22 - The Gremlin rags
Hello tout le monde !
Je suis contente de vous retrouver pour ce chapitre, que j'ai fini d'écrire hier, tard.
Merci pour vos reviews et votes, j'adore recevoir les petites notifications mails sur mon portable ! :-D
Je suis désolée pour l'irrégularité des posts, j'écris... dès que je le peux ! Le chapitre 23 avance un peu, ainsi que le reste du scénario (même si ça demande beaucoup de documentation, mine de rien !).
N'hésitez pas à signaler des incohérences : j'ai bien pris en compte le fait qu'il me faudra davantage expliciter (dès les premiers chapitres) la relation de grande amitié qui lit Sophie à Heath, mais si vous voyez autre chose... dites-moi ! ;-)
Sur ce : bonne lecture et bon we !
Sea.
*
- Et c'est quoi, cette histoire de chat, encore ?! Ce...
Une grande silhouette noire apparut aussitôt, bondissant dans la chambre de la médecin-légiste, la faisant sursauter. Le mouvement de surprise arracha un cri de douleur à Colibri, mais elle reporta rapidement son attention sur l'animal qui avait pénétré son appartement.
- C'est le ballet des importuns ! s'exclama-t-elle. Qu'est-ce que tu fais encore là, toi ?
L'animal s'assit sur le sol, au pied du lit, et cligna des yeux deux ou trois fois. Il se ramassa sur lui-même et bondit sur le matelas. Effrayée, Sophie tendit la main pour le retenir :
- Attention ! Mes jam...
Le chat leva les yeux au ciel, littéralement, et en un mouvement de rein souple et silencieux, il sauta au-dessus des jambes étendues de la jeune femme, pour ensuite s'approcher de sa tête. Méfiante, car l'animal était anormalement grand pour un chat, Sophie grogna :
- Dis-donc, toi... Tu ne vas pas me mordre, ou me...
Le grand chat noir s'étira et se coucha contre Colibri. Cette dernière, intriguée, voulut poser sa main sur le cou du félin, tentant de palper un quelconque collier à travers l'épais pelage de jais, mais, électrisé, l'animal montra les dents et grogna.
- C'est bon, c'est bon. J'ai compris, râla Sophie. Entre toi et ce gros débile de Tahir, je suis servie ! Tu ferais mieux de partir, je n'ai rien pour toi ! Regarde, tu ne vois rien de changé ? Je ne peux plus bouger, moi ! Je...
Toute la cruauté de Tahir lui revint de plein fouet dans le visage. Et cette fois, elle n'avait plus besoin de garder la moindre contenance. Un sanglot violent lui coupa la parole et la respiration et de grosses larmes roulèrent sur ses joues.
- Oh, merde... murmura-t-elle. Je n'en peux plus.
Elle réalisa qu'elle n'avait pas de mouchoir.
- Et évidemment, j'ai laissé les kleenex sur le bureau...
Elle renifla bruyamment. Le chat lui lança un regard dégoûté et se remit debout.
L'animal fit alors une chose impensable. Une chose que Colibri n'avait jamais vu faire auparavant. Leste, il fut en un saut sur le bureau. Il planta ses longs crocs aiguisés dans le paquet de mouchoirs en papier et rejoignit Sophie aussi sec. Cette dernière était si stupéfaite qu'elle en oublia de pleurer :
- Mais... Mais...
Le chat plissa les yeux et déposa le paquet plastifié sur le ventre de la médecin-légiste, avant de soupirer. Saisie d'un soupçon, la jeune femme s'empara de son téléphone cellulaire, tout en s'essuyant les yeux et le nez à l'aide d'un mouchoir.
- Sophie ?
- Heath ? Ah...
- Vous avez l'air déçue.
Le ton de Radu Draculea, au bout du fil, fit comprendre à la jeune femme qu'il souriait. Elle mit le haut parleur et posa le téléphone sur les couvertures, laissant ses bras reposer sur le matelas.
- Tu es où ?
- Je viens d'arriver à l'aéroport.
- Déjà ?!
- Oui, entre nous, il n'y a que votre esprit que je ne peux pas tordre. Je ne me gène pas pour vos semblables.
