37 - Flower Power

- Voilà, monsieur, dit doucement James Lindsay – plus connu sous le surnom de Lukosdulus –, une chemise de rechange et quelques...

- Vous n'êtes pas venu pour ça, Lukosdulus, le coupa Abaddon Tahir en passant nerveusement la main sur sa barbe de trois jours.

- Effectivement, monsieur.

Une  grande table séparait les deux hommes. Même si l'absurde envie  d'étendre en même temps les jambes les avait saisis de concert, ils  n'eussent pu s'effleurer. Mickaël Aleksey, les bras croisés, était  adossé au mur, dans ce qui servait parfois de salle d'interrogatoire. Le  capitaine avait accepté d'accorder à Tahir et son majordome – ou son  maître d'hôtel... peu importe – une entrevue, mais avait auparavant  négocié le lieu et la durée de la dite-entrevue. L'étrange maître  d'hôtel, James Lindsay, était appelé « Lukosdulus » par Abaddon Tahir et  Mickaël ne parvenait pas à comprendre comment ce vieil homme avait  réussi à trouver le lieu où son maître était gardé prisonnier.

- Je suis venu pour parler à monsieur de miss Amanda. Elle est partie ce matin, monsieur.

- Am... Qui ?!

- Du calme, Tahir... demanda Aleksey sans lever les yeux vers le PDG.

Ce  dernier, qui avait haussé le ton brusquement, adressa un regard mauvais  à Mickaël, qui ne daigna pas lui accorder une seule œillade. Le  malheureux capitaine était exténué : il s'était levé à six heures du  matin et bientôt, le clocher de l'église avoisinante allait sonner la  minuit. Il en venait presque à regretter que Ludmila eût eu la présence  d'esprit de le contacter directement... Le SMS « TAHIR » suivi  de l'adresse de la jeune infirmière, lui avait suffit à bondir dans sa  petite voiture jaune canari – oui, le capitaine Mickaël Aleksey était  daltonien, et ses amis n'avaient pas jugé bon de le prévenir de son  erreur – et passer un appel à l'équipe la plus pour voler au secours de  la jeune femme. Jeune femme qui avait réussi sans mal à maîtriser le  treizième célibataire le plus convoité au monde. Et qui était veuve.

« Quel idiot ! » se morigéna le jeune inspecteur. « Et  moi qui lui demande quand son mari rentre ! Imbécile ! Triple andouille  ! J'espère qu'elle n'aura pas trop de peine... Je lui achèterai...  Hmm... Elle portait un parfum à la violette, aujourd'hui. Oui, c'est une  bonne idée, ça, je vais lui offrir des violettes. Est-ce que c'est la  saison, au fait... »

Comme nous pouvons le constater, Aleksey  se désintéressait totalement de James Lindsay et Tahir. Ce dernier  avait d'ailleurs repris, d'une voix où perçait l'énervement :

- Qui est cette fille, enfin ?

- Miss  Amanda, monsieur, la demoiselle qui ne devait pas sortir de la villa  sans que monsieur ne soit innocenté. J'ai jugé bon de lui signifier son  congé et de ranger la chambre jaune. Autant le dire tout de suite à  monsieur : miss Amanda ne risque pas de rappeler monsieur.

Le  visage ridé et cerné de Lukosdulus ne laissa filtrer aucun sentiment,  mais Abaddon devinait que son majordome hurlait intérieurement de rire.

- Je me suis néanmoins permis de préparer à nouveau la chambre jaune, plutôt que d'y mettre des housses en plastique, monsieur.

- Et pourquoi diable ?!

- Eh bien, au cas où monsieur ne fasse rapidement la rencontre d'une agréable demoiselle... où ne l'ait déjà fait.

- Je...

- Monsieur  comprendra bien sûr que miss Amanda ne répondait sans doute pas au  standing de monsieur, mais qu'il doit exister de jeunes dames qui se  hissent sans doute au-dessus du standing de monsieur.

Abaddon Tahir pinça les lèvres. Ses yeux couleur de miel brillèrent de colère, mais il ne dit rien.

- Monsieur pense-t-il présenter bientôt la villa à miss Corona(1) ?

- Miss Coro... ?! Enfin, non ! grogna Abaddon. Il n'est pas question qu'elle vienne.

- Alors puis-je demander à monsieur si je dois faire envoyer chez miss Corona des boutons de roses(2) ou bien des ancolies(3) ?

