5 - Castlevania IRL

Hello !

Merci pour vos reviews et votes ^^

Voilà la suite, j'espère qu'elle vous plaira !
Sea

*

    Les traits à présent déformés par la rage, celui que Sophie avait toujours affectueusement surnommé « Heath » et avec qui la vie semblait plus drôle et colorée, perdait le contrôle de lui-même. Colibri, qui à ce moment précis ne croyait pas un mot des élucubrations fantastiques de son ami, craignait à la fois de se faire égorger et de voir le grand Roumain s'effondrer sous une crise de cataplexie.        

- Calme-toi, Heath, supplia la jeune femme, plaquée contre le simili du canapé. Calme-toi, je ne voulais pas...

La voix grave de l'homme s'éleva, Colibri sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque – et pourtant, il lui en fallait beaucoup – car on eût juré percevoir le grondement d'une bête féroce émaner de la gorge de Heathcliff.

- Vous ne croyez peut-être pas en Dieu...

- Heath, je... Non !

D'une main, l'homme avait bâillonné la jeune femme. Cette dernière, à présent morte de terreur, vit son ami ouvrir la bouche, écartant les mâchoires de façon exagérée. Elle perçut un craquement singulier, celui que fait une côte quand elle se brise. Et elle vit deux crocs de la taille de l'index s'extraire lentement des gencives de l'homme. Ils étaient recouverts d'une fine membrane et d'un peu de sang, mais ils étaient aussi aiguisés que des dents de requin. Colibri, les yeux exorbités, entendit alors comme un rugissement :

- Mais vous allez croire au...

Brutalement, le corps entier de Heath se détendit. Sophie vit ses yeux se révulser, et il s'écroula sur elle, inerte. Le cœur battant à tout rompre, Colibri resta un instant immobile, sans oser repousser l'homme qui ne bougeait pas plus qu'une pierre. Puis, ne sachant faire face à une situation hors normes qu'avec son humour habituel, elle rit nerveusement :

- Au quoi ? Au diable ? C'est dommage, cette réplique était plutôt bonne. Heath ? Heathcliff ? Bon sang, Heath ?

Malgré sa petite taille, elle parvint à se dégager de sous le grand corps du vampire. Elle voulut se remettre debout, pour s'éloigner au moins de quelques mètres, mais elle s'aperçut que la peur avait été si forte qu'elle était incapable de mobiliser ses jambes. Un fourmillement désagréable les parcourait.

- Bon sang ! souffla-t-elle tout en tentant de remuer ses orteils.

Son ami émit un gémissement et fut pris de frissons. Sophie fut à la fois rassurée et mise sur le qui-vive : qui allait bien pouvoir se redresser ? Heathcliff, au calme et à la courtoisie exemplaires ? Ou bien un monstre ? Prudente, la jeune femme se traîna sur le sol, préférant mettre la table basse entre elle et le potentiel vampire.

- Coli... Colibri... éructa ce dernier, les muscles contractés. Grands dieux... Colibri...

Heath parvint à se retourner, à demi écroulé contre le canapé en faux cuir. Son visage avait pâli, de la sueur ruisselait sur son visage coupé à la serpe. Ses cheveux de jais, habituellement coiffés à la perfection, étaient à présent en bataille, ce qui donnait un air presque démoniaque au Roumain. Du moins était-ce le sentiment de Sophie Colibri, et cela était tout à  fait compréhensible, après la frayeur que son ami lui avait faite. Une haine irrépressible, une haine liée à la peur, une haine de protection, comme la jeune femme le justifierait plus tard, s'empara d'elle.

    Les pupilles dilatées, les tics nerveux et le halètement saccadé de l'homme n'eurent rien pour rassurer la médecin-légiste, qui parvint à se remettre sur pied en s'appuyant sur ce fauteuil club où Jayvart prenait toujours beaucoup de plaisir à s'asseoir. 

- Colibri, murmura Heath. Je...

- Reste où tu es !

Sophie Colibri n'avait pu empêcher sa voix de prendre ce ton coupant, agressif. Elle lut aussitôt une grande peine dans les yeux de son ami. Le regard de ce dernier se voila et il tira un mouchoir de satin de sa poche intérieure afin d'essuyer les traces de bave sanglante qui entouraient ses lèvres. En voyant les traînées vermillon sur la blancheur immaculée de son mouchoir, Heathcliff pâlit d'autant plus.    

- Vous ai-je blessée ? Colibri, je... Ai-je eu le temps de... de vous blesser ?

La jeune femme ne répondait rien. À dire vrai, son esprit logique et cartésien ne parvenait pas à assimiler la scène qui s'était jouée sous ses yeux.

- Colibri, vous ai-je mordue ? insista lourdement l'homme en s'agrippant au canapé pour s'y asseoir.

Sophie lut de la peur, chose qu'elle n'avait encore jamais vue, dans les yeux noirs de son ami. Sans qu'elle sût pourquoi, elle sentit une colère furieuse l'envahir.

- Sors, cracha-t-elle, les sourcils froncés. Sors d'ici !