- Sympa.
- Plus vite je fais ce que j'ai à faire ici, plus vite je vous reviens, Colibri. Au fait, comment avez-vous trouvé cette jeune dame ?
- Ludmila Romanov ? Tu aurais pu me demander...
- J'ai laissé Jayvart choisir, même si j'étais d'accord sur le principe. Elle ne vous a pas paru trop cruche ?
- Cruche ? Non, pas du tout ! se récria Sophie en fronçant les sourcils. J'étais à deux doigts de la virer et elle a été capable de se faire accepter. Non, vraiment, c'est une perle !
- Ah. Bon, fit Radu d'un ton dubitatif.
Un message d'information, précédé d'une cloche, retentit.
- Mais c'est de l'italien ! se récria Sophie. Tu m'as menti, tu ne vas pas à Snagov !
- Le roumain est une langue latine, Sophie. Je puis vous assurer sur votre âme que je me trouve bel et bien en Roumanie. Le peuple y est tout aussi austère que moi.
- Hmm. Bon, je ne t'appelais pas pour ça : j'ai des choses à te dire.
- Je vous écoute – un instant, cependant...
Colibri entendit son ami commander un taxi. Elle reconnut quelques bribes et entendit la portière claquer.
- Tu lui as tordu l'esprit, à ton chauffeur ? demanda-t-elle.
- Mais non, voyons, Colibri ! Pour qui me...
- Ah, même à des centaines de kilomètres de distance, je sais quand tu mens ! triompha la jeune femme.
- Excellent... grommela le vampire. À cette heure, personne n'accepterait de m'emmener au mausolée, quoi qu'il advînt. Je le paierai, je vous le promets. Qu'aviez-vous de si important à me communiquer ?
- Déjà, j'ai reçu la visite d'un cambrioleur...
- Comment ?
- ... mais il est reparti sans rien emporter. C'était Abaddon Tahir.
- Ah, oui... Grands dieux, Colibri, ne me faites plus de telle frayeur ! Avez-vous signalé sa présence à Jayvart, ou au capitaine Aleksey ?
- Non, je n'ai pas de temps à perdre avec ce petit ver de terre.
- Vous devriez, il a été assigné à résidence depuis le meurtre de l'un de ses employés. Je me doute qu'il n'obéira pas et qu'il s'en sortira impunément, mais d'après ce que le capitaine Aleksey a laissé entendre lors de l'une de nos conversations...
- Une petite minute : toi et Mickaël Aleksey avez été en contact.
- Eh bien, oui. Nous ferons tout pour que vous repreniez votre poste, Sophie, je ne peux rien vous cacher.
- Heath... soupira la jeune femme.
Elle leva machinalement la main pour caresser la tête du chat, mais celui-ci laissa entendre un grondement féroce.
- Qu'était-ce, Colibri ? Votre ventre ? Rassurez-moi, vous avez mangé quelque chose, aujourd'hui ?
- Oui, Ludmila est un maître-queux de première catégorie !
- Ravi de l'entendre. Et avant que vous ne disiez quoi que ce soit : je sais que je mens.
Sophie rit doucement.
- Tahir me demandait aussi de reprendre mon poste.
- Nous nous accorderons sur ce point, lui et moi...
- Il dit qu'il est innocent, que je peux le prouver, que mon confrère est un incapable.
- En ce qui concerne votre confrère, Tahir s'accorde cette fois avec Aleksey.
- Il m'a dit des horreurs, Heath.
- Je me chargerai de vous venger, Colibri, promis Draculea avec un grave sérieux. Je ne puis le vider de son sang, car je me figerai bien avant, mais je puis aller chercher dans l'Ombre quelque moroï pour le tourmenter.
- Un moroï ?
- Euh... oui. Il existe deux types de vampires... un instant...
Sophie entendit Radu s'adresser en roumain au chauffeur, puis reprendre la conversation sur un ton un peu trop désinvolte.
- Je parle, je parle, j'en oublie de bercer ce brave homme.
- Tu ne vas pas le manger, à la fin ?
