17 - Dirty Diana
Hello !
Merci pour vos reviews et vos votes ! J'espère que cette histoire vous plaît toujours ?
J'espère également que les deux derniers chapitres ne vous en ont pas écœurés : je conçois qu'ils sont très perturbants... Je vous rassure, je pense que la suite sera plus détendue (enfin... Tout est relatif ;-) ).
Normalement je posterai un nouveau chapitre demain... preparez-vous à retrouver Abaddon Tahir :-) !
Bon aprèm,
Sea
*
Nous rapatriâmes Colibri en France rapidement. Jayvart avait réussi, Dieu seul sait comment, à contacter un ergonomiste et à lui faire transmettre les plans de l'appartement de Sophie. Cette dernière, lorsqu'elle avait repris conscience, avait tout d'abord refusé de nous voir ou nous parler. Le commissaire en avait eu le cœur brisé et avait failli me donner un second coup de poing. Elle avait ensuite accepté de recevoir Jayvart. Douze heures avant de la transférer à l'aéroport, elle concéda à s'entretenir avec moi. Elle me posa une étrange question :
- Est-ce ma faute, ou est-ce ta faute ?
Elle eût tout aussi bien pu me gifler. Or, la question était sincère, ce que je ne compris pas de prime abord.
- Entièrement la mienne, répondis-je. Je vous abando... ai abandonnée entre ses griffes, puis j'ai été incapable de vous en tirer lorsque l'occasion se fut... s'est présentée.
- Je crois que...
Elle émit un rire étrange. Un ricanement désagréable, qui ne lui appartenait pas.
- Je crois que je suis soulagée, tu sais ?
Je ne sus quoi répondre.
- Est-ce qu'il reviendra ?
- Non.
- Tu as répondu trop vite, Heath. Et j'ai trop mal. Je n'aurai plus la patience suffisante pour tes mensonges.
Elle prononça ce mot précis comme si elle souhaitait qu'il me blessât cruellement.
- Je me chargerai personnellement de régler les comptes de cet être.
- Il m'a dit qu'il était immortel. Un orphique.
- Oh, il...
- Il m'a raconté des choses épouvantables sur toi. Ta maladie t'empêche de devenir un monstre, mais si tu n'étais pas malade, tu en serais un. Si tu n'étais pas malade, tu serais bien pire que lui.
J'avais la gorge sèche. Je savais bien ce que Zalmoxis avait pu lui détailler, en m'attendant. Le pire était bien sûr que je ne pouvais rien nier.
- Je ne pourrai plus exercer, déclara Colibri, changeant de sujet. Qu'est-ce que tu proposes ?
- Vous pourrez parfaitement exercer, Sophie, votre bureau et l'institut...
- Jayvart m'a dit que tu resterais un certain temps en France ?
- Eh bien...
- Je me fiche de tes remords et de ta pitié, tu sais. Comme de ma première chaussette. J'avais seulement besoin que tu sois là. Que tu sois là quand j'en avais besoin.
- Sophie, je suis...
- Je ne veux pas non plus de tes excuses, siffla la jeune femme, le ton soudain coupant et aigre.
Jamais je ne l'avais entendu parler à qui que ce fût sur ce ton. Ou plutôt une unique fois, lors d'une conversation téléphonique il y a quelques années, mais elle ignorait alors que je l'avais écoutée.
- Je ne veux plus jamais te voir ! lança Sophie avec hargne.
Sa colère emplissait la pièce comme un gaz neurotoxique. Et elle brûlait aussi sûrement. Je parvins à croiser son regard, chose que je réalisai ne pas avoir réussi à faire depuis le début de notre conversation. Je hochai la tête et fis demi-tour, résolu à ne plus interférer dans les décisions et la vie de mon amie. Sa voix, cette fois non plus haineuse mais brisée de sanglots, me retint avant que je ne franchis le seuil de la porte :
- Heath... S'il te plaît, attends !
Elle me suppliait. La femme qui, par ma faute, se trouvait dans une condition aussi terrible me suppliait. Je réalisai combien l'amitié de cette humaine m'était précieuse et quelle perte j'avais risqué par bêtise, par orgueil et par lâcheté. Je me retournai vers elle et me jetai à genoux à son chevet, chose qui, en près de six cent ans d'existence, ne m'était jamais arrivée...
Je lui demandai longuement pardon, incapable de lever le visage vers elle, qui pleurait également, la main posée sur ma tête. Jamais de ma vie je n'avais demandé pardon et voilà qu'en une heure, je le réclamai plus de mille fois. Ce fut Jayvart qui nous interrompit pour avertir que le médecin donnait son feu vert pour un vol long courrier vers la France, à la condition qu'une infirmière nous accompagnât. Il demanda à Sophie si elle souhaitait qu'il me plantât un sabre japonais dans l'estomac, chose qu'il déclara tout à fait envisageable. Colibri eut la bonté de m'épargner.
