4 - Dracula Reborn
Merci pour vos reviews et vos votes (si ça continue, je concours à la présidentielle 2017 XD).
Voilà la suite, j'espère qu'elle vous plaira !
Sea
*
Sophie sursauta lorsque la sonnerie de son appartement retentit. Il était deux heures et demi, elle venait de se mettre en joggings : une seule personne savait qu'elle pouvait être dérangée à une heure si tardive. Et c'était bien parce qu'elle connaissait l'identité de son visiteur que Colibri avait sursauté.
- Colibri ? fit une voix grave derrière la porte. Êtes-vous visible ?
Sophie était juste assez grande pour pouvoir, en se mettant sur la plante des pieds, regarder par le judas. Elle reconnut les cheveux noirs, la peau mate et la haute taille de Heath.
Heathcliff. C'était elle qui avait fini par lui donner ce nom. Il habitait à l'époque – ça faisait sept ans – dans son immeuble et elle ne voyait l'appartement du « grand basané flegmatique » occupé que lorsque le temps était au gris fixe. À croire que cet étrange personnage d'un calme étonnant attirait le mauvais temps par sa seule présence... Heathcliff lui avait été très utile au cours des trois dernières enquêtes auxquelles la jeune femme avait participé et il était presque devenu un ami. Du moins, était-ce ce que Colibri pensait.
Elle mit un peu trop de temps à aller ouvrir. Elle le savait, et elle savait que Heath le savait aussi. Une tasse de verveine fumante à la main, la jeune femme leva les yeux vers son « consultant » et lui adressa un sourire parfaitement faux.
- Puis-je entrer ? Je crois qu'il faut que nous parlions.
- Comment es-tu entré dans l'imm...
- Le digicode n'a pas changé, la coupa l'homme en prononçant « digicode » comme s'il s'était agi d'un mot issu d'une langue étrangère. Depuis le temps où je vivais ici.
Heath ne souriait pas. Il prit place cavalièrement dans un fauteuil et n'attendit pas que Colibri fût installée à son tour pour croiser les doigts et prendre la parole :
- Je pensais que vous aviez plus que cela le respect de la vie privée d'autrui.
- C'était soit ça, soit l'asile, pour moi.
- L'asile me semblait être une option pourtant alléchante.
- Je...
- Qui était-ce ?
Heath avait un visage jeune. Il n'avait pas quarante ans. Sur le papier, du moins. Mais à cet instant, son regard noir s'était fait d'une sévérité et d'une gravité si intenses que Sophie Colibri se sentit comme une élève de primaire gourmandée par son professeur.
- Ce n'était pas...
- Vous croyiez que j'allais perdre le contrôle, c'est cela ? Que Jayvart pourrait m'arrêter et que tout se serait terminé ? Ce pauvre Jayvart... il va se retrouver avec un cold case terrifiant sur les bras...
- Il fallait que je sois sûre !
- Et pour quoi faire, grands dieux !
Colibri, lorsqu'elle avait répondu, avait froncé les sourcils et haussé le ton, ce qui n'était absolument pas impressionnant, il fallait l'avouer. Heath, lui, avait donné du poing contre le manche de son fauteuil et avait littéralement explosé. Et ce fut terrifiant. L'homme posa une main sur son cœur, ferma les yeux et se concentra pour respirer convenablement.
- Jayvart, reprit-il d'un ton plus tendu, vous a en si haute estime qu'il vous a crue sur parole lorsque vous avez prétendu que le cœur avait été passé par la gorge. Le latex, c'était bien trouvé. Mais il est impossible de faire passer un organe pareil dans la gorge de quelqu'un.
- Je ne pouvais pas décemment...
- En réalité, c'est vous qui aviez ouvert le cadavre. Vous avez menti effrontément lorsque vous avez prétendu que le cœur ne s'y trouvait pas. C'est vous qui l'avez tout simplement éviscéré. Avant de lui ôter sa denture, de l'écorcher et de le brûler, tout cela pour me faire croire à l'attaque d'un... d'un quoi au juste ? D'un chasseur de vampires ?
Sophie Colibri était terrorisée, à présent. Heath avait une impatience dans la jambe, faisant tressauter le fauteuil. Il avait l'air prêt à sombrer dans la folie.
- Ton véritable nom est Radu Draculea, n'est-ce pas ? Tu es le frère de Vlad Draculea. L'Empaleur ? Le Dracula de la légende ? osa-t-elle tout de même demander d'une toute petite voix.
- J'ai vécu toutes ces décennies sans jamais risquer une fois d'être découvert et savez-vous pourquoi, Colibri ? Parce que je ne suis pas comme mon frère. Je ne suis pas un buveur de sang. J'ai la même tare que lui, je dois vivre comme lui, fuir le soleil à tout prix, mais je ne suis pas comme lui. Ma maladie me permet sans doute d'éviter de l'être, ajouta Heath avec amertume. Que la moindre excitation s'empare de moi, et je tombe comme mort sur le sol. Et ce corps, alors, grands dieux où l'avez-vous pêché ?
- C'était un corps disséqué par la faculté de médecine. Il fallait que je sois sûre de...