- Mais non, Colibri ! se récria le vampire. Pour qui me prenez-vous donc ! Et je vous ai déjà dit...
- Oui, oui. Mais raconte-moi, pour le moroï, ça avait l'air intéressant.
- Ah, oui. Un moroï est un vampire de seconde classe.
- Et toi, j'imagine que tu es de la première classe ?
- En effet. Je suis un strigoï. Les moroïs sont bien plus... humains.
- Et ça semble une insulte, dans ta bouche, à cet instant précis.
- Hum.
- Je dois le prendre comment ?
- Quitte à être franc jusqu'au bout, il y a bien une raison qui explique que je ne fus pas proche de beaucoup de vos congénères. Vous êtes particulière. Mais je n'aime pas les hommes.
- Et cette histoire, il y a cinq cent ans, avec le sultan, tu ne veux toujours pas m'en reparl...
- Non, Colibri. Pour la dernière fois : non.
La jeune femme pouffa. Elle avait remarqué que Heath ne supportait pas que l'on parlât de sa potentielle relation amoureuse avec le sultan Mehmet II.
- Je vous préviens que je raccroche sans vergogne, Sophie, vous entendez ?
- Bon, bon... je ne dis plus rien. Donc, fais-moi rêver, tu vas envoyer un mogwaï à Tahir ?
- Un moroï, pas un mogwaï, corrigea Draculea avec un soupir. Oui, il le videra de son sang après avoir hanté ses nuits.
- Parfait. Mais tu n'as pas quelque chose de plus... je ne sais pas... de plus horrible ?
- Une qarinah, pourquoi pas ?
- Une quoi ?
- Une succube, si vous préférez. Le pendant féminin de l'incube.
- Oh, oui, parfait. Tu peux lui envoyer les deux ? Succube plus mogwaï ?
- Moroï.
- Ouais, moroï. Tu peux ?
Radu sourit malgré lui sous le ton suppliant de la jeune femme.
- Je mettrai des jours et des jours à endiguer leur pouvoir... Ce serait faire prendre des risques inutiles à l'entourage déjà malheureux de ce Tahir. Et les qarinah sont connues pour se transformer facilement en chat ou en chien... je ne pourrais plus rien faire contre elle, dans ce cas !
- Euh, Heath...
- Oui ?
Sophie avait posé le regard sur le chat noir, qui avait le poil tout hérissé et dont les yeux dorés luisaient d'une colère tout animale.
- Heath, j'ai un chat inconnu à côté de moi. C'était la deuxième chose dont je voulais te parler...
- Un chat noir ? Oui, je l'ai vu, c'est le vôtre ?
- Non. Non, il n'est pas à moi. Il était là, la première fois que Zalmoxis est venu à l'appartement. Heath, j'ai la trouille, pitié, dis-moi que ce n'est pas une raniqa.
- Qarinah. Et j'en doute, les qarinah sont attirées par les hommes, pouffa Radu. Et jusqu'à preuve du contraire, vous n'avez rien d'un homme.
- Non, mais il est bizarre, ce chat, Heath. Déjà, il m'a apporté un paquet de...
- Atentie ! hurla soudain Draculea.
- Heath ? Heath ? Heath, qu'est-ce qui...
Mais le cri avait immédiatement été suivi d'un crissement de freins, d'un bris de verre et de la coupure du téléphone du vampire.
- Heath ? Bon sang, Heath !
Sophie tenta de contacter son ami une trentaine de fois et bascula systématiquement sur répondeur. Le chat, plus tranquille, s'était roulé en boule et agitait nonchalamment la queue, comme s'il écoutait une symphonie de Mozart.
- Tu crois qu'il a eu un accident ? Le chat ? Tu crois ? Oh, non, c'est pas vrai... Mais si c'est un vampire, il est immortel, hein ? Oui ? Hein ?
Le chat soupira en guise de réponse.
- Ça m'avance bien, ça ! grogna Colibri. Et tu n'es pas une créature de l'Ombre, toi, n'est-ce pas ? Attends un peu...
La jeune femme saisit sa tablette et l'alluma. Elle tapa au hasard « chat légende » dans la barre de recherche Google.
