𝟷𝟷 | 𝚘𝚗𝚣𝚎

Bonne lecture !

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Spencer se présente dans le parc un jour de pluie.

Il fait sombre, les températures commencent à remonter, et il n'y a vraiment pas grand monde à l'entrée. Il s'avance, en évitant les quelques personnes qui traversent l'endroit pour rentrer chez elles : la veille au soir, la voisine est venue toquer pour leur donner des restes de dîner qui lui venaient d'un repas de famille. Des choses qui peuvent se manger froides, et que Spencer a emballées ce matin dans de l'aluminium pour les ranger dans son sac.

Il n'a pu prendre qu'un seul livre, qu'il a relu trois fois avant les cours, deux fois pendant, et quatre fois à midi : mais ça vaut la peine. Ça vaut toujours la peine, mais là encore plus.

D'un pas décidé, il marche en direction de la place. Il n'a pas pris les bottes, alors ses vieilles chaussures en toile (qu'il a achetées vraiment pas cher, et qui indiquent « cunverses » à l'arrière) sont plus ou moins complètement trempées, presque autant que ses chaussettes dépareillées.

Mais ce n'est pas grave, aujourd'hui il se sent bien, et son ciré plus vraiment étanche (plus du tout, la capuche est trempée et il le sent dans sa nuque) le protège encore à peu près correctement. Il marmonne à voix basse en débattant d'une formule de maths qui lui a causé du fil à retordre (il l'a trouvée dans une thèse qu'il a empruntée (volée) à la bibliothèque universitaire du centre-ville).

La veille, le matin, la conseillère d'orientation lui a appris que CalTech lui proposait une bourse d'études ainsi qu'une place de choix dans leur internat. Il a serré les lèvres, essayant de toutes ses forces de ne pas être heureux et ravi par ça, par cette école qu'il meurt d'envie de rejoindre car il a lu des dizaines et des dizaines de travaux de quelques professeurs et d'anciens élèves et c'est brillant et intéressant et même passionnant. Et même si Spencer adore la littérature de tout son cœur, les mathématiques....

Il inspire, et balaye la place du regard, sous la pluie.

Il y a quelques personnes, oui : des parapluies qui cachent les visages, et des enfants qui courent. Trois personnes jouent aux échecs autour d'une table, et la troisième tient le manche qui les garde à l'abri. Spencer se rapproche, juste un peu car il n'a besoin que d'une confirmation rapide. Une fois assez proche, c'est évident qu'il ne les connaît pas, pourtant il rassemble assez de courage pour se racler la gorge et demander d'une petite voix :

— Excusez-moi... je... vous n'avez pas vu George ou Marc ?

Ces deux-là semblent être le centre de tout le monde : Marc rit avec les autres, et George pose sur eux tous un regard de père. Quand il faut un conseil, c'est vers lui qu'on se tourne.

La femme, celle qui tient le parapluie, dit :

— Oh, petit. Désolé, mais ça fait quelques jours qu'ils ne sont pas venus. Ils vont pas tarder à revenir je pense, avec ces pluies torrentielles ils ont dû trouver des places dans des centres.

Les sourcils de Spencer se haussent, et sa bouche fait un rond. Il acquiesce, souffle des remerciements, et pense à cette nourriture dans son sac qu'il ne va pas pouvoir leur donner. C'est peut-être tant mieux, de les savoir à l'abri plutôt que dans une ruelle ou au coin d'une rue à chanter ou à s'asseoir avec l'air triste.

Il sourit timidement, et tourne les talons sans s'attarder.

Ce n'est pas grave, pas vraiment : ça aurait été difficile de parler avec toute cette pluie, au final. Il n'a pas vu George depuis un moment, et il lui manque (et même si Spencer sait que le sentiment de manque est une réaction chimique créée par l'habitude du corps à se sentir détendu avec une personne, ça ne change rien). Il fourre des mains dans ses poches, et marche rapidement en direction de la sortie. Il lui reste encore de la marche, et même si son manteau le couvre à peu près bien il n'a pas forcément pensé à son pantalon, son jean qui colle à ses cuisses et qui irrite sa peau à chaque pas un peu trop franc.

Quand il sort du parc et commence à remonter la rue, c'est avec une capuche descendant sur ses yeux qu'il se cogne à quelqu'un, et finit sur le derrière. Les mains sur le sol sale, l'eau s'infiltrant dans le tissu, Spencer regarde ses chaussures avant que son couvre-tête glisse en arrière et que de la pluie ruisselle dans ses cheveux.

