24 - Cat's eyes

Hello !

Merci beaucoup pour vos reviews et vos votes (et vos abonnements, une fois de plus :-) ) !

Je me rends compte que cette fiction prend un tournant plus noir que ce à quoi je m'attendais mais... c'est aussi bien comme ça ! J'ai fait pas mal de recherches pour les chapitres suivants et l'une des nouvelles créatures à apparaître est d'origine japonaise (c'est une classique, essayez de deviner ;-) ).

Le chapitre 25 révèle également une part de l'âme de Heath que je ne connaissais pas (oui, je suis un peu chelou).

Bref : bonne lecture !

Sea

*

- Du sang de chat ?! Mais Colibri, pardonnez-moi, mais vous êtes fatiguée, il faut vous repo...

- Je sais ce que je dis.

- Mais  on voit distinctement ce pauvre type plonger dans les mâchoires de la  broyeuse. Et croyez-moi, il y avait encore ses vêtements déchirés  accrochés aux pales du...

- L'analyse ADN vous prouvera qu'il n'y a  pas une once de sang d'homme sur cette scène. Mais si vous voulez n'en  faire qu'à votre tête, moi, je m'en fiche. Je vais donner ma démission –  puisque ni Heath ni Jayvart ne veulent l'envoyer, je le ferai moi-même  –, vous finirez par déclarer un non-lieu parce que l'ambassade ou un  autre gros ponte prendra la défense de Tahir, et tout le monde sera  content. Voilà.

- C'est bon, ne vous fâchez pas, je voulais seulement...

- Vous restez manger ?

- Sophie, je vous en supplie, ne m'en veuillez pas : mais un chat, vraiment ?

- Vous restez manger, capitaine ?

Aleksey posa les mains sur les hanches, dubitatif. Il observa attentivement sa collègue avant de secouer la tête :

- Franchement,  le labo me prendra pour un taré. Vous me devrez un restau si on trouve  du Dupré et pas du Whiskas dans cette bouillie.

- Et vous me devrez des excuses en bonne et due forme, dans le cas contraire, exigea Colibri, un sourire aux lèvres.

Elle  regardait le capitaine troublé s'éloigner un peu dans l'entrée, le  téléphone calé contre l'oreille. Ses yeux pétillaient. Ludmila fit une  pile avec trois assiettes et les couverts et la précéda dans le salon.

- Si vous voulez un bon conseil, attendez avant de donner votre démission, fit sans ambages Romanov en dressant la table.

- Si vous aussi, vous vous y mettez... grogna Sophie. Qu'est-ce que vous préparez en entrée ?

- Salade  de poulet thaïe. Et ne changez pas de sujet. Vous respirez mieux  lorsque vous travaillez sur un cas. Vous perdez toutes vos couleurs,  mais vous vous sentez objectivement mieux.

- Je ne savais pas que vous étiez mariée, au passage.

- Vous  changez à nouveau de sujet, preuve que j'ai raison ! triompha Ludmila  en agitant dans les airs une fourchette. Et je ne le suis pas.  D'ailleurs, votre ami Radu Basarab me croit lesbienne. Si vous pouviez  le garder dans cette certitude...

- Mais... pourquoi ? sourit Sophie, qui sentait au fond d'elle qu'elle connaissait déjà la réponse.

- Parce  que je n'ai pas de temps à perdre avec les hommes. Sophie, je sais très  bien ce qu'ils pensent en me voyant. Mais dès qu'ils apprennent  réellement qui je suis, ils partent en courant, la queue entre les  jambes. Et ce n'est pas une expression.

Ludmila avait dit cela  avec tout le sérieux du monde, mais Colibri ne put s'empêcher de  pouffer. Le capitaine revint sur ces entrefaites.

- Les gars du labo m'ont pris pour un dingue quand je leur ai demandé de faire une PCR adaptée à la recherche d'espèce. On va au Fouquet's si ils trouvent de l'humain et pas du félin... soupira-t-il. Oh, une assiette pour moi ? C'est gentil !

- L'idée n'est pas de moi, rétorqua Ludmila, à qui Mickaël s'était adressé des étoiles plein les yeux.