- Ah. La première occurrence est... Chat-vampire de Nabeshima. Super.
Elle cliqua sur le lien et pâlit petit à petit à la lecture des lignes :
- Légende japonaise mettant en scène un chat qui absorbe le sang d'une victime féminine et usurpe ensuite son identité pour séduire l'homme amoureux de la jeune fille. Cette légende s'inscrit... Non, mais toi, tu es un bon gros chat bien gentil, hein ?!
Le félin bailla ostensiblement, affichant deux rangées de dents acérées. Sophie gémit :
- Non, mais regarde ma vie de merde : je suis paralysée, j'ai mal, et je n'ai même pas d'homme amoureux de moi, Tahir n'a pas manqué de me le signaler. Donc si tu es le chat-vampire de Nabeshima, trouve-toi quelqu'un d'autre, d'accord ? Hein ?
L'animal se leva, frotta sa tête contre l'épaule de Colibri et lui lécha le cou. La jeune femme n'osait plus faire un geste.
- Tu es un chat. Un chat tout ce qu'il y a de plus banal. Si tu pouvais ne plus me lécher le cou ce serait idéal. Un chat banal. Un chat banal. Un chat... Oh-pu-rée...
Les yeux grands ouverts de Sophie venaient de parcourir l'effroyable légende d'O Toyo, le chat ayant tué et pris l'apparence d'une femme qui venait chaque nuit boire le sang de son amant.
- Allez, arrête de me lécher le cou, maintenant, ça suffit. Oh ! Merde, à la fin ! s'exclama Colibri en repoussant l'animal.
Et elle eût juré que ce dernier lui avait adressé un sourire narquois, en se recouchant.
- Bon, assez d'histoires d'horreur pour ce soir. Je vais aller manger. Tu restes là ? Chat ? Euh... Je vais te donner un nom... Félix ?
Le félin se hérissa, doublant de volume. Sophie éclata de rire – ce qui lui fit mal – et commença la pénible progression vers son fauteuil.
- Non, d'accord, pas Félix.
Elle pianota sur son téléphone à mi-parcours, tentant à nouveau de joindre Radu Draculea, mais bascula automatiquement sur la messagerie.
- Ça m'inquiète, le chat. Heath ne répond pas. Il lui est arrivé un accident, j'en suis sûre. Et quant à toi, je suis sûre et certaine que tu n'es pas qu'un chat. Oh...
Une fois assise dans son fauteuil roulant, où elle avait pris place grâce à une barre horizontale qu'elle pouvait lever et baisser à loisir au-dessus de son lit, elle utilisa une canne recourbée pour placer ses pieds sur les repose-pieds et bloqua ses jambes grâce à deux petites ceintures.
- Tu restes dormir, paresseux ? Non, tu viens... Tu dois avoir faim. J'imagine que tu ne me veux pas de mal, après tout...
Sophie songea que cet animal l'avait tout de même sauvée deux fois : la première face au camé qui l'avait agressée devant le portillon et la seconde lorsque Zalmoxis avait fini par l'acculer dans sa cuisine. Et maintenant, l'animal la précédait, ondulant la queue, hors de la chambre.
- Chat, tu es une créature de l'Ombre ? Je sais que tu me comprends, ajouta Colibri en priant pour que personne ne l'entendît.
Elle fit un détour par le salon et saisit la télécommande posée sur la table basse pour allumer la chaîne Hi-Fi. La compilation vieille de près de vingt ans repartit aussitôt. C'était la même que celle qu'écoutait Sophie lorsque Zalmoxis avait coupé le courant. La fin de Final Countdown retentit et le CD tourna un peu avant de lancer le morceau suivant. Colibri entrait dans la cuisine lorsque l'un des enchaînements les plus connus au monde se fit entendre. Quatre notes et il prit déjà à Colibri l'envie de danser.
- Oh, yeah ! Bad ! Je devais avoir, quoi, trois ans, quand c'est sorti ? Si tu voyais la vidéo cassette où je danse dessus, tu...
La jeune femme, envahie d'une violente mélancolie, se mordit les lèvres. Non, elle ne pourrait plus danser. À chaque geste, chaque pensée, chaque seconde vers son ancienne vie, elle réalisait tout ce qui avait en fait changé.