- C'est inutile. Elle est en déplacement, les fleurs seront fanées avant leur arrivée. Et ces deux essences ne conviendraient pas.

- De la gentiane(4), sans doute ?

- Non ! Lukosdulus, pas de fleurs !

- Connaissant  monsieur, j'ai comme l'idée d'une orchidée rouge(5), mais cela serait-il  bien convenable ? murmura le vieux majordome, dont le coin de la bouche  se rida un peu sous un sourire contenu.

- Je vous renverrai dès que  mon innocence sera prouvée. Et je n'envoie jamais que du laurier(6), du  laurier-rose(7), à la rigueur, siffla Tahir en plissant les yeux d'un air  dédaigneux.

- Que monsieur me fasse penser à envoyer à monsieur une  gerbe de géraniums en remerciement des bontés de monsieur, lorsque  monsieur me signifiera mon congé, déclara Lukosdulus qui souriait à  présent, les lèvres étirées.

- Ah, vraiment ?! Des géraniums ?

- Oui,  une jolie combinaison de roses(8) et de rouges(9), monsieur. Puis du muguet,  monsieur, comme il se doit. Quant à miss Corona, je gage qu'elle  répondrait à votre laurier par un astucieux mélange d'oeillets  violets(10), de rue(11) et de sardoine(12). À quoi monsieur finira par  répondre avec une jolie sensitive(13) aux feuilles vertes.

- De la sensitive, vraiment ?

- Vraiment, monsieur. Ces plantes-là sont si fragiles...

- Je  n'ai jamais envoyé de sensitive et n'en enverrai jamais. Ce sont de  vulgaires feuilles mobiles qui se ferment au moindre courant d'air.

- Monsieur préférerait-il des crocus rouges(14) ?

- Vous êtes plus ridicule que vous en avez l'air, Lukosdulus, et pourtant, c'est déjà beaucoup.

- Je comprends, monsieur. Je me suis sans doute mal exprimé ou mépris. Que monsieur me pardonne.

- N'êtes-vous venu que pour me parler de fleurs ? demanda Tahir en voyant son majordome se lever.

- Oui,  en quelque sorte, monsieur, répondit ce dernier. Monsieur n'a toujours  pas de nouvelles de l'arrangement que miss Corona avait pris pour  monsieur ?

- Non. Ça ne saurait plus tarder.

- Je l'espère pour monsieur.

Aleksey,  comprenant que Lukosdulus allait sortir, rouvrit la porte, s'arrachant  aux pensées tourmentées qui lui reprochaient – bien à tort – d'avoir  blessé Ludmila Romanov.

Avant de sortir de la salle d'interrogatoire, Lukosdulus se retourna vers son maître :

- Que monsieur veuille me pardonner, mais les lys blancs(15) sont, à mon humble avis, bien plus beaux que les lys jaunes(16)...

*

A suivre...

*

(1) Allusion au terme anglais « coroner », qui désigne le médecin-légiste, NdT, qui aimerait, après lecture de ce chapitre, savoir ce que l'auteur fume.

(2) Amour naissant et timide, NdT, qui aimerait savoir combien de langues il faut encore qu'il travaille ?!

(3) Amour fou, NdT, qui ne comprend pas comment l'auteur peut encore, à son âge, se permettre d'écrire des âneries pareilles...

(4) Ne me fuyez pas, j'en souffre, NdT...

(5) Canahait, ça suffit, maintenant. NdT.

(6) Je triompherai, NdT.

(7) Simple flirt, NdT.

(8) Géranium rose : « Vous êtes naïf », NdT, qui aimerait savoir quand est-ce que ça s'arrête.

(9) Géranium rouge : « Vous êtes bête », NdT, qui aimerait bien envoyer des géraniums rouges à l'auteur.

(10) Vous m'êtes antipathique, NdT.

(11) Je suis indépendante, NdT.

(12) Je me moque de vous, NdT.

(13) Je suis sensible, veuillez ne pas me faire de peine, NdT, qui se contient admirablement.

(14) Je crains de vous aimer, NdT, qui ne va pas se contenir bien longtemps.

(15) Symbole de pureté et de douceur, NdA, qui remplace le traducteur parti bouder dans son coin.

(16) Symbole d'orgueil et de richesse, NdA, qui espère que la lecture de ce passage n'a pas été si compliquée que son écriture !

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