- Je ne vous savais pas calé en bio, capitaine, sourit Sophie, détournant le sujet afin d'épargner le jeune homme.

- Oh  si, j'ai fait un an de prépa bio avant de tout laisser tomber pour  tenter le concours d'officier. Et boum, du premier coup. Laissez, je  vais le faire.

Serviable, Aleksey se leva pour devancer Ludmila.  Colibri ne put s'empêcher de rire encore lorsqu'elle entendit la voix de  plus en plus courroucée de la jeune femme et celle de Mickaël, qui ne  réalisait pas à quel point son comportement importunait Ludmila.

Elle  redevint un instant sérieuse, serrant dans la paume de sa main la  mystérieuse clef qu'on lui avait envoyée. Sans aucun doute, c'était  Abaddon Tahir qui la lui avait laissée. Il était assez malin pour  deviner que la médecin-légiste n'eût pas résisté à la tentation d'en  examiner le contenu. Et ce qui surprenait le plus Sophie était le fait  qu'il n'eût rien tenté de tel sans savoir qu'elle pouvait discerner  l'illusion de la réalité.

Elle-même l'ignorait avant que de voir  la vidéo. Et pourtant, elle avait assisté à l'étrange transformation :  l'homme – ou peu importait son espèce – se métamorphosait en un grand  félin avant de se faire broyer dans les pales de la destructrice  machine. En fronçant les sourcils, Colibri fit une rapide liste mentale :

Petit 1 : Abaddon Tahir avait connaissance de l'Ombre et savait que Dupré appartenait à la dite-Ombre.

Petit 2 : Abaddon Tahir savait qu'elle avait également connaissance de l'Ombre, ce qui était bien surprenant, car elle n'en avait parlé qu'à Heath.

Petit  3 : l'Ombre – ou l'un de ses membres – voulait faire ployer Tahir  devant la justice française, pour Dieu savait quelle raison.

Petit  4 : en plus de savoir détecter le mensonge chez un vampire, Sophie  avait la capacité – refusée à ses congénères humains, puisque Mickaël  Aleksey n'avait apparemment pas vu cette éphémère et surprenante  transformation de Jérémy Dupré – de détecter les métamorphoses  enregistrées par vidéo-surveillance.

Petit 5 : il était hors de question de raconter la vérité à ce pauvre Aleksey.

Petit 6 : Bad était un chat membre de l'Ombre.

Petit 6 bis : Sophie Colibri allait devenir cinglée, si ce n'était pas déjà le cas.

- ... et si j'ai un jour besoin d'aide, je vous le ferai savoir, merci ! Sophie, vous avez l'air songeuse.

- Hmm. Oui, oui : je pensais à l'affaire Tahir.

- Ah ?

- C'est  Tahir, à coup sûr, qui a mis cette enveloppe dans ma boite aux lettres.  Pourtant, il ne m'a pas parlé de ce truquage. Il aurait pu tout  simplement me dire qu'un gros chat avait été jeté dans la broyeuse.

- Sophie, il n'y a pas de chat sur cette vidéo, la morigéna Aleksey. Je vous sers, madame ?

- Non, merci, je vais le faire.

Le  soir, juste après le départ de Ludmila, Sophie se demanda si le chat  Bad allait revenir. Si oui, qu'en faire ? S'agissait-il de Jérémy Dupré ?  D'une toute autre créature ? Ou d'un bête chat ? Pourquoi était-il  resté près d'elle toute la nuit ?

- Je vais aller acheter des croquettes, fut la conclusion à laquelle aboutit notre jeune médecin-légiste.

Une  petite voix sage lui conseilla de frapper à la porte de l'étudiante  vétérinaire, sur son pallier, qui devait certainement avoir de la  nourriture pour chats, mais quelque chose poussa Colibri à sortir. En  engageant son fauteuil dans l'ascenseur, une boule d'angoisse au ventre,  la jeune femme réalisa qu'elle ne supporterait pas le regard désolé et  apitoyé de l'étudiante. Non, elle préférait encore braver la bruine  d'Île-de-France, l'obscurité et le froid d'automne pour aller chercher  un sachet de croquettes.

