immédiatement, mais il la referme en voyant son expression. Faute de mieux, il le laisse s'expliquer.

— Ça fait des mois qu'elle m'a demandé le divorce : elle m'a donné les papiers en main propre avant même que je perde mon appartement, et... et elle a accepté d'attendre parce qu'elle pensait que ça allait être vite réglé. Mais j'ai pas retrouvé de boulot depuis, et notre fille... elle ne veut pas que notre fille me voie comme ça, et franchement j'ai pas envie non plus.

Dans le ventre de Spencer quelque chose se tord. Quelque chose qui fait si mal que ça lui coupe presque le souffle : pour la première fois, il a envie de tendre la main pour prendre la sienne. Poser ses propres doigts sur ceux qui attrapent chaque pièce pour la replacer sur une case.

Il ne le fait pas, mais l'envie est là.

— Je suis désolé, dit-il et il le pense, il l'est vraiment. Tu l'aimes encore ?

Spencer n'est pas idiot : il lit de la fiction, de la romance, tout ce qui lui passe par la main. Il voit ses voisins lorsqu'ils échangent des regards et des sourires ; le propriétaire du magasin d'en face lorsque sa copine passe le voir ; des ados au lycée ; un couple de professeurs.

Ce n'est pas parce que son corps est trop jeune pour créer la réaction chimique nécessaire pour « tomber amoureux » qu'il ne sait pas que ça existe.

— Je l'aimerai toujours, petit. C'est sûrement mon âme sœur.

Spencer ouvre grand les yeux et serre les lèvres.

— Pourquoi... est-ce qu'elle divorce, alors ?

Et Marc lui répond, en avançant un premier pion blanc dans sa direction :

— Parce qu'elle est mon âme sœur, mais que je ne suis pas la sienne.

Il ajoute :

— Et que je comprends qu'elle ne veuille pas d'un gars qui a même pas quarante ans et qui vit dans la rue.

Il n'a pas l'air énervé, il ne l'insulte pas. Il parle tranquillement, avec un air qui semble s'être déjà fait à son sort, et l'estomac de Spencer se retourne à nouveau. Cette fois, il ne sait pas quoi dire. Cette fois, il n'a pas de réponse.

Il croise le regard de George, et ce dernier pose une main réconfortante sur l'épaule de son ami.

Quand la partie reprend (uniquement avec Marc) Spencer fait en sorte d'attendre un moment avant de faire échec et mat. Et, d'une voix basse, il commence à réciter de mémoire le début d'un recueil de poèmes d'un auteur anglais.

Marc se détend un tout petit peu, et lui offre un sourire reconnaissant.

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Des bisous !

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