- Il faudra trouver une explication pour Jayvart.
- Heath, il faudrait déjà trouver une explication pour moi.
- Une explication ? Ne vous l'ai-je pas déjà fournie ?!
- Je ne crois pas aux histoires de vampires ! Heath, ou Dracula, ou qui que tu sois ! Je ne crois pas aux loups-garous, aux fantômes, aux forces surnaturelles ! Je... je ne crois plus en Dieu depuis l'âge de quinze ans !
- Alors pourquoi cette mise en scène ? Pourquoi ?
Heathcliff, les poings serrés, s'était levé sans même s'en apercevoir. Son visage irradiait de fureur.
- Je ne vous fis... je ne vous ai jamais fait ou voulu le moindre mal, Colibri ! tonna l'homme, qui ne songeait même plus à maîtriser son rythme cardiaque. Je vous ai simplement aidée au cours de quelques enquêtes par trop épineuses ! Aidée ! J'appréciai... j'ai apprécié de passer du temps à vos côtés, car vous vous moquez de la mort, vous vous moquez de la vie ! Qu'allez-vous faire, si vous ne croyez pas à ces mensonges que vous vouliez pourtant entendre ?
- Heath, recule.
- Non. Non, je suis prince, je suis voïvode. Jamais je n'ai pris d'ordre de quiconque et cela ne commencera pas avec vous.
Voir un homme que l'on a toujours connu calme, froid, posé, perdre ainsi son sang-froid était une expérience effrayante. Même pour Sophie Colibri, à présent bloquée dans son canapé par les bras d'acier de celui qu'elle avait toujours considéré comme un ami – quoique ce mot lui écorchât les lèvres.
- Tu souffres d'un trouble de... voulut expliquer le médecin-légiste, qui s'efforçait de ne pas trembler de peur. D'un trouble... de... d'un trouble de la perso...
*
Je savais pertinemment qu'il eût fallu que je laissasse Colibri venir à moi. Il fallait que ce fût elle qui me demandât des explications. Pas l'inverse. Ne jamais rien faire sous l'emprise de la colère ou de la peur. Voilà une loi que j'oubliai, ce soir-là.
J'étais positivement hors de moi. Colibri, avec son insupportable manie de penser qu'elle savait tout mieux que quiconque, avait tenté par un procédé – disons-le – discutable de me faire avouer que j'étais fou.
Au cours de notre dernière enquête, peu de temps avant que je ne partisse à Osaka, elle s'était invitée dans mon appartement et avait – pardonnez-moi l'expression – fouiné dans mon bureau. Une conséquence de ma trop grande discrétion sur le sujet de ma maladie, j'imagine. La possession de méthamphétamine, depuis le succès de cette série télévisée d'Albuquerque, semble suspect à n'importe qui, désormais...
J'eusse sans doute dû mieux dissimuler la correspondance incendiaire que j'entretins avec mon frère aîné, Vlad, au milieu du quinzième siècle. Ou encore cet ouvrage de magie noire qu'il me fallait de toutes les façons détruire.
À l'époque – je parle de celle où Sophie Colibri s'était donné la permission de fouiller dans mes affaires –, j'avais parfaitement senti son odeur, une odeur rémanente résolument humaine, flotter dans mon bureau après son départ. Un mélange d'appréhension, d'excitation et une petite touche florale de jasmin que je trouve fort agréable.
Mais trêve de souvenirs : Sophie Colibri m'avait acculé. Elle m'avait obligé à révéler une part de ma vie qu'il me convenait parfaitement d'oublier. Pour ensuite me lancer au visage qu'elle n'en croyait pas un mot et qu'il fallait que je me fîs interner. Croyez la parole d'un Draculea : voilà un discours qu'un voïvode(1) ne supporte pas d'entendre. Maladie de Gélineau(2) ou pas.
Je ne regrette pas vraiment cet accès de colère, à dire vrai. Sans lui, jamais Sophie Colibri n'eût accordé foi à mes propos. Et Colibri était sans doute la seule humaine de ma connaissance qui pouvait supporter l'idée de mon existence. Avec tout ce que cela impliquait.
*
(1) Voïvode : issu du roumain "voievod", abrégé en vodă, parfois nommé aussi hospodar). Un voievod (en pays roumain) est un officier de rang princier. Littéralement, le mot signifie "qui conduit une armée".
(2) La maladie de Gélineau, plus connue sous le nom de "narcolepsie" est une maladie avec une composante génétique qui peut se révéler quelques années après la naissance de l'individu (parfois après l'adolescence). Un narcoleptique est sujet à un sommeil dit "incoercible" et tout ou partie de son corps peut tomber en état de cataplexie (perte brutale du tonus musculaire sans perte de conscience) lorsque l'individu touché est soumis à une émotion (colère, peur, joie, surprise). L'état de cataplexie cesse lorsque le stimulus l'ayant déclenché cesse également... La gestion de la maladie passe par certains traitements médicamenteux. Dans le cas de Heath, qui doit vivre avec depuis longtemps, la maitrise des émotions, la prise de stimulants et de méthamphétamine sont trois composantes majeures de son auto-gestion.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top