- En plus, se gronda-t-elle à voix haute en passant le portillon, si ça se trouve Bad ne reviendra pas.

Elle se trompait.

Saïd,  le gérant algérien, accueillit Sophie à bras ouverts, parlant de la  pluie et du beau temps, et n'oubliant pas de glisser un sachet de  chewing-gums rose bonbon dans le sac de la jeune femme.

- Vous avez toujours mon mail ? s'enquit-il en la voyant sortir. N'hésitez pas, surtout !

- Oui, monsieur, merci, sourit Colibri, à la fois gênée et touchée de la prévenance presque envahissante de l'homme.

Elle  s'engagea dans la rue à présent déserte et sombre, s'éloignant de  l'éclairage rassurant de la petite supérette. Un sixième sens, que  d'aucuns appellent intuition, fit dresser ses cheveux sur la tête de la  jeune femme. Si elle avait eu ses jambes, songea-t-elle avec dépit, elle  eût pressé le pas. Elle ignorait ce qui réveillait cette terreur  sourde, mais quelque chose clochait. Son fauteuil passa dans un  bourdonnement léger devant un renfoncement qui débouchait sur des  garages et elle comprit ce qui l'avait dérangée : une odeur vague et  diffuse de cigarette. Quatre jeunes hommes attendaient, adossés à l'une  des portes coulissantes en métal gris du garage. Sophie se gifla  intérieurement : si Jayvart entendait parler de cette escapade tardive,  il l'attacherait pour le restant de ses jours dans son appartement.  Colibri crut jusqu'au bout que les quatre jeunes la laisseraient passer  sans encombres, malgré ce titillement d'effroi qui courait dans son dos,  mais une voix traînante et déjà enrouée par les fumées de tabac  s'éleva, plus méchante que moqueuse :

- Eh ! C'est le professeur Xavier !

Un  rire de hyène monta du petit groupe et Sophie dut serrer les dents pour  ne pas s'arrêter. Elle était rouge de honte et de colère.

- T'arrives à lire dans les pensées ? Professeur Xavier ? répéta Voix Cassée, encouragée par les rires de ses comparses.

« Ne t'arrête pas », songea Sophie. « Ne leur donne aucune excuse... »

- Je te parle ! Hé !

Cette  fois, la voix s'était faite plus agressive. Colibri fouilla dans la  poche de son manteau pour en tirer son portable, mais une main lui  saisit le poignet, tandis que quatre ombres l'encadraient rapidement.

- Lâche-moi ! fusa la jeune femme qui sentait qu'on lui arrachait son téléphone.

- Ouais, un iPhone 6. Trop la classe.

L'iPhone disparut aussi sec dans les poches de Voix Cassée.

- Eh, on lui prend son fauteuil ? suggéra une voix nasillarde. Genre, on va jouer avec, mec !

- Ah ouais, cool. Ça te dit tu te casses de ton fauteuil deux minutes ?

Sophie  réalisa soudain qu'elle ne pouvait plus parler. Elle avait trop peur.  De vagues souvenirs du visage grinçant et ravi de Zalmoxis passèrent  sous ses yeux. La douleur – fantôme ou non, elle était incapable de le  discerner – s'empara de ses jambes.

- Vas-y, regarde ses yeux ! Comment elle se sent mal ! ricana grassement l'un des agresseurs.

- Tu crois qu'elle regarde où sont les autres X-Men ?

- Tire-la du truc roulant ! De toutes les façons elle va pas te courir après !

Mais au lieu d'un rire, ce fut un hurlement de douleur qui répondit à cette suggestion.

- Qu'est-ce que c'est ?! Qu'est-ce que c'est ?!

Sophie  avait le regard brouillé, mais les ombres s'égaillèrent rapidement dans  la rue, s'éloignant d'elle aussi rapidement qu'elles l'avaient cernée.  Voix Cassée était sur le ventre, s'égosillant de terreur et de douleur.  Et derrière lui, une bête énorme avait planté ses crocs dans son mollet,  le traînant sans pitié sur le bitume.