Je vous épargnerai la description du trajet de retour, du temps que Sophie passa dans une clinique de pointe française, ainsi que celle des efforts titanesques déployés par Jayvart pour adapter l'appartement de la jeune femme à son handicap. Il exigea ma participation financière, ce à quoi je me soumis sans hésiter. De mon côté, je délaissa mon studio parisien et décidai de déménager dans un appartement non loin de celui de Colibri. Je réussis à trouver une location dans sa résidence, bien qu'elle ne fût pas située dans le même bâtiment, elle me permettrait de me déplacer en urgence près du médecin-légiste en cas de problème. Avec son humour habituel, Jayvart me trouva un poste de vacataire en parasitologie, dans l'université de la ville voisine. Il me dit que je n'avais qu'à me débrouiller et je pris seulement la peine de tordre l'esprit de mes collègues afin de leur faire oublier ma présence. Le commissaire avait le droit de décider de la direction que ma vie devait prendre en fonction de Sophie, pas de m'engager sur des chemins parallèles contre mon opinion. Et la parasitologie, grands dieux ! Comme si je n'avais pas connu suffisamment de soucis avec des suceurs de sang...
Lorsque je fis mon entrée dans la demeure de la jeune femme pour la première fois, après les premiers travaux de l'ergonomiste engagé par le Jayvart, la première odeur qui me frappa fut celle – bien entendu – de Zalmoxis. Je fus rassuré, cependant, de constater que la piste avait refroidi. Une seconde odeur, en revanche, piqua ma curiosité aussi bien que mon inquiétude car je ne sus mettre un nom dessus. L'odeur m'était familière et pourtant, j'eusse été incapable de la décrire ou l'associer à qui – ou quoi – que ce fût.
Les lieux, découvris-je, avaient été subtilement modifiés afin de faciliter le passage d'un fauteuil roulant. Plusieurs plate-formes mobiles permettaient de franchir des marches – je réalisai alors seulement combien dix petits centimètres pouvaient faire de la vie de Colibri un enfer – et la cuisine, encore en travaux, présentait des améliorations notables en ce qui concernait la hauteur des plans de travail et l'accès mécanisé à certains vaisseliers. Tout ceci avait dû coûter une somme phénoménale et bien que Jayvart eût exigé ce qu'il pensait certainement être une grande partie de mes ressources – et qui ne l'était heureusement pas – je compris que le grognon Français avait certainement avancé bien plus que ce qu'il devait pour faciliter la vie de la jeune femme dans sa propre demeure et lui épargner un déplacement en maison spécialisée.
Je remarquai à nouveau dans la cuisine l'odeur indéchiffrable qui m'avait frappé en entrant. Une sonnerie me tira de mes pensées et j'extirpai le téléphone cellulaire de la poche de ma veste.
- Basarab, vous êtes chez Colibri ?
- Mais je me porte à merveille, commissaire, et vous ?
- Mettez-la en veilleuse, vous y êtes ou non ?
- J'y suis...
Jayvart m'avait expressément demandé de me rendre à dix heures chez Sophie, et j'en ignorais encore la raison. Lorsque le Français avait tenté pour la première fois de m'appeler autrement que Heath, il avait utilisé mon nom turc, Bey. Un nom que j'utilisai de temps à autre, mais qui désormais me paraissait lourd de malédictions. Le nom Basarab était celui d'un ancêtre, bien moins évocateur que celui de Draculesti, celui de mon père.
- Je sors de la clinique à l'instant. Elle m'a donné sa lettre de démission et je viens de la perdre dans une poubelle, me confia le commissaire, essoufflé par une marche rapide.
- Êtes-vous sûr que...
- C'est tout vu : d'ici quelques mois, elle déprimera et regrettera son boulot. Elle veut démissionner sur un coup de tête. J'ai engagé la même boîte pour aménager l'institut, il n'y a pas de raison pour que cette idiote cesse de bosser ! grogna Jayvart. 'ttention, vous ! Police ! aboya-t-il. Bon, j'ai demandé à quelqu'un de venir à l'appartement, elle devrait arriver d'ici... d'ici quelques minutes, si elle est ponctuelle.
Je jetai un coup d'œil à l'horloge murale multicolore, dans la cuisine. Il était près de dix heures et quart.
- Qui est-ce ? m'enquis-je.
- Une assistante à domicile, avec formation d'infirmière, de psy, tout le toutim. C'était la meilleure du marché.
- Vous auriez fait fureur, lors du commerce triangulaire.
- Basarab, j'ai encore quelques baffes en réserve.
- Comment s'appelle-t-elle ?