*

    Jamais Colibri n'eût pu me faire plus de mal qu'en ce moment précis. Une transformation – mon frère avait plaisir à blasphémer en les appelant transfigurations – est extrêmement douloureuse, surtout lorsque l'on n'en maîtrise pas les étapes. Elle nous met naturellement dans de très mauvaises dispositions. Pour ma part, j'étais revenu à moi accablé par la crainte d'avoir blessé Sophie Colibri. Jamais je ne me le fusse pardonné, croyez-moi. Je pense malgré tout l'avoir profondément blessée, ce soir-là, quoique ma crise de cataplexie l'eût sauvée d'une fin atroce. Le petit médecin-légiste s'était mis à me haïr plus que je ne le faisais moi-même. Si je me fusse maîtrisé un tant soit peu, tout ceci eût pu être évité. Mais Colibri, depuis que je la connaissais, avait une telle soif de vérité qu'elle m'eût percé à jour d'une façon ou d'une autre.

    Lorsqu'elle m'ordonna sans aucune pitié de sortir de chez elle, je sentis une immense peine m'envahir. Un homme comme moi a peu – pour ainsi dire : pas – d'amis. Et Colibri en était une, fidèle. Je la savais trop critique pour lui expliquer la vérité à mon sujet. Voilà une chose que je regrettai longtemps.

    Colibri, donc, me chassa de chez elle. Chaque tour de verrou que j'entendis dans mon dos, une fois la porte claquée, était comme un coup de pieu en plein cœur pour moi – et je sais de quoi je parle.

    Je rentrai donc chez moi, trempé jusqu'aux os. Et je décidai de commander immédiatement un billet pour le Cap Nord. À cette période, la nuit durait déjà longtemps et j'y possédais un chalet excentré, où je pourrais m'isoler quelque temps. J'avais rarement eu la chance de pouvoir m'accorder l'amitié d'un humain et par ma faute, cette amitié avait été détruite.

    Persuadé que Sophie Colibri et son esprit cartésien allaient m'effacer de leur monde, monde que je ne déstabilisais que par trop, je ne m'enquis pas de ses nouvelles. Je m'étais attaché à cette petite humaine sans savoir-vivre. Sans doute était-ce pure lâcheté de ma part. Je dois avouer que, au plus bas de mon état mental – qui coïncidait avec l'allongement de la période nocturne en Norvège –, je dus consommer un peu trop de Desoxyn, afin de ne pas ressentir la solitude qui parfois me rendait fou.

    Dans le chalet où je me trouvais, et surtout à cette période, il m'eût été facile de passer inaperçu durant des mois entiers. Le passage d'une famille perdue et affolée – ils avaient remarqué la lumière – me fit comprendre que je devais me ressaisir : la première chose que je fis lorsque je surpris dans mon salon le malheureux père qui n'avait pas encore eu le temps de quitter ses gants fut de me transformer...

    Lorsque je repris conscience, j'étais bien sûr seul. Ne sachant pas ce que cette famille avait pu conclure, je décidai de quitter sur le champ les lieux – et par la même occasion, de diminuer les doses de métamphétamines que je consommais.

    Ce fut dans un état pathétique, je ne crains pas ce mot, que je rejoignis ma demeure à Osaka. Plus moderne que le chalet austère du Cap Nord, je savais que je pourrais m'y distraire autrement qu'en abusant de mon traitement. Je dus employer à de nombreuses reprises mes capacités de torsion d'esprit sur les douaniers et autres stewarts lors du voyage, car mon état de manque me donnait manifestement un aspect physique particulier.

    La torsion d'esprit est une opération pour le moins étrange. Comme le vampirisme, elle nous procure un plaisir immense, surtout lorsque nous en profitons pour forcer les humains à commettre les pires horreurs. Cependant, contrairement à l'absorption de sang chaud, qui nous excite terriblement, la torsion d'esprit nous amène à un état de bien-être quasi comateux. Et ma maladie – bénédiction pour mes compagnons humains – me prévenait de m'adonner régulièrement à un ou l'autre de ces passe-temps. Tordre l'esprit de ces hommes était relativement aisé, car ils ne me connaissaient pas, mais cela m'assomma souvent – et plus longuement encore qu'une crise de cataplexie – et allongea d'autant plus mon temps de sevrage, ou plutôt de réduction de dose.

    Je me retrouvai donc à Osaka, dans ce lieu apaisant – j'aime beaucoup le Japon, les gens ne s'y mèlent jamais de ce qui ne les regarde pas. Apaisant, certes, mais pour peu de temps, car au lendemain de mon arrivée, lorsque je consultai le répondeur – habituellement muet – je vis une douzaine d'appels en absence et autant de messages laissés.

    Tous ces appels avaient été envoyés durant la semaine passée. Hésitant, je pressai la commande Play.

    « Heath ? Heath ?! Bon sang, Heath, tu dois apprendre à consulter tes mails ré-gu-liè-re-ment ! Je me suis saignée aux quatre veines pour t'offrir une tablette digne de ce nom ! Tu vas me faire le plaisir de l'utiliser, hein ? Bon... Rappelle-moi, sur ce numéro. Ça ne va pas, en fait. Ça ne va absolument pas. En plus, je suis en  panne, là, au bord de la mer, c'est paumé comme pas permis... Et puis, il y a des gens pas très recommandables, tu dois savoir ce que je veux dire, hein ? Heath, il faut que tu viennes, maintenant. Heath... Heathcliff, j'ai besoin de t– »

*

... à suivre ! ;-)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top