15 - The Engineer's Thumb

Hello !

Tout d'abord : merci beaucoup pour vos reviews et vos votes !

Ensuite : je tenais à prévenir les âmes sensibles que les deux chapitres qui viennent peuvent potentiellement vous impressionner. Rien de très graphique, c'est surtout psychologique. Par la suite, je vous rassure, les choses seront plus détendues.

Mis à part ça, j'espère que vous passez une bonne semaine :-)

Bonne soirée !

Season

*

Les événements n'eussent pas pu se dérouler de façon plus tragique. Je  savais quel était mon ennemi et son odeur putride d'orphique –  imperceptible pour le genre humain mais ô combien irritante pour nous  autres vampires et amateurs de sang frais – était détectable et traçable  à dix lieues à la ronde.

Je ne tardai pas à rejoindre le parking  sur lequel Colibri avait stationné pour la dernière fois. Elle n'avait  pas mésestimé mon lieu de villégiature : je ne mis pas plus d'une  demi-heure avant de trouver, au bord de la mer, une Toyota de location,  dont la radio fonctionnait toujours et dont la vitre passager avait été  brisée. Les infâmes fragrances de cadavre empuantissaient le tissu des  sièges, du métal des portières. La trace était encore tiède, mais cela  faisait une heure, au moins, que Zalmoxis et Sophie avaient fait  connaissance.

Zalmoxis avait – a, devrais-je dire – la très  mauvaise manie de dévorer les humains afin d'absorber leur essence  vitale et d'atteindre un niveau de force physique contre laquelle deux  vampires avaient jadis dû unir leurs forces. Ces écervelés qui avaient  croisé le chemin de l'orphique, à Ninive, en avaient fait les frais et  avaient laissé échapper l'unique occasion de leur vie de rendre service à  l'humanité. Mais tout était ma faute : enfermer un indésirable dans un  coffret fait visiblement de métal précieux était une erreur grave.  J'eusse dû le recouvrir de plomb ou de bois...

Lorsque je parvins,  les sens en alerte et le cœur anormalement palpitant, devant un  entrepôt désaffecté, prêt de la mer. La nuit tombait, il n'y avait pas  âme qui vécût. Seule la lumière artificielle filtrant sous la peinture  noire qui recouvrait les fenêtres hautes de cette espèce de hangar me  prouvait que je ne me trompais pas. L'odeur de Zalmoxis imprégnait les  lieux aussi sûrement que celle de la mort. Et les terribles effluves de  terreur, bien plus humaines et vivantes, celles-ci, de Colibri ne  faisaient que renforcer mon sentiment d'inquiétude.

Je n'eus aucun  mal à forcer une porte de service et à aboutir là où Zalmoxis  souhaitait que je me rendis. Il avait bien trop d'avance sur moi, et  avait ourdi son plan en plusieurs semaines, plaçant Sophie comme pièce  maîtresse de son échiquier. Ce fut la voix infâme de l'orphique qui  m'accueillit, alors que j'avançais prudemment entre de vieilles caisses  de bois défoncées et couvertes de kanjis.

- Radu ! Mais quelle surprise, dis-moi !

Il  se situait devant moi. Une dizaine de pas nous séparaient. Derrière  lui, une grande machine d'où s'échappaient une tuyauterie qui m'évoquait  une adaptation réussie de Dante aux enfers à laquelle j'avais  eu la chance d'aller, en 1871. Ne désirant pas perdre mon temps avec les  jeux que je savais pervers de Zalmoxis, je lançais :

- Où est l'humaine ?

Et  – quoique j'aie honte de l'admettre aujourd'hui – je sentis ma voix  trembler. Cet écoeurant résidu d'humanité qu'était l'orphique me sourit.  Il semblait en excellente santé, revigoré serait le terme le  plus exact. Vêtu à l'occidentale, il ne perdait jamais de temps pour  s'adapter à toutes les conditions dans lesquelles sa lamentable destinée  le plaçait.

- L'humaine ? L'humaine ? ricana cet être abject. So-so ? Tu entends comme ton ami parle de toi ?

- Heath...

Je  ne l'avais pas vue. À travers les plaques et les poulies mécaniques,  les tuyaux de caoutchouc et les diodes rouges, je remarquai une petite  silhouette allongée, attachée par des chaînes sur un plateau de  l'infernale machine à la peinture verte écaillée qui se dressait  derrière Zalmoxis. La voix de Sophie me parut si faible et si désespérée  que je sentis mon cœur accélérer encore. Pourquoi était-elle si abattue  ? Ma présence eût dû la rasséréner, au contraire ! Zalmoxis leva le  bras : il tenait un gros boitier gris, où plusieurs boutons  apparaissaient. Avec un rictus effroyable, l'orphique souleva une petite  vitre de plastique qui couvrait un bouton noir et le pressa. Aussitôt,  des sifflements et un tintamarre métallique emplit la pièce. Et la  machine sur laquelle Sophie était tenue prisonnière se mit en mouvement.  Le hurlement d'horreur de la jeune femme me glaça les sangs et,  oublieux de ma condition, je bondis en avant pour me jeter sur mon  ennemi :

- Non !