- Ludmila Romanov.
- C'est une plaisanterie ?
- Vous aussi, vous trouvez qu'il commence à y avoir un peu trop de minorités dans cette foutue histoire ? Un Roumain-Turc, un noir, une blonde, des Russes... Il ne manque plus qu'un Palestinien juif homosexuel, tiens ! Pour Romanov, c'est Aleksey qui me l'a conseillée. Une cousine de cousin, apparemment. Mais dans le genre blond, quoi.
Lady Canahait vous a certainement parlé de lui : le capitaine Mickaël Aleksey est une nouvelle recrue dans l'unité de Jayvart. Ce dernier faillit faire une syncope en découvrant que son nouveau partenaire était non seulement noir de peau, mais aussi franco-russe. Aleksey œuvra beaucoup pour nous lorsque nous nous trouvions à Tôkyô, afin de réaliser de nombreuses démarches. Je ne pus m'entretenir avec lui que par téléphone, mais il me semble foncièrement bon et ouvert. Il a été adopté par un couple blanc et je ne sais toujours pas lequel des deux est Russe. Il me surnomme Heathcliff depuis sa première visite auprès de Colibri, dans cette clinique parisienne. J'espère un jour l'y croiser, car ce jeune homme m'a l'air d'une nature bienveillante rare.
- Vous lui faites faire le tour de l'appartement, Basarab, je compte sur vous. Ne vous défilez pas, cette fois !
Je fis une grimace qu'il ne vit heureusement pas, et mon interlocuteur raccrocha sans rien ajouter.
Jayvart sait exactement comment agir pour faire à la fois de vous un indésirable et un allié.
À dix heures et quart, quelques coups légers furent donnés contre la porte d'entrée. Plus nerveux qu'à mon habitude, j'allai ouvrir.
Les humaines me laissent généralement indifférent. Vraiment. Les humains également, quoi que voulut me faire avouer Colibri lors de ma dernière visite – Wikipédia, vraiment... –, mais la jeune humaine trentenaire qui m'adressa un radieux sourire me parut une vision du Paradis. Si je ne savais pas que Jayvart ne l'avait jamais rencontrée, j'eusse pu croire à une blague de fort mauvais goût, car Ludmila Romanov était l'extrême inverse, physiquement, de Sophie Colibri. Accordons-leur tout de même le charme et une beauté particulière en commun, mais Ludmila Romanov était immense, avait de longs cheveux dorés comme les blés, des yeux d'un bleu enchanteur et – je ne vous cache rien, ou si peu – certaines formes qui étaient loin de la déparer.
- Bonjour ! me lança Romanov d'un ton enjoué.
Elle resserra sur son épaule un sac à main en cuir blanc et je me concentrai sur ses grands yeux. Je ne détectai pas la moindre trace de maquillage – un nouveau point commun entre ma petite humaine et cette grande Artemis – et une sorte d'étrange naïveté qui me mit – allez savoir pourquoi – mal à l'aise.
- Bonjour, madame, lui répondis-je en tendant la main.
- Mademoiselle, me corrigea-t-elle en serrant la main tendue avec force. Comment dois-je vous appeler ? Vous êtes Heathcliff Basarab ?
- Radu Basarab, la corrigeai-je à mon tour avec un demi-sourire. Heathcliff est un surnom...
- Oui, le capitaine Aleksey m'a écrit un mail pour me décrire la situation. Je ne connaissais pas votre prénom.
Elle entra sans invitation dans l'appartement, retroussant le nez :
- Alors c'est ici... Hum. Sophie Colibri est revenue, au moins une fois ?
- Non, pas depuis...
- Vous étiez avec elle, lorsqu'elle a perdu ses jambes ?
Je faillis répondre mais me mordit les lèvres. Elle finit par ses retourner pour me dévisager, conservant cet air naïf qui me déplaisait :
- Eh bien ?
- Puis-je voir une pièce d'identité ?
- Pourquoi ? Vous croyez que je suis un paparazzi ?
En quelques gestes vifs, elle ouvrit son sac et en tira un long portefeuille – blanc, lui aussi – et en extirpa la carte d'identité. C'était bien elle : Ludmila Romanov, domiciliée à Créteil.
- Ou bien vous vouliez vérifier que je suis majeure ? sourit la jeune femme en reprenant sa pièce d'identité. Je vous arrête immédiatement : je suis gay.
Et elle me tourna le dos pour s'engouffrer dans l'appartement et inspecter minutieusement chacune des pièces. En une minute, elle était parvenue à me prévenir contre elle. Quel besoin ont ces humaines de sans cesse présenter leur identité amoureuse et sexuelle aux inconnus ?! Sa manière de fureter, le nez plissé, ne me plut pas davantage. Elle prit quelques photographies, à l'aide de son téléphone cellulaire, y nota quelques détails et finit par venir se planter devant moi.