- Tu aimes bien Mickaël Jackson ? demanda-t-elle au chat d'une voix aiguë. J'a... j'adore...
Elle programma et lança le four à micro-ondes à l'aide d'une commande à distance – et bénit intérieurement Jayvart pour sa prévenance, car l'accès aux commandes sur le dit-four étaient un peu trop hautes vis-à-vis du fauteuil et eussent demandé un effort douloureux à Sophie – après y avoir glissé une assiette de sauté de poulet aux pommes de terres. Elle piocha dans le plateau de brocolis quelques boules vertes qui n'avaient rien perdu de leur croquant et faillit s'étouffer car un sanglot était monté dans sa gorge sans prévenir.
- Oh, zut, je suis pathétique, hein ? fit-elle à l'adresse du chat, tandis que Mickaël Jackson déclarait à qui voulait l'entendre combien il était méchant.
L'animal s'assit sur la petite table, dans la cuisine, plissa les paupières et hocha la tête.
- Tu n'es qu'un sale petit... Tiens, mange un brocolis, ça t'apprendra.
Le félin, à la grande surprise de Sophie, s'avança et mordit dans le légume qu'elle lui tendait au bout de sa fourchette.
- Ah mais, je disais ça pour rire, moi, fit-elle, interloquée. Ce n'est pas très hygiénique, ajouta-t-elle plus pour elle-même. Tu aimes les brocolis, donc. Hmm... Original.
Ding ! Le four signala qu'il avait fini son travail. Colibri tendit le bras, car le four se trouvait sur la petite table, posé en hauteur, et se saisit de l'assiette fumante.
- On va se régaler. Tu aimes le poulet ? Hé ! Hé ! Non ! Pas touche ! Vilain !
Sophie, outrée, avait dû asséner une tape sur le museau du greffier : ce dernier, mal élevé, s'était rué sur le poulet sans attendre. Le chat recula vivement, secoua la tête, foudroya Colibri du regard et lança la patte en avant, la frappant au visage.
- Oh ! Sale monstre !
Effrayée, la jeune femme palpa sa joue, mais il y avait eu plus de peur que de mal : le félin avait eu la courtoisie de faire patte de velours. La vitesse de l'attaque avait cependant surpris la médecin-légiste.
- Tu ne manges pas dans la même assiette que moi, Bad ! Tiens, Bad, ça te va bien. En plus, tu es presque aussi malotru que cet infâme Abaddon Tahir. Bad, donc, ça ira ?
Et le chat acquiesça doucement.
- Je vais devenir folle... murmura Sophie en posant quelques morceaux de poulet sur un mouchoir propre, devant l'animal.
Son portable, qu'elle avait glissé dans une pochette de son fauteuil, vibra soudain.
- Oh ! Attendez, attendez ! s'exclama Colibri, saisie.
Elle se pencha un peu et s'empara du précieux appareil. C'était Radu.
- Heath ?
- Sophie, nous avons été coupés.
- Oui, tout va bien ?
- Moi, oui. Petite cataplexie, à cause du choc, mais tout va bien. Nous avons percuté un gros sanglier et le chauffeur a perdu le contrôle du véhicule. J'avais un peu trop intensifié la torsion d'esprit, à mon humble avis.
- Comment va-t-il ?
- Le sanglier ? Pauvre bête, il est mort sur le coup.
- Non, pas le sanglier, Heath ! Je n'en ai rien à carrer, de ton sanglier ! Le chauffeur, enfin !
- Le chauffeur également.
- Pardon ?
- Le chauffeur est mort, répondit Draculea avec flegme. Il n'avait pas attaché sa ceinture. Mais ne vous inquiétez pas pour moi, la marche ne m'effraie pas et je vois parfaitement bien dans le noir.
- Mais Heath... mais... mais c'est affreux !
- Au contraire, cela me permet de me déplacer sans me faire repé...
- Mais non, crétin ! Le chauffeur est mort, et ça ne te...