C'est arrivé si vite qu'il met quelques secondes à comprendre qu'il est vraiment tombé par terre.

— Oh, petit je suis désolé je... Spencer ?

Il relève la tête, surpris, et rencontre le regard de Simon. Simon et ses sourcils haussés, son air étonné, et son parapluie dans la main. Presque aussitôt il est soudain accroupi à ses côtés, mettant un genou dans une flaque sans sembler s'en soucier.

— Ton...

— Ça va ? Rien de cassé ?

Il lui tend une main, que Spencer fixe sans trop savoir quoi faire. Les siennes sont contre le goudron sale du trottoir, et sont sûrement pleines de petits cailloux. Pourtant, quand il la prend, la seule chose à laquelle il peut penser c'est que Simon a vraiment l'air d'être un peu inquiet, que sa main est brûlante, que ses yeux sont doux, et qu'il le soulève sans aucun problème pour le remettre sur ses pieds.

Il abrite Spencer sous son parapluie.

— Spencer ?

— Oui. Ça va. Rien de cassé.

Un soupir, puis :

— Tant mieux. Tu devrais pas te balader tête baissée, tu es tellement petit que je t'avais pas vu.

Pourtant, son ciré est jaune criard, mais il ne fait pas de commentaire. Simon porte un manteau marron, usé, qui aurait sûrement pu appartenir à son grand-père, et ça fait sourire Spencer.

— Désolé, souffle-t-il. Je suis allé au parc, mais il n'y avait personne alors...

— Oh, oui. Avec les pluies, c'est compliqué en ce moment. T'inquiète pas, tu pourras.... attends, tu repars à pied ?

Il baisse les yeux sur les jambes trempées de Spencer, ses cheveux humides qui lui tombent devant les yeux (il a dû retirer ses lunettes bien plus tôt, avec la buée et les gouttes, et à présent ne voit au loin que des taches indistinctes).

— Oui. J'ai pas d'argent pour le métro. Et ma carte de bus est expirée.

La dernière fois qu'il a pris le bus, c'était avec sa mère. Elle a fait une crise au beau milieu de la quatrième rangée, et était tellement persuadée que le conducteur leur voulait du mal, qu'en rentrant elle a déchiré tous les papiers nécessaires à un renouvellement.

Aller les chercher, ça demande du temps que Spencer n'a pas, en ce moment.

— Spencer...

— Ça va. Je vais marcher vite.

Il regarde ses paumes sales avec dégoût, et se souvient du moment où il a jeté sa bouteille de gel dans la poubelle près des toilettes, après n'avoir pas pu se retenir pendant la pause déjeuner.

— Je...

Il se mord la lèvre. Simon n'a toujours pas bougé son parapluie, et les abrite tous les deux. Sans même s'en rendre compte, ils se sont déportés sur le côté pour ne pas trop gêner.

— Je peux te ramener, tu sais ?

Spencer relève les yeux. Le visage de l'homme (et il remarque enfin que Simon a une petite barbe de trois jours négligée) affiche une gêne un peu timide.

— Je sais que tes parents t'ont sûrement dit de ne pas faire ça, mais t'es déjà trempé et ma voiture est dans le parking d'à côté... je pourrais juste te donner le parapluie et courir la chercher pour te reprendre. Tu me guides, je te dépose, et tu évites de tomber malade.

Il pense aux dossiers qu'il doit rendre pour les cours, à ces lettres qu'il s'est mis à écrire et à celle, précise, qui lui a demandé de développer sa pensée sur des techniques d'ingénierie paraissant un peu trop créatives. Il en est à sa vingtième page et il veut terminer le plus vite possible pour l'envoyer.

Il ne peut pas tomber malade, pas maintenant.

— D'accord, dit-il. D'accord, merci. Je... j'espère que ça te dérange vraiment pas parce que je voudrais pas....

— Non ! Non. Écoute, je t'ai proposé, et ça me ferait plaisir.

Il s'accroupit à nouveau, ses longues jambes se pliant pour parvenir à sa hauteur, et lui met le manche du parapluie entre les mains.

— Je reviens. Elle est vraiment à côté.

Spencer acquiesce, à peine. La seconde d'après, Simon part sous la pluie en direction de, Spencer le sait, un parking de 150 places gratuites en journée. Il attend sagement, un sourire aux lèvres.

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Des bisous !

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