- Radu Basarab, ce fut un plaisir ! Et ne soyez pas si grognon, vous êtes encore pire que cet inspecteur. Dites-lui que c'est d'accord, mais qu'il faudra convenir des horaires avec Sophie Colibri.
- Je viens d'apprendre votre existence à vrai d...
La naïveté qui était restée présente sur ses traits les quitta un instant :
- Voyons, monsieur Basarab, est-ce un détail primordial ?
Elle m'adressa un sourire radieux et s'empara de ma main pour la serrer à nouveau avec un petit gloussement de collégienne.
- Au plaisir de vous revoir, Radu Basarab.
Et elle sortit sans me laisser le temps d'ouvrir la bouche. Parfois, les humains me font regretter amèrement de vivre dans la lumière...
Je finis par vérifier chacune des fenêtres et emportait la nourriture pour axolotls que Sophie emmagasinait dans un placard de sa cuisine. Le médecin-légiste m'avait spécifiquement demandé d'aller nourrir ces petites créatures et je devais m'acquitter de ma tâche.
Lorsque je me garai devant l'institut médico-légal, je croisai un homme en blouse que je n'avais jamais vu. Un coup d'œil au badge qu'il portait me renseigna : il s'agissait du remplaçant provisoire de Colibri – je crois que Jayvart lui rend la vie infernale. Il était sorti en coup de vent, suivi de près par un jeune officier en uniforme. Ni l'un ni l'autre ne m'adressa le moindre regard, mais je compris que le second était le capitaine Aleksey. Une phrase surprenante, échappant des lèvres du médecin-légiste en fonction, me fit dresser l'oreille :
- Mais... mais vous êtes sûr ? Tahir l'a... l'a jeté dans la broyeuse ?!
- On prend ma voiture, non, pas celle-là ! C'est celle-là. Et je n'en sais pas plus que ce que je vous ai dit...
- Tahir, ce n'est pas le magnat multi...
- Grimpez, Joly, grimpez ! Jayvart m'a dit que les avocats de Tahir sont en route. On aura dix minutes pour essayer de l'inculper, après il se mettra sous protection à l'ambassade iranienne !
- Mais il n'est pas Français ?
La réponse d'Aleksey – qui commençait à s'impatienter devant la lenteur d'action du médecin-légiste – me fut refusée : il claqua les portières et démarrèrent à fond de train.
Tahir. Abaddon Tahir. Sophie m'avait parlé de lui, peu de temps après notre retour en France. Elle s'était tant énervée à son souvenir qu'il avait fallu que je sortisse de sa chambre. J'avais mené quelques recherches, qui m'avaient effectivement conduit à découvrir que Abaddon Tahir était immensément riche, et qu'on ignorait tout de ses origines. Il se référait parfois à l'ambassade de la République Islamique d'Iran – ce qui, je l'avoue, ne me plaisait guère – et de temps à autre à l'ambassade des États-Unis d'Amérique, ce qui brouillait les pistes. Il était imbuvable et tyrannique, remarquablement intelligent et calculateur. Et il avait rendu Colibri folle de rage.
J'entrai dans l'institut sans que personne ne songeât à m'arrêter – ils me connaissaient bien et savaient que je travaillais parfois aux côtés de Colibri. Lorsque j'ouvris la porte de son bureau, un éclair noir jaillit entre mes jambes, et j'eus la grande surprise de voir un énorme chat couleur de jais s'enfuir dans le couloir. Depuis combien de temps était-il enfermé ici ? Je l'ignorais. Il n'y avait que peu de dégâts – une plante renversée et quelques papiers éparpillés, et les axolotls n'avaient pas souffert de la présence du félin. Une odeur douceâtre me monta alors aux narines et je reconnus la même fragrance indéchiffrable qui m'avait frappée dans l'appartement de Sophie : ainsi donc, ce chat était celui de la jeune femme ! Elle ne m'en avait rien dit, et je m'étonnai qu'elle l'eût enfermé dans son bureau avant de partir pour le Japon. Peut-être s'était-il retrouvé là par hasard ? Je m'étonnai tout de même que ce chat fût imprégné d'une telle odeur, mais les chats sont des créatures très surprenantes.
Je m'approchai de l'immense aquarium de Sophie, le pot de nourriture lyophilisée à la main :
- Louis Quatorze ? Robespierre ? Vlad ? Mircea ? Colibri m'envoie vous nourrir aujourd'hui.
J'observai les quatre grosses créatures sortir de leur repaire et sourit. Je restai un instant pour les observer manger et me demandai en soupirant quel était ce malheureux qu'Abaddon Tahir avait bien pu pousser dans une broyeuse...
*
A suivre...
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