- Oh, si, j'en ai le cœur pétri de chagrin. Je fus si ébranlé par la vue de son corps froid que j'en perdrai certainement le sommeil pour quelques mois !
Sophie se mordit les lèvres. Cette impression – intime conviction – qu'elle ressentait désormais lorsque son ami lui mentait l'oppressa. C'était comme une main qui se posait sur sa nuque, la main d'un ami qui prévenait : « Attention, il n'est pas digne de confiance en cet instant ! »
- Heath, je...
- Satisfaite ? C'est ce que vous souhaitiez entendre ?
- Oui. C'est ce que je voulais entendre, avoua Colibri.
- Les hommes meurent, Sophie. Cela fait des siècles que j'assiste à leurs petites et courtes vies. À présent que je ne puis plus vous dissimuler quoi que ce soit, je vous en conjure, ne me portez pas aux nues. Vous êtes une exception.
- Tu te souviens, le soir où on s'est rencontrés ?
- Vous êtes venue me demander des œufs et vous aviez à la main une pièce à conviction sur laquelle vous vouliez tenter une expérience illégale.
- Voilà. Ce soir-là, pourquoi est-ce que tu ne m'as pas traitée comme les autres humains ?
Il y eut un silence. Le pas du vampire, qui avançait dans une forêt obscure, faisait craquer les branches mortes dans le sous-bois.
- Heath ?
- Je n'ai plus de piles, Colibri.
- Ce sont des batteries...
- Eh bien je n'en ai plus. Et tant pis si vous savez que je mens. Je vous recontacte dès que possible. Le chat est toujours là ?
- Oui, il... AH NON !
- Est-il là ou n'est-il pas là ? Ce n'est tout de même pas le chat de Schrödinger ! sourit Radu.
Un feulement furieux lui parvint, suivi d'un hurlement et d'un bris de verre.
- Colibri ?
Le téléphone du vampire émit un son qui signifia au grand Roumain que la communication avait été coupée. Intrigué, il regarda l'écran : bien sûr, il lui restait encore beaucoup d'énergie, et le réseau était étonnamment bon. Il allait tenter de rappeler la jeune femme, une inquiétude quasi-maladive s'emparant de lui, mais l'application Whatsapp lui signala d'un petit sifflet qu'il avait reçu une photo. Il l'ouvrit et découvrit un cliché, pris sans doute quelques secondes plus tôt : un grand chat noir était sur le carrelage de la cuisine de Sophie, trônant majestueusement dans les débris d'une assiette renversée et mangeant tranquillement ce qu'il avait épargné de poulet lorsque la jeune femme avait échangé quelques mots avec son ami.
« Voilà Bad. Il a profité de notre conv pour bouffer tout le poulet. Il a autant de considération pour moi que tu en as pour la race humaine. Je suis servie. »
« Je vois... » fut la lapidaire réponse de Draculea avant qu'il ne rangeât le smartphone dans la poche de son manteau.
- Bonne nuit, Sophie, murmura-t-il avec un triste sourire.
Il remarqua qu'il avait un peu de sang collé sur le dos de la main et passa sa langue dessus, fermant les yeux avec délices. Ce goût était réellement un luxe qu'il regrettait de ne plus pouvoir s'offrir. Le vampire, sans ralentir sa progression dans le sous-bois, dégaina d'une poche intérieur un petit miroir pliable et y observa ses traits réguliers et – selon les humaines – à se pâmer. Il fronça les sourcils.
- Moi qui faillis envoyer un « selfie » à Colibri pour lui prouver que j'allais bien... se morigéna-t-il. Qu'eût pensé cette pauvre enfant ?
Il humecta son pouce et effaça les traces de sang qui maculaient le pourtour de ses lèvres, avant de se passer la langue sur les dents, pour faire bonne mesure.
- Oh, quelle malédiction que cette maladie, soupira Radu Draculea avec un soupir de regret.
Il referma le miroir de poche dans un claquement sec et s'enfonça dans les ombres inquiétantes de la forêt, disparaissant bientôt complètement.
*
A suivre...
N'hésitez pas à me dire si vous avez aimé (ça fait plaisir ;-) ) ou si vous n'avez pas aimé (ça fait progresser) !
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