- Au secours ! Au secours !

L'animal,  que Sophie identifiait désormais comme le croisement entre un énorme  loup et un malamute d'Alaska, était plus noir que la nuit, et ses crocs blancs  tranchaient sur ses babines retroussées. La bête mordit plusieurs fois  le jeune qu'elle avait mis à terre aux jambes, avant de prendre l'un des  genoux dans l'étau de ses mâchoires. Colibri ne put s'empêcher de  fermer les yeux en percevant l'atroce craquement lorsque l'animal  referma les dents.

- Putain ! C'est quoi ce truc ?! hurla l'un des jeunes hommes.

Tandis  que Voix Cassée se tordait de douleur sur la route, l'un des jeunes  tira de sa poche un smartphone afin d'immortaliser la scène – qui lui  vaudrait à coup sûr plusieurs millions de vues sur YouTube ! Mal lui en  prit : la créature, dans un féroce grognement, se ramassa sur elle-même  et se jeta droit au visage du délinquant. Comme si la bête avait  compris, elle tourna sa gueule ensanglantée vers la main qui tenait le  portable et, d'un coup de dent, trancha à moitié le poignet. Le  hurlement de douleur mourut rapidement dans la gorge du jeune, qui  s'était évanoui sous le choc. Tandis que l'un des deux adversaires  restant escaladait maladroitement une clôture, le second tambourinait à  la porte d'une maison afin qu'on lui ouvrît. Le vacarme qu'il faisait  attira l'énorme créature, qui abattit ses mortelles mâchoires sur les  côtes du jeune homme. Sophie, tremblant de tous ses membres, oubliant  jusqu'à la douleur réveillée dans ses jambes, détourna le regard et  actionna le fauteuil, morte de terreur. Elle avait eu le temps de voir  les canines énormes du monstre pénétrer comme dans du beurre dans le  thorax du malheureux délinquant. Mais elle constata que la bête se  désintéressait d'elle lorsqu'elle la vit bondir sans effort par-dessus  la clôture que le dernier jeune avait escaladé avec tant de peine. Des  suppliques désespérées, des prières et des appels au secours retentirent  dans le pavillon, puis ce fut le silence. Colibri, en nage, avançait  dans la rue comme dans un cauchemar, priant à son tour pour qu'une bonne  âme apparût.

Des larmes coulaient encore sur ses joues  lorsqu'elle arriva devant le portillon. L'un de ses voisins, président  de l'association des locataires – dont Colibri ignorait le nom et  qu'elle surnommait avec Heath « Humex » – haussa les sourcils  en la voyant arriver. Sans lui demander la moindre information sur  l'étrange état dans laquelle il la voyait pour la première fois, il  renifla fort bruyamment et retroussa les lèvres :

- Euh... Les chiens sont interdits dans l'immeuble par règlement de la copropriété.

- Les ch... ?

Sophie  bondit littéralement dans son fauteuil. Depuis combien de temps  était-il là ? Sans doute l'avait-il suivie sur tout le chemin, sans  qu'elle s'en rendît compte. Toujours est-il que le monstre qui lui avait  sauvé bien des souffrances se tenait, parfaitement silencieux, à sa  gauche. Son encolure dépassait largement le dossier du fauteuil, et la  tête de Colibri se trouvait donc au niveau du poitrail de l'animal, ce  qui n'avait rien pour la rassurer.

- Attendez, c'est du sniiiirf sang ?! s'exclama Humex en pointant du doigt les babines de l'animal.

Ce  dernier tourna complaisamment sa grosse tête noire vers Sophie, qui ne  put s'empêcher de s'enfoncer dans son fauteuil. L'animal n'était pas un  chien, c'était un fauve, à n'en pas douter. Et des gouttes vermillon  coulaient entre ses poils, s'écrasant sur le trottoir en des cercles  sombres. Un frisson glacé glissa contre la colonne vertébrale de la  jeune femme lorsqu'elle reconnut les yeux jaunes de l'animal.

C'était Bad.

*

A suivre...

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