Je sentais mes crocs percer sous mes  gencives, tant la fureur s'emparait de moi. Je tendis la main,  traversant la moitié du chemin qui me séparait de l'orphique, et mon  corps rappela à mon esprit que j'étais d'une faiblesse affligeante. Je  sentis mes muscles se détendre et m'affaissai sur la dalle de béton, aux  pieds de mon pire ennemi, incapable du moindre mouvement. Il fallait  que je recouvris mon calme ! Sophie paierait pour mes erreurs et ma  présence à ses côtés si je ne parvenais pas à me redresser. Zalmoxis, à  ma grande surprise, pressa un nouveau bouton, et la machine se tut. La  respiration sifflante de Colibri me parvenait aisément, mais la voix de  l'orphique, qui marcha jusqu'à moi posément, la couvrit :

- Radu...  Tu t'es racheté une conduite, à ce que j'ai vu... Tu croyais qu'aider  les gentils humains à attraper les méchants humains effacerait ton  ardoise ? Ton ardoise maudite ?

Je sentis le pied de la créature  se glisser sous mon épaule. Il me retourna sur le dos aussi facilement  que si j'eus été un scarabée. Mes muscles refusaient toujours de se  mouvoir.

- Tu t'es toujours targué d'être meilleur que ton frère.  Mais c'est faux ! Je lui ai parlé de toi, à la petite, sussurra  Zalmoxis. Elle sait que tu es méprisable. Elle sait que si tu  n'étais pas malade, tu aurais été encore pire que moi. Que Vlad. Que  n'importe que salopard sur cette bonne vieille terre. Et maintenant, ta  bénédiction, ta maladie bienheureuse, tu vas l'entendre se transformer  en malédiction. Regarde. Écoute. Écoute-la hurler.

Il posa le boitier de commande à un mètre de ma tête.

- So-so ! s'égosilla-t-il avec un accent d'allégresse. Je lui dis ? Je lui dis que tes jambes sont juste sous la presse ?

Mon cœur accéléra à nouveau. Il fallait que je saisîs ce maudit boitier. J'avais envie de hurler, mais je ne pouvais pas même parler.

- Heath ! supplia Sophie. Heath, aide-moi ! Aide-moi !

- So-so, il a la télécommande à quelques centimètres de sa tête, regarde !

- HEATH !

Zalmoxis gloussa :

- C'est rigolo...

Il souleva la vitre qui protégeait le bouton noir.

- Trois... deux... un...

Et il pressa le bouton.

- Bye,  bye, Radu... Je pense qu'on se reverra. Ah, et au fait, j'ai calculé la  descente de la presse. Hum... fit l'orphique en s'accroupissant à mon  chevet tandis que l'orchestre infernal des rouages et des pressions  hydrauliques jouait derrière lui. Normalement, elle aura les jambes  complètement brisées. Irrécupérable. Mais pas totalement écrasées, tu vois ? Elle va survivre. Heureusement que je suis là, hein ? Heureusement qu'elle ne doit pas compter seulement sur  toi. Attends, écoute... Ah, dommage, elle crie trop fort, ça cache le  bruit de ses os qui se fracturent. Quoique, toi, avec ton ouïe de suceur  de sang... Elle souffre, hein ? Tu entends ? C'est ta faute, tout ça...  Tu n'avais qu'à... je ne sais pas... choisir des amis plus comme toi.  Les humains les plus noirs, et les plus méprisables, je peux les  dévorer, mais elle, non. Ah, c'est fini ! Déjà... murmura cet être  abominable, d'un ton déçu. Je n'ai pas profité. Oh, mais attends, elle  ne s'est pas évanouie, écoute ! Hahaha ! Merveilleux ! Je vous laisse !

J'eusse  tout donné pour avoir le droit d'effacer Colibri de ma vie, à cet  instant précis. Car Zalmoxis, dans sa logique vicieuse, avait raison :  en choisissant Sophie comme amie, je l'avais entraînée dans les abysses  où je devais normalement vivre. L'orphique s'éloigna, les mains dans les  poches, me laissant seul en compagnie des sanglots affaiblis de la  jeune femme. Je mis plus d'un quart d'heure à pouvoir mouvoir un bras et  extirper mon téléphone cellulaire de ma poche. Je parvins à ramper  jusqu'à la presse hydraulique avant l'arrivée des secours. Sophie avait  fini par s'évanouir, les jambes disparaissant entre les deux plaques de  pression. Zalmoxis ne m'avait pas menti : il restait un espace suffisant  pour ne pas tuer la jeune femme, mais bien trop étroit pour ne pas  imaginer les dégats colossaux que la mécanique avait pu faire à ses os.  Je compris en voyant la mare de sang dans lequel elle baignait que, pour  un criminel tel que moi, vouloir vivre heureux avait toujours un prix,  un prix exorbitant. Et que ce prix, c'étaient les innocents dont je  m'entourais qui finissaient par le payer.

*

A suivre...

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